Cours de droit Administratif Dispensé par le Professeur Bernard-Raymond GUIMDO D. Agrégé des facultés de droit. UNIVERSITE DE DSCHANG. Faculté des sciences juridiques et politiques. Licence 2.

Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE

Le droit administratif est-il le droit de l’administration ou le droit de l’administré ? Autrement dit, est-il le droit des privilèges ou un rempart contre l’arbitraire administratif ?

Pour répondre à cette interrogation duale, on peut dire qu’à certains égards, le droit administratif est un droit des privilèges et donc de l’administration mais, qu’à d’autres égards, il est un rempart contre l’arbitraire administratif et donc le droit des administrés.

In fine, le droit administratif oscille entre la préservation des prérogatives de l’administration et la protection des droits des administrés.

A- La genèse du droit administratif

Le droit administratif n’a pas une histoire similaire ou identique à celle du droit privé. C’est un droit dont les origines sont hétérogènes. En France où il né, il a des origines principalement a-juridiques et complémentairement juridiques. Au Cameroun, le droit administratif en vigueur s’inspire, dans une  large mesure, de ce droit.

  • Les origines a-juridiques

Le droit administratif s’est construit historiquement dans le contexte français pour des raisons a-juridiques, c’est-à-dire en dehors ou en marge du droit. En effet, sans la vision métaphysique de l’État et de l’autorité qui a marqué les centralismes monarchique, révolutionnaire et napoléonien, le droit administratif n’aurait pas émergé sous la forme que l’on lui connaît aujourd’hui.

Au total, te droit administratif trouve ses origines, embryonnaires sans doute, mais déjà conceptualisées, à une époque très ancienne où l’État n’est même pas encore conçu comme tel ; et sa pétition d’autonomie est, à en croire Jean  BOULOUIS, bien antérieure au célèbre arrêt Blanco rendu par le tribunal des conflits le 08 février 1873, qui a constitué l’un des composantes de ses origines juridiques.

  • Les origines juridiques

Le droit administratif est né en France d’un principe textuel et l’arrêt Blanco lui a donné sa consistance normative.

Le principe dont il est question a été posé, selon la doctrine française, au début de la révolution de 1789. Il dérivait, d’après elle, d’une interprétation de la séparation des pouvoirs. Le principe dont s’agit est celui de la séparation des autorités administratives et judiciaires institué par la loi des 16-24 août 1790 sur l’organisation judiciaire. 

D’après cette loi, «les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler de quelque manière que ce soit les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions». 

Ce principe fut solennellement rappelé, cinq ans plus tard, par le décret (v. George Vedel et Pierre Delvolvé ainsi que Gilles Lebreton) ou loi (v. René Chapus) du 16 fructidor an III, en ces termes (article unique) : «Défenses itératives sont faites aux tribunaux de connaître des actes d’administration de quelque espèce qu’ils soient, aux peines de droit ».

Par ces prescriptions prohibitives, les révolutionnaires voulaient éviter que les tribunaux judiciaires ne renouent avec les pratiques de leurs prédécesseurs. Aussi paradoxal que cela puisse paraitre, les textes de 1790 et de l’an III ne faisaient d’ailleurs que réitérer une interdiction que le Roi avait déjà posée, sans succès durable, dans l’Edit de Saint-Germain de février 1641, puis dans son arrêt du conseil du 8 juillet 1661.

En somme, les textes interdisaient aux juges judiciaires, non seulement d’administrer, mais également de connaître des litiges administratifs. Ainsi, à partir de 1790, les difficultés contentieuses nées de l’activité administrative ne pouvaient plus être examinées par les juridictions appartenant à l’ordre judiciaire. Furent alors instituées des juridictions distinctes et spécialisées dans le traitement du contentieux de l’administration agissant comme puissance publique, à savoir les conseils de préfecture (remplacés en 1954 par les tribunaux administratifs) et le Conseil d’État.

Il restait à ce que cet état de droit soit consacré officiellement. Ceci fut l’œuvre, non pas du conseil d’État, mais du tribunal des conflits (il est chargé, en France, de régler souverainement les difficultés que peut soulever la répartition des compétences entre les juridictions administratives et les juridictions judiciaires) dans l’arrêt Blanco du 8 février 1873.  En rendant l’arrêt Blanco, le tribunal des conflits parachevait la construction d’un édifice commencé au cours des décennies précédentes. Dans un premier temps, il pose le principe de la responsabilité de l’État et, dans un second temps, il consacre le principe selon lequel l’État, en tant qu’administration, ne peut se voir appliquer les règles du code civil.

A ce sujet, il affirme en substance : « (…) la responsabilité qui peut incomber à l’État pour les dommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu’il emploie dans le service public ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le code civil pour les rapports de particuliers à particuliers ; (…) elle a ses règles spéciales qui varient suivant les besoins du service et la nécessité de concilier les droits de l’État avec les droits privés ». 

Depuis lors, et contrairement à la tradition juridique anglo-saxonne, l’administration en France relève, lorsqu’elle agit selon la gestion publique, du contrôle des juridictions spécifiques que sont les juridictions administratives et d’un régime juridique particulier qui est le droit administratif.

Ce qu’il faut retenir, en définitive, c’est que l’arrêt Blanco du tribunal des conflits a, d’une certaine façon, consacré l’autonomie du droit administratif, notamment celui du droit de la responsabilité administrative par rapport aux règles énoncées dans le code civil. Malgré les rapprochements des jurisprudences administrative et judiciaire, le principe consacré demeure valable.

Comment et pourquoi le droit administratif a été introduit au Cameroun ? Le droit administratif introduit au Cameroun n’a pas dérogé, pour l’essentiel, aux principes consacrés en France, que ce soit avant ou après l’indépendance, mais davantage avant qu’après. Il est donc, pour une bonne part, tributaire du droit administratif français.

Les raisons d’une telle consécration sont de plusieurs ordres ; on peut relever, entre autres, la situation juridique du Cameroun avant l’indépendance, laquelle a permis l’influence du droit français sur son organisation, ainsi que les conditions juridiques de son accession à l’indépendance caractérisées pour l’essentiel par la reprise des normes juridiques.

Il faut cependant relever que le constituant, le législateur, l’exécutif ainsi que le juge administratif ont depuis lors élaboré des règles complétives ou distinctes qui tendent à infléchir la dépendance du droit administratif au Cameroun à l’égard de celui en vigueur en France, de telle sorte qu’on ne peut plus dire aujourd’hui que le droit administratif au Cameroun est un « droit mimétique », c’est-à-dire la reprise intégrale et sans bénéfice d’inventaire des règles élaborées ou en vigueur en France. En effet, on assiste au niveau de l’ordre juridique camerounais d’une part, à une réception sélective ou appropriée de la jurisprudence administrative française et, d’autre part, à d’heureuses et importantes adaptations voire à des innovations tant au plan normatif qu’au plan institutionnel.

B- L’objet et la place du droit administratif

Il est généralement admis que l’administration constitue l’objet par excellence du droit administratif. Mais de quelle administration s’agit-il ?

1- L’objet

Dans la langue courante, le mot administration désigne tantôt l’activité, c’est-à-dire le fait d’administrer, tantôt un organe ou des organes qui exercent cette activité. Perçu de la sorte, le mot administration s’applique aussi bien aux affaires privées qu’aux affaires publiques.

En réalité, l’administration dont il s’agit c’est l’administration publique, c’est-à-dire, pour reprendre, Jean RIVERO, « un ensemble d’organes par lesquels sont conduites et exercées les tâches publiques ». 

Au regard de cette précision définitionnelle, l’administration, objet du droit administratif, peut être appréhendée, du point de vue organique, comme l’ensemble des organes qui représentent le pouvoir exécutif, les autres personnes morales du droit public (collectivités territoriales décentralisées, institutions publiques spécialisées tels les établissements publics et les groupements d’intérêt public) ainsi que les autorités et les agents publics qui dirigent ou assurent le fonctionnement des services relevant de ces personnes publiques ; et, du point de vue matérielle, comme l’activité administrative qui se différencie de l’activité des particuliers et des autres activités publiques (exemple : l’activité législative, diplomatique et juridictionnelle).

Il convient cependant de noter qu’il existe entre ces deux définitions (organique et matérielle) une absence de coïncidence. En effet, au sens organique, l’administration  peut ne pas assurer d’activité administrative, mais plutôt une activité privée, recourir aux procédés de gestion privée du service public ; de fait, au regard du distinguo gestion publique (application du droit public) et gestion privée, le droit administratif n’intervient pas. A l’inverse, au sens matériel, l’administration peut être assurée par des personnes non administratives à l’instar des personnes privées par exemple.

Cette absence de coïncidence démontre à suffisance la dualité de l’administration (administration organique/administration matérielle) et, par ricochet, la dualité du droit (droit public/droit privé) qui la régit ou lui est applicable.

2- La place

Le droit administratif apparaît, non pas exactement comme le droit de l’administration, mais plutôt comme cette branche du droit public qui régit l’administration dans l’exercice de ses activités administratives publiques.

Au regard de ce qui a été précédemment dit, le droit administratif est non pas une branche du droit privé, mais une branche du droit public que le doyen Léon DUGUIT définit comme « l’ensemble des règles de droit qui s’appliquent à l’État, aux gouvernants et à leurs agents dans leurs rapports entre eux et avec les particuliers ».

A côté du droit administratif, entant que branche du droit public, on a le droit constitutionnel, le droit des finances publiques et le droit international public.

C- Les critères du droit administratif

Une importante controverse a animé voire divisé la doctrine sur l’existence ou non d’un critère du droit administratif. A l’analyse, on se rend compte que le débat tourne autour des critères théoriques et des critères juridiques du droit administratif.

1- Les critères théoriques

Vers la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle, deux courants de pensée se sont affronté sur l’existence d’un critère ou non du droit administratif : l’un est qualifié d’ « école du service public », tandis que l’autre est dénommé l’« école de la puissance publique ». 

Ces deux courants de pensée étaient animés par deux grands maîtres du droit public français à savoir, d’un côté, le doyen Léon DUGUIT, et, de l’autre, le doyen Maurice HAURIOU. Une thèse médiane a été conçue au milieu du 20ème siècle par Marcel WALINE et reposait sur le critère de l’utilité publique.

Le critère du service public a été défendu par l’école de Bordeaux, fondée par Léon DUGUIT (1859-1928), doyen de la faculté de bordeaux de 1919 à 1928. Ce dernier a été suivi par une génération d’auteurs de haute valeur, notamment, Gaston JEZE, Roger BONNARD, Louis ROLLAND.

La thèse fondamentale soutenue par ces auteurs est que tout le droit administratif s’explique par la notion de « service public ». Ce dernier est donc le critère fondamental voire unique de définition du droit administratif.

Le service public tel que le conçoit Léon DUGUIT est cette finalité du droit administratif. Pour cet auteur, ce qui importe dans l’activité de l’administration c’est l’objectif que celle-ci veut atteindre, en l’occurrence, le «meilleur service de l’intérêt général». Par conséquent, les moyens mis en œuvre pour atteindre cette finalité importent peu. Ainsi, dès lors qu’il est établi qu’il y a service public, il doit y avoir application des règles du droit administratif et, par conséquent, compétence de la juridiction administrative.

Il se dégage de ce qui précède que le service public se caractérise par trois éléments : il est une activité ou entreprise ; il est exercé par une collectivité publique (Etat, collectivité territoriales décentralisée et établissement public administratif) ; il vise à satisfaire un besoin d’intérêt général.

Sur le plan juridique, il est arrivé justement que le juge recourt au critérium du service public pour faire application du droit administratif. Ce faisant, il est devenu un critère de détermination de la compétence du juge administratif. Relève ainsi de ce dernier les activités de service public et celles qui n’en sont pas ressortissent à la compétence du juge judiciaire.Trois arrêts sont, à ce égard, généralement invoqués : CE, 06 février 1903, Terrier ; TC, 29 février 1908, Feutry ; CE, 4 mars 1910, Thérond.

Depuis lors, et jusqu’à nos jours, la référence au critère du service public est constante dans bon nombre d’arrêts de Conseil d’Etat et du Tribunal des conflits (ex. : TC ,15 janvier 1968, Epoux Barbier c/ Air France). Mais le critère du service public a des limites.

Dans son acception classique, le service public est une activité d’intérêt général. Ce faisant, il subodore l’intervention d’une personne publique à laquelle est confiée cette activité. Or, aujourd’hui, le lien entre ces deux aspects du service public (activité d’intérêt général et personne publique) est en déclin et même, dans des cas assez importants, rompu. En effet, il existe des personnes publiques qui ne  mènent pas toujours des activités de service public (exemple la gestion du domaine, privé par des personnes publiques).

Par ailleurs, on a des personnes privées auxquelles est confiée l’exercice ou l’exécution d’une mission de service public. Le premier arrêt en la matière est, sans doute, un arrêt du CE du 20 décembre 1935(CE, 20 décembre 1935, Société des Etablissements Vézia).  De même, il s’est développé des services publics à caractère industriel et commercial exerçant des activités dans des conditions proches de celles des personnes privées, ayant des objets analogues, sans l’emploi de prérogatives de puissance publique. La jurisprudence en a déduit que les litiges nés de leur fonctionnement et notamment de leurs rapports avec les usagers ressortissent normalement à la compétence du juge judiciaire. Elle l’a fait dans un arrêt de principe rendu par le TC (TC, 22 janvier 1921, Société commerciale de l’Ouest africain ou aff. Bac d’Eloka), lequel a été suivi de nombreuses décisions tant du TC luimême que du CE.

Il se dégage de ce qui précède que le service public, dans des cas assez importants, ne peut pas être utilement invoqué pour déterminer le champ d’application du droit administratif, entendu comme un ensemble de constructions juridiques distinctes de celles applicables aux personnes privées.

Plusieurs raisons peuvent être avancées à cet effet :

  • le service public est une notion imprécise ;
  • le service public est un critérium d’ordre politique voire idéologique et non juridique.

D’un côté, la notion de service public est imprécise au regard de deux facteurs : organique et matériel.  Organiquement, cette notion ne colle pas avec la réalité. Ainsi, la gestion du domaine privé des personnes publiques ne connaît pas l’application du droit public. On observe aussi une multiplication des services publics à gestion privée.

Matériellement, le service public a un contenu imprécis, à titre d’exemple, on observe que la liste des activités d’intérêt général est par nature contraignante. Elle évolue dans le temps et l’espace en fonction des changements de mentalités et des transformations des sociétés.

D’un autre côté, le service public est un critérium politique et non juridique, d’une part, parce qu’il est l’expression d’une option voire d’un choix politique, et, d’autre part, parce qu’il exprime une pratique politique ; il fait présumer l’intervention sous une forme ou une autre des personnes publiques.

Que dire du critère concurrent à savoir la puissance publique ?

Pendant longtemps, le terme puissance publique a été utilisé en droit public dans un sens quasi métaphysique qui l’a bien discrédité, notamment du fait des conséquences qui en découlaient : irresponsabilité de l’Etat dans certains secteurs de l’activité administrative (police) et existence d’ « actes discrétionnaires » pour lesquels l’administration ne pouvait être soumise à aucun juge.

La puissance publique comme critère du droit administratif a été défendue et soutenue par l’école de Toulouse dont le chef de file est Maurice HAURIOU (1856 – 1929). Celui-ci fut doyen de la faculté de Toulouse de 1906 à 1918.

Au cœur du critère de puissance publique il y a l’idée de souveraineté nationale. C’est en vertu de celle-ci, en effet, que le parlement fait des lois qui ont pour effet d’imposer aux particuliers certaines charges, et ceci en dehors de leur consentement, ce que nul particulier ne peut, en principe, faire.

C’est également au nom de cette souveraineté que, dans le cadre des lois, le pouvoir exécutif remplit sa fonction administrative. Il s’en suit que l’administration, qui en est le bras séculier, détient des prérogatives exorbitantes du droit commun : notamment, le pouvoir d’expropriation, de réquisition et de règlementation de police.

Le critère de la puissance publique s’inscrit donc dans l’ordre des moyens. C’est seulement si le service public est assuré par ces procédés de la gestion publique qu’il y a application du droit administratif et, par voie de conséquence, compétence de la juridiction administrative. 

D’ailleurs, une bonne frange de la doctrine s’accorde aujourd’hui à voir dans la gestion publique le critère principal de la compétence du juge administratif. Cela s’est dessiné dès 1912 dans un arrêt rendu par le Conseil d’Etat : CE, 331 juillet 1912, Société des granits porphyroïdes des Vosges.

Au plan jurisprudentielle, il est arrivé que le juge administratif prenne en compte la notion de prérogative de puissance publique pour déterminer le droit applicable lorsque l’administration est en cause (TC, 10 juillet 1956, Société BOURGOGNE BOIS et CE 3 Juillet 1987, CASSIGNARD).  Mais, comme le critère de service public, la puissance publique connaît, elle aussi, des limites.

Comme l’a écrit fort pertinemment  Jean RIVERO, la puissance publique ne se caractérise pas seulement par des dérogations « en plus » au régime juridique des simples particuliers, mais également par des dérogations « en moins ». Ainsi, à côté des prérogatives que détient l’administration, il y a aussi des sujétions auxquelles elle est soumise et que ne connaissent pas les simples particuliers.

Certes, l’idée de puissance publique rend compte de la plupart des règles administratives, mais non de toutes. Elle connaît donc des limites. On peut en citer quelquesunes. Premièrement, certaines personnes privées détiennent ou exercent des prérogatives de puissance publique. Il en est ainsi des ordres professionnels. Deuxièmement, avec toute une série de règles, l’administration (qui apparaît souvent dotée d’un pouvoir supérieur à celui des particuliers) apparaît infiniment moins libre dans l’exercice de sa volonté que les particuliers. Comme la écrit Jean RIVERO, « ce n’est plus l’administration impérieuse, c’est l’administration ligotée, c’est à côté de la puissance publique, la servitude publique ».

Troisièmement, pour l’agent public, la compétence définit une obligation, alors que pour le particulier, la capacité que le droit privé lui reconnaît est pour lui une faculté pure. Il peut l’exercer ou ne pas l’exercer ou alors charger quelqu’un d’autre de l’exercer pour lui.

Quatrièmement, l’Administration peut, sous certaines conditions, agir dans le cadre du droit commun, c’est-à-dire du droit privé. C’est ce que l’on veut dire quand on parle de la gestion privé, par opposition à la gestion publique. Ainsi, elle peut acquérir un bien meuble ou immeuble aux moyens des règles de droit privé.

Que dire alors in fine ? À la vérité, le service public et la puissance publique, bien qu’ils soient  critères concurrents ou opposés du droit administratif, se complètent dans certains cas et peuvent se compléter dans d’autres ; il suffit de les prendre en considération simultanément. C’est ainsi que le juge recourt souvent et simultanément à ces deux notions pour faire application du droit administratif : CE, 13 janvier 1961, Magnier ; CE, 30 novembre 1977, Association des Chasseurs de Noyant de Touraine).

Que dire alors du critère de l’utilité publique proposé par Marcel WALINE?

Le critère de l’utilité publique permet de concevoir le droit administratif à travers l’idée d’intérêt général. Il a été justifié et son contenu esquissé par son auteur. Mais, il est passé comme un météore.

C’est pour assurer la relève du service public décadent que Marcel WALINE propose comme critérium du droit administratif la notion d’utilité publique. Il l’a fait au cours d’un colloque consacré à la détermination du droit public et du droit privé, organisé sous les auspices du Centre National de la Recherche Scientifique en juin 1952 à la faculté de droit de Paris.

L’éminent juriste soutenait que l’utilité publique est le moteur de toute l’action administrative. Autrement dit, c’est l’utilité publique qui donne vie et sa consistance au droit administratif à travers l’activité de l’administration. En effet, elle assure la dynamique, la permanence et le continuum du droit administratif. Le critère de l’utilité publique a d’importantes limites dont il convient de déterminer les plus significatives. Premièrement,  bien que l’action administrative soit guidée par l’utilité publique, elle ne s’exerce pas toujours selon les procédés du droit administratif. A titre d’exemple : la location d’un immeuble peut être faite, certes dans l’intérêt général, mais selon les règles de droit commun.

Secondement, si l’administration est toujours guidée par l’intérêt public, elle n’est pas la seule à le servir. Le particulier peut aussi le servir soit inconsciemment, soit volontairement. C’est ainsi qu’il existe des établissements d’utilité publique de création privée auxquelles l’Etat accorde ses faveurs sans pour autant les soumettre au droit administratif.

2- Les critères juridiques

Les critères juridiques du droit administratif sont pour l’essentiel au nombre de deux :

le critère de l’autonomie et le critère des bases constitutionnelles.

Le critère de l’autonomie du droit administratif a pour finalité de caractériser la situation des relations  entre personnes privées par rapport au droit privé.

Ainsi, l’autonomie dont il s’agit s’appréhende par opposition au droit privé. Ce critère a une consistance, mais aussi des limites.

L’autonomie du droit administratif peut se définir par deux traits essentiels : l’autonomie des sources et l’autonomie matérielle ou de fond.

L’idée centrale est que toutes les règles du droit administratif procèdent des sources qui, considérées « in concreto », apparaissent distinctes et indépendantes de celles dont procèdent les règles du droit privé.

Les sources propres du droit administratif seraient principalement d’une part, la législation administrative (ensemble d’actes et réglementations écrits, constitués de lois et d’actes administratifs), et, d’autre part, la jurisprudence, notamment celle du juge administratif.

En dehors de cette autonomie des sources, le droit administratif jouirait également d’une autonomie de fond ou matérielle.

Les règles du droit administratif, prises intrinsèquement dans leur contenu normatif ou dans leurs dispositions substantielles, sont autonomes, c’est-à-dire spéciales, voire « originales » et distinctes de celles de droit privé.

Cette autonomie de fond du droit administratif a reçu sa première consécration claire dans le célèbre arrêt Blanco rendu par le Tribunal des conflits le 08 février 1873. Alors que cet arrêt visait uniquement les règles relatives à la responsabilité de l’administration, ses énoncés ont été étendus à l’ensemble du droit administratif.

Cette conception du droit administratif a été opposée à la conception anglo-saxonne

selon laquelle l’administration et ses agents sont soumis aux mêmes règles de droit commun comme les particuliers.

Les limites de l’autonomie du droit administratif sont relatives aussi bien aux sources qu’aux règles de fond.

-En ce qui concerne les limites liées aux sources, il est admis que les sources du droit administratif ne se limitent pas à la loi et aux actes administratifs. Elles vont au-delà et comprennent aussi bien la Constitution que les textes tels les conventions internationales. Ce qui veut dire que le droit administratif, a les mêmes sources que les autres droits, en l’occurrence le droit privé.

-Pour ce qui est des limites liées au fond, il faut dire que les règles du droit public, notamment du droit administratif, ne sont pas à l’abri de l’intrusion des règles de droit privé, lesquelles sont souvent appliquées soit par l’administration, soit par le juge administratif.

Aujourd’hui, chacun convient que la spécificité des règles du droit administratif est moins importante que ce que l’on pouvait imaginer à première vue.

Le critère de l’autonomie du droit administratif, in fine, ne permet d’appréhender que partiellement le droit administratif. Quid alors du critère des bases constitutionnelles.

C’est le doyen Georges VEDEL qui a déterminé, voire « découvert » les bases constitutionnelles du droit administratif. Pour lui, ces bases ne fondent peut-être pas la totalité du droit administratif, mais elles constituent aujourd’hui l’un des critères essentiels du droit administratif.

Cette conception du droit administratif peut être saisie doublement : d’une part du point de vue son énonciation, et, d’autre part, du point de vue de sa réception.

Examiner le critère des bases constitutionnelles du droit administratif du point de vue

de son énonciation consiste à analyser d’abord sa genèse avant de déterminer sa consistance.

C’est en 1954 que Georges VEDEL, dans un article intitulé « Les bases

constitutionnelles du droit administratif », paru dans Etudes et Documents du Conseil d’État (pp. 21-53), formule le critère des bases constitutionnelles du droit administratif.

 

L’idée fut réactualisée en 1961 pour tenir compte des innovations contenues dans la constitution française du 4 octobre 1958.

L’éminent auteur était parti de l’idée que si, comme on semblait unanimement l’admettre, le droit constitutionnel fournit toutes les têtes de chapitre du droit public et, particulièrement, du droit administratif, on devrait retrouver le reflet de cette constatation dans la définition même de l’administration et du droit administratif.

Le critère des bases constitutionnelles peut être résumé ainsi : la Constitution distingue les organes (le gouvernement, le parlement, l’autorité judiciaire) ; c’est des considérations organiques et non matérielles (service public et puissance publique) qu’il faut partir en vue de définir tout à la fois l’administration et le droit administratif. Pour ce faire, trois opérations successives de délimitation sont nécessaires.

La première délimitation est de caractère organique. Elle permet d’exclure de l’administration ce qui relève du parlement et de la juridiction et à le rattacher au gouvernement.

La deuxième délimitation est d’ordre matériel. Elle permet d’écarter ce qui dans l’activité gouvernementale n’a pas de caractère administratif. Se trouvent ainsi excluent de l’administration l’activité diplomatique du gouvernement (relations avec les autres Etats et les organisations internationales) et l’action du gouvernement dans ses rapports avec les autres pouvoirs publics internes (exemple le parlement).

La troisième délimitation permet d’établir un lien entre les bases constitutionnelles du droit administratif et le critère de puissance publique  défendu par le doyen M. HAURIOU. Cette délimitation fait apparaître ce qui caractérise spécifiquement l’administration et le droit administratif à travers l’exclusion des procédés de droit privé.

Cette triple délimitation faite, l’administration est donc définie comme « l’ensemble des activités du gouvernement et des autorités décentralisées étrangères à la conduite des relations internationales et aux rapports entre les pouvoirs publics et s’exerçant sous un régime de puissance publique ».

La réception  normative du critère des bases constitutionnelles du droit administratif peut être doublement appréciée.

-En France, c’est le Conseil constitutionnel qui, dans sa décision n°86/224 du 23 janvier 1987, Conseil de la concurrence, a constitutionnalisé le droit administratif en lui donnant des bases constitutionnelles dites dérivées.

Au demeurant, la décision du conseil constitutionnel du 23 janvier 1987 a contribué à élargir « le bloc de constitutionnalité » dans un domaine qui était jusque-là mal balisé du contentieux administratif en confortant les garanties tirées par les justiciables de l’existence d’une juridiction administrative.

-Au Cameroun, depuis 1960, le droit administratif a des bases constitutionnelles originaires. En effet, depuis cette date, toutes les constitutions formelles du Cameroun ont consacré des dispositions relatives à l’administration et à la juridiction administrative (v. l’article 32 de la constitution du 2 juin 1972 et les articles 38, 40 et 42 de la constitution du 18 janvier 1996).

D- Les sources du droit administratif

En règle générale, lorsqu’on fait allusion au concept de sources du droit, on pense non pas à la technique juridique envisagée  « in globo » mais plutôt aux différentes normes juridiques qui constituent ce droit. Sur ce point, il sied de procéder à la distinction d’autres significations, notamment en opposant les sources matérielles ou sources réelles aux sources formelles ou sources idéales.

Les sources matérielles renvoient à deux réalités ou significations qui sont cependant très mêlées. En pratique, tantôt elles désignent les facteurs qui influencent sur le contenu de la réglementation juridique, le substratum du droit, les données où le législateur puise son inspiration juridique (notamment les divisions des forces sociales, l’environnement national et l’histoire) ; tantôt elles désignent les fondements ou les bases d’une norme juridique ; c’est-àdire ceux ou celles qui  l’expliquent en lui conférant une validité et non ceux ou celles qui la justifie.

Les sources formelles, quant à elles, renvoient soit aux différents procédés d’édiction, soit aux différents modes de formulation des normes juridiques (ex. : les actes juridiques unilatéraux ou contractuels et la jurisprudence) ; soit, enfin, aux documents dans lesquels sont contenues ces normes juridiques. C’est dans ce sens que les sources du droit seront comprises dans le présent cours.

Mais, comme l’a écrit Michel VIRALLY, « les sources ne sont pas seulement les moyens d’élaboration des normes juridiques, il s’agit avant tout des moyens permettant de leur conférer une force juridique, de leur octroyer une validité».

Au regard de ce qui précède, on peut classer les sources du droit administratif selon deux critères.

Le premier critère est celui du contenant. On distingue ainsi les sources écrites et les sources non écrites. C’est un critérium critiquable pour la raison qu’on ne peut pas considérer qu’il existe des sources exclusivement non écrites et des sources absolument écrites. Il ne sera donc pas adopté dans le cadre du présent cours.

Le second critérium est celui du lieu d’édiction ou d’émergence de la source. Il permet de distinguer les sources d’origine nationale et les sources d’origine internationale.

C’est ce second critère qui sera pris en compte dans les lignes qui suivent. L’on étudiera donc d’une part les sources nationales, et, d’autre part, les sources internationales du droit administratif. 1- Les sources nationales

Les sources nationales du droit administratif, autrement dit, les techniques d’élaboration dudit droit dans l’ordre étatique, sont variées. Elles sont le fait soit d’organes extérieurs à l’administration, soit celui des organes de l’administration.

Au regard de ce qui précède, on peut distinguer « in globo » deux catégories de sources du droit administratif. On a d’une part, les sources externes à l’administration, et, d’autre part, les sources internes à l’administration.

On peut distinguer, grosso modo, trois sources du droit administratif qui sont externes à l’administration. Il s’agit, dans l’ordre hiérarchique, de la constitution, de la loi et de la jurisprudence administrative.

La Constitution, source du droit administratif, peut être analysée à un triple niveau : sa structure, sa relation avec l’administration et la jurisprudence constitutionnelle.

En règle générale, la constitution a deux parties : le préambule et le corps.En tant qu’une source du droit administratif, la constitution détermine non seulement les règles de compétence et les principes de fond de l’administration, mais également les règles de son organisation et de son fonctionnement. Pour ces raisons, l’administration est tenue de se soumettre au bloc de constitutionnalité.

Ainsi, du fait de l’exigence du respect de la hiérarchie des normes, le juge administratif a le devoir d’écarter un acte administratif  lorsqu’il est contraire à la constitution.

C’est dire qu’il n’existe pas d’obstacle principiel, ni d’anomalie à ce qu’un acte administratif soit censuré par le juge administratif s’il est établi, au regard des circonstances et des modalités de son édiction, qu’il a méconnu une disposition constitutionnelle ou un principe consacré par le juge constitutionnel.

Ce principe peut cependant être édulcoré pour la raison que le juge administratif ne peut dans toutes les circonstances déclarer un acte administratif inconstitutionnel. C’est dire que la soumission de l’administration à la constitution a une portée relative ou limitée.

Il existe une inflexion à la possibilité qu’a le juge administratif de censurer des actes administratifs contraires à la constitution. Cette inflexion consiste en l’application par le juge de (ce que l’on appelle) la théorie de l’écran législatif. Mais, cette théorie peut être contournée par le juge administratif s’il applique (ce qu’on appelle) la théorie de l’écran transparent.

La théorie de la loi écran est le résultat d’une pratique jurisprudentielle. Selon cette théorie, un juge ordinaire, notamment administratif, ne peut s’opposer à l’édiction d’un acte administratif qui aurait un caractère inconstitutionnel car, en application du principe de la hiérarchie des normes, son rôle est d’apprécier la conformité des actes administratifs à la loi.

Il résulte de ce qui précède que la théorie de l’écran législatif intervient lorsque l’acte administratif discuté a été pris conformément à une loi dont il tient le vice d’inconstitutionnalité qui l’entache. Toute inconstitutionnelle qu’elle est, la loi fait écran entre le juge administratif et la norme constitutionnelle. En conséquence, censurer l’acte administratif contesté serait implicitement mais, certainement, censurer la loi dont il procède, ou au moins, en dénoncer l’inconstitutionnalité.

Cette théorie a connu de nombreuses applications dans le contexte français. On peut citer, entre autres : CE, 10 juillet 1954, Fédération des conseils des parents d’élèves ; CE, 26 novembre 1976, Soldani et autres ; CE, Ass. , 5 mars 1999, Rouquette.   

Quoiqu’il en soit, il existe des possibilités de contournement de la loi écran, c’est le cas lorsque le juge applique la théorie de l’écran transparent.

La théorie de l’écran transparent, dont l’application permet de contourner la limitation de la soumission de l’administration à la constitution, s’applique dans deux cas de figure au moins :

–  lorsque la loi principiellement écran est vide dans le fond ; –  lorsque le règlement viole un principe général du droit.

Dans ces deux cas, le juge administratif peut procéder à un contrôle de constitutionnalité du règlement litigieux.

Relativement à la loi principiellement écran mais vide dans le fond, il s’agit d’une loi qui investit simplement le gouvernement de la mission de prendre certaines mesures sans aucune vocation à mettre en œuvre des principes.

Relativement à la violation d’un principe général du droit par un règlement, le juge administratif applique la théorie de l’écran transparent en interprétant dans le sens de la compatibilité aux principes généraux du droit les lois présentes dans certaines matières pour statuer sur la légalité du règlement querellé.

On entend par jurisprudence constitutionnelle l’ensemble des principes et règles que le juge constitutionnel énonce lors du règlement des litiges. De jure, ces principes et règles font partie de ce qu’on appelle le « bloc de constitutionnalité ».

Le juge constitutionnel français a  eu à formuler à plusieurs reprises de telles règles et principes. A titre d’exemple, il a transformé en l’élargissant la notion de constitution, en intégrant dans ce bloc la constitution proprement dite mais également la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 aout 1789 ainsi que le préambule de la Constitution de 1946, ce qui l’a amené a constitutionnalisé le principe de la liberté d’association (cf. CC, 16 juillet

1971, Liberté d’association).

La loi dont il s’agit n’est pas exclusivement l’acte juridique édicté par le parlement. C’est la loi appréhendée « in globo », c’est-à-dire la loi proprement dite et les actes juridiques assimilés à la loi.

La loi proprement dite comprend la loi parlementaire et la loi référendaire. Si la souveraineté de la première est questionnée, celle de la seconde ne l’est.

La loi peut-elle faire l’objet de contestation ? Plus précisément, peut-elle faire l’objet d’un contrôle juridictionnel ?

Le principe de départ est celui de l’incontestabilité de la loi. Mais ce principe a connu depuis lors des bémols. Ainsi, la loi parlementaire peut faire l’objet de contrôle de constitutionnalité à l’initiative des instances ou des organes habilités à saisir le juge constitutionnel.

Les actes juridiques assimilés à la loi sont essentiellement de deux catégories: les ordonnances prises par le président de la République et ratifiées par le parlement, et les actes pris en période de crise grave par l’exécutif, en l’occurrence le Président, dans le domaine législatif.

On entend par ordonnances des actes juridiques à caractère unilatéral pris par l’exécutif, notamment le président de la République, dans des matières législatives sur habilitation du parlement dans un domaine déterminé et une période précise.

Tant que ces actes n’ont pas été ratifiés par le parlement, ils ont une valeur réglementaire. Toutefois, dès qu’ils sont ratifiés, ils acquièrent une valeur législative. Ces actes sont prévus par l’article 28 de la constitution camerounaise du 18 janvier 1996.

En ce qui concerne les actes pris par l’exécutif dans le domaine législatif en période de crise grave, ils sont prévus par l’article 9 alinéa 2 de la constitution camerounaise et par l’article 16 de la constitution française du 04 octobre 1958.

La jurisprudence administrative peut être définie comme la production normative de la justice administrative. C’est elle qui, historiquement a été au cœur de l’élaboration du droit administratif français dans la mesure où les grands principes et règles qui jalonnent et structurent ce droit sont une fabrication de la justice administrative, en l’occurrence le Conseil d’État.

La jurisprudence administrative a deux composantes essentielles : les règles générales et les principes généraux du droit.

Les règles générales sont considérées comme des principes secondaires. Quelles sontelles et quelle est leur place dans l’ordonnancement juridique ?

Certaines règles générales concernent le régime de l’activité administrative, les plus importantes étant relatives à la procédure juridictionnelle. Il en est ainsi du caractère obligatoire de la motivation des jugements et arrêts.

D’autres règles générales sont constituées de notions dégagées ou définies par le juge. En la matière, la production jurisprudentielle est très riche. A titre d’exemple, c’est le juge administratif qui a précisé les notions d’acte administratif, de service public, de puissance publique, de validation législative, d’agent public, de travail public, d’acte de gouvernement et de bien d’autres notions.

De jure ou « de lege lata », les règles générales ont une valeur juridique égale à celle des règlements édictés par l’organe exécutif.

Il existe des principes contenus dans le préambule de la Constitution : ce sont des principes constitutionnels. Il en existe d’autres, non écrits, mais qui font aussi partie du droit public : ce sont des principes d’ordre coutumier. La plupart de ces principes résultent des décisions des juridictions judiciaires ou administratives voire des conclusions des rapporteurs devant les juridictions administratives ou alors des conclusions des procureurs auprès des juridictions judiciaires.

In fine, les principes généraux du droit peuvent être appréhendés comme des règles de droit objectif, et non pas de droit naturel ou de droit idéal, qui sont exprimés ou non dans des textes appliqués par la jurisprudence et dotés d’un caractère suffisant de généralité.

On peut citer, entre autres :

  • le principe des droits de la défense (CE, 05 mai 1944, Dame veuve Trompier Gravier ; CE, 26 octobre 1945, Aramu et autres) ;
  • le principe de l’égalité de tous devant le service public (CE, 19 mars 1951, Société des concerts du conservatoire) ;
  • le principe de l’égalité de tous devant les charges publiques (CFJ/CAY, 30 avril

1968, Dame NGUE André c/ Commune de plein exercice de Mbalmayo) ;

– le principe de l’égalité de tous devant la justice (CE, 02 novembre 1956, Biberon) ;

– le principe selon lequel toutes les décisions administratives sont susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir (CE, 17 février 1950, Dame Lamotte) ;  – le principe de la non rétroactivité des normes administratives (CFJ/CAY, 29 mars 1969, Sieur Emini TINA Étienne c/ Etat du Cameroun). Quid de l’autorité desdits PGD ?

L’autorité juridique des principes généraux est double. D’une part, elles ont une « valeur supra décrétale » ; autrement dit, ils sont supérieurs aux normes administratives qu’elles soient réglementaires ou non. D’ailleurs, le juge administratif a admis que, même non écrits, les principes généraux s’imposaient au pouvoir réglementaire autonome.

D’autre part, ils ont une « valeur infra législative », c’est-à-dire qu’ils sont inférieurs à la loi. Il en résulte que le législateur peut toujours  les contredire. Toutefois, il arrive que le juge administratif se réfère aux principes généraux pour faire échec à une loi. Il en est ainsi lorsqu’il fait application de la « théorie de l’écran transparent ». Ce faisant, il donne certainement une force supra légale ou supra législative audit principe.

Comme l’a si bien démontré René CHAPUS, et sauf exception, les principes généraux du droit dans l’ordonnancement juridique ont une « valeur supra décrétale et infra législative ».

L’on peut distinguer deux catégories de sources du droit administratif internes à l’administration : on a d’une part, les sources entièrement internes à l’administration, et, d’autre part, les sources partiellement internes à l’administration.

Les sources entièrement internes à l’administration sont, stricto sensu, les règlements administratifs et, lato sensu, les actes administratifs unilatéraux. Les règlements administratifs sont de deux ordres : les règlements autonomes et les règlements d’application des lois.

Les règlements autonomes sont des actes administratifs unilatéraux pris par l’exécutif sans une quelconque référence à la loi. Principiellement, ils ne sont pas tenus de se conformer  à la loi. Au Cameroun, ils sont édictés en application de l’article 27 de la Constitution qui dispose que « les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ressortissent au pouvoir réglementaire ». 

Quant aux règlements d’application des lois, ce sont des règlements dont l’édiction dépend de la loi. Ainsi, prévus par la loi, ils doivent être pris conformément à elle et selon ses prescriptions.

Si l’on prend en compte le critérium matériel, on distingue deux catégories d’actes administratifs unilatéraux : les actes réglementaires et les actes non réglementaires.

Les actes réglementaires sont des actes juridiques édictés par l’administration et ayant un caractère général et personnel. Il en est ainsi des règlements autonomes et des règlements d’application des lois.

Quant aux actes non règlementaires, ils sont de nature variée. La distinction entre ces différents actes est qualitative et non quantitative. Ce sont des actes qui n’ont pas un caractère général et personnel ; ils concernent soit un individu, soit un groupe d’individus.

Il existe trois catégories d’actes non règlementaires :

  • les actes individuels, qui concernent, soit un individu, soit un groupe d’individus qui ne sont pas liés. C’est le cas des délibérations des jurys d’examen ;
  • les actes collectifs, qui concernent un groupe d’individus liés par une relation de solidarité. Il en est ainsi de l’acte portant inscription des fonctionnaires au tableau d’avancement ;
  • les actes particuliers ou «sui generis», qui ne sont ni individuels ni collectifs ; autrement dit ce sont des actes mixtes. On peut citer l’acte portant déclaration d’utilité publique des travaux publics dans un site déterminé.

Les sources partiellement intrinsèques à l’administration sont des techniques d’élaboration du droit administratif mises en œuvre par l’administration et une autre personne juridique, notamment physique ou morale privée. On les qualifie juridiquement d’actes administratifs plurilatéraux ou contrats administratifs. Il existe deux critères d’identification de ces techniques contractuelles que sont les contrats administratifs. On a :

  • d’une part, le critérium quantitatif, qui prend en compte le nombre des parties au contrat ; ainsi, si ces parties sont au nombre de deux, l’acte est dit bilatéral et si elles sont plus de deux, l’acte est qualifié de pluri ou multilatéral ;
  • d’autre part, le critérium qualitatif, le plus important et le plus décisif, qui s’intéresse au contenu et à la portée de l’acte contractuel. Il s’attache à la détermination des clauses et des implications juridiques du contrat administratif.

Il existe « in globo », deux types de qualification du contrat administratif : la qualification textuelle et la qualification jurisprudentielle.

La qualification textuelle constitue le principe. Elle est le fait soit du législateur, soit de l’exécutif. Au Cameroun, par exemple, les contrats de partenariat, une catégorie de contrats administratifs, sont régis par la loi ; tandis que les marchés publics le sont par un règlement.

La qualification jurisprudentielle constitue l’exception. Ainsi, le juge peut être amené à procéder à la qualification d’un contrat soit en cas d’absence ou de silence du texte, soit en cas d’imprécision ou d’ambiguïté du texte existant. Il applique, selon les cas, soit le critère organique, soit le critère alternatif.

Le critère organique considère les parties au contrat. C’est ainsi que si le juge se rend compte que les deux parties sont des personnes publiques, alors le contrat est administratif.

Mêmement, s’il est établi que l’une des parties est une personne publique, alors le contrat est administratif, sauf disposition textuelle contraire.

Par contre, s’il est établi que les deux parties sont des personnes privées, le contrat est privé ; mais si l’une des parties agit au nom et pour le compte d’une personne publique, dans ce cas, le juge considère que le contrat est administratif.

Pour ce qui est du critère alternatif, il a deux variantes : l’une est matérielle et l’autre est finaliste. En principe, ces deux variantes ne s’appliquent pas en même temps ou simultanément.

Le critère matériel considère le contenu ou les clauses du contrat. Si celles-ci sont différentes de celles d’un contrat de droit commun, alors le contrat est administratif : on parle de clauses exorbitantes.

Quant au critère finaliste, il considère l’objet ou la finalité du contrat. Lorsque le contrat a pour objet l’exécution par un tiers d’un service public ou alors sa participation à une mission de service public, le contrat est administratif.

2- Les sources internationales

Entant que sources du droit administratif, les actes juridiques internationaux (conventionnels et unilatéraux)  peuvent être analysés à un double point de vue : du point de vue de leur classification et du point de vue leur régime juridique.

Les actes juridiques internationaux peuvent être classifiés selon deux critères : le critère formel ou organique et le critère spatial ou géographique. Le critère formel prend en compte aussi bien les parties ou les auteurs de l’acte que la forme voire la nature de ce dernier.

En ce qui concerne les parties  ou les auteurs, il peut s’agir soit des États, soit des organisations internationales. Lorsque les parties ou auteurs sont au nombre de deux,  l’acte est dit bilatéral. S’ils sont plus de deux, l’acte est qualifié de multilatéral. Enfin, si l’organe ou l’auteur est seule ou unique, l’acte est dit unilatéral.

On peut donc distinguer d’une part, les actes conventionnels, actes primaires ou initiaux (actes bilatéraux et multilatéraux), et, d’autre part, les actes dérivés (actes unilatéraux) telles les décisions, les résolutions et recommandations prises par les organisations internationales classiques à l’instar de l’ONU et de l’UA, ainsi que les décisions, règlements et directives prises par les organisations internationales communautaires à l’instar de la CEEAC, de la CEMAC, de la CEDEAO, de l’UEMOA et de l’UE.

Le critère spatial ou géographique prend en compte l’espace ou le lieu, l’aire ou

l’espace physique d’application de la convention. Ce critère permet de distinguer les conventions à caractère universel et les conventions à caractère régional.

Les sources extranationales, notamment conventionnelles du droit administratif sont encadrées par un certain nombre de règles juridiques. Celles-ci sont relatives à leurs conditions d’applicabilité ou d’introduction dans l’ordre juridique étatique, leur interprétation et leur autorité dans l’ordre juridique étatique.

Les conditions d’introduction des traités internationaux dans l’ordre interne sont au nombre de trois : la ratification et l’approbation, la publication et la règle de la réciprocité.

La ratification est une opération juridique qui permet de faire entrer une convention internationale dans l’ordre étatique pour qu’elle devienne un acte juridique applicable à l’intérieur de cet ordre et qu’au final, elle s’impose aux personnes publiques voire aux personnes privées. Pour faire simple, la ratification fait de la convention internationale une composante du droit en vigueur dans l’Etat.

Un traité n’est applicable dans l’ordre interne que s’il a été ratifié ou approuvé par les autorités étatiques compétentes. Toutefois, il est admis que les accords en forme simplifiée dont l’entrée en vigueur n’est soumise à aucune procédure formelle de ratification sont revêtus en droit interne de la même autorité que les autres traités internationaux. En effet, la signature du Président de la République, qui ordonne la publication de ces accords au Journal officiel, a valeur d’approbation. Le conseil d’Etat français l’a admis dans un arrêt en date du 13 juillet 1965, Société Navigator. Quid de la publication des traités?

La publication du traité international, qui conditionne également son introduction dans l’ordre interne, se fait normalement au Journal officiel. Mais il n’en va pas toujours ainsi notamment pour ce qui est des actes émanant d’organisations internationales dotées d’une publication propre. C’est le cas de l’OHADA.

Un traité peut cependant produire des effets juridiques antérieurs à la date de sa publication ; dans ce cas, on parle de rétroactivité. Celle-ci est possible si le traité a fixé luimême sa date d’entrée en vigueur. C’est ce qu’a affirmé le Conseil d’Etat français dans un arrêt rendu le 8 avril 1987, PROCOPIO. Et la règle de la réciprocité alors ?

La règle de la réciprocité constitue la troisième condition d’applicabilité du traité dans l’ordre interne. En effet, pour qu’un traité soit introduit dans l’ordre étatique, il faut qu’il soit correctement ou effectivement appliqué par l’autre partie ou par les autres États parties. La condition de la réciprocité repose sur trois données essentielles :

  • premièrement, il ne s’agit pas d’une condition d’ordre public. C’est dire que le juge ne s’interroge à son sujet que si l’une des parties soutient qu’elle n’est pas remplie par l’autre partie (Dans ce sens : CE, 25 janvier 1963, COSTA) ;
  • deuxièmement, le juge administratif ne décide pas de lui-même si la condition est ou non remplie à propos d’un traité donné. Ainsi, à moins que la réponse à la question ne suscite aucun doute, il va la soumettre au ministre des affaires étrangères dont la réponse s’imposera à lui (V. CE, 29 mai 1981, REKHOU) ;
  • troisièmement, il est admis que la condition de réciprocité ne s’applique pas à toutes les conventions internationales. C’est le cas des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme, en application du principe du droit international dont s’inspire l’article 60 de la convention du 23 mai 1969 sur le droit des traités, lequel dispose, en son paragraphe 5 que «les paragraphes 1 à 3 ne s’appliquent pas aux dispositions relatives à la personne humaine contenues dans des traités de caractère humanitaire notamment aux dispositions excluant toute forme de représailles à l’égard des personnes protégées par lesdits traités».

Au demeurant, même lorsque les trois conditions d’applicabilité du traité sont remplies, le juge administratif ne peut faire produire d’effets juridiques à un traité que si, par son contenu, il présente un caractère auto exécutoire, ce qui suppose la réunion de deux conditions :

  • premièrement, l’intention des auteurs du traité doit avoir été de créer directement des droits ou obligations pour des particuliers ;
  • secondement, les clauses du traité doivent être suffisamment précises pour se suffire à elles-mêmes.

Il est à préciser que  le juge administratif n’est pas compétent pour statuer sur la conformité des traités internationaux à la constitution. Par contre et depuis 1998, le Conseil d’Etat français statue sur la régularité de la ratification et de la publication des traités eu égard aux conséquences qui leur sont attachées dans l’ordre interne. Ceci ressort notamment de deux arrêts rendus par cette juridiction, l’un, le 18 décembre 1998, SARL du Parc d’activités de Blotheim, et l’autre, le 23 février 2000, Bemba Dieng et autres.

L’interprétation est une opération qui repose sur des procédures appropriées. L’on subodore, en effet, qu’en présence d’un traité international directement applicable dans l’ordre interne, le juge peut se trouver confronté à des situations difficultueuses d’interprétation.

Il faut dire que sur cette question, la jurisprudence administrative, française en l’occurrence, a connu depuis 1990 une évolution significative. En effet, depuis  l’arrêt GISTI rendu par le Conseil d’Etat le 29 juin 1990, le juge administratif  jouit d’une plénitude de compétence en matière d’interprétation des traités internationaux. Quid de l’autorité des traités internationaux dans l’ordre juridique interne étatique ?

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En tant source du droit administratif, le traité international pose dans l’ordre juridique étatique le problème de son autorité ou de sa place par rapport  aux autres sources, notamment la constitution, la loi et la norme administrative. Il convient d’indiquer, avant la détermination de cette autorité ou place du traité dans l’ordre juridique interne, que la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités stipule, en son article 26, que « tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi », posant ainsi le respect de la règle « pacta sunt servanda ».

Le même traité précise, en son article 27, qu’« une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d’un traité. Cette règle est sans préjudice de l’art. 46 ». Cet article 46 dispose que :

« 1. Le fait que le consentement d’un Etat à être lié par un traité a été exprimé en violation d’une disposition de son droit interne concernant la compétence pour conclure des traités ne peut être invoqué par cet Etat comme viciant son consentement, à moins que cette violation n’ait été manifeste et ne concerne une règle de son droit interne d’importance fondamentale. 

  1. Une violation est manifeste si elle est objectivement évidente pour tout Etat se comportant en la matière conformément à la pratique habituelle et de bonne foi.»).

Il faut pourtant relever que, du fait des lacunes que le droit international, notamment conventionnel, présente sur le fond et quant aux procédures de son élaboration et du contrôle de son respect, la principale sanction de sa violation reste la responsabilité internationale de l’Etat, lorsque ce dernier adopte des actes ou règles contraires à ses engagements internationaux.

Il en résulte que l’effet « direct » de ce droit ne conduit que de façon exceptionnelle à une reconnaissance de l’illégalité de la norme interne et à son annulation. Le rapport hiérarchique  entre le traité et la constitution n’est pas facile à établir.

Dans l’ordre international, c’est le primat voire le règne incontestable des traités. En effet, l’ordre juridique international minore, voire ignore la constitution des Etats. A contrario, l’ordre constitutionnel prend en considération l’ordre juridique international et notamment les traités. Le problème ici est donc de savoir si le traité est supérieur ou inférieur à la constitution. Pour répondre à cette question, il convient de considérer le traité d’abord comme source matérielle, puis entant que source formelle.

Entant que source matérielle, le traité prend le pas sur la constitution. En effet, lors ou à l’issue de la conclusion d’un traité, s’il est établi par les instances compétentes saisies à cet effet (notamment les juridictions constitutionnelles) que ledit traité a des clauses  incompatibles ou contraires à des dispositions de la constitution, celle-ci doit d’abord être révisée sur ces points d’incompatibilité ou de contrariété avant la ratification dudit traité.

C’est ainsi qu’au Cameroun, l’article 44 de la constitution dispose que « si le conseil constitutionnel a déclaré qu’un traité ou un accord international comporte une clause contraire à la Constitution, l’approbation en forme législative ou la ratification de ce traité ou accord ne peut intervenir qu’après révision de la Constitution ».

Certes, l’on peut également déduire de cette disposition constitutionnelle que l’Etat peut ne pas approuver ou ratifier le traité déclaré contraire à la constitution, et ce d’autant plus que  rien ne l’oblige à réviser sa constitution ; et même si l’exécutif  le souhaitait ou le voudrait, le parlement saisi ou le peuple consulté à cet effet peut toujours rejeter le projet de révision qu’il lui a soumis.

Entant que source formelle, lorsqu’il remplit toutes les conditions d’introduction dans l’ordre interne déterminées par la constitution, le traité prend sa place après cette dernière. D’ailleurs, les juges judiciaire et administratif français ont clairement affirmé que la suprématie conférée aux engagements internationaux ne s’appliquent pas en droit français aux dispositions de nature ou de valeur constitutionnelle (CE, 3 octobre 1998, Sarran, Levacher et autres ; C.Cass., 2 juin 2000, Mlle Pauline FREISSE). Que dire alors du rapport entre le traité et la loi ?

S’il est incontestable aujourd’hui que la loi dans l’ordre interne est inférieure au traité, que ce traité intervienne après ou avant la loi, il n’en était pas toujours ainsi au regard, notamment de la jurisprudence français en la matière, et ce, malgré les dispositions de la constitution du 4 octobre 1958, qui ont d’ailleurs été reprises par les différentes constitutions camerounaises.

L’article 45 de la constitution du 18 janvier1996 dispose, en effet, que « « les traités ou accords régulièrement approuvés ou ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque accord de son application par l’autre partie ».

II faut dire que la suprématie alléguée ou affirmée du traité sur la loi a connu un changement intéressant avec l’arrêt NICOLO rendu par le Conseil d’Etat français le 20 octobre 1989. En effet, avant cet arrêt, le juge administratif appréciait le rapport entre la loi le traité en fonction de son antériorité ou de sa postériorité par rapport audit traité.

C’est ainsi que lorsque la loi était antérieure au traité, le juge considérait qu’elle était implicitement abrogée et devenue inapplicable à partir du moment où le traité était entré en vigueur.  A contrario, lorsque la loi était postérieure au traité, le juge administratif refusait d’apprécier sa conformité au droit et en faisait par conséquent application (cf. CE, Sect., 1er mars 1968, Synd. Gén. Des fabricants de semoules-en droit communautaire-, et CE, 19 avril 1968, Heid, en droit inter. général). La loi postérieure au traité bénéficiait ainsi d’une présomption irréfragable de conformité audit traité.

Alors que le Conseil d’Etat était constant sur ce point, la Cour de cassation, quant à elle, faisait prévaloir le droit international, notamment communautaire, sur la loi postérieure, en invoquant tant le principe de l’article 55 de la constitution du 4 octobre 1958 (son équivalent c’est l’article 45 de la constitution camerounaise) que la spécificité de l’ordre juridique communautaire (cf. C. cass., Ch. mixte, 24 mai 1975, cafés Jacques Vabre).

C’est cette infirmité juridique qui a été corrigée par le Conseil d’Etat en 1989 dans l’arrêt NICOLO. On a donc assisté, avec cet arrêt, à une harmonisation des jurisprudences administrative et judiciaire quant à la supériorité du traité sur la loi, que celle-ci soit antérieure ou postérieure au traité. Que dire du rapport entre le traité et la norme administrative ?La norme administrative émane de l’administration. S’il est établi que cette norme administrative est inférieure à la loi, il va de soi qu’elle soit aussi inférieure au traité.

E- Les caractères du droit administratif

Le droit administratif, tel qu’il est né et s’est développé en France, peut être doublement caractérisé. En effet, il est d’une part, fondamentalement jurisprudentiel ou prétorien et, d’autre part, essentiellement inégalitaire.

1-Un droit fondamentalement jurisprudentiel

Il s’avère que les grands principes et règles qui régissent le droit administratif ont été consacrés par le juge. C’est pour  cette raison que l’on dit qu’il est fondamentalement jurisprudentiel. Mais, il faut préciser que le juge administratif, comme tout juge, a pour fonction première la fonction juridictionnelle et que, la fonction jurisprudentielle n’intervient qu’à titre exceptionnel.

La fonction juridictionnelle consiste à trancher les litiges en application ou en disant le droit en vigueur. Quant à la fonction jurisprudentielle, elle consiste à «créer» le droit en formulant des principes et des règles qui feront partie de l’ordonnancement juridique au même titre que l’acte administratif, la loi, le traité et la constitution.

Si, en France, du fait de l’absence ou du caractère épars des textes, le juge administratif a exercé davantage la fonction jurisprudentielle, au Cameroun, à contrario, du fait du contexte historique, politique, économique, culturel et social, voire sociologique, de l’importance de l’arsenal textuel, un peu de sa formation, essentiellement de droit privé, et de sa hardiesse contingente, le juge administratif s’est globalement confiné dans la fonction juridictionnelle; aussi est-il moins « jurislateur » (créateur de normes… jurisprudentielles) que son homologue français. Que dire du caractère essentiellement inégalitaire du droit administratif ?

2-Un droit essentiellement inégalitaire

Le droit administratif se caractérise globalement par la prééminence de l’administration sur l’administré. En effet, c’est l’administration qui dispose du pouvoir d’organisation et de réglementation générale. C’est elle qui possède également le pouvoir d’ordre et le pouvoir de régulation en matière de police administrative. Enfin, c’est elle qui dispose du pouvoir de contrôle et de sanction de ses agents et des administrés.

Le droit administratif étant une matière très vaste, il nous semble judicieux d’aborder,  dans le cadre de la filière sciences juridiques et politiques de l’UCAC/ICY, les aspects relatifs à l’organisation de l’administration (1ère partie) ; à l’action de l’administration (2ème partie) et à la soumission de l’administration au droit (3ème partie).

IèrePARTIE

 L’ORGANISATION DE L’ADMINISTRATION

L’organisation de l’administration  est conçue sur la base d’un certain nombre de règles essentielles, lesquelles conditionnent son articulation.

TITRE I 

LA CONCEPTION DE l’ADMINISTRATION

L’administration est un organe. Autrement dit, elle est un ensemble organique dont la conception repose sur deux piliers que sont la personnalité morale et deux principes directeurs à savoir la centralisation et la décentralisation administrative.

CHAPITRE I

LA PERSONNALITÉ MORALE

Gaston JEZE, dans une boutade restée célèbre disait : «Je n’ai jamais déjeuné avec l’État ». L’éminent auteur contestait, à travers cette formule, l’idée d’État détenant d’une personnalité juridique. Il suivait en cela son maître Léon DUGUIT, qui n’avait jamais admis que l’Etat était personne morale ; s’opposant ainsi aux défenseurs de la thèse de la personnalité morale de l’Etat, en l’occurrence, MICHOUD, et considérant l’Etat plutôt comme une entité composée de gouvernants et de gouvernés.

Au regard de ce qui précède, c’est toute la problématique de la notion de personnalité morale qui est soulevée. En effet, cette notion renvoie à une fiction juridique nécessaire qui permet de faire de l’Etat, de l’administration ou de toute autre entité qui n’est pas une personne physique, mais un sujet de droit, un centre d’intérêt juridiquement ou légitimement protégé , détenteur de droits et soumis à des obligations.

Au demeurant, comment reconnaître la personnalité morale (section 1) ? Que recouvre cette notion ? Enfin, quelles sont les différentes catégories de personnes morales (section 2) ?

Section 1 : La notion de personnalité morale

La personnalité morale peut être perçue comme l’aptitude à vivre la vie juridique, celle-ci étant constituée par des actes juridiques contractuels ou unilatéraux. Est, par conséquent, une personne morale, l’être pour le compte duquel peuvent être faits des actes juridiques soit par lui-même, soit par ses représentants.

La personnalité juridique permet à l’être à qui elle est reconnue, non seulement d’être titulaire des droits et d’assumer des obligations, mais aussi d’exercer des prérogatives, d’agir en justice et de disposer d’un patrimoine ; tel est le cas de l’administration.

La notion de personnalité morale est essentielle ; elle constitue la base fondamentale de la technique juridique et commande la compréhension de l’ensemble des problèmes juridiques. Mais, elle est en même temps complexe.

Cette double nature est observable à deux niveaux au moins : au niveau des caractéristiques de la personne morale (paragraphe 1) et au niveau des effets inhérents à la personnalité morale (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Les caractéristiques de la personne morale

Les caractéristiques de la personne morale sont essentiellement au nombre de deux :

d’une part la réalité de base à protéger et, d’autre part, le procédé juridique utilisé pour protéger ladite réalité.

A-En ce qui concerne la réalité de base à protéger, il s’agit d’une somme d’intérêts qui ne sauraient se réduire à des intérêts individuels.

Les intérêts à protéger sont des intérêts collectifs correspondant à l’existence d’un groupe humain possédant une certaine homogénéité. Parfois, ils ont bien une réalité objective mais sans qu’aucune communauté ne soit formée autour.

B-En ce qui concerne le procédé juridique utilisé pour protéger lesdits intérêts, il n’est autre que l’octroi de la personnalité morale.

Cet octroi ou cette reconnaissance de la personnalité morale a un triple effet :

  • les actes relatifs aux intérêts en question sont rattachés à un seul et même centre érigé en sujet de droit à savoir la personne morale ;
  • ce sujet de droit se voit reconnaître la permanence ;
  • des organes sont créés pour agir au nom de ce sujet de droit.

Quels sont alors les effets attachés à cette personnalité morale et qui permettent de la distinguer à la personne physique ?

Paragraphe 2 : Les effets de la personnalité morale

On peut dégager quatre données essentielles qui permettent de saisir les effets liés à la personne morale, et par conséquent de distinguer celle-ci de la personne physique.

  • La personne morale est appelée à durer, à s’inscrire dans le temps, indépendamment des personnes physiques qui agissent en son sein ou celles qui agissent en dehors. Il en résulte que la personne morale échappe à la précarité des personnes physiques.
  • La personne morale ne peut agir qu’en fonction des intérêts pour le service desquels elle a été créée (exemple : l’université de Yaoundé II a été créée pour l’enseignement et la recherche, alors que la personne physique peut intervenir dans tous les domaines sans limitation a priori).
  • La personnalité juridique est attachée à la personne physique en ce qu’elle est acquise de plein droit. A contrario, il faut un acte de reconnaissance ou un acte fondateur qui reconnaisse la personnalité juridique à la personne morale pour qu’elle puisse agir dans la vie juridique.
  • Enfin, à la différence des personnes morales, les personnes physiques jouissent des mêmes capacités, même si elles sont morphologiquement et moralement différentes.

Au-delà de ce qui précède, il y a lieu de constater qu’il existe une pluralité de personnes morales.

Section 2 : Les différentes catégories de personnes morales

Il existe de jure et de facto une pluralité de personnes morales. Mais, on peut les appréhender à travers deux grandes catégories en procédant à une distinction (externe) entre personne morale de droit privé et personne morale de droit public (paragraphe 1), et à une distinction (interne) entre les différentes personnes morales de droit public (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Distinction externe : personne morale de droit privé et personne morale de droit public 

Pour appréhender la distinction  considérée, il convient de considérer d’une part, ses traits (A) et d’autre part, ses limites (B).

  1. Les traits de la distinction

Il existe les traits spécifiques à la personne morale de droit privé et des traits propres aux personnes morales de droit public.

En ce qui concerne les traits spécifiques aux personnes morales de droit privé, on peut en déterminer principalement trois :

  • leur création résulte principiellement de l’initiative privée et non d’une loi, celle-ci se bornant seulement à en déterminer les conditions ;
  • la liberté préside la création et le maintien des personnes morales de droit privé ; ainsi, nul n’est tenu d’y adhérer, de l’instituer et ne peut être contraint d’y rester ou de les conserver ;
  • la capacité des personnes morales de droit privé varie selon leur nature car, elle est toujours limitée, sauf exception, à des actes de droit privé.

Il existe deux catégories de personnes morales de droit privé : d’une part, les personnes privées a un but lucratif et, d’autre part, les personnes privées à but non lucratif (exemple : parti politique).

On observe, en pratique, une multiplication, souvent désordonnée de ces associations dont certaines, sous couvert des missions sociales et culturelles recherchent, en réalité, le profit.

Pour ce qui est des traits spécifiques des personnes morales de droit public, on peut en citer essentiellement quatre :

  • elles sont créées par une autorité publique (notamment le parlement, l’exécutif et l’organe délibérant de la collectivité territoriale décentralisée) ;
  • les particuliers n’ont aucune liberté d’adhésion à une personne morale de droit

public ;

  • les intérêts des personnes morales de droit public sont des intérêts publics ;
  • la capacité des personnes morales de droit public s’étend au-delà des moyens d’action de droit privé.

Les personnes morales concernées ici sont, entre autres, l’Etat, les collectivités territoriales décentralisées et les établissements publics. A la vérité, la distinction ainsi relevée connaît des limites.

  1. Les limites de la distinction

Les limites de la distinction peuvent être recherchées aussi bien du côté des personnes morales de droit privé que des personnes morales de droit public.

1-Du côté des personnes morales de droit privé, on a l’application dans certains cas du régime de la concession de service public  qui permet à une personne privée de gérer un service public.

On a également la création des personnes morales de droit privé par l’autorité publique; c’est le cas, en droit camerounais, des sociétés à capitaux publics instituées par la loi n°2017/011 du 12 juillet 2017 portant statut général des entreprises publiques.

Enfin, l’Etat peut participer à la création des sociétés d’économie mixte en y prenant des actions et en y désignant ses membres au conseil d’administration.

2-Du côté des personnes morales de droit public, on a la création des établissements publics à caractère industriel et commercial. C’est le cas en France ; ce fut également le cas au Cameroun  jusqu’à leur suppression par l’ordonnance de 1995 qui a consacré les sociétés à capitaux publics, et dont les dispositions ont été reprises par la loi du 22 décembre 1999 portant statut général des établissements et entreprises du secteur public et parapublic puis par la loi n°2017/011 du 12 juillet 2017 portant statut général des entreprises publiques.

Il y a, au regard de ces considération, une tendance à la privatisation de certaines personnes morales de droit public et tendance à la publicisation de certaines personnes privées, à travers leurs règles et modes de gestion. Tout ceci montre qu’une personne morale de droit public peut être plus proche d’une personne morale de droit privé et vice versa, qu’elle ne l’est d’une autre personne morale de droit public.

Paragraphe 2 : La distinction interne : la catégorisation des personnes morales de droit public

Il existe plusieurs personnes morales de droit public. Ces dernières peuvent être classées en deux catégories à savoir, d’une part les personnes publiques territoriales, et, d’autre part, les personnes publiques fonctionnelles ou techniques.

Les personnes publiques territoriales sont qualifiées de personnes morales à compétence générale. Il s’agit de l’Etat et des collectivités territoriales décentralisées. L’Etat exerce ses compétences sur l’ensemble du territoire national. Quant aux collectivités territoriales décentralisées, elles exercent leur compétence sur le plan local.

En ce qui concerne les personnes publiques techniques, ce sont des personnes morales à compétence spéciale. Il en est ainsi des établissements publics tels l’ENAM et l’université de Yaoundé II. Elles ont des compétences spéciales parce que spécialisées dans des domaines bien déterminés et assumant des missions bien précises qui rentrent dans leur spécialité

(exemple : universités d’Etat).

Au demeurant, l’une ou l’autre catégorie des personnes morales de droit public repose, quant à sa conception et son organisation, sur l’un ou l’autre des principes directeurs qui régissent l’organisation administrative et qu’il sied de déterminer.

CHAPITRE II

LES PRINCIPES DIRECTEURS

Les principes directeurs qui sou tendent l’organisation de l’administration sont au nombre de deux : la centralisation (section 1) et la décentralisation (section 2) administratives.

Ces deux principes directeurs sont des techniques d’organisation administrative de l’Etat, notamment de l’Etat Unitaire. La centralisation exprime l’autoritarisme ; tandis que la décentralisation est, pour reprendre Maurice HAURIOU, « une force libérale ».

Section 1 : La centralisation administrative

Il existe deux types de centralisation : la centralisation politique, qui « conduit à l’unité du droit ou de la loi dans le pays », et la centralisation administrative, qui « conduit à l’unité dans l’exécution des lois et aussi dans la gestion des services publics » (Maurice HAURIOU, Précis de Droit administratif et droit public, 12ème éd., Paris, Sirey, 1933, p.71).

La centralisation administrative peut être envisagée à deux points de vue : celui de la centralisation des affaires, c’est-à-dire celui de la mainmise de l’administration  sur un nombre plus ou moins grand  d’affaires nationales ou de services nationaux, et celui de la centralisation dans l’organisation des services. On a donc d’une part, une centralisation fonctionnelle ou matérielle et, d’autre part, une centralisation organique.

La centralisation crée un centre unique d’administration selon certaines modalités (paragraphe 1) et du fait de l’existence du pouvoir hiérarchique (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Les modalités de la centralisation

Les modalités par lesquelles se réalise la centralisation administrative sont au nombre de deux : la concentration (A) et la déconcentration (B) administratives.

  1. La concentration administrative

La concentration administrative se fait de trois manières :

  • la concentration de la puissance publique;
  • la concentration du choix des agents ;
  • la concentration du pouvoir de décision et de la compétence technique.

1-La concentration de la puissance publique aux mains de l’administration centrale de l’Etat est un fait saisissant. Elle consiste dans la concentration du droit de rendre les décisions exécutoires et de les faire exécuter par la procédure d’action d’office.

2-La concentration du choix des agents est liée au fait que ce choix n’est pas laissé à des corps ou organismes spéciaux ou spécialisés et ne repose pas non plus sur l’élection. C’est le pouvoir central qui procède au choix des agents, soit au moyen du concours, soit au moyen de recrutement sur titre. Ainsi, les agents sont des commis de l’administration qui peuvent être déplacés ou révoqués soit pour des besoins de service, soit pour des fautes professionnelles. Ce faisant, ils sont tenus de prendre le mot d’ordre de l’administration centrale.

3-La concentration du pouvoir de décision et de la compétence technique qui subodore, au préalable, une différenciation et une séparation opérée entre la décision d’une part et la préparation ou l’exécution de la décision, d’autre part. Elle signifie qu’on concentre entre les mains d’une autorité centrale les pouvoirs de décision pour une quantité d’affaires, et comme les affaires ne peuvent pas marcher sans que les décisions soient prises par ce détour, on concentre aux mains de la même autorité toutes les affaires. Mais, une telle concentration est suicidaire pour l’administration, c’est pourquoi au son sein, il existe une autre modalité de la centralisation qui est un peu comme le correctif de la première modalité, à savoir la déconcentration administrative.

  1. La déconcentration administrative

La déconcentration administrative constitue ce que le doyen Maurice HAURIOU appelle « la participation à la puissance publique » ou encore « délégation de la puissance publique ».

Elle consiste, selon l’éminent auteur, «à imaginer que les pouvoirs de chaque agent lui ont été transmis par le chef de l’État ou par les ministres et ont été puisés par ceux-ci dans une sorte de réservoir commun de pouvoirs qui serait le réservoir de la puissance publique ou puissance de l’État» (M. Hauriou, p.74)

De façon précise, la déconcentration consiste à créer au sein d’une même administration des structures soit au plan technique (déconcentration par service), soit au plan territorial (déconcentration géographique), chargées de répercuter les décisions du pouvoir central et de s’assurer de leur bonne exécution et rendre compte à l’administration centrale. Comme l’a écrit Odilon BARROT, (publiciste français du 18ème siècle), « c’est le même marteau qui frappe, mais on n’a fait que raccourcir le manche ».

En fait, bien qu’étant un correctif de la concentration et partant de la centralisation,  la déconcentration aboutit simplement à la création des structures administratives non autonomes ; c’est-à-dire de simples organes de représentation du pouvoir central, notamment au niveau de la périphérie. C’est pourquoi il existe un pouvoir hiérarchique qui permet de maintenir cette dépendance des organes et structures déconcentrés.

Paragraphe 2: Le pouvoir hiérarchique

La centralisation administrative entraîne dans l’organisation du personnel et des services administratifs l’institution de la hiérarchie. Celle-ci signifie une sorte de superposition de degrés dans une organisation autoritaire des agents et des services inférieurs de façon à ce que les agents et services assument leur fonction non pas sous l’obligation directe et unique de respecter la loi, mais sous l’obligation d’obéir aux autorités administratives qui s’interposent entre eux et la loi.

Le pouvoir hiérarchique peut être appréhendé à travers ses caractéristiques (A) et ses modalités (B). Il s’agit d’une institution qui permet d’avoir dans l’administration une forte discipline liée à l’obligation d’obéissance.

  1. Les caractéristiques

Les caractéristiques dont il est question sont essentiellement au nombre de trois :

  • le pouvoir hiérarchique existe de plein droit et est exercé comme tel par l’autorité hiérarchique. Pour le juge administratif, il s’agit d’un principe général du droit (voir CE, 30 juin 1950, QUERALT).
  • il peut être exercé soit spontanément par l’autorité supérieure, soit à la demande des administrés par voie de recours administratif, notamment le recours hiérarchique (CE 23 avril 1965, veuve DUCROUX ; CE, 29 mars 1968, Société du lotissement de la plage de Pampelone).
  • enfin, une autorité subordonnée ou inférieure ne peut intenter un recours contre un acte pris par l’autorité supérieure dans le cadre du pouvoir hiérarchique alors même qu’elle estime que ses prérogatives ont été violées. Ainsi, un gouverneur ou un préfet ne peut former de recours pour excès de pouvoir, notamment contre la décision d’un ministre qui serait intervenue dans une matière où il aurait un pouvoir propre. La décision du ministre est certainement entachée d’incompétence rationae materiae, mais l’autorité déconcentrée ne serait pas recevable à l’attaquer. Il en sera de même d’un maire dans le cas où, agissant comme agent de l’Etat, il est sous l’autorité hiérarchique du préfet. Il ne saurait attaquer l’acte de ce dernier, qui aurait annulé une de ses décisions (CE, 27 mai 1921, Tieulon).

Pour le doyen Maurice HAURIOU, il s’agit là d’un véritable devoir d’office. Cette idée est d’ailleurs consacrée dans un arrêt du CE rendu le 9 novembre 1917, De Tinan. Qu’en est-il des modalités du pouvoir hiérarchique ?

  1. Les modalités

Le pouvoir hiérarchique s’analyse en une autorité du chef sur le subordonné au point de vue de ce qui intéresse l’exécution de la fonction et, par suite, en une responsabilité entière du chef pour toutes les fautes commises par ses subordonnés.

Le supérieur donne des instructions à ses subordonnés. Ces derniers doivent les suivre à la lettre. Il fait ainsi exécuter par ses subordonnés des actes qu’il n’accomplirait pas luimême.

D’un point de vue juridique, le pouvoir hiérarchique se décompose en plusieurs modalités que sont :

  • le pouvoir de nomination. En effet, dans la hiérarchie administrative, les agents sont nommés par l’autorité supérieure qui en est habilitée. Pour ce qui est du Cameroun, on peut citer le Président de la République, le Premier Ministre et les ministres ;
  • le pouvoir d’instruction, que l’on qualifie de procuration d’actions, c’est-à-dire le fait pour un supérieur d’actionner ses subordonnés en leur détaillant des instructions à suivre ;
  • le contrôle hiérarchique sur les actes accomplis par les subordonnés ; ce contrôle s’analyse en un pouvoir de suspension, de réformation, d’approbation ou d’annulation. Il est à préciser que le contrôle hiérarchique s’exerce sur les actes des agents et non sur la personne de ces derniers. Le contrôle hiérarchique peut être exercé non seulement pour illégalité de l’acte de l’autorité inférieure, mais également pour inopportunité dudit acte. Ainsi, le supérieur hiérarchique peut censurer l’exercice par le subordonné non seulement de sa compétence liée mais aussi de son pouvoir discrétionnaire. Toutefois, lorsqu’il s’agit d’un acte subjectif (acte individuel) ou d’un acte condition, le contrôle hiérarchique ne peut plus s’exercer que pour illégalité (voir CE, 14 juin 1912, WULLUET) ;
  • le pouvoir disciplinaire qu’a l’autorité supérieure sur la personne des subordonnés. Ce pouvoir se traduit par la prise des sanctions à leur encontre ;
  • l’avancement hiérarchique, qui permet aux agents subalternes de s’élever dans les degrés de la hiérarchie administrative.

Que dire de cet autre principe directeur qu’est la décentralisation administrative ?

Section 2 : La décentralisation administrative

La décentralisation administrative se situe aux antipodes de la centralisation.

Il s’agit d’une technique ou d’un mouvement qui tend à la création d’un centre d’administration autonome jouissant de la personnalité juridique et où le choix des organes provient, en principe, du corps électoral, et où ces organes forment, pour reprendre le doyen Maurice HAURIOU, des « agences collectives ou des assemblées participant au pouvoir exécutif ». 

La décentralisation administrative peut être appréhendée selon un certain nombre de critères et de façon duale.

Paragraphe 1 : Les critères 

Les théories relatives à la décentralisation sont fondées sur trois critères utilisés séparément ou simultanément par la doctrine à savoir :  la distinction entre affaires locales et affaires nationales ;  l’autonomie juridique et financière des entités décentralisées ;

      l’élection des organes décentralisés.

  1. La distinction entre affaires nationales et affaires locales

Il est des affaires qui relèvent du champ compétentiel des autorités locales décentralisées et il en est d’autres qui ressortissent à la compétence des autorités centrales.

A ce sujet, Alexis de Tocqueville écrit : « Certains intérêts sont communs à toutes les parties de la nation tels que la formation des lois générales et les rapports du peuple avec les étrangers et d’autres intérêts sont spéciaux à certaines parties de la nation tels que par exemple des entreprises communales ». L‘auteur précise : « Concentrer le pouvoir de diriger les seconds, c’est fonder ce que j’appellerais la centralisation administrative » (Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, livre 1, chapitre 5).

Ce critère a été introduit dans la théorie juridique par le législateur qui indique que le conseil municipal  règle par ses délibérations, les affaires de la commune. 

Seulement, cette précision ne doit pas faire illusion, car il n’existe pas d’affaires « locales » ou « nationales » par nature. Tout est fonction des circonstances de temps et de lieu et du système de valeur en vigueur.

L’autre critère d’appréhension de la décentralisation est l’autonomie juridique et financière des entités décentralisées.

  1. L’autonomie juridique et financière des entités décentralisées

Le critère de l’autonomie est essentiel parce qu’il permet aux organes décentralisés de s’affirmer juridiquement et financièrement par rapport au pouvoir central.

Sa généralisation  a conduit la doctrine depuis le début du 20ème siècle à affirmer que la décentralisation territoriale n’était pas comme elle l’avait admis jusque-là, le seul type de décentralisation ; qu’à côté d’elle, il fallait ajouter un second type : la décentralisation par service ou fonctionnelle ou technique ou spéciale. Le troisième critère, est l’élection des organes décentralisés.

  1. L’élection des organes décentralisés

Le critère de l’élection est d’ordre politique. Il bâtit la définition de la décentralisation sur le choix électif des agents ou des organes décentralisés par leurs administrés ou ceux qu’ils sont appelés à administrer.

Ainsi, pour le doyen Georges VEDEL (à la suite de Maurice HAURIOU), « la décentralisation a une valeur démocratique puisqu’elle se ramène à faire gérer le maximum d’affaires par les intéressés eux-mêmes ou par leurs représentants ». (Georges Vedel, Droit administratif, PUF, 1961, p. 460).

Il en résulte que l’attribution de compétences à des organes non centraux et autonomes ne suffit pas à caractériser la décentralisation. Il faut également que les organes décentralisés soient élus, « l’élection constituant à la fois l’expression et la garantie de leur autonomie ».

(Charles Roig, « Théories et réalités de la décentralisation », RFSP, 1966, P.449). Au demeurant, la décentralisation administrative peut être catégorisée.

Paragraphe 2 : Les types

La décentralisation administrative peut être saisie soit formellement (A), soit matériellement (B).

  1. La décentralisation formelle

Formellement, il est usuel de distinguer deux types de décentralisation : d’une part celle qui intéresse les collectivités territoriales locales à savoir la décentralisation territoriale ou géographique et, d’autre part, celle qui concerne les institutions administratives étatiques spécialisées à savoir la décentralisation par service ou fonctionnelle.

Le premier type donne naissance à des entités autonomes ayant une compétence générale locale (Exemple : les communes). Alors que le second type donne naissance à des entités autonomes ayant une compétence spécialisée (exemple : l’université d’Etat). Qu’en estil de la décentralisation matérielle?

  1. La décentralisation matérielle

La décentralisation matérielle est un type de décentralisation qui prend en compte le mode de constitution des organes décentralisés. C’est ainsi qu’on peut distinguer d’une part, la décentralisation « démocratique » et, d’autre part, la décentralisation «autoritaire».

On doit cette distinction à Roger BONNARD (Roger Bonnard, Précis de droit administratif, 4ème éd., Paris, LGDJ, 1943, PP. 316- 318).

1-Dans la décentralisation démocratique, le recrutement des autorités administratives locales est assuré par l’élection. En effet, ces autorités sont élues par les électeurs de la circonscription administrative considérée. C’est ce recrutement électif qui fait que cette décentralisation soit qualifiée de démocratique. Parce qu’élues, les autorités locales subissent une certaine action de la part des administrés. On peut donc dire que, dans une certaine mesure, ces derniers s’administrent eux-mêmes. Comme l’écrit fort à propos le doyen Roger BONNARD, « cela est proprement le fait démocratique puisque la démocratie consiste essentiellement en ce que les individus se gouvernent directement ou par l’intermédiaire de leurs représentants élus ». (Roger Bonnard, p.317).

2-Dans la décentralisation autoritaire, par contre, le recrutement des autorités est assuré par la nomination du pouvoir central (exemple : les délégués du gouvernement auprès des communautés urbaines). Ici, la décentralisation n’est plus démocratique, puisque avec l’absence ou la suppression de l’élection, le fait démocratique de l’action des administrés n’existe pas ou plus. Ce faisant, les autorités nommées ne sont comptables que devant celui ou ceux qui les ont nommées (autorités du pouvoir central) et non devant leurs administrés.

Au demeurant, que la décentralisation soit démocratique ou autoritaire, elle ne peut exister ou être appliquée sans le contrôle de l’Etat dans la mesure où l’entité décentralisée n’est pas un Etat dans l’Etat mais plutôt une entité infra étatique.

Paragraphe 3 : Le contrôle de l’Etat 

La décentralisation administrative se traduit par le transfert de certaines attributions dévolues par l’Etat à des entités autonomes. Mais, ces dernières ne jouissent pas d’une autonomie absolue. Ainsi, cette autonomie ne doit pas tendre à remettre en cause l’intégrité territoriale de l’Etat. C’est pour cette raison qu’il existe juridiquement des mécanismes qui permettent à l’Etat de s’assurer que cette autonomie est utilisée en vue d’assurer le bien-être des populations concernées et que son usage n’est pas de nature à édulcorer ou à porter atteinte à la cohésion nationale. Toutefois, dans l’exercice de son contrôle, l’Etat doit se conformer au droit en vigueur.

  1. Les types de contrôle

En matière de décentralisation administrative, il existe deux types de contrôle : un contrôle administratif  et un contrôle juridictionnel.

  1. Le contrôle administratif

Le contrôle administratif ou contrôle de tutelle ou encore tutelle administrative est un contrôle que l’administration d’Etat exerce sur les entités décentralisées sur la base des prescriptions textuelles.

Contrairement au pouvoir hiérarchique, la tutelle administrative n’existe pas de plein droit, et donc ne s’exerce pas ex nihilo ; d’où l’adage : « Pas de tutelle sans texte ». De même, la tutelle administrative ne peut être exercée « ultra petita », c’est-à-dire au-delà des textes ; d’où l’adage : « Pas de tutelle au-delà des textes ». 

Cette tutelle a un certain nombre de caractères et s’exerce selon certains procédés.

  1. Les caractères

Premièrement, il s’agit bien d’un contrôle d’ordre administratif. En effet, il n’est exercé que par les organes et agents administratifs de l’Etat et non par les tribunaux.

Deuxièmement, il est établi dans l’intérêt général de la collectivité afin de maintenir les administrations décentralisées dans les limites de leurs attributions. Vu sous cet angle, il n’est qu’une modalité de la décentralisation.

Troisièmement, il est établi dans l’intérêt des administrés afin d’éviter les abus et surtout les tyrannies locales.

Quatrièmement, il est principiellement exercé par le pouvoir central. Mais pour des raisons pratiques, et par souci d’efficacité et de célérité, il est aussi exercé par les organes déconcentrés (préfets, gouverneurs). Quels sont procédés de ce contrôle ? b. Les procédés

Le contrôle administratif ou contrôle de tutelle s’exerce aussi bien sur la personne des organes décentralisés que sur leurs actes.

-Le contrôle sur les personnes peut se traduire par la nomination, la substitution, en cas de défaillance ou de refus de l’autorité de se conformer au droit  en vigueur (l’autorité de tutelle peut se substituer à l’autorité sous tutelle et agir en ses lieu et place) ; enfin par la sanction lorsque l’autorité sous tutelle a commis une faute grave ou une défaillance inadmissible. Cette sanction peut se traduire par la suspension, la destitution (pour ce qui est de l’organe exécutif) ou par la dissolution (pour l’organe délibérant).

2-Le contrôle sur les actes des organes décentralisés est, en principe, un contrôle de légalité, mais peut aussi être, exceptionnellement, un contrôle d’opportunité.

Par ailleurs, ce contrôle peut être exercé a priori et ou a posteriori. Lorsqu’il est exercé a priori, on parle de contrôle d’approbation. Celui-ci concerne les décisions prises par les autorités administratives décentralisées et dont le caractère exécutoire est subordonné à un acte d’approbation de l’autorité de tutelle.

Il existe deux modalités de contrôle d’approbation : l’approbation explicite, lorsque l’autorité a approuvé par un acte textuel qui existe, et l’approbation tacite, lorsque l’autorité de tutelle n’a pas agi dans les délais prescrits par la loi.

Pour ce qui est du contrôle a posteriori, il prend la forme de contrôle d’annulation, lequel permet à l’autorité de tutelle de faire disparaître rétroactivement, par un autre acte, la décision de l’autorité décentralisée.

Le contrôle de l’Etat sur les entités décentralisées est aussi juridictionnel.

  1. Le contrôle juridictionnel

Historiquement et jusqu’à une date récente, la tutelle en droit administratif français et camerounais se distinguait de celle en vigueur en droit anglais qui est judiciaire en ce sens que l’autorité de tutelle ne peut s’adresser qu’au juge pour faire annuler des décisions illégales de l’autorité sous tutelle.

La loi française du 02 mars 1982 et la loi camerounaise du 22 juillet 2004 ont institué un contrôle de ce genre confié, notamment aux juges administratifs.

Les actes des autorités administratives des collectivités territoriales décentralisées qui sont exécutoires de plein droit peuvent être soumis au contrôle du juge administratif à l’initiative de l’autorité administrative déconcentrée si elle estime qu’ils portent atteinte à certains droits et libertés ou qu’ils sont illégaux. Cette autorité peut donc saisir le juge administratif pour solliciter la suspension de l’exécution de l’acte querellé (on parle de recours aux fins de sursis à exécution) et simultanément ou après, lui demander d’annuler ledit acte (on parle de déféré administratif).

Le contrôle de l’Etat, notamment le contrôle administratif, connaît des limites.

  1. Les limites du contrôle

La première limite est que le contrôle de l’État sur les entités décentralisées ne peut pas se faire en méconnaissance des textes ou en violation des textes existants. L’objectif visé est de prévenir ou alors de sanctionner des cas d’abus ou d’excès de pouvoir de la part des autorités administratives étatiques. C’est ainsi que possibilité est donnée ou ouverte aux autorités décentralisées de contester la légalité des actes des autorités administratives étatiques devant le juge administratif. Il ne s’agit donc pas pour ces autorités de faire apprécier l’opportunité des actes des autorités de tutelle.

Le mécanisme prévu est à double détente. Dans un premier temps, l’autorité décentralisée saisit l’autorité de tutelle compétente ou auteur de l’acte aux moyens d’un recours administratif pour l’inviter à revenir sur sa décision. Si elle n’y agrée pas, c’est le second temps de ce mécanisme, lors l’autorité décentralisée peut saisir le juge administratif compétent pour en solliciter l’annulation

En somme, si l’autorité décentralisée n’a pas obtenu satisfaction auprès de l’autorité administrative de tutelle, elle peut, dans le respect des règles régissant le contentieux administratif, saisir, aux moyens d’un recours contentieux ou juridictionnel, le juge administratif compétent pour lui demander d’annuler, pour illégalité, l’acte contesté ou litigieux de l’autorité administrative étatique pris dans le cadre de la tutelle administrative.

Il se dégage de ce qui précède que l’administration est une entité complexe. Cette complexité caractérise aussi son articulation.

TITRE II

 L’ARTICULATION DE L’ADMINISTRATION

Les règles essentielles qui régissent l’organisation de l’administration se retrouvent dans leurs grandes lignes dans l’articulation de cette dernière. C’est ainsi qu’on distingue d’une part, l’administration d’Etat (chap.1) et, d’autre part, l’administration décentralisée (chap. 2).

CHAPITRE I

L’ADMINISTRATION D’ETAT

L’administration d’Etat a un déploiement territorial national. Certaines de ses structures sont situées au niveau de la capitale politique de l’État ; elles constituent ce qu’on appelle l’administration centrale (section 1). D’autres existent au niveau local ou de la périphérie et constituent ce qu’on appelle l’administration déconcentrée (section 2). Mais il s’agit d’une division administrative qu’il faut considérer de façon relative parce qu’on est toujours dans la même administration.

Section 1: L’administration centrale

L’administration  centrale est généralement considérée comme le bras séculier du pouvoir exécutif. C’est en son sein que les principales décisions administratives sont prises.

Elle est composée de trois organes : la présidence de la République, les services du Premier Ministre et les ministères.

Paragraphe 1: La présidence de la République

La présidence de la République est le siège du pouvoir exécutif, le lieu où se conçoit la politique gouvernementale et le lieu par excellence où se manifeste le pouvoir réglementaire, c’est-à-dire le pouvoir général d’organisation et de détermination des règles de fonctionnement de 1’Etat.

En somme, la présidence de la République est « la pompe aspirante et refoulante » de l’administration tant en ce qui concerne son organisation que son fonctionnement. Pour l’appréhender entant qu’organe administratif, il sied dans un premier temps, d’étudier l’autorité qui l’incarne à savoir le Président de la République (A) et, dans un second temps, d’examiner son organisation (B).

  1. Le Président de la République

D’après la Constitution, le Président de la République est le Chef de l’Etat. Il est élu au suffrage universel direct, égal et secret à la majorité des suffrages exprimés pour un mandat de 7 ans renouvelable.

Au-delà de ces considérations statutaires, il y a des considérations compétencielles, notamment au plan administratif. Il se dégage des textes en vigueur que le Président de la République a des pouvoirs administratifs importants et variés qui peuvent être appréhendés dans leur étendue et leur portée.

1-En ce qui concerne leur étendue, ces pouvoirs sont contenus dans les articles 8, 9 et 27 de la Constitution du 18 janvier 1996. Il s’agit du pouvoir réglementaire (article 8 alinéa 8), du pouvoir d’organisation et de création des services publics de l’État, des pouvoirs qu’il exerce dans le cadre de l’État d’urgence et d’exception (art. 9), du pouvoir de prendre les actes individuels notamment les actes de nomination aux emplois civils et militaires (article 8 alinéa 10), du champ considérable des règlements autonomes (article 27).

2- Pour ce qui est de leur portée, elle est triple :

-premièrement, les actes du Président de la République ne sont pas soumis au contreseing, autrement dit aucune autre autorité de l’Etat n’endosse la responsabilité de ses actes avant qu’ils n’entre en vigueur;

  • deuxièmement, le Président de la République peut déléguer certains de ses pouvoirs au Premier ministre, aux autres membres du gouvernement et à certains hauts responsables de l’administration d’Etat, dans le cadre de leurs attributions (article 10 alinéa 2 de la Constitution).
  • troisièmement, l’importance des pouvoirs du Président de la République est telle que le gouvernement a plutôt un rôle « subalterne ». Ce qui profite bien évidemment au secrétariat général de la présidence de la République, maillon essentiel de l’ensemble organisationnel de la présidence de la République.
  1. L’organisation de la présidence de la République

Quelques observations préliminaires peuvent être faites au regard de cette organisation de la présidence de la République. La plupart des structures administratives étatiques, notamment les ministères, ont leur correspondant au sein de la présidence de la République. Ceci permet, par exemple, au Président de la République d’avoir à se passer desdites structures, en cas d’urgence ou de nécessité, et/ou d’avoir plus ou mieux d’informations et une vue générale sur les matières qu’il peut ou doit traiter en urgence et en toute célérité et efficacité.

Il existe au sein de la présidence de la République une administration interne et des administrations rattachées.

  1. L’administration interne L’administration interne de la présidence de la République est régie par le décret n° 2011/412 du 09 décembre 2011 portant réorganisation de la présidence de la République.

Cette administration comprend : le secrétariat général ; le cabinet civil ; les services chargés des relations avec le parlement, placés sous l’administration d’un ministre délégué à la présidence ; le ministère de la défense, placé sous l’autorité d’un ministre délégué à la présidence ; le ministre délégué chargé des marchés publics ; les ministres chargés de mission ; les ministres sans portefeuille ; les conseillers spéciaux ; les ambassadeurs itinérants ; l’état-major particulier du Président de la République ; la cellule de communication de la présidence de la République ; le secrétariat particulier du Président de la République ; la direction de la sécurité présidentielle et de la garde présidentielle.

De toutes ces structures, celle qui attire le plus l’attention au plan administratif et dont l’examen mérite d’être faite est le secrétariat général. L’on s’intéressera aussi, mais de façon moindre, au cabinet civil.

a)- Le Secrétariat général

Le secrétariat général de la présidence de la République, au-delà des considérations d’ordre juridique, fait l’objet de convoitise et de controverse. L’on voit généralement en celui qui le dirige un vice-président, voire un président de fait, et l’on s’interroge alors sur sa place réelle dans la hiérarchie organique de l’administration d’État. a.1-L’organique 

Le secrétariat général de la présidence de la République est placé sous l’autorité d’un secrétaire général ayant rang de ministre d’État assisté de deux secrétaires généraux adjoints ayant rang de ministre.

Il comprend : des conseillers techniques ; des chargées de missions ; des attachées ; les secrétaires particuliers du secrétaire général et des secrétaires généraux adjoints ; des services internes.

a.2- Le fonctionnel 

Au niveau des fonctions, le secrétariat général est chargé des relations entre la présidence de la République et le gouvernement. Il assure la liaison entre l’exécutif et les différentes institutions républicaines, à l’instar du parlement, du conseil économique et social, du conseil constitutionnel, de la cour suprême et du contrôle supérieur de l’État.

Le secrétariat général a un organe central qui est le secrétaire général, principal collaborateur du Président de la République. Il assiste ce dernier dans l’accomplissement de sa mission.

A ce titre, il reçoit de lui toute directive relative à la définition de la politique de la nation; il suit l’exécution des décisions prises par lui. Il coordonne l’action des administrations rattachées à la présidence de la République. Il instruit les dossiers qu’il lui confie et suit l’exécution des instructions données par lui. Il soumet à sa signature les projets d’actes de toute nature émanant soit des services du Premier ministre, soit des administrations rattachées à la présidence de la République.

Il assure la préparation des correspondances présidentielles relatives au dépôt des projets des lois sur le bureau de l’assemblée nationale, du sénat et du conseil économique et social, en ce qui concerne les demandes d’avis ou d’étude sur des projets de textes à caractère économique et social ainsi que du contrôle supérieur de l’État.

Il veille à la réalisation des programmes d’action approuvés par le Président de la République et impartis aux chefs de départements ministériels et aux services relevant de la présidence de la république.

Il exerce le rôle du conseil juridique de la présidence de la République et des administrations rattachées.

Au total, à travers son le secrétaire général, le secrétariat général de la présidence de la République assure une triple fonction :

  • la coordination,
  • le conseil juridique, – la collaboration.

Dans l’exercice de ses attributions, le secrétaire général reçoit une délégation de signature du président de la République. b)- Le Cabinet civil

Le cabinet civil est chargé des affaires réservées, du protocole d’État, de l’intendance du palais, des résidences et pavillons présidentiels. Il est placé sous l’autorité d’un directeur éventuellement assisté d’un directeur adjoint.

Il comprend : des conseillers techniques ; des chargés de missions ; des attachés ; le secrétariat particulier du directeur, celui du directeur adjoint ; enfin, des services internes.

  1. Les administrations rattachées

Les administrations rattachées à la présidence de la République sont, entre autres, les services du contrôle supérieur de l’État, la grande chancellerie des ordres nationaux, la délégation générale à la sûreté nationale en ce qui concerne son administration, la direction générale de la recherche extérieure en ce concerne son administration, le programme de formation bilingue.

Toutes ces administrations rattachées concourent à l’exercice des prérogatives administratives confiées au secrétaire général, sous l’autorité du Président de la République.

Il existe, en dehors de cette administration, d’autres services ayant aussi des missions administratives. C’est le cas des services du Premier ministre.

Paragraphe 2 : Les services du Premier ministre

Les services du Premier ministre constituent une sorte de reproduction de l’organisation administrative de la présidence de la République. Ils exercent au plan administratif des fonctions non négligeables.

Ces fonctions administratives sont exercées au premier chef par le Premier ministre (A) qui est secondé dans sa tâche par un ensemble de structures suffisamment organisées (B).

  1. Le Premier ministre

D’après la Constitution, le Premier ministre est le chef du gouvernement. Il dispose d’attributions déterminées par la Constitution (v. article 12), et précisées par décret présidentiel. Il est nommé et révoqué par le Président de la République qui fixe ses attributions (cf. décret n°092/089 du 4 mai 1992), lesquelles ont une certaine portée.

1- La consistance des attributions 

« In globo », le Premier Ministre détient, au regard de la Constitution, le pouvoir réglementaire, le pouvoir de prendre des actes individuels, le pouvoir d’exécuter les lois (article 12).

Ces différentes attributions sont précisées par voie décrétale. Le premier texte réglementaire fixant ou précisant les attributions du Premier ministre est intervenu après la révision constitutionnelle du 23 avril 1991 : c’est le décret n°91/282 du 14 juin 1991. Il a été abrogé et remplacé par le décret n°92/089 du 4 mai 1992, lequel a été modifié et complété par le décret n°95/145-bis du 14 août 1995.

Le décret n° 92/089 est marqué du sceau de l’emprise du Président de la République sur le Premier ministre. On est même tenté de s’interroger sur sa constitutionnalité, même si la Constitution indique, en son article 10, que les attributions du Premier ministre sont fixées par le Président de la République.

D’après ce décret, le Premier ministre est chargé, suivant l’orientation donnée par le

Président de la République, de l’impulsion, de l’animation, de la coordination et de la supervision des services placés sous son autorité. Il veille à la réalisation des programmes d’action des ministères approuvés par le président de la République. Il coordonne la préparation des actes administratifs réglementaires à soumettre à la sanction du Président de la République. Il anime et coordonne les politiques de communication des départements ministériels.

Le Premier Ministre exerce le pouvoir réglementaire par voie de décret, d’arrêté, de circulaire, d’instruction générale ou de directive. Il peut, d’après le décret n°92/089, « entant que de besoin » (formulation  inexistante à l’article 12 alinéa 2 de la Constitution) signer les décrets d’application des lois votées par l’Assemblée nationale. Il prend également des actes individuels sous forme de décret ou d’arrêté concernant, notamment l’intégration, l’abaissement d’échelon, de classe ou de grade, la révocation des fonctionnaires de la catégorie A de la fonction publique, l’expulsion du territoire national, l’agrément à la profession d’exploitant forestier, l’octroi des licences d’exploitation forestière, les changements de nom, les dispenses d’âge, les expropriations et incorporations au domaine privé de l’État, l’indemnisation des victimes pour cause d’utilité publique, l’approbation des plans de lotissement et d’urbanisme, l’affectation des terrains domaniaux (après approbation du Président de la République), l’approbation du transfert à l’Etat des établissements privés d’enseignement, l’admission au stage d’huissier de justice, la nomination des chefs de premier degré (après approbation du Président de la République).

Par ailleurs et d’après le décret n°92/089, le Premier ministre nomme aux emplois civils de directeurs et assimilés des administrations centrales placées sous son autorité (après approbation du Président de la République). Quid de la portée de ses attributions ?

2- La portée des attributions

La portée des attributions du Premier ministre est triple. D’abord, il reçoit du Président de la République des instructions en tant qu’autorité subordonnée, en vertu des règles et principes qui sous-tendent l’exercice du pouvoir hiérarchique. Ensuite, la plupart de ses actes sont soumis à l’approbation du Président de la République. On trouve là également la manifestation du contrôle hiérarchique que le Président de la République ses actes. En effet, d’après l’article 5 du décret n°92/089, l’approbation du Président de la République est expresse et revêt un visa. Enfin, il y a la pratique de la délégation instituée par l’article 12 alinéa 5 de la Constitution et l’article 8 du décret n°92/089. Ainsi, le Premier Ministre peut déléguer certains de ses pouvoirs aux membres du gouvernement et à des hauts responsables de l’administration de l’État qui sont pour une partie non négligeable dans les ministères. Que dire donc de l’organisation des services du Premier ministre ?

  1. L’organisation des services du Premier ministre

Les services du Premier ministre comprennent, entre autres : le secrétariat général ; le cabinet et le secrétariat particulier du PM.

1- Le Secrétariat général

Le secrétariat général assiste le premier ministre dans l’accomplissement de ses missions. A ce titre, il reçoit de lui les directives relatives à l’organisation du travail du gouvernement et à la mise en œuvre des grands objectifs du gouvernement dans les secteurs relevant de sa compétence. Il veille, sous l’autorité du Premier ministre, à la réalisation de programmes d’action du gouvernement approuvés par lui et impartis aux chefs des départements ministériels, à l’exception de ceux relevant de la présidence de la République. Il suit l’exécution des décisions prises par le Premier ministre. Il instruit les dossiers que celui-ci lui confie. Il assure la liaison avec le secrétariat général de la présidence de la République en ce qui concerne la préparation des conseils ministériels. Il exerce le rôle de conseil juridique du gouvernement dans les secteurs relevant de la compétence du Premier ministre.

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Le secrétariat général est dirigé par un secrétaire général ayant rang et prérogative de ministre. Il assure la supervision et la coordination des services rattachés, la préparation des arbitrages du Premier ministre l’efficacité de l’action gouvernementale. Il est éventuellement assisté d’un secrétaire général adjoint. Pour l’accomplissement de cette mission, le secrétaire général des services du Premier ministre reçoit de ce dernier délégation de signature.

Les services internes du secrétariat général sont constitués, entre autres, du secrétariat particulier du secrétaire général, éventuellement, du secrétariat particulier du secrétaire général adjoint, du service des ressources humaines, du secrétariat des conseils de cabinet, de la direction des affaires législatives et règlementaires, de la direction des affaires administratives et des requêtes, de la direction du courrier gouvernemental et des archives, de la direction des affaires générales, de la direction de la traduction et de l’interprétation.

Quid des autres structures que sont le cabinet et le secrétariat particulier du premier ministre ?

2- Le Cabinet et le Secrétariat particulier du premier ministre 

a)- Pour ce qui est du Cabinet du Premier Ministre, il est placé sous l’autorité d’un

directeur de cabinet ayant un rang et prérogative de ministre. Il est chargé des affaires réservées, des audiences du Premier ministre, des travaux d’équipement des services et de la résidence du Premier ministre, du protocole et des voyages officiels.

b)- Pour ce qui est du Secrétariat particulier du Premier Ministre, il est placé sous

l’autorité d’un secrétaire particulier ayant rang et prérogative de directeur de l’administration générale. Il relève administrativement du cabinet du Premier ministre.

En dehors de ces structures, il est prévu des services rattachés aux services du Premier ministre comme la Haute autorité de la fonction publique de l’Etat et le Conseil National de la Communication.

Les services du Premier ministre, tout comme ceux de la présidence de la République ne peuvent pas assumer toutes les charges dévolues à l’administration centrale. C’est la raison pour laquelle il existe des ministères qui interviennent dans le cadre des compétences administratives déterminées par le Président de la République.

Paragraphe 3 : Les ministères

Les ministères constituent le  bras séculier du gouvernement. Il s’agit de structures qui sont à la fois politiques et administratives, mais c’est sur le plan administratif qu’elles sont étudiées en droit administratif.

Les ministères jouent un rôle très important dans la conception et la réalisation de la politique gouvernementale ainsi que dans l’application des lois et règlements de la République.

A- Le nombre et la classification

Le nombre de ministères n’est pas déterminé à l’avance dans un texte. Sa détermination est fonction de plusieurs paramètres convergents ou divergents, conjoncturels ou structurels, politiques ou économiques et sociaux. Ainsi, des facteurs politiques peuvent favoriser la prolifération des ministères ; a contrario, des facteurs socioéconomiques peuvent favoriser ou imposer plutôt leur réduction.

De même, il n’y a pas, sur le plan juridique, une hiérarchie entre les ministères. Tous se valent car ils sont formellement égaux. Mais, il existe ou peut exister une hiérarchie entre les ministres.

Quoiqu’il en soit, seul le détenteur du pouvoir de création et d’organisation des ministères, a compétence pour apprécier le nombre des ministères que doit avoir le gouvernement de son pays.

En revanche, il est possible de procéder à une classification des ministères, ainsi qu’à la détermination de leur organisation interne.

Au Cameroun, la classification des ministères peut être opérée à partir du décret n°2011/408 du 09 décembre 2011 portant organisation du gouvernement, complété par le décret n°2018/190 du 02 mars 2018 (qui institue le Ministère de l’Administration territoriale et crée le Ministère de la Décentralisation et du Développement local). Ainsi, on peut distinguer trois catégories de ministères. Dans la première catégorie, on a les ministères de souveraineté (ex. : le Ministère des Relations extérieures, le Ministère de la Justice, le Ministère de la Défense et le Ministère de l’Administration territoriale). La deuxième catégorie est constituée de ministères à vocation économique (ex. : le ministère des finances, le ministère de l’économie, le ministère du commerce, etc.). La troisième catégorie est constituée des ministères techniques (ex. : le Ministère de la Décentralisation et du Développement local, le Ministère de l’Habitat et du Développement urbain, le Ministère de l’Enseignement supérieur, le Ministère de la Communication, le Ministère des Arts et de la Culture, le Ministère des Transports, etc.). Quid du Ministre alors ?

  • Le Ministre

En gros, on a au sommet le ministre, autorité politique  et administrative nommée par le Président de la République (sur proposition du Premier ministre). En tant qu’autorité administrative, il relève hiérarchiquement du premier ministre.

Le Ministre est chargé d’exécuter ou de suivre les décisions prises par le Président de la République et le premier ministre. Par ailleurs, il détient un pouvoir règlementaire délégué et un pouvoir de nomination qu’il exerce sous le contrôle du premier ministre (par le biais du visa). Que dire de l’organisation interne des ministères ?

  • L’organisation interne

L’organisation interne des ministères est fixée par décret présidentiel. Elle est fonction des particularités et des missions de chaque ministère.

Le Ministre a des collaborateurs directs. Il en ainsi de son chef de secrétariat particulier, des conseillers techniques et des inspecteurs généraux.

En dehors de ces collaborateurs directs du ministre, chaque ministère est doté d’une administration centrale  qui comprend, entre autres, le secrétariat général dirigé par un secrétaire général, principal collaborateur du ministre, nommé par décret du Président de la République et chargé de diriger l’administration du ministère ; des directions générales  ( créées dans certains ministères à l’instar du ministère des finances et du ministère de l’économie) placées sous l’autorité des directeurs généraux nommés par décret présidentiel; des directions et des divisions ayant respectivement à leurs têtes des directeurs et des chefs de division, nommés par décret du premier ministre, après visa expresse du président de la République; des sous-directions dirigées par des sous-directeurs, des services ayant à leurs têtes des chefs de service, tous nommés par arrêtés du ministre, après visa expresse du premier ministre.

Au total, l’administration centrale de l’Etat est une organisation complexe et composite. Elle assume des tâches administratives au plan national, mais son action ne peut être efficace que si elle a des relais, notamment au plan local. C’est ce qui justifie, à suffisance, l’existence de l’administration déconcentrée.

Section 2 : L’administration déconcentrée

L’administration déconcentrée assure au niveau local les missions dévolues à l’administration d’Etat. Elle a deux caractéristiques essentielles : la 1ère est qu’elle n’a pas de personnalité juridique propre ; la 2nde, qui découle de la 1ère, est qu’elle agit au niveau local au nom et pour le compte de l’administration centrale. Autrement dit, pour reprendre Odilon Barrot, «  c’est le même marteau qui frappe, mais on en a raccourci le manche ».

Au regard de la règlementation, l’administration déconcentrée a trois composantes que sont : les circonscriptions administratives, les services extérieurs de ministères et, dans une certaine mesure, les chefferies traditionnelles, une administration déconcentrée sui generis.

Paragraphe 1 : Les circonscriptions administratives 

Le décret n°2008/376 du 12 novembre 2008 (il abroge le décret n°72/349 du 24 juillet 1972) portant organisation administrative de la République du Cameroun, divise celle-ci en région, département et arrondissement. Il prescrit, par ailleurs, que les districts existant vont continuer de fonctionner jusqu’à leur érection en arrondissement (ce qui a été fait).

Les circonscriptions administratives (région, département et arrondissement) sont créées par décret du Président de la République qui en fixe les limites territoriales.

Il convient d’analyser d’une part, région (A) et, d’autre part, les autres circonscriptions administratives (B).

A- La région 

La région, créée par le décret n°2008/376 du 12 novembre 2008, a remplacé la province, qui avait été institué par le décret n°72/349 du juillet 1972.

Il existe dix régions au Cameroun. Le décret n°2008/376 prévoit que d’autres régions peuvent être créées par décret présidentiel.

Afin d’éviter toute confusion, il convient de préciser que la région est, par ailleurs, d’après le titre 10 de la Constitution du 18 janvier 1996, une collectivité territoriale décentralisée. C’est dire qu’elle a un double statut.

Entant que circonscription administrative, la région est placée sous l’autorité d’un gouverneur. Celui-ci est nommé par décret présidentiel et est sous l’autorité hiérarchique du ministre de l’administration territoriale et de la décentralisation.

Les attributions du gouverneur et les autorités qui l’assistent sont déterminées par le décret n°2008/377 du 12 novembre 2008 (ce décret abroge le décret n°78/485 du 09 novembre 1978).

Au regard de ce décret, le gouverneur est le dépositaire de l’autorité de l’Etat dans la région. Il est à la fois le représentant du Président de la République, du chef du gouvernement et de chacun des ministres. Il assure, sous l’autorité des ministres compétents, la supervision générale, la coordination et le contrôle de l’activité des services décentralisés de l’Etat dans la région, à l’exclusion de ceux relevant de la justice. Il est chargé de la gestion des fonctionnaires et agents de l’Etat en poste dans les services déconcentrés de l’Etat dans la région (tous les agents de la région sont gérés par le gouverneur à l’exclusion de ceux relevant de la justice, des forces armées, de la défense et de la sureté nationale). Il peut demander à tous les services publics installés dans sa région les informations nécessaires à l’accomplissement de sa mission. Ainsi, les chefs de services déconcentrés de l’Etat ainsi que les responsables des établissements et organismes publics et parapublics installés dans la région doivent le tenir informé de toutes les affaires ayant une importance particulière.

Le gouverneur rend périodiquement compte, par voie hiérarchique, de son action de coordination dans la région au Président de la République. Il dispose des forces de police, de la gendarmerie et de l’armée dans le cadre des lois et règlements fixant les modalités d’emploi desdites forces. Il dispose également de tous les pouvoirs qui lui sont attribués par les lois et règlements. Il peut, en cas d’atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat ou à l’ordre public, accomplir personnellement ou requérir tout agent ou autorité compétente d’accomplir tous actes nécessaires à l’effet de constater les crimes et les délites et d’en livrer les auteurs aux tribunaux dans les formes et délais prescrits par les textes en vigueur.

Le gouverneur exerce sur la région, en tant que collectivité territoriale décentralisée, et

sur les établissements publics régionaux les pouvoirs de tutelle de l’Etat, conformément à la législation et à la règlementation en vigueur.

Il existe des services placés sous l’autorité du gouverneur qui l’assistent dans l’accomplissement de ses missions. Ces services sont : un secrétariat particulier, un cabinet, une inspection générale des services régionaux, un secrétariat général des services du gouverneur.

Le secrétariat général comprend, entre autres, un secrétaire général, une division des affaires administratives et juridiques, une division de la police et de l’organisation administrative, une division des affaires économiques, sociales et culturelles, une division du développement régional.

Quant à l’inspection générale des services régionaux, placée sous l’autorité d’un inspecteur général, elle est chargée, entre autres, du contrôle interne et de l’évaluation du fonctionnement des services du gouverneur, des préfectures et sous-préfectures. L’inspecteur général est assisté de deux inspecteurs. Que prévoit la règlementation pour les autres circonscriptions administratives ?

B- Les autres circonscriptions administratives

Les autres circonscriptions administratives existant au Cameroun sont : le département et l’arrondissement.

1- Le département

Il existe actuellement au Cameroun 58 départements. Le département est placé sous l’autorité du préfet, nommé par décret du Président de la République. Il est le dépositaire de l’autorité de l’Etat dans le département. Il est à la fois le représentant du Président de la République, du gouvernement et de chacun des ministres.

Le préfet est placé sous l’autorité directe du gouverneur. Assisté d’adjoints préfectoraux, le préfet est investi dans le département, pour le compte du gouvernement, d’une mission permanente et générale d’information et de coordination, en matière sécuritaire, économique, sociale et culturelle. Il veille au maintien de l’ordre, à l’exécution du plan et des programmes de développement économique et social dans le département, sous l’autorité des ministres compétents et du gouverneur. Il assure la supervision générale, l’animation, la coordination et le contrôle des services de l’Etat installés dans le département, à l’exception de ceux relevant de la justice. Il gère l’ensemble du personnel de l’Etat installé dans le département, à l’exception de ceux de la justice, des forces armées et de sureté nationale.

Le préfet dispose des forces de police, de la gendarmerie et de l’armée dans les conditions fixées par les textes en vigueur. Il dispose également des pouvoirs à lui délégués par le gouvernement et le gouverneur et des pouvoirs de tutelle sur les communes et établissements publics communaux, conformément aux textes en vigueur. En outre, il peut prendre des actes nécessaires, en cas d’atteinte à la sureté intérieure ou extérieure de l’Etat ou à l’ordre public, et livrer les auteurs aux tribunaux dans les formes et délais prescrits par les textes en vigueur.

Les services chargés d’assister le préfet dans ses fonctions sont, entre autres : le  secrétariat particulier, le service des affaires générales, le service des affaires administratives, juridiques et politiques, le service des affaires économiques et financières et le service des affaires sociales et culturelles. Qu’en est-il de l’arrondissement ?

2- L’arrondissement 

L’arrondissement est placé sous l’autorité du sous-préfet, nommé par décret du Président de la République.

Le Sous-préfet est un haut fonctionnaire de l’Etat. Il est le dépositaire de l’autorité de l’Etat dans l’arrondissement. Placé sous l’autorité directe du préfet, il est chargé, entre autres, du maintien de l’ordre, de l’exécution des lois, règlements et décisions du gouvernement ainsi que de la coordination et du contrôle de l’activité des services publics installés dans l’arrondissement, à l’exclusion de ceux de la justice, de la gestion des personnels des services de l’Etat installés dans l’arrondissement.

Pour l’accomplissement de sa mission, le sous-préfet dispose de la force publique dans le cadre des textes fixant les modalités d’exercice de cette force. Il exerce son pouvoir règlementaire par voie de décision.

Le sous-préfet est assisté d’un adjoint dont il détermine les attributions et qui assure l’intérim en cas d’empêchement du sous-préfet.

Les services de la sous-préfecture sont : le secrétariat particulier, le bureau du courrier, le bureau des affaires générales, le bureau des affaires administratives, juridiques et politiques et le bureau d’appui au développement local.

Il existe au sein des circonscriptions administratives des services extérieurs des ministères qui participent aussi à la déconcentration de l’administration d’Etat.

Paragraphe 2 : Les services extérieurs des ministères

Les services extérieurs des ministères constituent l’administration déconcentrée desdits ministères. On en trouve au niveau régional, départemental et de l’arrondissement.

Les responsables desdits services sont placés sous l’autorité hiérarchique de leurs ministres et sous l’autorité des chefs des circonscriptions administratives, en fonction du niveau auquel ils appartiennent. Ce sont, pourrait-on dire, les relais locaux des ministères et des ministres. Leurs attributions sont fixées par des textes qui organisent leurs ministères respectifs. C’est dire qu’il faut se référer à ces textes pour appréhender à suffisance l’importance et les limites de leurs attributions.

Il existe d’autres entités qui, primitivement, ne font pas partie de l’administration, mais qui y ont été intégrées depuis la « colonisation » et constituent une sorte d’administration déconcentrée « sui generis ». Il s’agit des chefferies traditionnelles.

Paragraphe 3 : Les chefferies traditionnelles, administration déconcentrée « sui generis »

Les chefferies traditionnelles sont régies par le décret n°77/245 du 15 juillet 1977. Sur le plan historique, elles constituent des formes initiales d’organisation sociale et politique des sociétés africaines. Celles-ci, dont les règles d’organisation et de fonctionnement n’étaient pas écrites, avaient une organisation fortement hiérarchisée. Leur encadrement par des règles écrites est intervenu avec l’arrivée et l’installation des « colons » occidentaux en Afrique. Après l’indépendance, cet encadrement été maintenu et renforcé. Aussi, peut-on dire aujourd’hui que ce que l’on appelle « chefferie traditionnelle » est en réalité une collectivité au statut hybride, car elle repose sur le droit moderne, qui est écrit, et le droit coutumier. Cet « hybridisme juridique » se caractérise par une forte emprise de l’Etat lesdites chefferies traditionnelles. C’est la raison pour laquelle on les classe parmi les structures administratives déconcentrées.

Les chefferies traditionnelles sont organisées en plusieurs catégories(A), avec des chefs qui ont un statut(B) et des attributions (C).

A- La typologie des chefferies traditionnelles 

Les chefferies traditionnelles sont organisées sur une base territoriale. Elles comprennent trois degrés hiérarchisés, à savoir : la chefferie de premier degré, la chefferie de deuxième degré et la chefferie de troisième degré.

La chefferie de premier degré est celle dont le territoire de compétence recouvre en principe celui d’au moins deux chefferies de deuxième degré et dont les limites territoriales n’excèdent pas celles d’un département.

La chefferie de deuxième degré est celle dont le territoire de commandement englobe au moins deux chefferies de troisième degré et dont les limites n’excèdent pas celles d’un arrondissement.

Enfin, la chefferie de troisième degré correspond au village en milieu rural et au quartier en milieu urbain.

Ce classement constitue le principe général, lequel est susceptible d’être édulcoré.

C’est ainsi que l’autorité compétente peut classer une chefferie traditionnelle au premier et deuxième degré en raison notamment de son importance démographique et économique.

Les chefferies de premier degré sont créées par arrêté du premier ministre ; celles du deuxième degré sont créées par arrêté du ministre de l’administration territoriale et de la décentralisation et celles de troisième degré sont créées par arrêté du préfet.

Chaque chefferie porte la dénomination consacrée par la tradition. Toutefois, le décret n°77/245 précise que l’autorité compétente peut conférer à la chefferie considère, le cas échéant, une nouvelle dénomination.

La chefferie traditionnelle est placée sous l’autorité d’un chef qui a un statut. Il est assisté d’un conseil de notables constitués selon tradition locale.

B- Le statut des chefs traditionnels

Le statut des chefs traditionnels concerne leur désignation, leurs droits et leur régime disciplinaire.

1- La désignation

D’après le décret n°77/245, les chefs traditionnels sont en principe choisis au sein des familles appelées à exercer coutumièrement le commandement traditionnel. Les candidats doivent remplir les conditions d’aptitude physique et morale requises et savoir autant que possible lire et écrire, notamment l’anglais ou le français.

La vacance d’une chefferie est dument constatée par un médecin public requis à cet effet. Cette vacance intervient par suite de décès, de destitution, de démission ou d’empêchement physique ou moral permanent du titulaire. Lorsqu’elle est établie, l’autorité administrative procède sans délai aux consultations nécessaires en vue de la désignation d’un nouveau chef. A ce titre, les notabilités coutumières compétentes sont obligatoirement consultées. Toutes les consultations sont consignées sur un procès-verbal signé de président de la réunion, selon les cas, le préfet ou le sous-préfet.

Les chefs de premier degré sont désignés par le premier ministre, après approbation du président de la République ; ceux de deuxième degré désignés par le ministre de l’administration territoriale et de la décentralisation et ceux du troisième degré par le préfet.  Les contestations soulevées à l’occasion de la désignation des chefs traditionnels sont portées devant l’autorité investie du pouvoir de désignation qui se prononce en premier et dernier ressort (en principe, l’on ne peut pas saisir le juge administratif pour contester la désignation d’un chef traditionnel. Sur cette question, voir cours de droit administratif II sur les actes insusceptibles de recours juridictionnels). La décision prise peut toutefois être rapportée si elle établit que l’autorité compétente a été induite en erreur.

Les fonctions de chef traditionnel sont incompatibles avec toute autre fonction publique. L’autorité investie du pouvoir de désignation peut toutefois autoriser le cumul de fonctions, notamment lorsque la personne intéressée réside sur le territoire de la chefferie. Le chef traditionnel a des droits déterminés par le décret n°77/245.

2- Les droits 

Les droits reconnus aux chefs traditionnels sont de deux ordres. On a d’une part, les avantages matériels, et, d’autre part, la protection juridique.

En ce qui concerne les avantages matériels,  deux moments doivent être évoquées ici.

D’après les dispositions anciennes des articles 22 et 23 du décret n°77/247, les chefs de premier et deuxième degré percevaient mensuellement une allocation fixe, calculée sur la base numérique de leur population ainsi qu’une indemnité pour charge spéciale. Ces avantages étaient fixés par arrêté conjoint du ministre de l’administration territoriale et de la décentralisation et du ministre des finances.

Ces dispositions ont été modifiées et complétées par celles du décret n°2013/332 du 13 septembre 2013. Ainsi, les chefs traditionnels, sans exception, perçoivent désormais mensuellement des allocations.

Le chef de 1er degré perçoit une allocation de 200 000F CFA, le chef de 2ème degré a une allocation de 100 000F CFA et le chef de 3ème degré a droit à une allocation de 50 000F

CFA. Ces allocations sont affranchies de l’impôt conformément au Code Général des Impôts.

L’article 24(nouveau) du décret n°2013/332 précise que ces allocations ne peuvent se cumuler avec les indemnités de parlementaire, le traitement de fonctionnaire ou d’agent des administrations publiques, pour ce qui concerne le chef traditionnel qui est dans l’une de ces situations. En cas de cumul de fonctions dument autorisé, le chef traditionnel présumé doit opter, avant sa désignation par l’autorité compétente, soit pour le maintien de son traitement ou traitement ou salaire, soit pour le bénéfice de l’allocation de chef traditionnel.

Les chefs traditionnels peuvent prétendre à d’autres avantages tels les primes d’efficacité octroyées par le ministère de l’administration territoriale et de la décentralisation.

Tout chef traditionnel victime d’une incapacité permanente imputable au service peut prétendre à une rente viagère lorsque cette incapacité entraine son dégagement de ses fonctions et à une indemnité dans les autres cas.

Il existe d’autres droits qui sont relatifs à la protection juridique du chef traditionnel.

D’après la règlementation, l’Etat est tenu d’assurer au chef traditionnel la protection contre les menaces, outrages, violence, voie de fait, injures ou diffamations dont il peut être l’objet en raison ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions. Il est tenu, le cas échéant de réparer le préjudice subi par le chef traditionnel du fait de tels actes. Le chef traditionnel est soumis au régime disciplinaire fixé par le décret n°77/245.

3- Le régime disciplinaire

Les autorités administratives portent chaque année des appréciations sur l’activité des chefs traditionnels. C’est la contrepartie des avantages et autres protections qui leur sont accordés. Ainsi, en cas de faute dans l’exercice de leur fonction, en cas d’inefficacité, d’inertie ou d’exaction à l’égard des populations, les chefs traditionnels encourent les sanctions ci-après : rappel à l’ordre, avertissement, blâme simple, blâme avec suspension pendant 3 mois au plus de la totalité des allocations et la destitution.

Il faut préciser que pour préserver ses droits de la défense, une sanction disciplinaire ne peut être prise à l’encontre d’un chef traditionnel que s’il a été préalablement appelé à donner des explications sur ce qui lui est reproché.

Le chef traditionnel a des attributions qui démontrent à suffisance son incorporation dans l’administration.

C- Les attributions

Les attributions du chef traditionnel peuvent être résumées de façon tétralogique.  

Premièrement, le chef traditionnel seconde les autorités administratives dans leurs

missions d’encadrement des populations, sous l’autorité du ministère de l’administration territoriale et de la décentralisation.

Deuxièmement, en tant qu’auxiliaires d’administration, les chefs traditionnels sont chargés de transmettre à la population les directives des autorités et en assurer l’exécution ; de concourir, sous la direction desdites autorités administratives, au maintien de l’ordre et au développement économique, social et culturel de leurs unités de commandement.

Troisièmement, ils sont chargés de remplir toutes autres missions à eux confiées par l’autorité administrative locale.

Quatrièmement, enfin, ils peuvent, conformément, à la coutume et lorsque les lois et règlements n’en disposent autrement, procéder à des conciliations et aux arbitrages entre leurs administrés.

In fine, les chefferies traditionnelles en général et leurs chefs en particulier, constituent, sur le plan local, un maillon essentiel de l’administration d’Etat. Elles permettent, en effet, à ce dernier de se rapprocher des administrés. Ce faisant, elles sont juridiquement différentes des collectivités territoriales décentralisées, qui font partie de l’administration décentralisée.

Chapitre 2

L’administration décentralisée

L’administration décentralisée peut être appréhendée sous deux plans. Au plan horizontal, on a les collectivités territoriales décentralisées (CTD), et au plan vertical, on a les administrations spécialisées, notamment les établissements publics et les groupements d’intérêt public.

Cette administration, dans ses deux variantes, a une personnalité juridique et participe de la décentralisation administrative.

Section 1 : Les collectivités territoriales décentralisées

D’après l’article 55 (2) de la constitution du 18 janvier 1996, les collectivités territoriales décentralisées sont des personnes morales de droit public  jouissant de l’autonomie administrative et financière pour la gestion des intérêts régionaux et locaux. Elles sont administrées librement par les conseils élus et dans les conditions fixées par la loi.

Pour cerner cette disposition constitutionnelle qui pose le problème de la décentralisation territoriale au Cameroun, il sied d’analyser, successivement, les types de CTD qui existent au Cameroun (§1), leurs compétences (§2), le contrôle auquel elles sont soumises (§3), et, enfin leurs organes de suivi et d’appui (§4).

§ 1- Les types de CTD

L’analyse des types de collectivités territoriales décentralisées peut être menée autour de deux idées fortes. La première est relative à la genèse ou à l’historicité des collectivités territoriales décentralisées au Cameroun (A), la seconde, quant à elle, a trait à leur consécration juridique (B).

  1. La genèse des CTD

La  genèse des CTD peut être saisie en deux temps : avant  et après l’indépendance.

1-Avant l’indépendance

 Il convient de distinguer, avant l’indépendance du Cameroun, l’évolution des collectivités territoriales décentralisées, d’une part, dans le Cameroun britannique, et, d’autre part, dans le Cameroun français.

a)- Dans le Cameroun britannique

C’est en 1922 que l’autorité « coloniale » britannique, fidèle à sa politique de « l’indirect rule », crée les premières collectivités territoriales au Cameroun sous mandat. Il s’agit des « native courts » dont le fondement juridique était les «native authorities ». Par ce biais, l’administration britannique va exercer ses pouvoirs sur la partie occidentale du Cameroun en s’appuyant sur les autorités traditionnelles qu’elle nomme en s’efforçant de ne pas détruire les structures politiques traditionnelles.

En 1938, un découpage du territoire en « native authorities » est effectué. Ces

« native authorities » ont le droit de légiférer, d’établir les impôts, sous le contrôle des « districts officiers » (Préfets).

En 1958, les « natives authorities » sont remplacées par les « area councils », qui représentent mieux l’ensemble de la population. Quid de la situation des CTD dans le Cameroun français ?

b)- Dans le Cameroun français C’est en 1941, soit près de 19 ans après l’institution des collectivités territoriales dans la partie britannique, que « l’autorité coloniale » française organise, par un décret du 23 avril 1941, le régime des communes.

Ce texte reconnaît au gouverneur du territoire la faculté de créer des communes mixtes par arrêté pris au conseil d’administration. C’est ainsi que par arrêté du 25 juin 1941 sont créées à Douala et à Yaoundé les premières communes mixtes urbaines dirigées par des administrateurs-maires nommés, assistés d’une commission municipale, composée de l’administrateur-maire comme président et de 4 membres désignés par le gouverneur du

Cameroun français, sur une liste de notables français à lui remise par le chef de région, et de deux membres, notables indigènes, sujets français, désignés par le gouverneur, sur proposition du chef de région. Les membres de la commission municipale avaient simplement voix délibérative.

A partir de 1950, on assiste à la création progressive dans les villes du territoire français des communes mixtes urbaines. Un arrêté du 12 novembre 1955 remplace la commission municipale par un conseil municipal élu au collège unique et complété par deux conseillers nommés par le Haut-commissaire.

En 1955, intervient la loi du 18 novembre portant réorganisation municipale en Afrique noire et à Madagascar. Cette loi institue deux catégories de communes: les communes de plein exercice et les communes de moyen exercice. Douala, Yaoundé, Nkongsamba, puis Mbalmayo, Sangmelima, Ebolowa et Edéa seront les premières communes à être érigées en commune de plein exercice. Elles sont dirigées par un maire élu et un conseil municipal élu également. Quant aux communes de moyen exercice, elles ont un maire, qui est un fonctionnaire nommé, assisté d’un conseil municipal élu.

Jusqu’en 1960, le Cameroun français connaît quatre catégories de communes : les communes mixtes urbaines, les communes mixtes rurales et les communes de plein exercice, ainsi que les communes de moyen exercice.

Quelle est la situation des collectivités territoriales décentralisées après l’indépendance du Cameroun ?

2-Après l’indépendance

Au Cameroun occidental comme au Cameroun oriental, on assiste à la continuation de la tradition coloniale en matière d’administration locale.

Il faut attendre 1974 pour voir s’amorcer une tentative de codification à l’effet d’harmoniser les textes et les pratiques antérieures à 1’unification du Cameroun intervenue en 1972.

a)- La situation d’avant 1974 : le maintien de la diversité

-Au Cameroun occidental, jusqu’en 1974, l’administration locale est régie par la « local authorities ordinance» (cap.  140 editions of Law of the federation of Nigeria). La direction des collectivités locales, qui étaient aux mains du chef traditionnel, qui présidait les « native courts », passent au « chairman » des « native authorities ».

En 1969, les « native authorities » deviennent des « local authorities ». Plus tard, celles-ci deviennent des « local councils ».

Au Cameroun oriental, on assiste au maintien et à l’accentuation de la diversité dans l’organisation municipale d’une part, et à la progression dans l’autoritarisme des structures municipales, d’autre part. C’est ainsi, par exemple, que, le 31 décembre 1960, le législateur adopte une loi instituant des communes rurales de moyen exercice dans les arrondissements du Nord-Cameroun. Les maires sont nommés par le ministre de l’Intérieur et le conseil municipal est élu pour deux tiers de ses membres.

En 1967, le législateur modifie le statut des communes de plein exercice et des communes de moyen exercice. C’est ainsi que les communes de plein exercice de Douala, Yaoundé et Nkongsamba n’ont plus de maires élus mais plutôt des délégués du gouvernement nommés par décret pris en conseil de cabinet. Le conseil municipal désigne en son sein son président et un ou plusieurs vice-présidents.

Pour les autres communes de plein exercice, leurs maires sont désormais nommés par décret pris en conseil de cabinet. Ils sont assistés d’un ou plusieurs adjoints nommés par le secrétaire d’Etat à l’intérieur parmi les membres du conseil municipal.

Cet autoritarisme dans la désignation de l’exécutif communal va être confirmé par la loi du 4 décembre 1968. Celle-ci dispose que « les maires des communes urbaines de moyen exercice sont nommés par décret pris en conseil de cabinet et ceux des communes rurales de moyen exercice sont nommés par arrêté de l’autorité ministérielle chargée de la tutelle ».

Au total, il n’existe plus au Cameroun oriental de maires élus. C’est dire que la décentralisation territoriale y est plus autoritaire que démocratique. Au pire, elle constitue davantage un leurre qu’une lueur. Qu’en est-il à partir de 1974 ? b)- La situation à partir 1974 : la codification 

En 1974, le législateur tente une codification consistant à synthétiser les règles et pratiques en vigueur aussi bien au Cameroun oriental qu’au Cameroun occidental. Cette codification aboutit à la dualisation du système communal camerounais avec quelques nuances. C’est ainsi qu’on a d’une part, les communes rurales, et, d’autre part, les communes urbaines.

  • En ce qui concerne les communes rurales, elles ont un exécutif nommé et dirigé par un administrateur-municipal et un conseil municipal élu.
  • Pour ce qui est des communes urbaines, il y en a de deux types. Le premier, qui comprend le plus grand nombre de communes, est constitué de communes ayant un exécutif et un conseil municipal élus ; le second, comprenant des communes numériquement peu nombreuses mais démographiquement et surtout économiquement importantes, ont un exécutif nommé et ayant à sa tête un délégué du gouvernement et un conseil municipal élu, dirigé par un président élu en son sein. C’est le cas des communes de Yaoundé, Douala et Nkongsamba.

La loi n°114/23 du 05 décembre 1974 portant organisation communale, qui a procédé à cette codification, va connaître au fil des ans de nombreuses et importantes modifications (sur cette question, lire Bernard-Raymond GUIMDO, « Observations sur le décret n°93/322 du 25 novembre1993 », in Lex Lata n°004 du 30 novembre 1994, pp. 12-14). La situation va évoluer en 1987.

c)- La situation à partir de 1987 : la rupture du dualisme

En 1987, le législateur camerounais rompt avec le dualisme du système municipal en créant, en plus des communes existantes, des communautés urbaines (Douala et Yaoundé) et, en leur sein, des communes urbaines d’arrondissement.

Cette rupture est consacrée par la loi n°04/015 du 15 juillet 1987 portant création des communautés urbaines (Lire Bernard-Raymond Guimdo Dongmo, La problématique de la décentralisation communale au Cameroun, Mémoire de maîtrise en droit public, Université de Yaoundé, 1987). L’année 1996 marque un tournant décisif dans l’articulation des CTD au Cameroun.

d)- La situation depuis 1996

En 1996, une réforme fondamentale est intervenue avec la consécration, par la Constitution, de la commune et de la région comme des collectivités territoriales décentralisées (lire titre 10 de la Constitution).

Cette consécration a été précisée et organisée en 2004 par les lois dites de la décentralisation (lire Bernard-Raymond Guimdo D., « Constitution et décentralisation au Cameroun depuis la réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996, in Revue Juridique et Politique des Etats francophones, n°2, 2005, pp.205-228). C’est au regard de ces considérations qu’il faut à présent s’intéresser aux collectivités territoriales décentralisées telles qu’elles sont consacrées actuellement au Cameroun.

  1. La consécration des CTD

La Constitution du 18 janvier 1996 a institué deux types de collectivités territoriales décentralisées : la commune et la région. Mais, elle précise que tout autre type de collectivité territoriale décentralisée peut être créé par la loi (ce devrait être, en principe, le cas des communautés urbaines)

  1. La commune

L’organisation et le fonctionnement des communes sont régis par la loi n°2004/017 du 22 Juillet 2004 portant orientation de la décentralisation et la loi n°2004/018 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux communes.

Il existe, en droit camerounais, deux types de commune : la commune de droit commun et le type dérogatoire, qui est la communauté urbaine. a)- La commune de droit commun

La commune est considérée comme la collectivité territoriale de base. Elle est créée par décret du Président de la République, qui fixe son ressort territorial, sa dénomination et son chef-lieu.

La commune a deux organes: le conseil municipal et l’exécutif municipal.

  • Le conseil municipal est constitué de conseillers municipaux dont les conditions d’élection sont déterminées par la loi n°2012/001 du 19 avril 2012 portant Code électoral.

Selon cette loi, les conseillers municipaux sont élus au suffrage universel direct et secret, au scrutin mixte à un tour comportant un système majoritaire et un système de la représentation proportionnelle.

Le conseil municipal siège en session ordinaire une fois par trimestre pendant une durée maximale de sept jours. Il peut aussi se réunir en session extraordinaire sur convocation du maire chaque fois qu’il le juge utile ou lorsqu’une demande motivée lui est adressée par les deux tiers des membres dudit conseil ou lorsque le représentant de l’Etat en fait la demande.

Les décisions (délibérations) du conseil sont prises à la majorité simple des votants, et le vote est public.

  • L’exécutif municipal est composé du maire et de ses adjoints. Ils sont tous élus par le conseil lors de sa première session.

Le maire est élu au scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Quant à ses adjoints, ils sont élus au scrutin de liste. Tous les scrutins sont secrets.

L’exécutif est élu pour la même durée que les conseillers municipaux.

Le maire représente la commune dans tous les actes de la vie civile et en justice. Il gère le personnel placé sous sa responsabilité et est chargé de la police municipale.

Comme le conseil municipal, le maire et ses adjoints ont droit à une indemnité de session. Par ailleurs, le maire et ses adjoints bénéficient d’une rémunération et des indemnités de fonction fixées par délibération du conseil municipal, approuvée par le ministre de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation. Quid du type dérogatoire qu’est la communauté urbaine ?

b)- Le type dérogatoire : la communauté urbaine

La communauté urbaine est créée par décret du Président de la République, qui en fixe le siège ainsi que le ressort territorial.

La communauté urbaine est constituée d’au moins deux communes d’arrondissement. Elle prend l’appellation de « ville de… » suivie du nom de l’agglomération.

La communauté urbaine a deux organes : le conseil de la communauté, qui est l’organe délibérant, et l’exécutif de la communauté.

  • Le conseil de la communauté est composé des maires des communes

d’arrondissement et de leurs représentants (cinq par commune), désignés en son sein par le conseil municipal.

Le conseil délibère sur toutes les affaires relevant de sa compétence. Son mandat expire avec celui des conseillers municipaux. En cas de vacance d’un membre du conseil, la commune concernée est appelée à le remplacer dans un délai de deux mois.

  • L’exécutif de la communauté est composé du délégué du gouvernement, qui est nommé par décret du Président de la République et de ses adjoints, nommés par arrêté du Président de la République.

Le délégué du gouvernement exerce la plénitude des fonctions du maire. Il convoque et préside les sessions du conseil de la communauté.

Le délégué du gouvernement est chargé, entre autres, de l’exécution des délibérations du conseil ; de la préparation et l’exécution du budget ; de l’organisation et de la gestion des services de la communauté, ainsi que des ressources et du patrimoine de la communauté. Il dirige les travaux de la communauté ; il représente la communauté dans la vie civile et en justice. L’exécutif’ de la communauté bénéficie d’une rémunération et des indemnités de fonction et de représentation dont le montant est fixé par le Président de la République. Que dire de la région ?

  1. La région

La région, en tant que collectivité territoriale décentralisée, est consacrée par la constitution et organisée par voie législative. Mais, elle n’existe pas encore « in concreto ».

En tant que collectivité territoriale décentralisée, la région est juridiquement administrée par des autorités élues, qui disposent du pouvoir réglementaire pour l’accomplissement de leur mission.

La région a pour base juridique, d’abord la constitution du 18 janvier 1996, notamment son titre 10, ensuite, la loi 2004/017 du 22 juillet 2004 portant orientation de la décentralisation, enfin, la loi de 2004/019 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux régions.

Juridiquement, la région peut être analysée sous deux angles : d’une part, sur le plan organisationnel, et, d’autre part, sur le plan de sa protection. a)- L’organisation de la région

La région a deux organes : le conseil régional, qui est l’organe délibérant, et le Président du conseil régional, qui est l’organe exécutif.

D’après les textes en vigueur, le conseil régional doit refléter les différentes composantes sociologiques de la région (article 57 aliéna 2 de la Constitution, article 26 alinéa 2 de la loi 2004/019 et article 5 de la loi 2006/004 du 14 juillet 2006 fixant le mode d’élection des conseillers régionaux). 

Le conseil régional est composé de délégués des départements, élus au suffrage universel indirect, et des représentants du commandement traditionnel choisis par leurs paires (sur la question, lire Bernard-Raymond Guimdo D., « Constitution et décentralisation au

Cameroun… », op. cit.).

Le vote du conseil régional se déroule au chef-lieu de chaque département. Pour être éligible, il faut, entre autres, résider de manière effective dans le ressort de la région concernée ou justifier d’un domicile réel sur le territoire de la région choisie ; remplir les conditions d’éligibilité telles qu’être camerounais, être inscrit sur une liste électorale, être âgé de 23 ans à la date du scrutin, savoir lire et écrire l’une des langues officielles et ne pas être sous la dépendance ou en intelligence avec une puissance étrangère.

Sont incompatibles avec la fonction de conseiller régional les fonctions de représentant de l’Etat dans la région (préfet, sous-préfet, fonctionnaire de police, de gendarmerie, de l’administration pénitentiaire, magistrat, etc.).

Les conseillers régionaux sont élus pour un mandat de 5 ans renouvelable. Leur effectif est proportionnel à la population de chaque région, de chaque département, selon le cas.

Comme tout organe délibérant, le conseil régional exerce ses fonctions dans le cadre des sessions ordinaires et extraordinaires.

La session ordinaire se tient une fois par trimestre sur convocation du Président du conseil régional, pour une durée de 8 jours, et de 15 jours, pour ce qui est de la session budgétaire.

La session extraordinaire a lieu, sur un ordre du jour déterminé, à la demande du Président du conseil régional ou de 2/3 de ses membres ou du représentant de l’Etat, pour une durée maximum de 3 jours.

Il existe, par ailleurs, une session dite de plein droit, qui se tient le deuxième mardi de la proclamation des résultats lors du renouvellement du mandat des conseillers régionaux.

Le conseil régional dispose d’organes ayant des fonctions déterminées : il s’agit, notamment, de quatre commissions présidées chacune par un commissaire.

Le conseil régional peut élire en son sein un président pour un mandat identique au sien. Le président est assisté d’un bureau comprenant un vice-président, 2 questeurs et 2 secrétaires. Ce bureau doit refléter la composition sociologique de la région (article 57 alinéa 3 de la constitution).

Le Président du conseil régional doit être, d’après la constitution, «une personnalité autochtone» élue au scrutin secret à la majorité absolue des membres du conseil régional présents et votants. Il est l’interlocuteur du représentant de l’Etat dans la région. Il est chargé de représenter la région dans les actes de la vie civile et en justice; de préparer et d’exécuter les délibérations du conseil régional ; d’ordonner les recettes et les dépenses de la région, sous réserve des dispositions particulières prévues par la législation en vigueur; de gérer le domaine de la région. Il exerce les pouvoirs de police, notamment en ce qui concerne la circulation, sous réserve des attributions dévolues au représentant de l’Etat et au maire.

Les fonctions de Président du conseil régional sont incompatibles avec celles prévues à l’article 64 de la loi n°2004/019 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux régions Celles-ci connaissent une protection, notamment d’ordre constitutionnel. b)- La protection de la région

Chaque région est, d’après l’article 20 alinéa 2 de la constitution, représentée au sénat par 10 sénateurs dont sept sont élus au suffrage universel indirect sur la base régionale et 3 nommés par le Président de la République.

C’est l’article 47 de la constitution qui détermine les modalités de protection de la région. Trois hypothèses sont envisagées à cet effet. Premièrement, le Conseil constitutionnel statue souverainement en cas de conflits de compétences entre l’Etat et la région.

Deuxièmement, les présidents des exécutifs régionaux peuvent saisir le Conseil constitutionnel lorsque les intérêts de leur région sont en cause.

Troisièmement, les lois, les traités et accords internationaux peuvent, s’ils menacent les intérêts de la région, être déférés au Conseil constitutionnel par les présidents des exécutifs régionaux.

Il se dégage de ce qui précède que la constitution a prévu un mécanisme permettant de protéger la région contre les débordements et excès éventuels de l’Etat (lire B-R Guimdo D.

« Constitution et décentralisation au Cameroun… », op. cit.).

Les régions, comme les communes, ont des compétences qui sont déterminées et aménagées par les textes en vigueur.

§ 2- Les compétences des CTD

Les collectivités territoriales décentralisées n’ont pas de compétences du seul fait de leur création ou de leur existence. C’est l’État, en effet, qui, usant de ses prérogatives régaliennes, leur transfert certaines de ses compétences (A) et les répartit entre elles (B).

  1. Le transfert de compétences

L’Etat transfert aux collectivités territoriales décentralisées des compétences nécessaires à leur développement économique, social, sanitaire, éducatif, culturel et sportif.

Ces compétences ne sont cependant pas exclusives. Elles sont exercées concurremment par l’État et les collectivités territoriales décentralisées.  L’effectivité du transfert nécessite la mise à la disposition des collectivités territoriales décentralisées des ressources humaines, matérielles et financières idoines. 

En ce qui concerne les ressources humaines, il est reconnu aux collectivités territoriales décentralisées la possibilité de recruter et gérer librement le personnel dont elles ont besoin pour l’accomplissement de leurs missions. En outre, il peut leur être affecté des agents de l’Etat ou être détaché auprès d’elles des fonctionnaires de l’Etat.

S’agissant des ressources matérielles, elles sont constituées de l’ensemble des biens meubles et immeubles nécessaires à l’exercice des compétences transférées aux collectivités territoriales décentralisées.

Quant aux ressources financières, elles sont dévolues aux collectivités territoriales décentralisées soit par transfert de fiscalité, soit par dotation, soit par les deux mécanismes à la fois.

Au-delà de ce transfert de compétences de l’Etat aux collectivités territoriales décentralisées, il y a leur répartition entre elles.

  1. La répartition des compétences entre les CTD

Les collectivités territoriales décentralisées, que sont la région et la commune, ont des compétences que leur reconnaît le droit en vigueur.

Ce droit a, dans le cadre de la répartition desdites compétences, déterminé celles qui sont propres à chacune d’elles ainsi celles qui leur sont communes.

  1. Les compétences propres ou spécifiques

Il faut distinguer d’une part, les compétences propres aux communes, et, d’autre part, les compétences spécifiques aux régions.

a)- Les compétences spécifiques aux communes

Les compétences propres aux communes sont de deux ordres : intra et extracommunales.

  • Les compétences intra-communales sont réparties autour de la stimulation du développement communal, la création, la réalisation de certaines infrastructures, les prestations, notamment, la création et le reboisement, l’entretien des espaces verts, la création et la gestion des voiries municipales.
  • Les compétences extra-communales permettent aux communes d’effectuer, au plan économique, des réalisations, notamment, en créant et en aménageant certaines infrastructures. Elles leur permettent également d’intervenir dans le cadre de la création et de l’aménagement de certaines infrastructures sanitaires, sociales éducatives… b)- Les compétences spécifiques aux régions

Les compétences spécifiques aux régions sont aussi de deux ordres : intra-régionales et extrarégionales.

  • Les compétences intra-régionales semblent se limiter au cadre de la région ; c’est ce qui est visible au niveau du développement économique et des autres compétences.

On distingue ainsi les compétences intra régionales en matière de développement et les compétences intra régionales en matière de développement sanitaire et social.

Pour ce qui est du développement économique, il regroupe les questions relatives à l’urbanisme, à l’aménagement du territoire, à l’habitat, à la construction des routes, à leur réhabilitation et entretien.

Les compétences de la région concernent aussi la création et l’aménagement de certaines infrastructures ainsi que la mise en œuvre de certaines politiques relatives à l’alphabétisation et la formation professionnelle.

  • Les compétences extra-régionales sont celles qui ne se limitent pas au seul cadre de la région. Elles concernent aussi bien le développement économique que le développement social, sanitaire, éducatif, sportif et culturel. A titre d’exemple, les régions sont chargées d’appuyer et de renforcer certaines formations sanitaires et établissements sociaux, de prendre des mesures d’hygiène et de procéder à l’approvisionnement en médicaments.

Certes, les régions ont des compétences distinctes de celles des communes, mais elles ont aussi des compétences qu’elles partagent avec elles.

  1. Les compétences communes ou partagées

Il existe des domaines dans lesquels les communes et les régions sont toutes compétentes. Il s’agit, pour l’essentiel, de la planification, de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme et de l’habitat, de la santé, de l’action sociale et de l’éducation.

Ces compétences transférées et reparties aux collectivités territoriales décentralisées par l’Etat sont exercées sous le contrôle de l’exécutif, voire du juge administratif.

§ 3- Le contrôle de l’Etat sur les CTD 

Pour le Pr René Chapus, « la collectivité étatique a la charge de pourvoir aux besoins généraux de l’ensemble de la population se trouvant dans la limite de son territoire ».Quant aux collectivités territoriales décentralisées, elles administrent dans la limite de certaines parties du territoire en essayant autant que faire se peut de pourvoir aux besoins de la population qui se trouve dans leur aire géographique.  Ces collectivités infra étatiques agissent, cependant, sous le contrôle de l’Etat.

Ce contrôle se justifie à plusieurs titres. Il permet d’assurer l’unité de l’Etat et le respect de la loi. Bien évidemment, ce contrôle ne doit pas porter atteinte à l’idée même de la décentralisation.

Au regard du droit en vigueur au Cameroun, ledit contrôle est exercé d’une part par l’administration d’Etat (A), et, d’autre part, par le juge administratif (B).

  1. Le contrôle exercé par l’administration d’Etat

Aux termes de la loi n°2004/017 du 22 juillet 2004 portant orientation de la décentralisation, notamment en son article 66, « l’Etat assure la tutelle sur les collectivités territoriales décentralisées (…). Les pouvoirs de tutelle (…) sont exercés, sous l’autorité du Président de la République, par  le Ministre chargé des collectivités territoriales et par le représentant de l’Etat dans la collectivité territoriale ».

La tutelle sur les régions est assurée par le gouverneur, qui est le délégué de l’Etat dans la région. Quant à la tutelle sur la commune, elle est exercée par le préfet. Ce contrôle est exercé aussi bien sur les organes des collectivités territoriales décentralisées que sur leurs actes.

  1. Le contrôle sur les organes Les organes de l’exécutif étatique, notamment le Président de la République et le Ministre chargé des collectivités territoriales décentralisées, disposent ou détiennent le pouvoir de suspension, de dissolution, de substitution sur les organes des collectivités territoriales décentralisées en cas de violation des lois et règlements en vigueur ou de faute lourde.
  2. Le contrôle sur les actes

Les actes accomplis par les autorités des collectivités territoriales décentralisées sont soumis au contrôle de l’exécutif étatique. Ainsi, certains sont transmis au représentant de l’Etat compétent pour visa ou pour approbation préalable. D’autres, notamment les actes réglementaires, sont, certes exécutoires de plein droit une fois qu’ils sont publiés ou notifiés aux intéressés, mais sont tout de même transmis aux représentants de l’Etat.

Les décisions prises par les organes décentralisés et qui concernent les finances, les conventions de coopération internationale, les affaires domaniales, les délégations de service public, les recrutements de certains personnels, sont soumises à l’approbation du représentant de l’État. Ce dernier peut annuler les actes manifestement illégaux, notamment en cas d’emprise irrégulière et de voie de fait, à charge pour la collectivité territoriale décentralisée concernée de saisir la juridiction administrative compétente. Cette dernière intervient aussi sur saisine de l’autorité de tutelle ou d’un particulier pour contrôler la légalité des actes des CTD.

  1. Le contrôle exercé par le juge administratif

L’Etat peut, au moyen du déféré administratif, saisir le juge administratif pour qu’il statue sur la légalité des actes pris par les autorités des collectivités territoriales décentralisées.

Par ailleurs, le juge administratif peut, à la demande de l’Etat, prendre des mesures conservatoires tel que le sursis à exécution, notamment lorsque l’acte attaqué est de nature à compromettre l’exercice d’une liberté publique ou individuelle. Lorsqu’il en est ainsi, « le président de la juridiction saisie (…) prononce le sursis dans un délai maximal de 48 heures» (article 72 aliéna 2 de la loi n°2004/017).

Au total, le juge administratif est amené, dans le cadre de ce contrôle à édicter, selon les cas, deux types de mesures : les mesures provisoires (le prononcé du sursis à exécution) et les mesures définitives (l’annulation)[1].

Les collectivités territoriales décentralisées sont certes sous le contrôle de l’Etat, mais il existe des organes spécialisés crées par l’Etat pour suivre ou appuyer leurs actions.

§ 4- Les organes de suivi et d’appui des CTD

L’État a créé des organes spécialisés en vue d’aider les collectivités territoriales décentralisées tant sur le plan financier que sur le plan de la réalisation des projets, de la formation et du perfectionnement de leur personnel. Certains de ces organes sont des organes de suivi, tandis que d’autres sont des organes d’appui.

  • Les organes de suivi

L’Etat a créé un Conseil National de la Décentralisation et un Comité interministériel des Services locaux.  

Les décrets n° 2008/013 et 2008/014 du 14 janvier 2008 portent respectivement organisation et fonctionnement du Conseil National de la Décentralisation et du Comité Interministériel des Services Locaux.  Ce sont des organes de suivi de la décentralisation créés par la loi d’orientation de la décentralisation.

  • Le Conseil National de la Décentralisation est chargé du suivi et de l’évaluation de la mise en œuvre de la décentralisation.
  • Le Comité Interministériel des Services Locaux est chargé de l’élaboration du programme des transferts de compétences et des ressources, de l’évaluation des moyens humains et matériels nécessaires à l’exercice des compétences transférées, de l’évaluation du coût des charges transférées et de la formulation des propositions, des modalités de financement desdits transferts par l’Etat. Que dire des organes d’appui des CTD ?
  • Les organes d’appui
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Les organes d’appui sont, entre autres, le FEICOM (fonds spécial d’équipement et d’intervention intercommunal) et le CEFAM (Centre de Formation pour l’Administration Municipale).

  • Le FEICOM

Le FEICOM est un organisme autonome doté de la personnalité juridique et de l’autonomie financière (établissement public administratif).

Il est destiné, entre autres, à l’entraide entre les communes (avances de trésorerie) ou financement des travaux d’investissements communaux ou inter communaux ; à la couverture des frais d’assiette et de charges de recouvrement des recettes fiscales ; à la couverture des frais relatifs à la formation du personnel communal et de celui de l’Etat civil.

Pour parvenir à ses fins, le FEICOM est alimenté par les ristournes en totalité ou en partie ; les subventions de l’Etat ; toutes autres ressources qui lui sont affectées ; une fraction du produit des contributions des patentes et licences et de la taxe sur le bétail.

  • Le CEFAM

Le CEFAM est un établissement public doté de la personnalité juridique et de l’autonomie financière. Il est chargé d’assurer la formation, le perfectionnement et le recyclage des personnels administratifs et techniques des communes, des syndicats de communes et des personnels chargés de la tutelle sur les communes. L’offre de  formation du CEFAM se répartit dans 3 cycles. Pour l’heure, sont fonctionnels le 1er et le  2ème cycles.

La mission assignée au CEFAM est d’accroître l’efficacité de ces personnels, notamment ceux des communes.

Mais, l’absence d’une fonction publique communale fait que les agents qui y sont formés n’ont pas la qualité de fonctionnaires. Ils sont formés selon les besoins exprimés par les communes, lesquelles interviennent financièrement dans leur formation.

Au total, la décentralisation a connu au Cameroun une évolution significative. Mais, si beaucoup a été fait, beaucoup reste encore à faire. Les collectivités territoriales décentralisées doivent donc recevoir de l’Etat aujourd’hui plus qu’hier un appui multiforme, mais,  dans le même temps, elles doivent savoir s’assumer pour que la décentralisation, qui est une nécessité, se justifie et soit pleinement vécue. Quid à présent des administrations spécialisées ?

Section 2 : Les administrations spécialisées

L’administration spécialisée ou personne administrative spécialisée se distingue des collectivités territoriales que sont l’Etat et les CTD. Elle a un objectif particulier à savoir la gestion d’un service public spécialisé.

Au Cameroun, l’administration spécialisée est incarnée notamment par l’établissement public et le groupement d’intérêt public.

Paragraphe 1 : L’établissement public

Le procédé de l’établissement public, qui est le plus répandu en droit public, implique la création d’une nouvelle personne morale de droit public (création de l’université de Yaoundé II) qui relève de la décentralisation par service, verticale ou fonctionnelle.

C’est le législateur qui est compétent, au regard de la constitution,  pour créer les catégories d’établissements publics. Ainsi, un établissement public de type nouveau ne peut être crée que par lui.

A contrario, c’est l’autorité administrative centrale (le Président de la République) ou décentralisée (l’organe délibérant) qui est compétent pour créer un établissement public dans une catégorie existante et selon les règles de compétence que la loi a fixée et y met fin. Cette fin peut résulter soit de la suppression de l’activité dont la gestion lui est confiée (exemple : suppression de la formation universitaire), soit du retrait de la personne morale (exemple : la liquidation ou le retour à la gestion en régie), soit enfin de la privatisation.

Il convient, au regard de ce qui précède, de déterminer d’abord l’être juridique de l’établissement public avant d’examiner sa vie juridique.

A- L’être juridique

L’être juridique de l’établissement public concerne à la fois ses caractères généraux et sa typologie.

L’Etablissement public est une personne morale de droit public qui assure la gestion d’un service public spécialisé.

L’absence d’homogénéité de la catégorie amène à penser que l’on peut multiplier la typologie des établissements publics.

On distingue l’établissement public à caractère corporatif ou de corporation et l’établissement public fondatif ou de fondation ; l’établissement public national et l’établissement public local ; l’établissement public administratif et l’établissement public à caractère industriel et commercial.

La loi n°2017/010 du 12 juillet 2017 portant statut général des établissements publics  (qui abroge la  loi n°99/016 du 22 décembre 1999 portant statut général des établissements publics et des entreprises du secteur public et parapublic),  définit (article 4§4) l’établissement public comme une « personne morale de droit public dotée de la personnalité juridique et de l’autonomie financière, chargée de la gestion d’un service public ou de la réalisation d’une mission spéciale d’intérêt général pour le compte de l’Etat ou d’une collectivité territoriale décentralisée » (L’article 2 et 3 de la loi n°99/016 le définissait comme une « personne morale de droit public dotée de l’autonomie financière et de la personnalité juridique, ayant reçu de l’Etat ou d’une personne collectivité territoriale décentralisée un patrimoine d’affectation en vue de réaliser une mission d’intérêt général ou d’assurer une obligation de service public »).

Les établissements publics appartenant à l’Etat sont créés par décret du Président de la République. Ceux appartenant à une collectivité territoriale décentralisée sont créés par décision de son organe délibérant.

L’acte de création d’un établissement public appartenant à l’Etat précise notamment ses missions, le patrimoine d’affectation ainsi que le ministère qui assure la tutelle technique, les organes chargés de la gestion, leur domaine de compétence, les modalités de désignation des personnes qui en ont la charge, de même que les règles de fonctionnement desdits organes. Il est à préciser que les établissements publics administratifs n’ont pas la qualité de commerçant. On peut citer, à titre d’exemple, l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature (ENAM), l’Agence de Régulation du Secteur de l’électricité (ARSEL), le Conseil National des Chargeurs (CNC), l’Agence d’Electrification rurale (AER), l’Autorité Portuaire Nationale (APN), etc.

Avant la loi n°99/016, les établissements à caractère industriel et commercial  étaient des personnes morales de droit public certes, mais leur activité ainsi que  la gestion de leurs rapports avec les usagers, la clientèle et le personnel étaient régies par le droit privé.

Cette loi a supprimé cette catégorie d’établissement en instituant en ses lieux et place la société à capital public, aujourd’hui régie par la loi n°2017/011 du 12 juillet 2017 portant statut général des entreprises publiques, qui a abrogé la précédente.

D’après l’article 3 §10 de cette loi, la société à capital public est une « personne morale de droit privé dotée de l’autonomie financière et d’un capital action intégralement détenu par l’Etat, une ou plusieurs collectivités territoriales décentralisées, créée en vue de l’exécution dans l’intérêt général, d’activités présentant un caractère industriel, commercial et financier »  (D’après l’article 2 (5) de la loi n°99/016 abrogée, la société à capital public était « une personne morale de droit privé dotée de l’autonomie financière et d’un capital action intégralement détenu par l’Etat, une ou plusieurs collectivités territoriales décentralisées, une ou plusieurs autres sociétés à capital public, créée en vue de l’exécution dans l’intérêt général, d’activités présentant un caractère industriel, commercial et financier »).

En instituant ce type de société, la loi n°99/016 se conformait ainsi aux règles et principes édictés par l’Acte uniforme n°2 de l’OHADA relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique et le traité de la CEMAC. Un tel changement a des implications tant au niveau de la création ladite société qu’au niveau de sa gestion, sa dissolution ou sa liquidation. Il s’agit là d’une mutation juridique profonde qui a affecté la distinction des établissements publics.

Quoiqu’il en soit, il existe à côté de l’établissement public à caractère administratif d’autres formes d’établissements publics (à caractère social, hospitalier, culturel, scientifique, technique, professionnel, économique et financier, spécial).

Un établissement public peut revêtir une ou plusieurs formes (article 2.2 de la loi n°2017/010) et des lois particulières peuvent, en tant que de besoin, créer d’autres formes d’établissements publics (article 1.3 de la loi n°2017/010) de par leur nature intrinsèque et les missions qui sont les leurs.

Les Chambres consulaires (organismes consultatifs telles la Chambre de commerce, de

l’industrie, des mines et de l’artisanat et la Chambre d’Agriculture, de l’Elevage et des pêches) sont exclues des dispositions de la loi n°2017/010. Que dire de la vie juridique des établissements publics ?

B- La vie juridique

La vie juridique dont il s’agit concerne aussi bien l’organisation, le fonctionnement que le contrôle des établissements publics par l’Etat.

Elle est régie par des règles contenues dans la loi n°2017/010 et les textes qui créent lesdits établissements publics.

1- L’organisation

L’organisation des EP n’est pas uniforme. On peut cependant en dégager des traits essentiels qui les rapprochent. Ces traits sont relatifs aux organes et ressources.  a)- Les organes

En ce qui concerne les organes, ils constituent l’expression de l’autonomie des établissements publics car, ils leur sont propres. On distingue d’une part, l’organe délibérant, qui est le conseil d’administration ou ce qui en tient lieu, et, d’autre part, l’organe exécutif, qui est représenté par la direction générale ou par toute autre instance, c’est le cas du Recteur pour l’Université d’Etat.

Le conseil d’administration a les pouvoirs les plus étendus. Il délibère sur l’ensemble des affaires qui ressortissent du champ compétenciel de l’établissement public. Sa composition est déterminée par le texte qui crée et organise l’établissement public concerné.

Quant à l’organe exécutif, il est chargé d’exécuter les décisions prises par l’organe délibérant et de l’administration générale de l’établissement public.

Les membres de l’organe délibérant (Conseil d’administration) ainsi que ceux de l’organe exécutif sont nommés par l’autorité ayant compétence pour créer l’établissement public.

b)- Les ressources

L’établissement public possède un patrimoine matériel et immatériel. Dans le domaine financier, son autonomie se traduit essentiellement par l’existence d’un budget autonome, c’est-à-dire un budget distinct de celui de la collectivité territoriale dont il dépend et adopté par ses organes compétents. Ce budget est alimenté par les ressources propres et les subventions de l’Etat.

L’Etablissement public a aussi un  personnel. Celui-ci se décompose en trois catégories : les fonctionnaires, les agents de l’Etat, les agents recrutés par l’établissement public lui-même. Quid du fonctionnement des établissements publics ?

  • Le fonctionnement

De même que la loi s’attache à définir les règles qui encadrent la création et l’organisation des établissements publics, elle détermine aussi leur mode de financement, lequel est précisé par les différents textes créant lesdits établissements publics. Ainsi, l’établissement public jouit des prérogatives de puissance publique et assure des missions de service public. Ses organes de gestion prennent des décisions exécutoires et passent des contrats, notamment administratifs.

Par ailleurs, l’établissement public, parce qu’il jouit d’une autonomie financière, a vocation à « administrer (…), gérer librement les biens meubles, immeubles, corporels, incorporels, et en numéraire constituant son patrimoine propre en vue de réaliser son objet social » (article 4 §2, loi n°2017/010).

A travers son autonomie financière, l’établissement public  peut pourvoir à toutes les dépenses en fonction des recettes liées à son activité ou alors au soutien de la collectivité territoriale dont il dépend (Etat ou CTD). Sa comptabilité relève de la comptabilité publique.  Au demeurant, l’autonomie de l’établissement public n’est pas absolue. En effet, crée et organisé par la collectivité territoriale (Etat ou CTD), l’établissement public est soumis à son contrôle.

  • Le contrôle de l’Etat

Le contrôle ou tutelle administrative est la contrepartie de l’autonomie de l’établissement public. Ce contrôle s’exerce tant sur la personne des organes que sur les leurs actes, leur gestion et son patrimoine.

Le contrôle sur la personne des organes des établissements publics se traduit par la nomination des dirigeants et leur relèvement de fonctions.

Quant au contrôle matériel, il intervient en matière patrimoniale. C’est ainsi que l’acceptation des libéralités par les établissements publics est soumise à l’autorisation préalable de l’autorité de tutelle. Il intervient également en matière financière. En effet, l’exécution du budget est soumise au contrôle étroit de l’autorité de tutelle. Il intervient, enfin en matière administrative car, les actes d’administration des organes des établissements publics sont soumis avant et après leur édiction à l’autorité de tutelle. Mais, comme Janus Biface, la tutelle administrative est aussi lâche.

Depuis 2010, il existe un  autre type d’administration spécialisée au Cameroun, à savoir le groupement d’intérêt public (GIP).

Paragraphe 2 : Le groupement d’intérêt public

Le procédé du groupement d’intérêt public implique la création d’une nouvelle personne morale de droit public qui relève de la décentralisation par service, verticale ou fonctionnelle.

Le groupement d’intérêt public (GIP) a pour base juridique la loi n°2010/023 du 21

  1. 2. Il convient de déterminer décembre 2010 fixant le statut du groupement d’intérêt public d’une part son être juridique et, d’autre part, sa vie juridique.

A- L’être juridique

D’après la loi n°2010/023, le groupement d’intérêt public est une personne morale de droit public. Il dispose ainsi de la personnalité juridique et de l’autonomie financière. Il est constitué entre l’Etat ou une collectivité territoriale décentralisée et d’autres personnes morales de droit public ou de droit privé. Il a pour but de permettre à ses créateurs

« d’exercer ensemble des activités ayant un caractère de mission de service public, dans un domaine bien déterminé » (article 2 al. 1). Il s’agit d’une institution à but non lucratif.

Les domaines dans lesquels peut être créé le GIP sont : la recherche, l’action sanitaire et sociale, le développement scientifique et technologique, l’éducation et les activités culturelles et sportives (V. article 2 al. 2).

Les personnes physiques ne peuvent pas faire partie du GIP. Elles doivent préalablement s’associer dans un regroupement conformément à la loi.

Le GIP est créé par une convention signée entre les parties au cours d’une assemblée générale constitutive. Cette convention doit comporter la dénomination précédée ou survie de la  mention « GIP » ; l’objet et la durée ; la date et le lieu de la signature ; l’organisation ; le siège social ; l’identité des parties, leurs responsabilités ou rôles particuliers. La convention doit déterminer la nature et la valeur en argent des apports de chaque partie, de même que les modalités de leur mise à disposition au GIP. Ces apports deviennent le patrimoine du GIP qui détermine les conditions de leur affectation et de leur utilisation.

La convention instituant le GIP est approuvée par arrêté du premier ministre à la diligence du ministre responsable du secteur d’activités concerné par ledit GIP.

C’est à compter de la signature de l’arrêté d’approbation que le GIP acquiert la personnalité juridique. Cet arrêté ainsi que la convention de création du GIP sont publiés au

                                             

2 Pour plus d’information sur cette loi, notamment l’intégralité du texte, voir Cameroun Tribune n°9749/5950 du jeudi 23 décembre 2010.

journal officiel. Toute modification des stipulations de la convention sont transmises au premier ministre pour approbation et insertion au journal officiel.

La durée de vie d’un GIP peut être prorogée sur délibération de son assemblée générale, copie de la résolution est transmise au premier ministre pour approbation et publication au journal officiel.

B- La vie juridique

La vie juridique du GIP concerne aussi bien son organisation que son fonctionnement.

1- L’organisation

L’organisation du GIP concerne ses organes et ses ressources.  a)- Les organes

Les organes du GIP sont : l’Assemblée générale, le Comité de gestion et l’administrateur. L’Assemblée générale est l’organe délibérant et de pilotage stratégique du GIP. Elle est composée des représentants des parties à la convention dument mandatés.

Elle est compétente, entre autres, pour réaliser l’objet du GIP ; déterminer la stratégie d’intervention du GIP ; approuver ses comptes ; admettre ou exclure une partie ; désigner les membres du comité de gestion ; examiner et approuver les rapports du comité de gestion ; recruter et nommer l’administrateur, et recruter ou nommer le commissaire aux comptes. L’A.G. se réunit une fois par an en session ordinaire. En tant que de besoin, elle peut se réunir en session extraordinaire.

Quid du comité de gestion ?

Le Comité de gestion assure la direction générale et le bon fonctionnement du GIP. A ce titre, il prépare les sessions de l’AG, suit l’exécution de ses décisions ; supervise la gestion du GIP ; dialogue avec les acteurs clés du système dans lequel le GIP opère.

C’est la convention de création du GIP qui détermine l’étendue du mandat, les responsabilités et la composition du comité de gestion. Qu’en est-il de l’administrateur ?

L’administrateur : c’est la convention de création du GIP qui fixe les modalités de son recrutement et ses missions. Sous l’autorité du comité de gestion, il assure l’administration et la gestion opérationnelle et quotidienne du GIP. Que dire des ressources de celui-ci ?

b)- Les ressources

Les ressources du GIP sont humaines et financières.

Les ressources humaines : Le GIP peut employer des personnels propres recrutés directement suivant les modalités prévues dans la convention de création. Ces personnels doivent justifier des qualifications spécifiques et permettre de satisfaire un besoin précis pour une durée déterminée.

Le GIP peut également employer des agents publics (par la mise à disposition ou par détachement) ou des personnels qui lui sont affectés par des personnes morales de droit public ou de droit privé qui sont parties à la convention. Qu’en est-il des ressources financières du GIP.

Les ressources financières du GIP sont composées des apports des parties, des produits de son activité, des dons et legs et des subventions. Ces ressources sont des deniers publics. A ce titre, leur gestion est soumise au contrôle des institutions publiques chargées du contrôle et de la vérification de la régularité et de la sincérité des opérations de gestion des finances publiques. On peut alors s’étonner que la loi affirme aussi que « les ressources du groupement d’intérêt public sont gérées suivant les règles de la comptabilité privé (sic !) ». Erreur de rédaction à la base ou reproduction erronée  du texte par le journal Cameroon Tribune[2] ou alors formule consacrée à dessein par le législateur pour bien montrer que le GIP a un régime juridique dual ou hybride, c’est-à-dire mi- public mi- privé, afin de se conformer ainsi dans une certaine mesure au droit OHADA ? D’ailleurs, le fonctionnement du GIP ne repose-t-il pas sur des règles mixtes ?

2- Le fonctionnement

Alors que la loi s’attache à définir les règles qui encadrent la création de l’organisation du GIP, elle se contente d’indiquer que les modalités de son fonctionnement sont fixées par la convention qui le crée (V. article 13). Le GIP n’est pas assujetti aux dispositions du Code des marchés publics. Par ailleurs, les litiges nés de l’interaction entre les parties à la convention de création du GIP d’une part, et des rapports entre le GIP et les tiers, d’autre part, relèvent, suivant leur nature, du juge compétent. Il devrait s’agir, dans le premier cas du juge administratif (les parties à la convention étant l’Etat ou une collectivité territoriale décentralisée et d’autres personnes morales de droit public ou de droit privée) ou du juge judiciaire (si le tiers est une personne privée).

Le GIP peut être dissout soit par l’arrivée à son terme, soit par la réalisation ou l’extinction de son objet social, soit enfin par décision de l’assemblée des membres, suivant les modalités fixées par la convention qui le crée. Cette dissolution entraine sa liquidation, laquelle s’effectue conformément aux clauses de la convention de création. En cas de silence de cette dernière, c’est à l’AG qu’il revient de prononcer ou de constater la dissolution du GIP, de nommer un liquidateur et fixer sa rémunération.

Si dans un délai de 30 jours l’AG n’a pas nommé de liquidateur, ce dernier est nommé, à la demande d’un membre ou d’un créancier du GIP, par décision de justice qui fixe également les conditions de sa rémunération (article 27).

Il convient d’indiquer que les modalités de contrôle administratif ou de tutelle du GIP par l’Etat ou toute autre personne publique ne sont pas déterminées par la loi fixant le statut du GIP.

In fine, l’étude des administrations spécialisées montre et démontre, à suffisance, la complexité de l’administration publique tant en ce qui concerne son organisation que son fonctionnement, notamment son activité.

IIème  PARTIE

L’ACTION DE  L ‘ADMINISTRATION

En tant que  sujet de droit, l’administration participe à la vie et au commerce juridiques dans l’Etat. C’est  un acteur juridique dont le rôle et la contribution dans la construction de l’ordre juridique et matériel sont d’une importance indéniable.

L’administration intervient dans la vie  juridique essentiellement  pour satisfaire l’intérêt général et/ou prévenir  la survenance d’un événement susceptible de remettre en cause l’harmonie ou la paix sociale. Ainsi, son activité est à la fois juridique et matérielle.

TITRE I

L’ACTION  JURIDIQUE  

L’activité  juridique de l’administration est double. Elle consiste d’une part à édicter des actes administratifs dits  unilatéraux qui sont la manifestation de sa seule volonté, et, d’autre part, à conclure des actes administratifs plurilatéraux ou contrats administratifs, lesquels constituent la rencontre de  deux  ou plusieurs volontés, celle de l’administration et celle d’un ou des tiers.

SOUS/TITRE I

L’ACTION UNILATERALE : L’ACTE ADMINISTRATIF DECISOIRE

De toutes les prérogatives de puissance dont dispose l’administration, la plus importante est indiscutablement celle qui consiste à prendre des actes décisoires, c’est à dire des actes qui font naître unilatéralement des  obligations à la charge des tiers et/ ou  des droits à leur profit,  sans leur consentement.

L’acte administratif décisoire se manifeste, pour l’essentiel, à travers le pouvoir réglementaire ; par ailleurs, il  et est régi par un ensemble de règles juridiques.

CHAPITRE I 

LE POUVOIR REGLEMENTAIRE

Jean Rivero définit le  pouvoir réglementaire comme  « le pouvoir de statuer par voie  générale accordé à des autorités autres que le parlement soit nationale soit locale » (v. Droit administratif, Dalloz , Paris , 1987, p. 80; voir également, Jean Rivero et Jean  Waline , Droit  administratif ,18ème édition, Dalloz , Paris, 2000 ,p. 65).

C’est une définition sommaire et imprécise quant à l’identification de l’autorité compétente  pour exercer le pouvoir réglementaire. Cette autorité, insuffisamment   identifiée, n’est opposée qu’au Parlement. Est-ce à dire qu’elle peut être aussi juridictionnelle ou diplomatique ? Par ailleurs, l’auteur n’indique pas l’acte par lequel l’autorité  en question statue « par voie générale ».

La définition proposée par Georges Vedel est plus précise mais est relativement  incomplète. D’après l’éminent auteur, « le pouvoir réglementaire est le  pouvoir de faire des règlements. C’est – à – dire de prendre des décisions exécutoires de caractère général et impersonnel » (G.Vedel et P. Delvolvé, Droit administratif, 10 éd., Paris, PUF, 1988, p.288). C’est une définition incomplète parce que l’auteur n’indique pas l’organe habilité à exercer un tel pouvoir.

Au regard de ce qui précède , on peut appréhender le  pouvoir réglementaire comme le pouvoir reconnu aux autorités  administratives ( ou non)  de faire des règlements ou des  actes  réglementaires , c’est à dire des actes exécutoires ayant un  caractère général et  impersonnel.

Il se dégage de cette définition que le  pouvoir réglementaire ne s’exerce pas ex nihilo (à partir de rien) mais qu’il  a des bases juridiques à partir desquels on peut identifier les autorités qui en sont investies.

Section 1 : Les fondements juridiques 

En règle générale, le pouvoir réglementaire est exercé par le pouvoir exécutif. Ce dernier, qui a pour mission d’exécuter  les lois votées par le parlement, veille à la bonne marche de l’administration. Il assure ses différentes missions au moyen de l’acte administratif unilatéral  dont l’une des composantes essentielles est l’acte réglementaire (l’autre composante étant l’acte non réglementaire).

Au Cameroun, le pouvoir réglementaire à  une base juridique  ternaire (une triple base). Celle-ci est constitutionnelle, législative et réglementaire (en France, le pouvoir réglementaire a, en plus de ces trois bases, une base jurisprudentielle depuis  l’arrêt Jamart rendu par le Conseil d’Etat le 07février 1936, à propos du pouvoir réglementaire des ministres. Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat pose que, « même dans le cas  où les ministres ne tiennent d’aucune disposition même législative un pouvoir réglementaire, il leur appartient, comme  à tout chef de service, de prendre les mesures nécessaires au bon fonctionnement de l’administration placée sous leur autorité » (Dans le même sens, CE, Sect., 8 janvier 1982, Sarl Chocolat de Dardenne).

  • 1 – Le fondement constitutionnel

C’est la Constitution qui organise la séparation des pouvoirs  dans l’Etat. C’est elle qui détermine  les attributions des organes qu’elle a institués soit directement, soit  indirectement (par renvoi à la  loi ou au règlement).

La base constitutionnelle du pouvoir réglementaire n’est pas indissociable  de celle du droit administratif, car c’est la Constitution qui institue organiquement et fonctionnellement le pouvoir réglementaire et  en  indique les limites. On peut la considérer comme la base  juridique originaire du pouvoir réglementaire.

Le pouvoir réglementaire consacré par la Constitution à deux dimensions. La première est  intimement liée à la  loi : c’est  le pouvoir réglementaire d’application des lois. Quant à la seconde, elle ne dépend pas de la loi : c’est  le pouvoir réglementaire autonome. L’un est restreint et dépendant ou subordonné, tandis que l’autre est étendu, non dépendant et non subordonné.

La Constitution camerounaise du  18 janvier  1996 a consacré ces deux dimensions du pouvoir réglementaire (la loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la constitution du 2 juin 1972).

A- Le fondement constitutionnel du pouvoir réglementaire subordonné

La mise en œuvre du pouvoir réglementaire subordonné consiste à édicter des règlements d’application ou d’exécution des lois. De tels règlements sont nécessaires, car grâce  à eux, le législateur peut se contenter, comme  il convient, à n’inclure dans les lois que des dispositions de premier rang et ayant vocation à la permanence; les autres étant prises par acte réglementaire.

Il convient,  pour cerner l’étendue du pouvoir  réglementaire, de rappeler le domaine de la loi tel que consacré par l’article  26 de la Constitution du 18 janvier 1996. Il s’agit, « in globo », des droits, garanties et obligations  fondamentaux du citoyen ; du statut des personnes et du régime des biens; de l’organisation politique, administrative et judiciaire; des questions financières et patrimoniales ; du programme des objectifs de l’action économique et  sociale  et du régime de l’éducation.

Dans certaines de ces matières, le législateur peut, à volonté, descendre aussi loin qu’il lui plaît dans les détails des mesures qu’il juge utile, ou laisser à l’exécutif le soin de prendre des mesures d’application.

Dans d’autres, par contre, il peut se contenter d’énoncer des principes fondamentaux et  il revient à l’exécutif  de prendre des mesures  d’application ou d’organisation y afférentes. Dans le premier cas, le pouvoir réglementaire dispose d’un “domaine résiduel” qui est celui  de prendre des mesures d’application que le législateur n’a pas prises et lui demande de le faire. Dans le second cas, le pouvoir réglementaire dispose d’un “domaine propre “, moins dépendant, mais qui se  limite  à toutes les mesures   qui ne mettent pas en cause les principes fondamentaux énoncés par le législateur.

Quoiqu’il  en soit, dans  un cas comme dans l’autre, il y a place  pour des règlements d’application. L’exécutif ne devrait donc pas, parce que  déposant d’un domaine moins dépendant, prendre des règlements contraires aux principes énoncés par le législateur. De tels  règlements seraient illégaux et susceptibles de recours pour excès de pouvoir.

B- Le fondement constitutionnel du pouvoir  réglementaire autonome

L’exercice du  pouvoir réglementaire autonome  ne dépend pas du législateur; autrement dit, il ne nécessite nullement une habilitation législative.

Il se dégage de cette considération que dans les domaines qui ne font l’objet d’aucune  réserve au profit du législateur, le pouvoir réglementaire se déploie dans toute son étendue, sous réserve du respect des principes généraux du droit, et peut arrêter librement  toute mesure de principe ou d’application que l’on nomme règlement autonome.

La Constitution du  18 janvier 1996, en son article  27, énonce à ce sujet que « les matières autres que celles qui sont du domaine de la  loi ressortissent au pouvoir réglementaire ».

Cette disposition constitutionnelle consacre un  domaine d’action propre au pouvoir réglementaire. Cela signifie-t-il que les règlements autonomes, qui sont l’expression normative du pouvoir réglementaire, ont le même niveau ou la même valeur que la loi ? Rien dans le texte constitutionnel ne permet de l’affirmer ou de l’infirmer. Par ailleurs, il n’existe pas de jurisprudence  administrative au Cameroun qui règle cette question. Il convient par conséquent de se référer au droit positif   français en la matière pour esquisser des éléments de réponse.

Le Conseil d’Etat  a, dès 1959 (CE, 28 Janvier 1959, Syndicat général  des Ingénieurs conseils) imposé la soumission des règlements autonomes aux principes du droit. Pour le Doyen Georges Vedel, cette position du Conseil d’Etat « condamnait  la thèse de l’égalité de la loi et du règlement autonome ».  Le Pr René Chapus en déduit, quant à lui, que « loi et règlement autonome ont chacun leur rang, ils sont séparés et inégaux ». Cette position a été confortée par la reconnaissance des principes généraux du droit par le Conseil d’Etat français dont certains ont d’ailleurs  valeur constitutionnelle.

Il se dégage de ces considérations  que le règlement, même autonome, n’est qu’une variété de décisions administratives susceptibles de recours  pour excès de pouvoir, à la différence de la loi, qui est insusceptible d’un tel recours  et qui ne peut être appréciée que  par rapport à la Constitution, en principe, avant sa promulgation (certains auteurs parlent d’un acte incontestable ou inattaquable par opposition au règlement qui est contestable ou attaquable).

Il faut relever que  la Constitution  française protège  les matières réservées au pouvoir réglementaire contre les intrusions du pouvoir législatif (voir articles 37 (2) et 41 de la Constitution du 4 octobre 1958).

Un  tel mécanisme de protection n’existe pas dans la  constitution camerounaise  du 18 janvier 1996.   Seulement, sur cette question, le Conseil constitutionnel français  a jugé que les lois votées dans les matières réglementaires ne sont pas de ce fait même contraires à la Constitution; simplement n’étant pas à leur place, elles pourront être délégalisées (CE, 30 Juillet 1982, Blocage des Prix et des Revenus).

  • 2 – Le fondement législatif

Il s’agit d’une base juridique dérivée on secondaire, car elle tire sa légitimité de la Constitution. Celle- ci  énonce, en effet, dans certaines de ses dispositions que telle  ou telle matière sera fixée par la loi. Il en est ainsi, par exemple, du régime de l’élection à la

Présidence de la République (art. 6. 6) ; du régime de l’état d’urgence (art. 9.1) ; du régime de l’élection à l’Assemblée nationale et au  Sénat (art. 14. 6) ; de l’organisation, du fonctionnement et du régime financier des collectivités territoriales décentralisées (art. 55. 5) ; du régime des associations et des partis politiques (art. 26.2 ; c2) ; du régime du travail, du droit syndical et du régime de la protection sociale (art 26. 2 a .3) ; enfin du statut général des établissements publics (loi n°2017/010 du 12 juillet 2017) et du statut général des entreprises publiques (loi n°2017/011 du 12 juillet 2017).

Tous les règlements pris en application des  lois régissant ces matières ont ainsi  un  fondement  législatif; par conséquent, ils ne peuvent  pas  remettre en cause  ou violer les dispositions desdites  lois.

Il  y a lieu d’indiquer, cependant, que le fondement ou la base législative du pouvoir réglementaire ne concerne pas les règlements autonomes, qui ont un fondement exclusivement constitutionnel. Ces règlements constituent ou peuvent constitués des bases juridiques d’autres  règlements dits  dérivés.

  • 3 – Le fondement réglementaire

Un règlement peut être pris en application d’un autre règlement qui lui est supérieur.

Pour cette raison, il  doit se conformer à ce dernier, puisque  c’est de lui qu’il tire sa légitimité juridique A titre d’exemple, les statuts particuliers dans la Fonction publique sont des règlements qui tirent leur légitimité juridique du Statut général de la Fonction publique de l’Etat. Il existe   d’autres règlements qui sont ou qui  peuvent constituer la base juridique d’autres règlements.  Il en ainsi  du  décret précisant les attributions du Premier Ministre (décret n°92/089 du 4 mai 1992 modifié et complété par le décret n°95/145-bis du  4 août 1995), du décret portant réorganisation de la Présidence de la République (décret n° 2011/412 du 09 décembre 2011), du décret portant organisation du gouvernement (décret n°2011/408 du 09 décembre 2011, complété par le décret n°2018/190 du 02 mars 2018).

A la différence de constitution, qui fonde le pouvoir réglementaire général et initial, le règlement, comme la loi, fonde le pouvoir réglementaire dérivé ou délégué. Mais, toutes ces normes déterminent les autorités investies du pouvoir réglementaire.

Section  2 : les autorités habilitées

Les autorités investies du pouvoir réglementaire au Cameroun sont nombreuses. Les textes et la pratique montrent qu’il y a une tendance à la dispersion des compétences. Il faut aussi dire que cette dispersion se justifie par la recherche de la célébrité, de l’efficacité et le souci de rapprocher l’administration de l’administré. Mais une telle dispersion peut ouvrir de voies à des interprétations variables et à une pratique assez incertaine. Certes, cette dispersion connaît des garde-fous que sont, en particulier le contrôle hiérarchique (dans le cas de la déconcentration) et le contrôle de tutelle (dans le cas de la décentralisation), mais ils sont mis en œuvre avec plus ou moins de bonheur, de rigueur, de précision et d’objectivité.

On peut distinguer, in globo, deux catégories d’autorités investies ou détentrices du pouvoir réglementaire. La première concerne les autorités investies directement par la Constitution : ce sont les autorités détentrices du pouvoir réglementaire initial ou général. La seconde concerne les autorités investies soit par la loi, soit par le règlement : ce sont les autorités détentrices du pouvoir réglementaire délégué ou spécifique.

  • 1- Les autorités investies du pouvoir réglementaire général

Les autorités dont il s’agit sont : le Président de la République et le Premier Ministre. Il faut dire que ces derniers ne sont pas investis de ce pouvoir de la même manière. Par ailleurs, leurs pouvoirs réglementaires respectifs n’ont pas la même autorité. En réalité, le Premier Ministre jouit d’un pouvoir réglementaire initial limité voire dégradé. Il reste que la

Constitution du 18 janvier 1996 et bien avant elle, la révision constitutionnelle du 23 avril 1991, a instauré un bicéphalisme administratif au niveau du pouvoir réglementaire initial.

A– Le pouvoir réglementaire du président de la République

Le Président de la République détient un pouvoir réglementaire qu’il exerce en période normale et en période de crise (pouvoir réglementaire de crise ou exceptionnel). 1- Le pouvoir réglementaire du Président de la République en période normale L’article 8 de la Constitution du 18 janvier 1996 dispose que le Président de la République exerce le pouvoir réglementaire et qu’il crée et organise les services publics de l’Etat. Il faut préciser que le Président de la République agit ici dans le cadre du pouvoir réglementaire autonome, c’est-à-dire dans les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi. Il en résulte que le champ compétenciel du Président de la République est très large. Mais est-ce à dire qu’il est sans limite ? Il y a lieu de répondre par la négative, d’abord parce qu’il ne peut agir au-delà et contre la Constitution, ensuite parce qu’il ne doit ou ne devrait pas empiéter dans le domaine de la loi, enfin parce qu’il doit ou devrait se conformer aux principes généraux du droit.

Les règlements autonomes pris par le Président de la République peuvent faire l’objet « d’un contrôle indirect de constitutionnalité ». La procédure peut être la suivante :

  • dépôt d’une proposition de loi tendant à abroger le décret litigieux ou motif qu’il excéderait la compétence réglementaire ;
  • opposition du gouvernement à la recevabilité de cette proposition de loi, qui excipe la compétence du pouvoir réglementaire en la matière. Ce désaccord sera alors tranché par le juge constitutionnel saisie par le Président de l’Assemblée intéressé ou le tiers des membres de cette assemblée – art. 18.3 (b)) pour l’Assemblée et art 23.3 (b) pour le Sénat- ou même par le Président de la République (voir les mêmes articles).

Si la solution du juge constitutionnel est favorable à la proposition de loi, le règlement querellé sort de l’ordonnancement juridique. Dans le cas contraire, c’est la proposition de loi qui est retirée.

Les règlements autonomes pris par le Président de la République peuvent aussi faire l’objet d’un contrôle de légalité (puisqu’il s’agit d’une variété de décisions administratives) devant le juge administratif, voire devant le juge répressif si l’on excipe l’exception d’illégalité, qui va apprécier la régularité du règlement querellé, mais si c’est devant le juge civil, celui-ci doit surseoir à statuer et sur renvoi devant le juge administratif, celui-ci peut déclarer le règlement illégal.

Le Président de la République peut-il exercer aussi le pouvoir d’application ou d’exécution des lois ? La question vaut son pesant juridique dans la mesure où la Constitution du 18 janvier 1996 a confié cette prérogative au Premier Ministre. En effet, l’article 12.2 de la Constitution dispose que le Premier Ministre « est chargé de l’exécution des lois ».

Si l’on s’en tient à cette disposition constitutionnelle, il ne le peut. Il s’agit  d’une compétence attribuée au Premier Ministre depuis la révision constitutionnelle du 23 avril 1991 – v. art. 9.5 (nouveau) de la loi n°91/001 du 23 avril 1991-. Celle-ci a transféré explicitement le pouvoir d’exécution des lois du Président de la République – l’article 9.8 (ancien) constitution du 02 juin 1972 disposait que le Président de la République est chargé de l’exécution des lois – au Premier Ministre – art. 9.5 nouveau sus-cité-.

Un partage de compétence dans ce domaine ne serait-il pas contraire à la constitution ? Et quel peut être le fondement de l’intervention du Président de la République en la matière ? Est-ce l’article 10 (1) de la Constitution d’après lequel le Président de la République fixe les attributions du Premier Ministre ? Est-ce l’adage « qui peut le plus peut le moins » ? Est-ce l’article 8 de la Constitution qui donne au Président de la République un pouvoir réglementaire général, ou le fait que constitutionnellement c’est le Président de la République qui dépose les projets de loi au bureau de l’Assemblée et qu’en vertu du principe du parallélisme des compétences, c’est lui qui devrait exécuter les lois qui en sont issues ?  L’exécution des lois par le Président de la République a peut-être un fondement, sinon on ne comprendrait et n’expliquerait pas qu’il ait continué à intervenir dans ce domaine depuis la révision constitutionnelle du 23 avril 1991 et, par suite, depuis l’avènement de la Constitution du 18 janvier 1996 (exemple : décret n°99/193 du 8 septembre 1999 portant organisation et fonctionnement de l’Agence d’Electrification rurale créée par la loi n°98/022 du 24 décembre 1998 régissant le secteur de l’électricité ; idem décret n°99/125 du 15/06/1999 portant organisation et fonctionnement de l’Agence de Régulation du Secteur de l’Electricité créée par la même loi  ; décret n°99/126 du 15 juin 1999 portant organisation et fonctionnement de l’Autorité portuaire instituée par la loi n°98/021 du 24 décembre 1998 portant organisation du secteur portuaire).

Le pouvoir réglementaire du Président de la République en période normale connaît une extension en application de l’article 28 de la Constitution. En effet, d’après cet article

« dans les matières énumérées à l’article 26 al 2 (…), le parlement peut autoriser le Président de la République pendant un délai limité et sur des objets déterminés à prendre des ordonnances ».

Le même article dispose que ces ordonnances entrent en vigueur dès leur publication, qu’elles sont déposées sur le bureau de l’Assemblée nationale et sur celui du Sénat aux fins de ratification dans le délai fixé par la loi d’habilitation. Il précise, par ailleurs, que ces ordonnances « ont un caractère réglementaire tant qu’elles n’ont pas été ratifiées » et qu’ « elles demeurent en vigueur tant que le Parlement n’a pas refusé de les ratifier ».  Il se dégage de ce qui précède un certain nombre de conséquences juridiques :

  • premièrement, tant que la loi de ratification n’est pas intervenue, les ordonnances relèvent des divers contrôles juridictionnels pesant sur les actes administratifs unilatéraux, notamment du contrôle du juge de l’excès de pouvoir.
  • deuxièmement, tant que le délai pendant lequel le Président de la République est autorisé à prendre des ordonnances n’est pas expiré, seul le Président de la République et le gouvernement peuvent intervenir dans les matières qui ont fait l’objet de l’autorisation législative ; ainsi, ce n’est que par voie d’ordonnance que pourrait être modifiée une ordonnance tant que la délégation n’a pas pris fin ;
  • troisièmement, a contrario, une fois le délai d’autorisation expiré, les ordonnances ne peuvent plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif, pas parce que ces ordonnances ont désormais acquis un caractère législatif, mais tout simplement parce que les matières qui étaient temporairement soustraites au domaine législatif lui sont retournées ou lui font retour. Autrement dit, ce n’est pas l’ordonnance qui prend valeur législative par l’effet de l’expiration du délai d’habilitation, c’est la matière qui retourne dans le domaine législatif.

Au plan contentieux, le juge administratif ne devrait opposer aucune irrecevabilité aux recours dirigés contre les ordonnances alors même que le recours doit être jugé après l’expiration du délai d’habilitation.

2– Le pouvoir réglementaire du Président de la République en période de crise

C’est l’article 9 de la Constitution qui consacre le pouvoir réglementaire de crise du Président de la République. Cet article institue l’état d’urgence (al.1er) et l’état d’exception (al. 2) ; deux situations totalement différentes au regard de leur régime juridique. Il dispose, d’une part (al.1er) que, « le Président de la République peut, lorsque les situations l’exigent, proclamer par décret l’état d’urgence qui lui confère des pouvoirs spéciaux dans les conditions fixées par la loi » (en l’espèce la loi n°90/047 du 19 décembre 1990 sur l’état d’urgence), et, d’autre part, que (al. 2), « le Président de la République, en cas de péril grave menaçant l’intégrité du territoire, la vie, l’indépendance ou les institutions de la République proclamer par décret l’état d’exception et prendre toutes mesures qu’il juge nécessaire. Il en informe la nation par voie de message ». a)-L’hypothèse de l’état d’urgence La Constitution prévoit qu’une loi détermine les conditions dans lesquelles le Président de la République exerce les pouvoirs spéciaux. Cela signifie que le décret proclamant l’état d’urgence doit se conformer à cette loi. Par ailleurs, la Constitution laisse au législateur le soin d’indiquer les circonstances pouvant  justifier la proclamation de l’état d’urgence par le Président de la République (sur ce point, voir article 1er de la loi sur l’état d’urgence). L’état d’urgence est proclamé par le Président de la République lorsque les circonstances l’exigent. Il s’agit des circonstances de lieu et de temps : où et quand ?

(exemple : en 1992, après la proclamation  des résultats de l’élection présidentielle, des contestations violentes ont eu lieu dans la province du Nord-Ouest, en particulier à Bamenda, l’état d’urgence a été proclamé par le Président de la République).

L’état d’urgence peut être renouvelé (voir art.3 loi 90/047) et l’Assemblée nationale n’est obligatoirement consultée que si la situation qui la motivait persiste (voir art 3 (b)  de même loi). L’état d’urgence prend fin soit automatiquement à l’expiration du délai fixé par le décret qui l’a institué ou prorogé, soit par décret, lorsque les circonstances ayant entraîné sa proclamation ont cessé (article 4 de la loi 90/047).

La loi sur l’état d’urgence n’organise pas le contentieux relatif aux mesures prises dans ce cadre, est-ce à dire qu’aucun contentieux ou recours n’est possible ? Quelle est la nature du décret qui proclame l’état d’urgence ? Un acte administratif unilatéral ou un acte de gouvernement ? En l’absence d’une jurisprudence camerounaise appropriée en la matière, on peut dire ceci : le décret est, certes prévu par la constitution mais, c’est une loi qui indique les conditions et les modalités de son édiction. Cela signifie « mutatis mutandis » que le décret proclamant l’état d’urgence doit être pris dans le respect des dispositions de cette loi. Il en résulte que sa légalité peut être contrôlée par le juge administratif. La loi sur l’état d’urgence dispose par ailleurs, en son article 9 que « les modalités » de son « application (…) seront en tant que de besoin fixées par voie réglementaire ». Il se dégage de cette disposition que non seulement le décret proclamant l’état d’urgence doit être conforme à la loi, mais qu’il devrait aussi être pris dans le respect du décret d’application de cette loi. Il en est de même de toutes les mesures que le Président de la République, le Ministre en charge de l’administration territoriale et les autorités administratives de la localité où l’état d’urgence a été proclamé prendront dans ce cadre.

b)-L’hypothèse de l’état d’exception

La Constitution ne renvoie pas la détermination des conditions et des modalités de la proclamation de l’état d’exception à une loi. Il suffit qu’il y ait « un péril grave (…) » pour qu’il soit proclamé par le Président de la République et qu’il prenne « toutes mesures qu’il juge nécessaires ». Le Président de la République dans ce cas concentre dans ses mains l’ensemble des compétences étatiques et par suite devient l’autorité administrative suprême et unique. Ni l’Assemblé Nationale, ni le Conseil Constitutionnel ne sont consultés.

Il se dégage de cette considération que le Président de la République sera amené à assumer des fonctions de « dictateur » au sens romain du mot, car au-delà du décret qu’il prend pour proclamer l’état d’exception, il édicte seul « les mesures qu’il juge nécessaires » pour la circonstance.

D’un point de vue du droit administratif, on peut s’interroger sur la nature juridique de l’ensemble des actes pris par le Président de la République dans le cadre de l’état d’exception. A ce niveau, il faut faire un distinguo entre le décret par lequel il proclame l’état d’exception et les mesures qu’il prend dans ce cadre.

Le décret que prend le Président de la République pour proclamer l’état d’exception conformément à l’article 9.2 de la Constitution n’est pas en lui-même un acte de nature administrative. Il est soustrait de tout contrôle juridictionnel, tant de la part des juges administratif et judiciaire en raison de sa nature non administrative que de la part du Conseil constitutionnel qui n’a pas de juridiction sur les actes du Président de la République et auxquels d’ailleurs l’article 9.2 de la Constitution ne fait pas  référence, même pas à titre consultatif.

La jurisprudence française en la matière peut trouver son application ici (v. CE, 02 mars 1962, Ruben de Servens). On peut donc dire que le décret de mise en application de l’état d’exception présente le caractère d’un acte de gouvernement dont il n’appartient au juge administratif, ni d’apprécier la légalité, ni de contrôler la durée d’application. Il est à noter, par ailleurs, que cette décision permet au Président de la République de prendre des mesures qu’il juge nécessaires, lesquelles, vu les circonstances, sont relatives tant au domaine législatif qu’à celui du règlement.

Si l’on s’inspire de la jurisprudence française Ruben De Servens, celles des mesures prises par le Président de la République dans le domaine législatif présenteront le caractère d’actes législatifs et, à ce titre, échapperont au contrôle du juge administratif, à l’instar des ordonnances prises par le Président de la République et ratifiées par le parlement (article 28 de la Constitution). A contrario, celles des mesures prises dans le domaine réglementaire auront le caractère d’actes administratifs (unilatéraux) et demeureront par conséquent soumis au contrôle du juge administratif.

B- Le pouvoir réglementaire du Premier ministre

D’après l’article 27 de la Constitution « les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ressortissent au pouvoir réglementaire ». Organiquement ces matières sont de la compétence du Président de la République (art. 8.8) et du Premier Ministre (art. 12.3) et matériellement, ce sont actes réglementaires (l’article 37.1 de la Constitution française a, quant à lui, une approche matérielle. Il ne dispose que « les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire »).

Ainsi, au regard de la Constitution, le Président de la République et le Premier Ministre constituent organiquement le pouvoir réglementaire et se partagent le pouvoir réglementaire. Mais la Constitution précise que le Premier Ministre « exerce le pouvoir réglementaire … sous réserve de prérogatives reconnues au Président de la République dans ce domaine ».

A la différence du Président de la République qui crée et organise les services publics de l’Etat, le Premier ministre dirige tous les services administratifs nécessaires à l’accomplissement de sa mission.

Ce ceci démontre à suffisance que, bien que ces autorités soient toutes deux détentrices du pouvoir réglementaire initial, le champ d’action du Président de la République est plus vaste et son autorité plus grande que ceux du Premier ministre, car les services administratifs que dirige le Premier Ministre sont des services crées par le Président de la République.

La Constitution ne dit pas en quoi consiste l’exercice par le Premier Ministre du pouvoir réglementaire. Elle n’énonce que le Président de la République, qui nomme le Premier Ministre, fixe ses attributions (art. 10). Cette disposition, concrétisée par décret présidentiel, favorise l’institution d’un pouvoir réglementaire édulcoré (atténué) au profil du Premier Ministre. En effet, ce dernier n’exerce plus son pouvoir réglementaire sur le fondement de la constitution, mais sur celui d’un règlement. On peut subodorer que le constituant a voulu, par cette disposition, marquer l’infériorité et la dépendance du Premier

Ministre vis-à-vis du Président de la République. En conséquence, le bicéphalisme administratif qu’il a institué est essentiellement déséquilibré au profil du Président de la République.

C’est le décret n°92/089 du 04 mai 1992, modifié et complété par le décret n°95/145-bis du 04 août 1995, qui précise les attributions du Premier Ministre (la constitution dit, plutôt que le Président de la République « fixe … »). D’après l’article 1er de ce décret, le « Premier Ministre, chef du gouvernement, dirige l’action de celui-ci. A ce titre, sous réserve des pouvoirs dévolus par la Constitution au chef de l’Etat :

  1. Il est chargé suivant l’orientation donnée par le Président de la République de l’impulsion, de l’animation, de la coordination et de la supervision des services placés sous son autorité ;
  2. Il veille à la réalisation des programmes d’action des ministères approuvés par lui et impartis aux chefs des départements ministériels ;
  3. Il coordonne la préparation des actes législatifs et réglementaires à soumettre à la sanction du Président de la République ;
  4. Il veille au respect de la légalité des décisions gouvernementales ;
  5. Il préside les conseils de cabinet, les réunions interministériels ainsi que les comités et conseils spéciaux quand le texte organique créant le dit comité ou conseil en dispose ainsi ; f) Il anime et coordonne les politiques de communication des départements ministériels ». L’article 2.1 de ce décret précise que :

« Sous réserve des prérogatives du Président de la République en matière d’organisation du gouvernement, de fixation des attributions des membres du gouvernement, de création et d’organisation des services publics de l’Etat, le Premier Ministre exerce le pouvoir réglementaire par voie de décret, d’arrêté, de circulaire, d’instruction générale ou de directive dans les domaines de sa compétence ».

En précisant les attributions du Premier Ministre, le décret n°92/089 a, pour l’essentiel, réduit sa marge de manœuvre, notamment dans le domaine réglementaire qu’il partage constitutionnellement avec le Président de la République. C’est ce dernier qui édicte l’essentiel des règlements autonomes, le Premier Ministre étant chargé, en général, de prendre les actes d’application de certains d’entre eux (exemple décret n°2000/698/PM du 13 septembre 2000 fixant les modalités d’organisation et de fonctionnement du conseil supérieur de la fonction publique ; décret n°2000/697/PM du 13 septembre 2000 fixant le régime de la formation permanente des fonctionnaires ; décret n°2000/689/PM du 13 septembre 2000 fixant le régime du congé administratif annuel des fonctionnaires et décret n°2001/116/PM du 27 mars 2001 fixant le statut juridique du fonctionnaire stagiaire et conditions du stage probatoire à la titularisation). Par ailleurs, ce décret restreint le champ de compétence du Premier Ministre en matière d’exécution des lois. Il énonce (art. 3) que « le Premier ministre dispose en tant que de besoin du pouvoir de signer les décrets d’application des lois votées par l’Assemblée Nationale ». Cette disposition ne signifie-t-elle pas que l’exécution des lois par le Premier Ministre est davantage une dérogation qu’un principe ? Dans tous les cas, elle pose problème relativement à sa comptabilité avec l’article 12.2 de la Constitution qui dispose que le Premier Ministre est « chargé de l’exécution des lois ».

Au regard de cette disposition décrétale, c’est finalement le Président de la République qui détiendrait de façon principielle le pouvoir d’appliquer les lois. Le problème ne se pose pas maintenant du fait de l’identité entre la majorité présidentielle et la  majoritaire parlementaire, mais qu’adviendrait-il si le Président de la République et le Premier Ministre appartiennent à des majorités différentes ? Au demeurant, le pouvoir d’exécution des lois  au Cameroun est donc partagé entre le

Président de la République et le Premier Ministre (exemple de décrets d’application pris par le Premier ministre : décret n°95/531/PM du 23 août 1995 fixant les modalités d’application du régime des forêts déterminé par la loi n°94/01 du 20 janvier 1994 portant régime des forêts, de la faune et de la pêche complété par l’Ordonnance n°99/001 du 30 août 1999, modifié par le décret n°2000/092/PM du 27 mars 2000 ; décret n°2000/158/PM du 03 août 2000 fixant les conditions et les modalités de création et d’exploitation des entreprises privées de communication audio-visuelle pris en application de la loi n°90/052 du 19 décembre sur la communication sociale modifiée par la loi n°96/04 du 04 janvier 1996 ; enfin, décret n°2001/832/PM du 19 septembre 2001 fixant les règles communes applicables aux institutions privées d’enseignement supérieur en application de la loi n°2001/005 du 16 avril 2001 relative à l’Enseignement supérieur.

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Le problème est de savoir dans quel domaine et qui du Président de la République ou du Premier Ministre est habilité ou compétent pour prendre les règlements d’application de telle ou telle loi. La Constitution n’apporte aucune précision sur ce point. Les différentes lois édictées n’en disent rien aussi ; quant au décret n°92/089, il est imprécis sur ce point. Il se pourrait que c’est le Président de la République (qui nomme le Premier Ministre), qui exerce avec le parlement l’autorité de l’Etat (article 4 de la Constitution) et qui « définit la politique de la nation, assure par son arbitrage le fonctionnement régulier des pouvoirs publics » (article 5.2 paragraphes 3 et 4) qui, en définitive, indique dans quel domaine le Premier Ministre prend ou peut prendre de tels règlements d’application des lois. Est-ce à dire que le Premier ministre ne peut pas décider de lui-même d’exécuter les lois comme le prescrit la constitution ? La nature et la réalité du régime politique et administratif camerounais permettent d’en douter, voire de répondre par la négative. Ainsi, le Premier Ministre se rapproche des autres autorités investies du pouvoir réglementaire délégué ou dérivé. D’ailleurs, l’article 10.2 de la Constitution dispose que le Président de la République peut lui déléguer certains de ses pouvoirs.

  • 2- Les autorités investies du pouvoir réglementaire délégué

La détention et l’exercice du pouvoir réglementaire par des autorités autres que le Président de la République et le Premier Ministre sont non seulement une nécessité mais également une réalité.

Au niveau de l’Etat, les autorités investies du pouvoir  réglementaire délégué existent aussi bien au sein de l’administration centrale qu’au sein de l’administration déconcentrée.

Au niveau de l’administration décentralisée, il existe aussi des autorités investies du pouvoir réglementaire délégué. On en trouve dans les collectivités territoriales décentralisées et dans les institutions spécialisées, notamment les établissements publics (il est à noter que dans certains cas, les personnes ou organismes privés peuvent être investis du pouvoir réglementaire délégué).

Le pouvoir réglementaire dont sont investies ces autorités est dit délégué ou dérivé

parce que son fondement n’est pas directement constitutionnel. Il est soit réglementaire (cas des autorités administratives étatiques), soit législatif (cas des autorités des collectivités territoriales décentralisées et des établissements publics).

A- Les autorités investies du pouvoir réglementaire au niveau de l’administration centrale

L’article 10.1 de la Constitution dispose, entre autres, que le Président de la République nomme, sur proposition du Premier Ministre, les autres membres du gouvernement et fixe leurs attributions. Par ailleurs, l’article 8.10 énonce que le Président de la République nomme aux emplois civils et militaires. C’est à ce titre, par exemple, qu’il nomme le Secrétaire général de la Présidence de République, le Secrétaire général des Services du Premier ministre et les Secrétaires généraux des ministères.

Par ailleurs, toutes ces autorités exercent par délégation le pouvoir réglementaire dérivé. Il faut à ce sujet préciser que les articles 10.2 et 12.5 de la Constitution disposent, respectivement, que « le Président de la République peut déléguer certains de ses pouvoirs

(…) aux autres membres du gouvernement et à certains hauts responsables de l’administration de l’Etat dans le cadre de leurs attributions » et que le Premier Ministre « peut déléguer certains de ses pouvoirs aux membres du gouvernement et à des hauts responsables de l’administration de l’Etat » ( l’article 8 du décret 92/089 du 04 mai 1992 énonce la même possibilité mais prend soin de dire « en tant que de besoin »).

Au total, les autorités administratives centrales exercent les attributions propres et peuvent exercer d’autres attributions par délégation.

1- Le pouvoir réglementaire des membres du gouvernement

Outre le Premier Ministre, le gouvernement comprend : les vice-premiers ministres le cas échéant ; les ministres d’Etat, le cas échéant ; les ministres ; les ministres sans portefeuille, les ministres chargés de missions, les ministres délégués et les secrétaires d’Etat.

Si l’on exclut les ministres sans portefeuille les ministres chargés de missions, les ministres délégués et les secrétaires d’Etat, on peut appréhender le pouvoir réglementaire des ministres en tenant compte de la nature de leurs départements ministériels. Selon ce critère, on peut distinguer les ministres en charge des départements ministériels de souveraineté, les ministres en charge des départements ministériels à vocation économique et les ministres en charge des départements ministériels techniques.

Dans l’exercice de son pouvoir réglementaire, le Ministre peut agir seul ou conjointement avec un ou plusieurs de ses collègues. La portée de ce pouvoir réglementaire est, cependant limitée.

En effet, le pouvoir réglementaire du Ministre est spécial quant à son objet. Il renvoie au département dont il a la charge. Par ailleurs, la mission dont il est investi lui permet de faire des règlements touchant uniquement à l’organisation de son administration (département ministériel, mesures s’appliquant à ses agents et dans certains cas aux usagers du service public dont il a la charge).

Ce pouvoir ne s’applique pas, sauf texte spécial, à l’ensemble des citoyens (ou public).

Le ministre peut-il se voir conférer par le législateur un pouvoir réglementaire dans les matières qui relèvent de ses attributions ?

La question est posée parce qu’il existe des lois qui prévoient assez souvent que des arrêtés ministériels indiqueront leurs modalités d’application ou celles de certaines de leurs dispositions. Il en est ainsi, par exemple, de la loi n°92/007 du 14 août 1992 portant Code du Travail qui confère au ministre du Travail et de la Sécurité Sociale, un pouvoir réglementaire qui relève de ses attributions (voir par exemple, l’article 28.6 relatif aux modalités de l’engagement à l’essai, l’article 33.3 relatif à la fixation des conditions d’indemnisation en cas de chômage technique, l’article 34.3 relatif à la détermination des conditions et de la durée du préavis). On peut bien se demander si cette habilitation législative n’est pas contraire à l’article 12.2 de la Constitution. On peut le penser, stricto sensu, si on considère que l’exécution des lois comme ressortit à la compétence exclusive du Premier ministre. Mais le contrôle d’un tel arrêté est difficile voire difficultueux en application de la théorie de l’écran législatif (la loi fera écran entre le juge administratif et la Constitution).

Mais, est-ce que l’article 12.2 fait réellement obstacle ou interdit au législateur de confier à une autorité publique autre que le Premier ministre le soin de déterminer ou fixer des normes permettant de mettre en œuvre une loi ?

En France, le Conseil constitutionnel a jugé sur cette question qu’il n’y a pas d’obstacle, que le législateur peut le faire « à la condition que cette habilitation ne concerne que des mesures à portée limitée tant par leur champ d’application que par leur contenu ». Il a rappelé que les décisions du Premier Ministre ne peuvent être subordonnées aux règles générales fixées par les autorités habilitées par le législateur à émettre des règlements d’application des lois (v. CC, 18 septembre 1986 et CC, 22 juillet 1996).

En attendant que le Conseil constitutionnel  camerounais nous éclaire un jour sur cette question, il y a lieu de remarquer que la compréhension de la Constitution, comme celle tout texte juridique est liée à la fois à la lettre, à l’esprit, à la pratique et surtout à l’interprétation qui en est faite, notamment par le juge… constitutionnel.

Le Ministre exerce son pouvoir réglementaire en principe par voie d’arrêté. Il en est de même des hauts responsables de l’Etat.

2- Le pouvoir réglementaire de certains  hauts responsables de l’Etat

On abordera ici uniquement le pouvoir réglementaire du Secrétaire général de la Présidence de la République, du Secrétaire général des services du Premier ministre et du Secrétaire Général de ministère.  

  • D’après l’article 3.1 du décret n°2011/412 du 09 décembre 2011 portant réorganisation de la Présidence de la République, le Secrétaire Général assiste le Président de la République dans l’accomplissement de sa mission.

A ce titre, il reçoit du Président de la République toutes directives relatives à la définition de la politique de la nation. Il suit l’exécution des décisions prises par le Président de la République ; il coordonne l’action des administrations rattachées à la Présidence de la République (les services du Contrôle supérieur de l’Etat dirigés par un ministre délégué, la Grande Chancellerie des Ordres nationaux, la Délégation Générale à la Sûreté Nationale, en ce qui concerne son administration, la Direction générale de la Recherche extérieure, en ce qui concerne son administration) ; il instruit les dossiers que lui confie le Président de la République et suit l’exécution de ses instructions ; il veille à la réalisation des programmes d’actions approuvés par le Président de la République et impartis aux chefs des départements ministériels et aux services relevant de la Présidence de la République .

L’alinéa 2 du même article précise que « dans l’exercice de ses attributions, le Secrétaire Général reçoit une délégation de signature ».

  • Le décret n°92/088 du 04 mai 1992 portant organisation des services du Premier ministre énonce, en son article 4.1, que le Secrétaire général (qui a rang de ministre) assure la direction générale du secrétariat général des services du Premier ministre, la supervision et la coordination des services rattachés (notamment la Haute autorité de la fonction publique, la

Commission nationale des Droits de l’Homme et des Libertés, le Conseil National de la Communication), l’instruction des affaires soumises à la sanction du Premier ministre, l’efficacité de l’action gouvernementale et plus particulièrement la préparation des conseils de cabinet, des réunions interministérielles, de certains conseils et comités placés sous l’autorité du Premier ministre.

Pour exercer ces attributions, le secrétaire général reçoit une délégation de signature du Premier ministre (article 4.2).

  • Dans l’exercice de leurs fonctions, les ministres disposent d’un secrétariat général dirigé par un secrétaire général. Celui-ci est le principal collaborateur du Ministre. Il suit l’instruction des affaires du département et reçoit du Ministre des délégations de signature nécessaires. Le Secrétaire général coordonne l’action des services centraux et extérieurs du ministère et tient à cet effet des réunions de coordination dont il adresse le procès-verbal au Ministre. Par ailleurs, il définit et codifie les procédures internes au ministère, veille à la formation du personnel, organise, sous l’autorité du Ministre, des séminaires et des stages de recyclage de perfectionnement ou de spécialisation. Enfin, il veille à la célérité dans le traitement des dossiers, centralise les archives et gère la documentation du ministère.

Au demeurant, comme le disait Napoléon, si on peut gouverner de loin, on ne peut administrer que de près. C’est pour cette raison qu’il existe au sein de l’administration d’Etat une administration déconcentrée. Celle-ci permet de décongestionner l’administration centrale et de rapprocher l’administration de l’administré. Mais, comme le disait le publiciste français Odilon Barrot, « c’est le même marteau qui frappe mais on en a raccourci le manche ».

B- Les autorités investies du pouvoir réglementaire au niveau de l’administration déconcentrée

Il existe deux formes d’administration déconcentrée, à savoir la forme technique ou verticale ou par service, ou l’administration déconcentrée techniquement (cas des services extérieurs des ministères) et la forme géographique ou territoriale ou horizontale, ou l’administration déconcentrée territorialement (cas des circonscriptions administratives). Toutes les deux formes sont soumises au contrôle hiérarchique.

La détention et l’exercice du pouvoir réglementaire par l’administration techniquement déconcentrée dépend des textes qui organisent les ministères dont elle dépend.

Quant à l’administration territorialement déconcentrée, incarnée par le Gouverneur dans la Région, le Préfet dans le Département, le Sous-préfet dans l’Arrondissement, son pouvoir réglementaire est contenu dans le décret n°2008/377 du 12 novembre 2008 fixant les attributions des chefs des circonscriptions administratives et portant organisation et fonctionnement de leurs services[3]. Elle est placée sous l’autorité hiérarchique du Ministre en charge de l’Administration territoriale et de la Décentralisation. C’est d’elle qu’il sera question dans les développements qui vont suivre. 1- Le pouvoir réglementaire du Gouverneur

Le gouverneur exerce son pouvoir réglementaire dans la Région. Il s’agit d’un pouvoir exercé uniquement dans les limites territoriales de la Région.

Haut fonctionnaire, le Gouverneur est nommé par décret du Président de la

République. Dépositaire de l’autorité de l’Etat dans la Région, il est à la fois le représentant du gouvernement et de chacun des Ministres.

L’exercice par le Gouverneur du pouvoir réglementaire consiste à exécuter ou faire exécuter les lois, règlements et décisions du gouvernement ; à veiller à la mise en œuvre du plan et des programmes de développement économique et social ; maintenir l’ordre en application des lois et règlements en vigueur et, de façon générale, exécuter toutes les missions qui lui sont confiées par l’autorité centrale.

Par ailleurs, le Gouverneur assure, sous l’autorité des ministres compétents, la supervision générale, la coordination et le contrôle de l’activité des services déconcentrés de l’Etat dans la Région, à l’exception de ceux relevant de la Justice (cf. article 5 al.1 du décret n°2008/377). A ce titre, il peut procéder à tous contrôles et investigations ou prendre toutes mesures de coordination qu’il juge nécessaire. Il peut demander à tous les services publics installés dans la Région les informations nécessaires à l’accomplissement de sa mission. Il rend compte de façon périodique au Président de la République, par voie hiérarchique, de son action de coordination.

Dans l’exercice de son pouvoir réglementaire, le Gouverneur dispose des forces de police, de la gendarmerie et de l’armée dans le cadre des règlements fixant les modalités d’emploi de ces forces. Il dispose également de tous les pouvoirs qui pourraient lui être attribué par les lois et règlements ainsi que par le gouvernement. C’est ainsi qu’il exerce les pouvoirs de tutelle de l’Etat sur la Région et les établissements publics régionaux, conformément à la législation à la réglementation en vigueur.

Le Gouverneur exerce son pouvoir réglementaire par voie d’arrêtés et de décisions. Il est assisté d’un secrétariat particulier dirigé par un secrétaire particulier nommé par lui-même, d’un cabinet placé sous l’autorité d’un Chef de Cabinet nommé par arrêté du Président de la République, d’un Secrétariat général dirigé par un haut fonctionnaire nommé par décret du Président de la République qui prend le titre de Secrétaire général de la Région, qui sont tous placés sous son autorité. Que dire du pouvoir réglementaire du Préfet ?

2 – Le pouvoir réglementaire du Préfet

Le Préfet exerce son pouvoir réglementaire dans les limites territoriales du Département. Haut fonctionnaire nommé par décret du Président de la République, il est dépositaire de l’autorité de l’Etat dans le Département où il est à la fois représentant du gouvernement et de chacun des ministres.

Placé sous l’autorité directe du gouverneur, le Préfet est investi, pour le compte du gouvernement, d’une mission permanente et générale d’information et de coordination en

matière économique et sociale. Il veille au maintien de l’ordre, à l’exécution du plan et des programmes de développement économique et social. Sous l’autorité des Ministres compétents et du Gouverneur, il assure la supervision générale des services déconcentrés de l’Etat dans le Département, à l’exception de ceux relevant de la Justice. A ce titre, il peut procéder à tous les contrôles, investigations et mesures de coordination qu’il juge nécessaires, donner des instructions écrites, à charge pour lui d’en rendre compte au Ministre compétent et au Gouverneur. Le Préfet dispose, comme le Gouverneur dans la Région, des forces de police, de la gendarmerie et de l’armée, dans les conditions fixées par les textes en vigueur. Il exerce également tout pouvoir qui pourrait lui être délégué par le gouvernement ou par le Gouverneur ainsi que les pouvoirs de tutelle sur les communes et les établissements publics communaux, conformément aux textes en vigueur.

Enfin, le Préfet exerce le pouvoir réglementaire dans le cadre des attributions et missions qui lui sont confiées par le gouvernement. Il en est de même du Sous-préfet dans l’Arrondissement.

3 – Le pouvoir réglementaire du Sous-préfet

Le Sous-préfet, placé à la tête de l’Arrondissement, est nommé par décret du Président de la République. Il est sous l’autorité directe  du Préfet. Le Sous-préfet est chargé du maintien de l’ordre, de l’exécution des lois, règlements et décisions du gouvernement ainsi que du contrôle et de la coordination de l’activité des services publics installés dans sa circonscription.

Pour l’accomplissement de ses missions, le Sous-préfet dispose de la force publique, réglemente et décide conformément aux textes en vigueur ou par délégation de ses supérieurs hiérarchiques. C’est par voie de décisions qu’ils exercent le pouvoir réglementaire.

Qu’en est-il des autorités investies du pouvoir réglementaire au niveau de l’administration décentralisée ?

C- Les autorités investies du pouvoir réglementaire au niveau de l’administration décentralisée

L’administration décentralisée dont il s’agit est, à certains égards, territoriale ou géographique (c’est le cas des collectivités territoriales décentralisées) et, à d’autres égards, fonctionnelle ou par service (c’est le cas des institutions spécialisées que sont les établissements publics).

A la différence des autorités de l’administration déconcentrée, les autorités de l’administration décentralisées exercent un pouvoir réglementaire dont le fondement est essentiellement législatif et  sous le contrôle de tutelle des organes de l’Etat.

1-Les autorités détentrices du pouvoir réglementaire au sein des collectivités territoriales décentralisées

A la différence du pouvoir réglementaire des Ministres, le pouvoir réglementaire des autorités des collectivités territoriales décentralisées (CTD) est spécial quant à son aire géographique et générale quant à son objet.

Le législateur qui fixe, conformément à la Constitution les principes de la libre administration locale et les compétences des collectivités décentralisées, attribue à ces autorités un pouvoir réglementaire dans la limite de leurs attributions. D’après l’art 55 de la Constitution, les collectivités territoriales décentralisées sont les communes et les régions.

Seules les communes existent pour l’heure. A côté de celles-ci, il existe un autre type de collectivité territoriale décentralisée, à savoir les communautés urbaines.

Ce sont des structures supra communales dont la constitutionnalité ne pose pas problème dans la mesure où l’article 55 suscité énonce que « tout autre type de collectivité territoriale décentralisée est créée par la loi ». La communauté urbaine est divisée en communes urbaines d’arrondissement.

Au sein des collectivités territoriales décentralisées, les autorités investies du pouvoir réglementaire sont essentiellement au nombre de deux : l’organe délibérant et l’organe exécutif.

L’organe délibérant au niveau de la commune c’est le conseil municipal tandis qu’au niveau de la communauté urbaine c’est le conseil de la communauté Les membres de ces conseils sont élus.

Les décisions du conseil municipal et du conseil de la communauté sont prises sous forme de délibération.

Les délibérations du conseil municipal des communes urbaines d’arrondissement ne peuvent être contraires aux délibérations du conseil de la communauté.  

Au sein de la commune, l’organe exécutif est incarné par le Maire, élu par et au sein du conseil municipal. A contrario, au niveau de la communauté urbaine, l’organe exécutif est  représenté par le Délégué du Gouvernement. Celui-ci est le représentant de l’Etat dans ladite collectivité. Il est nommé par décret du Président de la République.

Nommées ou élues, ces deux figures de l’Exécutif des collectivités territoriales décentralisées ont un pouvoir réglementaire similaire et surtout distinct de celui de l’organe délibérant. Elles sont chargées, entre autres :

  • d’ordonner les dépenses ;
  • de gérer les revenus communaux ou de la communauté ;
  • de diriger les travaux communaux ou de la communauté;
  • de pourvoir aux mesures de voirie municipale ou de la communauté ;
  • d’établir chaque année en liaison avec le représentant local des Travaux publics, un plan de campagne pour les travaux de voirie d’intérêt municipal ou de la communauté;
  • de conserver et d’administrer les propriétés de la commune ou de la communauté ;
  • et, d’une façon générale, d’exécuter les décisions du conseil municipal ou du conseil de la Communauté et de lui en rendre compte.

Toujours dans le cadre de l’exercice de leur pouvoir réglementaire, l’exécutif de la commune et celui de la communauté sont chargés de publier à nouveau en cas de besoin les lois et règlements de police et d’amener les populations à les observer, de veiller à l’application générale des lois et règlements dans la commune et la communauté, d’exécuter les instructions gouvernementales ou de prendre des mesures permettant de leur donner application dans la commune et la communauté.

Plus spécifiquement, le pouvoir réglementaire du Maire ou le Délégué du Gouvernement se  déploie en matière de police. C’est ainsi qu’il est chargé de la police municipale et de l’exécution des actes y relatifs. Cette police a pour but d’assurer, en relation avec les autorités administratives compétentes, l’ordre, la tranquillité et la salubrité publics. Il est également chargé d’assurer la police des voies communales ou de la communauté.

Pour l’application des mesures de police qu’il est amené à prendre, le maire ou le délégué du gouvernement peut faire requérir l’intervention des forces de police et de gendarmerie.

Le concours ou la concurrence qui existe entre les autorités de police administrative amène à se demander si les mesures de police prises par les autorités municipales ou de la communauté peuvent faire obstacle à celles prises par les autorités administratives de l’Etat (S/préfet, Préfet, Gouverneur, par exemple).

De jure, les pouvoirs de police municipale conférés au maire ou au Délégué du Gouvernement ne font pas obstacle aux pouvoirs de police générale des autorités administratives compétentes. Cela signifie qu’en la matière, les autorités communales ou de la communauté ne peuvent pas remettre en cause une mesure de police prise par les autorités administratives étatiques compétentes, notamment celles détentrices du pouvoir de police générale (dans ce sens, voir CE, Commune de Néris-les-Bains le 18 avril 1902).

Qu’adviendrait-il si l’autorité administrative étatique compétente est  détentrice du pouvoir de police spéciale (exemple, le Ministre de la culture pour ce qui est de la projection des films ou le Ministre du Tourisme pour ce qui est de la protection des sites) ? En règle générale, le Maire peut, pour des raisons liées aux circonstances locales, prendre des mesures restrictives par rapport à celles des autorités de police spéciale. Ainsi, il peut, par exemple, refuser la projection dans sa commune, pour des raisons d’éthique ou de morale, d’un film, pourtant autorisé au niveau national par l’autorité administrative compétente (la jurisprudence française est sans équivoque à ce sujet : CE, 18 décembre 1959, Sociétés des films Lutetia et Syndicat français des producteurs et exportateurs de films).

2- Les autorités investies du pouvoir réglementaire au sein des établissements publics

Les établissements publics sont des organismes dotés de la personnalité morale et chargés d’une mission spéciale de service public. Ils peuvent détenir un pouvoir réglementaire. C’est ainsi que leurs organes dirigeants édictent une réglementation pour préciser l’organisation et assurer le bon fonctionnement des services.

La loi n°2017/010 du 12 juillet 2017 portant statut général des établissements publics (qui abroge la loi n°99/016 du 22 décembre 1999 portant statut général des établissements publics et entreprises du secteur public et parapublic) a institué plusieurs formes (catégories ?) d’établissement public (V. article 2), à savoir l’établissement public administratif, social, hospitalier, culturel, scientifique, professionnel, technique, économique et financier et spécial). Elle a créé en lieu et place de l’établissement public à caractère industriel et commercial la société à capital public.

L’établissement public peut être créé par l’Etat ou par une collectivité territoriale décentralisée dans les conditions et modalités fixées par la loi.

Les organes dirigeants exerçant le pouvoir réglementaire au sien des établissements publics sont essentiellement au nombre de deux :

  • l’organe délibérant, qui est le conseil d’administration ou tout organe en tenant lieu ;
  • l’organe exécutif, qui est la direction générale ou le Recteur dans le cas des universités d’Etat.

L’organe délibérant a les pouvoirs les plus étendus pour agir au nom de l’établissement public, définir et orienter sa politique générale et évaluer sa gestion dans les limites fixées par son objet social et sous réserve des dispositions de la loi régissant les établissements publics. Il a ainsi le pouvoir, entre autres :

  • de fixer les objectifs et d’approuver les programmes d’action conformément aux objectifs globaux du secteur concerné ;
  • d’approuver le budget et d’arrêter de manière définitive les comptes et les états financiers annuels ;
  • d’adopter l’organigramme, le règlement intérieur et le barème de salaires et les avantages du personnel proposé par le Directeur général (cf. articles 41 et 67). Quant à l’organe exécutif, il est chargé de la gestion et de l’exécution de la politique générale de l’établissement public sous le contrôle du Conseil d’administration à qui il rend compte de sa gestion. A ce titre, il est chargé, entre autres :
  • d’assurer la direction technique et administrative de l’établissement,
  • de gérer les biens meubles et immeubles, corporels et incorporels de l’établissement, dans le respect de son objet social et des dispositions législatives relatives aux compétences du conseil d’administration ;

Il convient de dire, pour terminer qu’en dehors des personnes publiques, les textes et la jurisprudence peuvent admettre que les organes dirigeants des organismes privés puissent exercer le pouvoir réglementaire. Il en est ainsi lorsque ces organismes assurent une des missions de service public ou détiennent des prérogatives de puissance publique qui s’expriment, pour l’essentiel au moyen de l’acte administratif unilatéral dont il sied à présent d’examiner le régime juridique.

CHAPITRE II

LE REGIME DES ACTES ADMINISTRATIFS DECISOIRES

L’étude du régime des actes administratifs décisoires concerne l’ensemble des règles qui régissent ces actes. Ces règles sont relatives à leurs caractères généraux, à leur élaboration et à leur application ou temporalité.

Section 1 : les caractères généraux 

Les caractères généraux de l’acte administratif décisoire peuvent être appréhendés à travers sa définition et sa classification.

  • 1 – La notion d’acte administratif décisoire

La  notion d’AAD n’est pas aisée à définir. D’ailleurs la plupart des auteurs ne la définissent pas, se contentant d’en préciser le contenu ou les éléments constitutifs. D’après la Cour constitutionnelle béninoise dans sa décision 16-TC du 03 juin 1993, l’acte administratif, du point de vue formel, « est toute décision prise par une autorité administrative ». C’est une définition non seulement laconique mais insuffisante.

Pour Pierre Delvolvé, « l’acte administratif est un acte juridique adopté unilatéralement par une autorité administrative portant sur l’ordonnance juridique et affectant les droits et les obligations des tiers sans leur consentement ». C’est une définition suffisamment précise. Elle a simplement deux défauts : le premier défaut c’est qu’elle évoque l’autorité administrative sans préciser que celle-ci exerce un pouvoir administratif. Le second est qu’il s’agit d’une définition essentiellement organique. Quoi qu’il en soit, elle contient les principaux caractères de l’acte administratif unilatéral ou décisoire.

Enfin, selon le juge administratif camerounais, l’acte administratif est « un acte juridique unilatéral pris par une autorité administrative dans l’exercice d’un pouvoir administratif et créant des droits et des obligations pour des particuliers » (CFJ/CAY, arrêt n°20 du 20 mars 1968, Ngongang Ndjanké Martin c/Etat du Cameroun).

La définition de Pierre Delvolvé se rapproche de celle du juge camerounais, à la différence que cette dernière évoque le pouvoir administratif mais ne fait pas allusion à l’absente  de consentement. Mais parce qu’elle participe du droit positif, c’est elle qui sera retenue ici. Il se dégage de cette définition, trois propositions ou idées forces : – l’acte administratif est un acte juridique unilatéral ;- l’acte administratif est un acte pris par une autorité administrative dans l’exercice d’un pouvoir administratif ;- l’acte administratif est un acte créateur de droits et d’obligations ou qui affecte l’ordonnancement juridique.

A – L’acte administratif, un acte juridique édicté unilatéralement

Il se dégage de cette proposition que l’acte administratif est, d’une part un acte juridique, et, d’autre part, qu’il est édicté unilatéralement.

1- L’acte administratif, un  acte juridique

L’acte administratif est un acte juridique parce qu’il participe d’une manifestation de volonté en vue de produire des effets de droit. Il peut être soit explicite, soit implicite. Comme acte explicite, il peut s’agir d’un instrumentum ou d’un negotium.

L’instrumentum est un document écrit. La jurisprudence ne s’attache pas au formalisme. Ainsi, l’acte administratif peut être une lettre. C’est le cas d’une lettre adressée par le Ministre en Charge de l’Administration territoriale à un administré et portant refus de législation d’un parti politique. Il peut s’agir aussi d’un fax. Ainsi, dans une espèce en date du 27 juillet 2000 (v. CS/CA, jugement n°63/99-2000 du 27 juillet 2000, Les établissements Le paysan c/Etat du Cameroun), le juge de céans déclare : « Attendu que sur les fax (…), il y est expressément mentionné « seule la lettre commande signée par le ministre de tutelle est valable … Toute autre pièce attribuant le marché à un quelconque cocontractant est nulle… » (…) ; Attendu que les fax (…) du 17 mars 1997 du MINEDUC qui constituent des décisions administratives sont entachés d’excès de pouvoir en ce qu’ils violent la loi ou les dispositions réglementaires (…) ».

Le negotium, en tant qu’acte administratif, peut être une action, une œuvre qui peut être orale ou résulter de simples agissements (CS/AP, arrêt n°26/A du 27 juin 1996, Onana Adolphe c/communauté urbaine de Yaoundé. Le juge, en l’espèce déclare : « attendu qu’il est vrai que l’acte administratif n’est en principe soumis à aucun formalisme ; Que, bien qu’il soit le plus souvent un écrit, il peut être oral ou résulter de simples agissements ».

Comme acte implicite, l’acte administratif peut constituer soit un refus ; c’est ce qu’on appelle le silence-refus ou « silence normateur de sens négatif » (Maurice Kamto et BernardRaymond Guimdo, « Le silence de l’administration en droit administratif camerounais », Lex

Lata n°005, 1994, p.12); soit une acceptation, c’est ce qu’on appelle le silence-acception ou

« silence normateur de sens positif » (M. Kamto et B-R Guimdo, ibid., p.13)

Il y a silence-refus constitutif d’acte administratif lorsque saisie par un administré au moyen d’une requête, l’autorité administrative garde le silence ou ne lui répond pas dans les délais déterminés par les textes. C’est le cas lorsque, saisi d’un recours gracieux, le Ministre compétent ou l’autorité habilitée à représenter la collectivité territoriale décentralisée ou l’établissement public en cause garde le silence pendant 3 mois. Ce silence est susceptible de recours pour excès de pouvoir.

Quant au silence-acceptation, il intervient lorsque l’autorité administrative ne répond pas à une demande formulée par un administré dans les délais prescrits par les textes. Le dépassement ou l’expiration de ces délais constitue un silence normateur de sens positif ou une acceptation de la part de cette autorité. Le droit camerounais a prévu plusieurs cas de figure à ce sujet. L’article 7 al. 3 de la loi n°90/053 du 19 décembre 1990 sur la liberté d’association dispose que l’autorité préfectorale a deux mois pour répondre à la demande de légalisation d’une association et que passé ce délai, l’association est réputée exister légalement. L’article 7.2 de la loi n°90/056 du 19 décembre 1990 sur les partis politiques précise que le Ministre de l’Administration territoriale a trois mois pour répondre à une demande de légalisation d’un parti politique et qu’au-delà de  ce délai, le parti en question est considéré comme ayant une existence légale. Enfin, l’article 117.3 du décret n°94/119 du 07 octobre 1994 portant Statut général de la fonction publique de l’Etat dispose que l’autorité compétente a trois mois pour répondre à une demande de démission d’un fonctionnaire et que passé ce délai, la démission devient effective (sur l’ensemble de la question, lire M. Kamto et B-R Guimdo, ibid., pp. 10-14).

2- L’acte administratif, un  acte unilatéral

L’unilatéralité de l’acte administratif s’explique par le fait qu’il a pour objet de régler la conduite des personnes autres que ses auteurs. Mais, elle n’implique pas que l’acte administratif émane d’une seule personne. C’est dire que ce n’est pas le nombre d’auteurs qui permet de distinguer l’acte unilatéral de l’acte plurilatéral. Ainsi, sont des actes administratifs unilatéraux les délibérations des conseils municipaux et des conseils d’administration (des établissements publics).

Pour le juge administratif, cette unilatéralité de l’acte administratif est l’une des conditions de forme exigées pour qu’il soit déféré devant lui (CS/CA, jugement n°38/04-05 du 29 décembre 2004, Association « LE TABERNACLE DES AIGLES » c/ Etat du Cameroun).

B- L’acte administratif, un acte émanant d’une autorité administrative exerçant un pouvoir administratif 

Pour analyser cette proposition, il faut prendre en considération, d’une part ce qui en constitue le principe, et, d’autre part, ce qui peut être considéré comme inflexions à ce principe. 1–  Le principe 

L’autorité administrative dont il s’agit appartient à l’administration publique (Etat, collectivité territoriale, établissement public …). Elle doit, non seulement agir dans le cadre administratif, mais également être « habilitée » à édicter l’acte administratif (CS/CA, jugement n°38/04-05 du 29 décembre 2004 suscité).

Il se dégage de cette considération une double exclusion. La première exclusion concerne les actes des autorités étatiques non administratives; la seconde exclusion concerne

les actes des autorités de l’exécutif n’exerçant pas un pouvoir administratif.

a)- En ce qui concerne la première exclusion, on peut citer le cas des actes des

autorités législatives qui participent de l’exercice de la fonction législative du Parlement ( v.

CFJ/AP, arrêt n°4 du 28 octobre 1970, Société  des Grands Travaux c/ Etat du Cameroun : « Attendu(…) qu’au regard de la constitutionnalité ou de l’inconstitutionnalité de la modification législative litigieuse, aucun contrôle de la constitutionnalité des lois par voie d’exception, comme en l’espèce, n’est prévu par le droit camerounais ») et le cas des actes des autorités juridictionnelles qui ont trait au fonctionnement de la justice ( v. CFJ/AP, arrêt du 16 mars 1967, Tagny Mathieu c/ Etat du Cameroun : « Attendu que les actes intervenus au cours d’une procédure judiciaire ne peuvent être appréciés soit en eux-mêmes, soit dans leurs conséquences par l’autorité judiciaire » ; CFJ/ CAY, arrêt n°213 du 18 août 1972, Aoua Hadja c/ Etat du Cameroun : « Considérant qu’il ressort du dossier que dame Aoua Hadja se plaint de ce que les autorités judiciaires auraient catégoriquement refusé de recevoir son action ; un tel grief, qui met en cause le fonctionnement du service judiciaire ne peut être interprété comme une violation de la loi par l’Etat ; au surplus, le principe de la séparation des pouvoirs interdit au juge administratif de statuer sur des actions qui mettent en cause le fonctionnement des tribunaux judiciaires »).

b)- En ce qui concerne la seconde exclusion, il s’agit des actes des autorités de l’exécutif n’exerçant pas un pouvoir administratif. On peut citer les actes de gouvernement et les actes constitutifs de voie de fait.

L’acte de gouvernement est une notion fonctionnelle et non conceptuelle. Elle a été forgée par la jurisprudence administrative française dans l’affaire Duc d’Aumale (CE, 09 mai 1867, Duc d’Aumale). Dans cette affaire, le Conseil d’Etat avait refusé de contrôler les actes de l’administration parce qu’il estimait qu’ils étaient fondés sur des mobiles politiques. Quelques années après, tout en maintenant la notion d’acte de gouvernement, il va rejeter l’idée de mobile politique dans l’affaire Prince Napoléon (CE, 18 février 1875, Prince Napoléon), rejet confirmé  par le Tribunal des Conflits le 05 novembre 1880 dans l’arrêt Marquiguy et lui-même (v. CE, 20 mai 1887, Duc d’Aumale et Prince Murat).

Consacré au Cameroun par des textes (voir l’ordonnance n°72/06 du 26 août 1972 fixant l’organisation de la Cour suprême, en son article 9, puis la loi n°2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs, en son article 4, : « Aucune juridiction ne peut connaître des actes de Gouvernement), l’acte de gouvernement a fait l’objet de plusieurs appréciations par  le juge camerounais.

Les actes de gouvernement sont des actes du gouvernement ou des actes émanant des autorités du pouvoir exécutif lorsque ces dernières n’agissent pas en tant qu’autorités administratives. Plus concrètement, ce sont des actes du pouvoir exécutif ou du gouvernement qui apparaissent comme des actes politiques à raison des matières dans lesquelles ils sont accomplis et qu’on pourrait qualifier de matières de gouvernement. A raison de cette nature, ils échappent, sur le terrain contentieux, à la compétence des juges administratif et judiciaire, jouissant de ce fait d’une immunité juridictionnelle.

L’analyse juridique impose donc de reconnaître que l’activité gouvernementale peut ne pas avoir un caractère administratif. Ainsi, les actes de gouvernement ne sont pas des actes administratifs. Ils concrétisent ce qu’est l’activité gouvernementale en tant qu’activité distincte de l’activité administrative.

Il existe des domaines classiques d’application des actes de gouvernement et d’autres domaines qui révèlent l’élargissement, voire la versatilité de cette notion. Selon la formule usuelle de la jurisprudence française, reprise par la jurisprudence camerounaise, les actes de gouvernement classiquement appréhendés sont d’une part les actes du pouvoir exécutif concernant ses rapports avec le parlement, et, d’autre part, les actes du gouvernement dans ses rapports avec les organisations internationales et les Etats étrangers (CS/CA, jugement ADD n°66/78-79 du 31mai 1979, Kouang Guillaume Charles c/Etat du Cameroun ; CS/CA , jugement n°7 du 29 novembre 1979 , Essomba Marc Antoine c/Etat du Cameroun).

Les actes de gouvernement qui participent de l’activité du pouvoir exécutif dans ses rapports avec le parlement sont, entre autres : l’acte par lequel le Président de la République convoque ou clôture des sessions extraordinaires du parlement ; l’acte par lequel il prononce la dissolution de l’Assemblée Nationale ; les mesures prises par l’exécutif dans l’exercice de son droit d’initiative des lois (dépôt ou retrait des projets de loi, comportement des membres du gouvernement dans les débats parlementaires) ; le décret portant promulgation d’une loi (dans son arrêt d’assemblée du 08 février 1974, Commune de Montory, le Conseil d’Etat français définit la promulgation comme l’ « acte par lequel le Chef de l’Etat atteste l’existence d’une loi et donne l’ordre aux autorités publiques d’observer et de faire observer la loi ») ; le décret du Président de la République décidant de soumettre un projet de loi au référendum ; enfin, la décision du Président de la République de mettre en application l’article 9.2 de la Constitution relatif à l’état d’exception. Quant aux actes de gouvernement qui participent de l’activité de l’exécutif étatique dans ses rapports internationaux et diplomatiques, on peut citer, entre autres : les mesures prises et comportements suivis par le gouvernement et ses membres au cours d’une négociation ou en ce qui concerne l’exécution des accords internationaux ; plus largement, les mesures prises et les comportements adoptés par les autorités exécutives dans la conduite des relations internationales (exemple : le refus du Ministre des Affaires étrangères opposé à un étranger de séjourner sur le territoire national en qualité de personnel diplomatique ( CE 16 novembre 1998, M. Lombo) ; enfin, les mesures prises et comportements adoptés par les autorités de l’exécutif dans ses rapports avec les organisations internationales (ex. : le fait pour un Etat de refuser de présenter une candidature à un poste dans une organisation internationale).

Que dire des autres domaines qui participent de l’extension ou de la versatilité de la notion d’actes de gouvernement ? 

En droit camerounais, on peut citer :

  • les actes ayant un mobile politique. Il en est ainsi dans le jugement n°34/CA/CS du 24 avril 1980, Essougou Benoît c/Etat du Cameroun où le juge déclare, en substance : « (…) on entend par actes de gouvernement, des actes ayant un caractère essentiellement politique dont la décision appartient exclusivement au gouvernement ; qu’il s’agit encore d’actes se rattachant à l’exercice de la puissance exécutive dans les matières de gouvernement ». Par cette formulation ambiguë, voire brumeuse, le juge administratif camerounais fait renaître la théorie du mobile politique abandonnée en France depuis 1875. Mais, le jugement Essougou Benoit est resté unique sur le point.
  • les actes portant convocation du corps électoral aux élections politiques (présidentielles et législatives). En effet, statuant en référée sur des requêtes introduites par certains partis politiques contre ces actes, le juge administratif a clairement indiqué que de tels actes étaient des actes de gouvernement, citant  un vieil arrêt du Conseil d’Etat français du 06 août 1912 ( v. ordonnance de référé n°01/OR/CS/PCA/92-93 du 02 oct. 1992, Affaire UDC contre Etat du Cameroun, observations de B. Guimdo in Juridis info n°14 avril-mai-juin 1993,60 ; ordonnance de référé n°02/OR/CS/PCA/92-93 du 02 octobre 1992, affaire SDF c/ Etat du Cameroun ; ordonnance de référé n°03/OR/CS/PCA/92-93 du 02 octobre 1992, affaire SDF et UFDC c/ Etat du Cameroun) ;

Il existe une autre catégorie d’actes qui ne sont pas considérés comme des actes administratifs. Il s’agit des actes constitutifs de voie de fait administratif. Ce sont des actes pris par les autorités administratives dont le caractère manifestement irrégulier en fait des actes insusceptibles d’être rattachés à l’exercice d’un pouvoir administratif ou à un acte législatif ou réglementaire[4] (il est à noter que la voie de fait peut être soit un acte juridique, soit une opération matérielle. Elle se rencontre dans le domaine des libertés fondamentales et du droit de propriété). Il peut y avoir voie de fait lorsque les vices qui entachent la décision litigieuse sont d’une gravité exceptionnelle. Il en est ainsi d’une décision prise par l’autorité militaire refusant à un officier d’être autorisé à pénétrer dans son logement (T.C, 22 juin 1965, Guigon). Il en est de même de la décision portant rupture d’un contrat administratif prise par une autorité qui n’en est pas légalement inhabile ( CS/CA, jugement n°31/ADD/04-05 du 29 décembre 2004, Yikam Jérémy c/ Etat du Cameroun : « La résiliation dudit contrat par un ministère autre que celui chargé de l’Urbanisme et de l’habitat, même si c’est le Ministère de la Défense, qui en est le bénéficiaire, constituerait une voie de fait administrative comme violant le droit à la propriété et à l’effet relatif des contrats tous deux étant des droits fondamentaux de la personne ».

Il faut savoir que si tout acte engendrant une voie de fait est nécessairement illégal, en revanche, tout acte illégal ne donne pas nécessairement lieu à une voie de fait (C.E, 18 novembre 1949, Carlier).

Au total, c’est l’autorité administrative exerçant un pouvoir administratif qui édicte ou peut édicter des actes administratifs. Mais il s’agit d’un principe qui connaît de bémols. 2- Les limites du principe Ces limites sont pour l’essentiel, au nombre de deux.

D’une part, les autorités administratives peuvent édicter des actes de gestion privée  qui sont soumis aux règles de droit privé et dont le contentieux relève de la juridiction judiciaire. Il en est ainsi des actes par lesquels l’administration procède au recrutement des agents décisionnaires (agents des catégories 1 à 6 relevant du Code du travail), à leur affectation ( telle une note de service faite en la forme  administrative : v. CS/CA, jugement n°15/89-90 du 23 novembre 1989, Njihim Lot c/ Etat du Cameroun) ou la suspension (abusive) de leur salaire ( CS/CA, jugement n°10/89-90 du 23 novembre 1989, Fotso Emile c/ Etat du Cameroun); des actes de conclusion ou de résiliation des contrats de droit commun de l’administration tel que les contrats de gérance-libre dont le contentieux relève de la compétence du juge judiciaire et non du juge administratif. Ce dernier l’a clairement affirmé dans un jugement en date du 31 mars 1999 (CS/A, jugement n°20/98-99 du 31 mars 1999, Sogethore c/Etat du Cameroun).

D’autre part, les organes ou personnes privées peuvent édicter des actes unilatéraux ayant un caractère administratif. De tels actes peuvent concerner soit le service public, soit l’exercice de prérogatives de puissance publique. Par exemple, un acte unilatéral pris par une personne privée peut être administratif lorsqu’il porte sur l’organisation du service public (TC, 15 janvier 1968, Compagnie Air France c/ Epoux Barbier : « Considérant que si la compagnie nationale Air France, chargée de l’exploitation de transports aériens est une société anonyme signifie une personne morale de droit privé (…), les juridictions administratives demeurent (…) compétentes pour apprécier par voie de question préjudicielle la légalité du règlement émanant du conseil d’administration qui, touchant à l’organisation du service public, présente un caractère administratif » ; v. aussi : CE 31 mars 1995,DESAUNAY) . De même,  un acte unilatéral pris par une personne privée peut être administratif lorsque cette personne est associée par le législateur à l’exécution d’un service public administratif (CE 11 mai 1984, Elie  PEBEYRE), ou  lorsque cette personne détient ou exerce des prérogatives de puissance publique (CFJ/SCAY, arrêt n°50 du 27 janvier 1968, Bernard Auteroche c/Conseil de l’Ordre des médecins et arrêt du 31 mars 1977, Feumi Njantou Jacques c/ Etat du Cameroun).

C- L’acte administratif, un acte affectant l’ordonnancement juridique 

Cette proposition pose deux problèmes. Le premier problème est relatif aux critères de l’acte administratif unilatéral, tandis que le second concerne les actes qui ne constituent pas des actes administratifs unilatéraux, mais qui sont des actes de l’administration.

1- Les critères de l’acte administratif unilatéral ou décisoire Ces critères sont au nombre de trois.

D’abord, l’acte administratif est un acte obligatoire, cela signifie qu’il s’impose ou doit s’imposer aux administrés (CS/CA, jugement n°28 du 25 février 1982, Mbarga Richard contre Etat du Cameroun).

Ensuite, c’est un acte exécutoire. D’après le Doyen Georges Vedel, les décisions exécutoires sont « des actes juridiques émis unilatéralement par l’administration en vue de modifier l’ordonnancement juridique par les obligations qu’ils imposent ou par des droits qu’ils confèrent ». Le juge administratif camerounais a eu dans plusieurs espèces à consacrer le caractère exécutoire de l’acte administratif unilatéral. Dans le jugement n°40/CS/CA du 22 février1979,Ndjofang Frédéric c/Etat du Cameroun il affirme : « Considérant qu’il y a lieu de faire remarquer à Ndjofang qu’un recours pour excès de pouvoir est toujours dirigé contre un acte émanant d’une autorité administrative, qu’il faut donc que cet acte ait un caractère exécutoire, qu’il puisse s’imposer aux administrés ; que l’on ne peut affirmer qu’un bulletin de notes qui ne constitue qu’une preuve(…) du travail fourni, constitue un acte administratif ». Il rejette donc toute demande formée contre un acte de l’administration qui n’a pas un caractère exécutoire (CS/CA, jugement n°95/84-85 du 30 mai 1985, Gnidjeo contre Etat du Cameroun).Le caractère exécutoire  des actes administratifs a été défini par le Conseil d’Etat français comme « la règle fondamentale de droit public »(CE, 2 juillet 1982,Huglo et autres).

Enfin, l’acte administratif est un acte qui fait grief. L’acte faisant grief peut être défini comme un acte qui produit des effets juridiques (CE, 26 novembre 1976, Soldani) ou qui « porte atteinte aux droits et intérêts légaux du recourant » entant qu’ « acte décisoire » (CS/CA, jugement n°38/04-05 du 29 décembre 2004, Ass. « Le TABERNACLE DES AIGLES c/ Etat du Cameroun). Il en est ainsi de l’acte par lequel le Ministre des Finances effectue des retenues (ordre de recettes) sur le salaire d’un fonctionnaire à due concurrence du montant des dégâts occasionnés par lui à l’administration (perte ou endommagement d’un véhicule administratif : CS/CA, jugement n°39/93/94 du 28 avril 1994, Ondo Ovono Charles c/ Etat du Cameroun).

Il convient de préciser que l’acte portant suspension d’un fonctionnaire de ses fonctions n’est pas un acte faisant grief bien que l’on puisse le considérer comme étant une décision exécutoire. Le juge camerounais l’a clairement dit dans un jugement en date du 28 janvier 1982(CS/CA, Dame Binam née Ngo Njom Fidèle c/Etat du Cameroun). En l’espèce, il déclare que la suspension de la requérante est une  « mesure (…) « annonciatrice » (…) ; qu’il ne s’agit donc pas d’une mesure d’instruction proprement dite » ; qu’ « une telle mesure ne peut donner lieu à un recours pour excès de pouvoir ».

La suspension fait partie des mesures dites conservatoires, qui constituent l’antichambre des mesures faisant grief (sur la question, lire Roger Gabriel Nlep, note sous le jugement Dame Binam in Recueil Penant n°791, 1986 pp 354-360). Elle doit prendre fin automatiquement à l’issue de la durée réglementaire de trois (03) mois prévue par le SGFP (CS/CA, jugement n°5/90/91 du 29 novembre 1990, Amougou Linus c/ Etat du Cameroun). Ainsi, le juge administratif camerounais rejette toute demande formée contre des actes qui ne font pas grief (v. CS/CA, jugement n°01/ 84-85 du 25 octobre 1984, Otélé Biyidi Dieudonné c/ Etat du Cameroun).

Il faut dire que la définition de l’acte administratif ne repose pas ici sur un critère formel, mais sur un critère matériel lequel prend en compte le contenu et les effets de l’acte. Il en résulte qu’un arrêté de notification pris par une administration ne constitue pas un acte administratif au sens matériel (CE, 6 mars 1936, Nathan).

2 – Les actes ne constituant pas des actes administratifs décisoires

Tous les actes de l’administration ne sont pas considérés juridiquement comme des actes administratifs unilatéraux. Il en est ainsi de tous les actes de l’administration qui n’emportent aucune conséquence juridique.

Le droit administratif en connaît de très nombreuses variétés que l’on peut regrouper en quatre catégories :

  • Les actes conservatoires, préparatoires et autres ;
  • Les mesures d’ordre intérieur ; – Les circulaires ; –        Les directives.

a)-Les actes conservatoires, préparatoires et autres actes non décisoires

Ce sont des actes qui ne constituent pas de décisions administratives en ce sens qu’ils n’ont aucun effet juridique et ne sont pas par conséquent susceptible de recours pour excès de pouvoir. C’est le cas, par exemple, des mesures prises au cours d’une procédure administrative pour préparer la décision terminale; des réponses d’attente; des déclarations d’intentions; des renseignements donnés par l’administration; des communiqués des Conseils ministériels ou de cabinet; des réponses faites par des autorités administratives aux interventions des élus. Mais, dès lors que l’un de ces actes produit des effets juridiques, il acquiert la qualité d’acte administratif. C’est le cas, par exemple, du certificat d’urbanisme, simple constat du droit applicable qui est un acte administratif en tant qu’il produit des effets juridiques à l’égard des demandes de permis de construire (CE, 24 juin 1977, Ministre de l’Equipement c/ Laot),  et d’une mise en demeure formulée en des termes impératifs (CE, 8 janvier 1982, SARL chocolat Dardenne). b)- Les mesures d’ordre intérieur

Elles ont un caractère purement interne à l’administration et sont prises par elle dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’organisation du service. Lorsqu’elles n’ont aucun effet juridique sur la situation de ceux qui les subissent, elles ne constituent pas des actes administratifs. Elles ne seront pas susceptibles de recours contentieux dès lors qu’elles ne portent pas atteinte ni aux droits que les fonctionnaires tiennent de leur statut, ni aux prérogatives du corps auquel ils appartiennent (CE, 26 octobre1956, Association générale des administrateurs civils) et qu’elles n’auraient pour eux aucune conséquence pécuniaire (CE, 04 juillet 1958, Commune d’Anglet).

Les mesures d’ordre intérieur peuvent aussi avoir pour objet d’assurer le maintien de la discipline dans le service. Dès lors qu’elles n’ont pas d’effet juridique sur leur destinataire, elles ne leur font pas grief. Tel est le cas des mesures de discipline intérieures au service infligées aux militaires, aux détenus et aux élèves. Il en est ainsi des refus de permission ( CE, 18 octobre 1918, Voltine) ; de l’interdiction de porter des insignes dans les établissements d’enseignement( CE, 21 octobre 1938, Lote) ; de la décision mutant un étudiant d’un groupe de travaux dirigés à un autre (CE, 11 janvier 1967, Bricq) et de la décision plaçant un détenu dans un quartier de plus grande sécurité (CE, Ass., 27 janvier 1984, Caillol, RDP, 1984, p.483, concl. Contraires B. Genevois).  Cette solution s’explique par la volonté du juge de limiter les sources de contentieux dans les domaines où le maintien de la discipline apparaît nécessaire.

Mais, dès lors que de telles mesures portent atteinte aux droits des intéressés, elles sont considérées comme des actes administratifs susceptibles de recours. Tel est le cas des mesures d’organisation du service qui mettent en cause le statut des fonctionnaires auxquels elles s’appliquent ou les possibilités d’accès des usagers (CE, 07 février 1936, Jamart).Il en est de même des mesures de discipline qui portent atteinte aux droits des intéressés ; par exemple, la décision excluant un élève d’une école ou d’une classe ( CE, 6 juillet 1949, Andrade) ou infligeant une sanction inscrite au dossier à un fonctionnaire ( CE, sect., 1er septembre 1972, Obrego). Ainsi, le juge administratif peut contrôler la légalité des règlements intérieurs des lycées et des collèges et sanctions prononcées pour leur violation (pour une expulsion fondée sur le port du foulard islamique, voir, par exemple : CE, 10 mars 1995, Aoukili, AJDA, 1995, p.332).

La tendance jurisprudentielle aujourd’hui est de restreindre le champ des mesures d’ordre intérieur considérées comme ne produisant pas d’effets juridiques afin de réduire le domaine de l’activité administrative soustraite à tout contrôle contentieux. L’exemple nous est fourni par la jurisprudence administrative française. Ainsi, le C.E a accepté de connaître des décisions prises par les arbitres des compétitions sportives et par les fédérations organisatrices (CE, 25 janvier1991, Vigier) ; il en est de même des règlements intérieurs des assemblées délibérantes des collectivités locales longtemps insusceptibles de recours (CE, sect., 10 février 1995, Riehl). Par ailleurs, le CE a renversé sa jurisprudence relative aux sanctions infligées aux détenus et aux militaires.

Dans son arrêt d’Assemblée du 17 février 1995, M. Marie (AJDA, 1995, p.420), il a jugé que « eu égard à la nature et à la gravité de cette mesure, la punition de cellule constitue une décision faisant grief susceptible d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir ». Dans l’arrêt du même jour, M. Hardouin (AJDA, 1995, p.421), il a décidé que « tant par se effets directs sur la liberté d’aller et venir du militaire, en dehors du service, que tant par ses conséquences sur l’avancement ou le renouvellement des contrats d’engagement, la punition des arrêts constitue une mesure faisant grief, susceptible d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir » (v. les conclusions de M. Frydman, RFDA, 1995, p.353).  c)- Les circulaires 

Lire Aussi :  COURS DE DROIT DES CONTRATS ADMINISTRATIFS (PDF)

Ce sont des instructions ou des notes de service par lesquelles les responsables administratifs donnent à leurs subordonnés ou collaborateurs des recommandations, des explications ou des commentaires des dispositions législatives ou réglementaires.

Document interne à l’administration, la circulaire ne produit pas normalement d’effets juridiques à l’égard des administrés auxquels elle est inopposable. Elle s’impose seulement dans l’ordre interne en ce qu’elle émane des supérieurs hiérarchiques. Cela entraîne deux sortes de conséquences :

  • unio : L’administration ne peut fonder des décisions sur une circulaire sauf à commettre une erreur de droit ;
  • secundo : Les circulaires ne faisant pas grief aux administrés ne peuvent créer de droits à leur profit ou leur imposer des obligations.

Toutefois, il arrive que des actes intitulés « circulaires » contiennent des dispositions qui modifient les droits et les obligations et fassent grief aux administrés. Il s’agit là manifestement d’actes administratifs unilatéraux. C’est ainsi que le juge français a pu distinguer les actes qui ne produisent pas d’effet de droit, à savoir les circulaires interprétatives de ceux qui en produisent, à savoir les circulaires réglementaires (CE, 29 janvier 1954, Institution Notre Dame de Kreisker).

Cette distinction a été reprise par le juge camerounais qui a vu dans une circulaire du Ministre de la Justice ordonnant la fermeture des cabinets de recouvrement de créances et interdisant l’exercice de cette activité un acte administratif unilatéral qu’il a d’ailleurs annulé pour excès de pouvoir (CS/CA, jugement n°43/82-83 du 7 avril 1983, affaire Kouoh Emmanuel Christian c/ Etat du Cameroun, confirmé en appel : CS/AP, arrêt n°4/A du 21 novembre 1985, affaire Etat du Cameroun c/  Kouoh Emmanuel Christian, observations Aloys Mpessa in Juridis périodique n°59 de juillet -août- septembre 2004, pp.58-67, notamment pp.62-67).

La circulaire constitue un acte administratif et plus précisément un règlement lorsqu’elle ajoute à l’ordonnancement juridique en créant des droits et des obligations pour les tiers. Elle comporte des prescriptions, des interdictions et ne se limite pas à des explications.

Véritable règlement, elle se caractérise donc par son contenu innovatoire. Il en est ainsi lorsque l’auteur de la circulaire modifie le contenu ou la portée du texte qu’il entend interpréter (CE, 26 juin 1974, Letinier) ou lorsque la circulaire prévoit l’édiction de normes nouvelles (CE, 31 mai 1968, Michel).

Pour apprécier la légalité d’une telle circulaire, le juge recherchera notamment si  son auteur dispose du pouvoir réglementaire. Si tel n’est pas le cas, la circulaire est entachée d’illégalité en tant qu’émanant d’une autorité incompétente (CE, 1er octobre 1984, confédération nationale des groupes autonomes de l’enseignement public).  A contrario, les circulaires qui n’ajoutent rien à l’état de droit sont dites interprétatives. Ce sont celles qui doivent bénéficier du régime juridique des circulaires.

Il est des cas où on peut trouver à l’intérieur d’une même circulaire des dispositions de caractère innovatoire et des dispositions de caractère interprétatif (CE, 14 janvier 1981, mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples et UNEF).

Tel qu’établi par la jurisprudence, le régime des deux types de circulaires (réglementaire et interprétative) est donc très différent.

Il convient, cependant, de noter qu’en la matière, la jurisprudence française a considérablement évolué. Après avoir précisé le régime juridique des circulaires dans l’arrêt

I.F.O.P (CE,  18 juin 1993, Institut français d’opinion publique et autres, Rec., p.178, Rev. Adm., 1993, p. 322, concl. F. Scanvic.) qui aboutissait à rendre recevables les recours dirigés contre une circulaire par laquelle l’administration donnait une interprétation erronée de l’état du droit ou y ajoutait une donnée nouvelle et explicité la portée de sa jurisprudence dans l’arrêt Villemain (CE, Ass., 28 juin 2002, Villemain, RFDA, 2002, p. 723, concl. S. Boissard; AJDA, 2002, p. 586, chron. F. Donnat et D. Casas.) où il a mis en lumière le critère du caractère impératif de la circulaire, le Conseil d’Etat a, dans l’arrêt Duvignière (CE, Sect., 18 décembre 2002, Mme Duvignière, RFDA, 2003, pp. 280-290, concl. P. Fombeur, RFDA, 2003, pp. 510-519, note J. Petit, « Les circulaires impératives sont des actes faisant grief » ; AJDA, 2003, pp. 487-490, chron. F. Donnat et D. Casas, LPA, 23 juin 2003, note P. Combeau ; GAJA, 14ème  éd., Dalloz, 2003, n°118), renouvelé et clarifié le régime contentieux des circulaires.

Il a ainsi introduit dans la distinction faite entre circulaire interprétative et circulaire réglementaire un nouveau critère de recevabilité qui est celui du caractère impératif de la circulaire. Il affirme à ce sujet, dans l’arrêt Mme Duvignière, que « considérant que l’interprétation que par voie, notamment, de circulaires ou d’instructions l’autorité administrative donne des lois et règlements qu’elle a pour mission de mettre en œuvre n’est pas susceptible d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir lorsque, étant dénuée de caractère impératif, elle ne saurait, quel qu’en soit le bien-fondé, faire grief ; qu’en revanche, les dispositions impératives à caractère général d’une circulaire ou d’une instruction doivent être regardées comme faisant grief, tout comme le refus de les abroger ». d) Les directives Ce sont des documents d’ordre intérieur adressés par des responsables administratifs à leurs subordonnés pour leur indiquer comment exercer leur pouvoir de décision lorsque leur appréciation n’est pas liée par les textes.

Les directives peuvent aussi émaner de l’autorité investie du pouvoir d’appréciation qui fixera les conditions dans lesquelles elle exercera son pouvoir.

Par les directives, l’administration se fixe elle-même à l’avance une ligne de conduite destinée à la guider dans les décisions qu’elle prendra dans les domaines où elle dispose d’un pouvoir discrétionnaire. C’est donc un acte d’orientation du pouvoir discrétionnaire.

La directive n’impose pas, elle n’ajoute pas à l’ordonnancement juridique, elle n’interprète pas; mais elle guide. Elle se distingue à la fois des simples circulaires interprétatives et des actes administratifs unilatéraux qui affectent l’ordonnancement juridique ( v. CS/CA Jugement n°27/79-80 du 27 décembre 1979, Hayatou Souaibou c/ Etat du Cameroun ; en l’espèce, le juge déclare que les « directives ne constituent pas un élément de légalité ; leur violation par une décision administrative n’est pas une illégalité susceptible de donner lieu à un recours pour excès de pouvoir(…) ; les directives ne constituent pas un acte administratif s’imposant aux administrés ; elles ne sont pas elles-mêmes susceptibles d’être attaquées par voie du recours pour excès de pouvoir »).

La théorie jurisprudentielle de la directive trouve son origine dans le refus du juge administratif d’admettre que des autorités non investies du pouvoir réglementaire puissent fixer à l’avance pour elles-mêmes et pour leurs subordonnés les modalités d’exercice de leur pouvoir discrétionnaire.

En France, l’état de droit en la matière était fixé par deux arrêts. Dans un arrêt du 13 juillet 1962, Arnaud, le Conseil d’Etat avait admis que les ministres puissent déterminer des critères de caractère général destinées à fixer les principes dont ils entendent s’inspirer dans l’examen des cas individuels, mais considéré comme illégales les décisions individuelles prises par référence à ces critères. Dans un arrêt du 23 mai 1969, société distillerie Brabant, le Conseil d’Etat avait refusé de reconnaître un pouvoir réglementaire aux ministres en dehors de l’organisation de leur service et d’un texte le leur attribuant.

Si chacune de ces jurisprudences avait sa logique et ses justifications propres, leur combinaison présentait de graves inconvénients : pour éviter des discriminations dans les

solutions individuelles l’administration ne pouvait prédéterminer ses critères de décision et les faire connaître aux administrés. Aussi, le Conseil d’Etat a été amené à autoriser l’administration à prendre des directives dont la légalité a été admise par l’arrêt du 11 novembre 1970, Crédit foncier de France dans lequel, pour la première fois, le Conseil d’Etat admet que l’administration peut se fixer à l’avance des directives encadrant l’exercice de son pouvoir discrétionnaire sans commettre une erreur de droit.

L’administration est, en principe, tenue d’appliquer ses directives, mais dans la mesure où les directives n’ont pas de valeur réglementaire, elle peut y déroger après un examen particulier des circonstances soit pour des motifs d’intérêt général, soit en raison de la situation particulière de l’intéressé (CE, 14 décembre 1988, SA Gilbert Marine, AJDA, 1989, p.266 note J-M Auby).

Les directives qui n’ont aucun caractère réglementaire ne modifie pas en elles-mêmes la situation juridique des intéressés (CE, 29 juin 1973, société Gea, RDP, 1974, p.547) elles ne peuvent ni créer des droits à leur profit ni leur imposer des obligations. Elles sont donc insusceptibles de recours contentieux. Mais dans la mesure où la directive emporte des effets sur les administrés, elle est opposable. En premier lieu, l’administration peut opposer ses directives à l’administré. C’est ainsi qu’elle est en droit de se référer à ses propres directives pour prendre des décisions individuelles. En second lieu, la directive peut être opposable à l’administration par les administrés. En effet, ces derniers peuvent faire valoir que l’administration aurait dû soit leur appliquer la directive, soit écarter son application.

L’administré peut aussi soulever l’exception d’illégalité de la directive à l’occasion d’un recours pour excès de pouvoir contre les décisions individuelles prises sur le fondement de cette directive. Mais, il ne peut pas former de recours direct contre les dispositions de la directive dans la mesure où celle-ci par elle-même ne fait pas grief.

In fine la directive présente un double caractère. Elle est d’abord un acte indirect en ce qu’elle n’entraîne par elle-même aucun effet de droit, mais qu’elle en produit par l’intermédiaire des décisions individuelles qui la mettent en œuvre. Elle est, ensuite, un acte intermédiaire, car si l’administration doit normalement en faire application dans son pouvoir de décision individuelle, elle peut, tout à fait légalement, l’écarter. Ce faisant, la directive se différencie de l’acte administratif réglementaire et de la simple circulaire, même si son régime juridique emprunte à ces derniers. C’est pour cette raison qu’on la qualifie parfois d’acte hybride ou caméléon (lire à ce sujet Martine Cliquennois, « Que reste-t-il des directives ? A propos du vingtième anniversaire de l’arrêt Crédit Foncier de France », AJDA, 1992, p.3).

En définitive, l’acte administratif unilatéral, dans sa dimension notionnelle, est dense et varié dans son contenu et dans sa portée.

  • 2 – La classification

La classification des actes administratifs décisoires ou unilatéraux se fait selon trois critères. Il s’agit des critères formel,  organique et matériel.

A– La classification formelle

En se fondant sur la forme de l’acte stricto sensu, on peut opérer trois distinctions, au moins : entre les actes écrits et les actes non écrits, entre les actes explicites et les actes implicites ou tacites et entre les actes simples et les actes complexes. 1 – La distinction acte écrit/acte non écrit  Le principe en droit administratif c’est l’acte écrit, qui est l’instrumentum. 

Mais il peut arriver que l’acte administratif soit non écrit. C’est ainsi qu’un ordre donné oralement ou verbalement peut être considéré comme un acte administratif. A ce sujet, le Conseil d’Etat a jugé que l’ordre verbal donné par un maire de déposer le corps d’un noyé dans une église « constituait, quel que fut son caractère, une décision prise par une autorité administrative (…) susceptible d’être attaquée devant le Conseil d’Etat par la voie du recours excès de pouvoir » (CE, 09 janvier 1931, Abbé Cadel).

Le juge camerounais reconnaît lui aussi que l’acte administratif peut être oral ou verbal. Dans deux espèces, au moins, il a eu à l’affirmer. Dans ce sens, le jugement n°08/CS/CA du 19 décembre 1975, Tonkam Pierre contre Etat du Cameroun : « Considérant qu’une décision exécutoire en forme verbale susceptible de causer à autrui un préjudice est un acte qui peut donner lieu à une action devant la Cour suprême, qu’il est de jurisprudence constante qu’il peut exister des décisions exécutoires en forme verbale ». Dans le même sens, l’ordonnance n°12/OSE/PCA/78-79 du 07 août 1979, Deudie Joseph c/Etat du Cameroun : « Attendu qu’il a été jugé qu’une mesure administrative unilatérale même verbale (ici l’expulsion de l’Ecole de Police du requérant) dès lors qu’elle fait grief, est un acte administratif, par conséquent  est susceptible d’être mis en cause devant le juge administratif ».

De même,  l’acte administratif peut être gestuel. Exemple : Les gestes effectués par un policier dans un carrefour pour régler la circulation. L’acte administratif peut aussi être mécanique. C’est le cas des feux de signalisation dans un carrefour.

2 – La distinction acte explicite/acte implicite

L’acte explicite peut être écrit, oral, gestuel ou mécanique. A contrario, l’acte implicite découle de l’abstention ou de l’inaction de l’administration. A ce sujet, on distingue le silence-rejet et le silence-acceptation.

L’hypothèse du silence-rejet est consacrée par l’article 12.2 de l’ordonnance n° 72/06 du 26 août 1972 fixant l’organisation de la Cour suprême. Cette hypothèse a été rappelée plus d’une fois par le juge administratif Cameroun. On peut citer le jugement n°83/CS/CA du 30 juin 1983, Sikam Adolphe c/ Etat du Cameroun où le juge déclare :« Attendu … qu’il y a lieu de considérer que l’acte administratif peut même être implicite, que c’est ainsi que le silence gardé par l’administration pendant un certain délai à dater de la réception d’une demande est considéré comme une décision de rejet susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation », ainsi que le jugement n°102/CS/CA du 29 septembre 1983, Nguenang Joseph c/Etat du Cameroun où le juge affirme : « Attendu … que l’acte administratif n’est pas seulement écrit, il peut même être implicite ; que c’est ainsi que le silence gardé par l’administration pendant un certain délai à dater de la réception d’une demande ou d’une réclamation est considéré comme une décision de rejet, susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation ».

3- La distinction acte simple/acte complexe

L’acte est dit simple lorsque son édiction n’obéit à aucune formalité particulière. Il en est ainsi lorsque son auteur n’est pas tenu de suivre certaines règles de procédure telle la consultation et la contradiction.

Quant à l’acte complexe, son édiction est liée à l’accomplissement de certaines formalités telle que la consultation d’un organisme public (exemple : le conseil de discipline, le conseil supérieur de la Magistrature) ou la négociation (exemple : les actes pris par l’administration après négociation avec des groupes corporatifs).

B – La classification organique

Cette classification prend en considération l’organe qui édicte l’acte. On distingue les actes émanant du Président de la République sur proposition du Premier Ministre et des actes qu’il émet sans proposition ou sans consultation. Selon le cas, ces actes peuvent être réglementaires ou non réglementaires.

Le Président de la République prend aussi des ordonnances qui sont considérées avant leur ratification par le parlement comme étant des actes réglementaires (v. article 28 de la Constitution du 18 janvier 1996). Le Premier Ministre quant à lui est habilité à prendre des actes administratifs sous forme de décrets ou d’arrêtés, lesquels sont soit réglementaires, soit non réglementaires.

Les actes non réglementaires du Premier Ministre sont, pour l’essentiel, soumis à l’approbation du Président de la République.

Il convient, au regard de ce qui précède, de faire deux observations :- premièrement,  l’acte de l’autorité hiérarchiquement inférieure est subordonné à l’acte de même nature émanant de l’autorité supérieure ;- secondement, l’acte le moins solennel est subordonné à l’acte de même nature émanant de la même autorité.

C – La classification matérielle

Cette classification permet de faire le distinguo entre l’acte réglementaire et l’acte non réglementaire. Cette distinction est d’ordre qualitatif et non quantitatif.

  • – L’acte réglementaire

L’acte réglementaire est une décision de l’autorité administrative édictant une règle juridique caractérisée par sa généralité et son impersonnalité. Il s’agit d’un acte qui régit une  situation indéterminée dans la mesure où il ne vise pas un individu mais une catégorie ou plutôt une situation générale pouvant intéresser une catégorie d’individus (exemple : les automobilistes ou les habitants d’une commune). Dès lors que cet acte a un tel objet, il est toujours réglementaire alors même qu’il concerne une personne physique ou morale individualisée (CE, 20 jan 1989, Fédération française de Karaté). Il importe peu que, au moment où l’acte est édicté, il ne soit applicable qu’à un petit nombre d’intéressé. Sera ainsi réglementaire la disposition attribuant certaines fonctions à une autorité administrative, car elle est appelée à régir pour une période indéterminée une situation abstraite faite de ses titulaires successifs (CE, 27 novembre 1935, Colomb).

Par ailleurs, le refus de prendre un acte réglementaire constitue un acte réglementaire (CE, 8 juin 1973, Richard).

  • – L’acte non réglementaire

La catégorie d’actes non réglementaires recouvre plusieurs types d’acte. On peut citer : les actes individuels, les actes collectifs et les actes particuliers ou sui generis.

Les actes individuels visent telle ou telle personne ou individu. Ils peuvent aussi viser plusieurs personnes mais non liées entre elles (ex. : la délibération d’un jury d’examen déclarant les candidats reçus ou ajournés).

Quant aux actes collectifs, ce sont des actes qui visent individuellement un grand nombre de personnes. Ils se substituent à un certain nombre d’actes individuels. Les actes collectifs concernent plusieurs personnes liées entre elles par une relation de solidarité ( ex. :

acte portant inscription de certains fonctionnaires au tableau d’avancement, la délibération d’un jury proclamant les résultats d’un concours dès lors que le classement conditionne les modalités de nomination des différents candidats).

En ce qui concerne les actes particuliers ou sui generis, ce sont des actes qui s’appliquent à une situation donnée mais qui sont susceptibles d’atteindre un nombre indéterminé de personnes. L’exemple le plus connu c’est la déclaration d’utilité publique (CE, 10 mai 1968, Commune de Broves). Ces actes ont un régime juridique mixte qui tient à la fois des actes réglementaires et des actes individuels.

En conclusion, l’acte non réglementaire, en vertu du principe de la hiérarchie des normes est tenu de se conformer à l’acte réglementaire. Il reste que l’un comme l’autre sont élaborés selon des règles déterminées par les textes et/ou par la jurisprudence.

Section 2 : L’élaboration 

Elaborer signifie, donner  une forme à un objet ou à un acte.

L’élaboration de l’acte administratif consiste à lui donner une forme écrite selon une certaine procédure. Mais il ne s’agit pas d’une actio popularis en ce sens que les textes  déterminent les organes compétents pour le faire. Cet établissement de l’acte administratif fait appel aussi bien à des éléments externes qu’à des éléments internes.

S/section 1 : Les éléments externes   

Les éléments externes de l’acte administratif sont : l’auteur de l’acte, la forme et la procédure de l’acte.

§ 1 – L’auteur de l’acte 

L’auteur de l’acte c’est la personne, l’autorité ou l’organe qui élabore ou qui a élaboré l’acte. L’auteur de l’acte doit être juridiquement compétent. Mais, il existe des  dérogations et des atténuations à cette exigence.

A – La compétence de l’auteur de l’acte

La compétence est une notion fondamentale du droit public. Elle peut être définie comme l’aptitude légale dont jouit une autorité en vue de prendre des actes juridiques dans les domaines, sur un territoire et dans une période déterminés. Il s’agit donc d’une aptitude légale circonscrite.

En droit administratif, un acte administratif ne peut être indifféremment édicté par n’importe quelle autorité administrative. Il ne peut l’être valablement que par l’autorité qui en est habilitée par les textes ou qui en est qualifiée par le droit.

La compétence existe indépendamment de l’individu ou de la personne physique appelée à l’exercer. L’analyse de cette aptitude légale pose deux problèmes relatifs respectivement à son champ et à  sa nature.

  • Le champ de la compétence ou les modes d’exercice de la compétence

Ce champ est pluriel. Il concerne la personne  qui a été désignée pour agir. On parle de compétence ratione personae. En droit administratif, le principe est celui de l’exercice personnel de la compétence.

Il concerne également le domaine d’action de l’autorité tel que prescrit par les textes. C’est la compétence matérielle ou ratione materiae. La détermination de cette compétence comporte une double conséquence :

  • premièrement, l’autorité inférieure ne peut empiéter sur la compétence de l’autorité supérieure. C’est ainsi que le Chancelier de l’Université – autorité sous tutelle- ne peut exercer des prérogatives qui relèvent de la compétence du Ministre de l’Education Nationale – autorité de tutelle (CS/AP Arrêt n°14/A du 19 juillet 1990, Etat du Cameroun (Université de Yaoundé) c/ Njock Edward). De même, le Ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat ne peut prendre un arrêté de rétrocession d’un domaine alors qu’il a fait l’objet d’une expropriation par décret du Président de la République (CS/CA, jugement n°119/04-05 du 29 juin 2005, Collectivité des Pionniers Planteurs PK 14 à 27 c/ Etat du Cameroun).
  • secondement, l’autorité supérieure ne peut empiéter, sauf textes contraires, sur la compétence de l’autorité inférieure. Cette interdiction résulte de ce que le pouvoir hiérarchique (tout comme le pouvoir de tutelle) ne comporte pas d’office le pouvoir de substitution. Celui-ci n’existe que dans le cas où la loi le prévoit. C’est ainsi que le juge administratif camerounais a eu à annuler, pour excès de pouvoir, un acte du Ministre du Travail et de la Prévoyance Sociale, dans une espèce en date du 31 mars 1994, au motif qu’il a empiété dans le champ de compétence de l’inspecteur du travail. Dans cette espèce, il déclare en substance : « (…) seul l’inspecteur du travail est compétent pour autoriser ou refuser le licenciement d’un délégué du personnel » (CS/CA, jugement n°36/93-94 du 31 mars 1994, Société Moore Paragon Cameroon c/ Etat du Cameroun ( à titre de droit comparé, v. TA de Marseille, jugement du 27 avril 1966, sieur Choux c/ Ministre de l’Education nationale : « Considérant que le Recteur, en se bornant (…) à assurer l’exécution d’une décision prise par le Ministre s’est dessaisi d’une compétence qui n’appartenait qu’à lui seul ; qu’il s’en suit que pour avoir été prise sur ordre d’une autorité incompétente à cet effet, la décision (…) encourt annulation »).

Cette position a été confirmée dans un jugement rendu le 30 octobre 1997(CS/CA, jugement n°02/97-98 du 30 octobre 1997, société de métallurgie c/ Etat du Cameroun (dans ce jugement, le juge affirme que du Ministre du Travail est incompétent pour annuler l’acte de l’inspecteur de travail autorisant le licenciement ou refusant le licenciement d’un délégué du personnel) et surtout dans un jugement rendu le 23 mars 2005 ( CS/CA, jugement n°64/04-05 du 23 mars 2005, MBOA Isaac c/ Etat du Cameroun) en se fondant  notamment sur l’article 137 du Code du Travail[5].

La compétence est aussi territoriale. On parle alors de compétence ratione loci. Elle est relative à la sphère géographique dans laquelle se déploie l’autorité administrative ou au cercle de sujets géographiquement situés à l’égard desquels l’autorité administrative est investie pour prendre des actes normateurs. La compétence territoriale peut avoir une dimension nationale si l’autorité ou l’organe qui l’exerce est une autorité centrale ou une dimension locale (commune, district, arrondissement, département, province …) si l’autorité ou l’organe qui l’exerce est une autorité non centrale. Cette dernière ne doit agir que dans son territoire administratif et pour son territoire administratif.

Enfin, la compétence peut être liée au temps. Il s’agit de la compétence temporelle ou compétence ratione temporis. Toute compétence est inscrite dans une durée qui peut être plus ou moins longue. Son exercice suppose un point de départ et un point d’arrivée : il commence à compter du moment de l’investiture ou de la prise de fonction et prend fin à compter de la désinvestiture ou de l’expiration de la fonction.

  • La nature de la compétence ou les modes d’expression de la compétence

La compétence est comme Janus biface. Elle a un versant qui traduit l’obligation d’agir et un autre versant qui traduit la faculté d’agir.

Le premier versant renvoie à la compétence liée. Quant au second, il concerne le pouvoir discrétionnaire.

On parle de compétence liée lorsque l’autorité administrative est tenue d’agir dans tel ou tel sens. En l’espèce, le juge exerce un contrôle maximum.

On parle de pouvoir discrétionnaire lorsque l’autorité administrative jouit d’une liberté d’action. L’importance de ce pouvoir dépend de l’extension de la légalité. Lorsque celle-ci augmente, le pouvoir discrétionnaire diminue et vice-versa. Le pouvoir discrétionnaire existe s’il n’y a pas de textes. Il existe également lorsque la règle de droit n’est pas claire. Il peut aussi exister du fait d’une légalité insuffisante. Mais c’est un pouvoir qui a des limites : d’abord, il ne s’agit pas d’un pouvoir arbitraire ; ensuite, le juge administratif exerce sur les actes y relatifs un contrôle minimum.  La compétence connaît dans sa mise en œuvre des inflexions.

B – Les inflexions

Il est difficile qu’une autorité exerce personnellement à tout moment les compétences à elle attribuées par les textes. Pour éviter la paralysie de l’administration et assurer l’efficacité et la continuité du service public, le droit a consacré un certain nombre d’inflexions à l’exercice personnel de la compétence. On peut citer  les suppléances que sont :

  • la suppléance stricto sensu, qui signifie le remplacement d’une autorité empêchée par une autre autorité désignée d’avance ;
  • l’intérim, qui consiste dans le remplacement provisoire d’une autorité par un agent désigné par l’autorité supérieure.

On peut aussi citer les actes pris par les collaborateurs bénévoles. Il faut indiquer, par ailleurs, que lorsqu’une décision doit obligatoirement être prise, l’incompétence de l’auteur de l’acte n’entraîne pas son annulation si elle répond aux exigences légales, et que, l’autorité supérieure compétente peut couvrir l’incompétence de l’autorité subordonnée (CS/CA, jugement n°29/98-99 du 30 mai 1990, Mbarga Symphorin c/ Etat du Cameroun).

Mais les inflexions fondamentales sont au nombre de deux à savoir : les délégations de compétence et la théorie du fonctionnaire de fait.

1 – Les délégations de compétences

La délégation  est une technique qui consiste à procéder à un transfert de pouvoirs ou de signature d’une autorité à une autre.

Les délégations de compétence ne sont légales que si certaines conditions sont

remplies. Mais leurs effets sont différents selon qu’il s’agit de  la délégation de pouvoir ou de la délégation de signature. a) Les conditions 

 Il existe à peu près cinq conditions relatives aux délégations de compétence

  • un texte doit prévoir la délégation ;
  • la délégation doit être partielle ;
  • elle doit être explicite et précise ;
  • elle doit être publiée ;
  • enfin, la délégation de pouvoir peut être imposée à la personne qui exerce ce pouvoir, tandis que la délégation de signature doit émaner de celui qui délègue. b) Les effets

  Il convient de distinguer les effets de la délégation de pouvoir des effets de la délégation de signature.

  • La délégation de pouvoir consiste en un transfert du pouvoir du délégant au délégué. Il s’agit d’une délégation es-qualité. L’autorité qui délègue ne peut plus intervenir dans les domaines délégués. Les pouvoirs délégués subsistent après le départ du délégant ou du délégué. C’est ce dernier qui répond désormais des conséquences nées des actes édictés dans les matières déléguées.
  • En ce qui concerne la délégation de signature, elle consiste pour une autorité à faire intervenir une autre autorité en son nom. Elle est intuitu personae. L’autorité qui délègue peut toujours intervenir dans le domaine délégué (CS/CA, jugement n°36 du 06 mai 1982, Oyie Tsogo Joseph c/ Etat du Cameroun). Cette délégation prend fin avec le départ du délégant et/ou du délégué. Enfin, c’est l’autorité qui délègue qui répond des conséquences nées des actes édictés par l’autorité ayant reçu délégation de signature.

2- La théorie du fonctionnaire de fait

Le fonctionnaire de fait est un agent public qui exerce une fonction sans en avoir été légalement investi mais dont les actes ont l’apparence de la légalité (v. Cour de Cassation, 07 août 1883, affaire des mariages de Montrouge).

  1. En période normale, la théorie du fonctionnaire de fait repose sur l’idée de l’apparence ou de l’investiture plausible (CCA, arrêt n°224 du 27 mars 1953 , dame Civra c/Administration du Territoire : « Considérant que la jurisprudence prétorienne du Conseil d’Etat décide que l’individu qui se fait irrégulièrement investir ne doit pas pouvoir invoquer à son profit un titre régulier, le fonctionnaire de fait peut cependant réclamer une indemnité égale à l’enrichissement procuré par son fait au patrimoine investi »).
  2. En période exceptionnelle, la théorie du fonctionnaire de fait repose sur l’idée de nécessité (CFJ/AP, arrêt n°4 du 04 novembre 1965, Dame Kieffer Marguérite c/Etat du Cameroun).

Au-delà des considérations liées à l’exercice personnel de la compétence et des exceptions y relatives, le principe du parallélisme de compétence doit être respecté ; ce qui signifie que « l’acte contraire » doit être le fait de la même autorité. Ainsi, un Ministre ne peut, par simple lettre, modifier les dispositions d’un décret présidentiel  (CS/CA, jugement n°24/91-92 du 27 février 1992, dame Beyene Elizabeth c/Etat du Cameroun) ou alors rétrocéder par arrêté un domaine qui a été exproprié par décret présidentiel (v CS/CA, jugement n°119/04-05 du 29 juin 2005, Collectivité des Pionniers Planteurs PK 14 à 27 c/ Etat du Cameroun). Une telle exigence s’impose aussi à la forme de l’acte.

  • 2 – La forme de l’acte

La forme de l’acte est relative à sa présentation matérielle. Elle participe de ce que l’on appelle l’instrumentum.

Parmi les règles de forme qui régissent l’acte écrit certaines sont facultatives ou non substantielles, tandis que d’autres, notamment la signature, sont obligatoires ou substantielles.

A- Les règles facultatives ou non substantielles

Les règles facultatives sont : les visas, le dispositif, la motivation et la date. 1 – Les visas

Les visas sont constitués de l’ensemble des actes antécédents qui  sont la base juridique et les éléments de procédure de l’acte. Ils ne sont pas un élément de régularité formelle de l’acte car, ils sont facultatifs. Ainsi, l’erreur dans les visas ( CE, 30 juillet 1949, Veuve Robmie de Plas) ou leur absence n’est pas un vice de l’acte entraînant sa nullité (CFJ/CAY, arrêt n°65 du 30 sept 1969, Evina Ada Christophe c/Etat fédéré du Cameroun oriental : « Considérant en effet que si l’arrêté incriminé ne vise ni le texte sur le concours, ni les dispositions légales portant répression de fraude aux examens, ce fait ne saurait constituer un vice de forme de nature à entraîner son annulation ;(…) les visas constituent une simple pratique administrative ne présentant aucun caractère obligatoire ».

Il se dégage de cet arrêt, et dans bien d’autres,  que les visas ne constituent pas une formalité substantielle ( v., CFJ/CAY, arrêt n°55 du 25 mars 1969, Emini Tina Etienne c/Etat fédéré du Cameroun oriental : « Considérant que les visas ne sont qu’une simple pratique administrative ;, qu’en l’absence d’un texte de loi les rendant obligatoires, ils doivent être considérés comme une formalité non substantielle dont l’omission ou l’accomplissement irrégulier n’entame  en aucune manière la validité de l’acte en cause » ( dans le même sens, CE, 15 novembre 1948, Nandon : « L’absence de références aux textes en vertu desquels un acte administratif a pu légalement être pris ne constitue pas une irrégularité de nature à entraîner l’annulation de cet acte »).

Par ailleurs, les visas ne qualifient pas l’acte. C’est ainsi que le juge français a considéré que les saisies litigieuses de journaux ont pour objet non de constater des crimes ou délits, mais d’empêcher la diffusion d’écrits insérés dans un journal et ce, nonobstant les visas des arrêtés ; les saisies opérées présentant en réalité des mesures de caractère administratif

(CE, 1960, affaire Frampar, RDP, 1960, p.815)

Cependant, le caractère facultatif des visas n’exclut pas le fait ou la nécessité pour tout acte administratif de reposer sur une base juridique. Ainsi, lorsqu’un acte administratif manque de base juridique, il est annulé soit parce que la base légale n’existe pas encore, soit qu’elle n’existe plus, soit, enfin, qu’elle est irrégulière (TE, arrêt n°254 du 12 avril 1963, Syndicat des administrateurs civils c/ Etat du Cameroun).

2- Le dispositif En général, les actes administratifs sont présentés sous la forme d’une série d’articles. Une telle présentation est un choix et non une obligation. La jurisprudence a considéré, d’ailleurs, dans certaines espèces que les lettres, les fax ou les attestations de dépôt constituent des actes administratifs unilatéraux dans la mesure où ils font grief. De même, les circulaires qui se présentent en forme continue sont considérées par le juge administratif comme de véritables actes administratifs (v. CE, 29 Janvier 1954, Institution Notre Dame de Kreisker).

3 – La motivation

Il ne faut pas confondre motivation et motif. La motivation concerne la forme de l’acte tandis que le motif a trait au fond de l’acte.

La motivation consiste pour l’autorité administrative à énoncer les motifs ou les raisons  de droit et de fait qui sont à la base de son acte.

En principe, la motivation est, sauf prescription textuelle ou jurisprudentielle, une formalité facultative.

a)- Le principe: une formalité facultative En règle générale, l’autorité administrative n’est pas obligée de motiver son acte. Ainsi, un acte administratif ne peut être annulé pour absence de motivation, sauf si un texte l’exige expressément (T.E, arrêt n°208 du 22 juin 1962, Ngongang Alexandre c/ Etat du Cameroun : « Considérant d’une part qu’il est de règle que, sauf dispositions légales ou réglementaires expresses, les actes administratifs … n’ont pas besoin d’être motivés ». Dans le même sens, CE, 04 février 1970, Société « Daily Girl Press »).

Cette position du juge administratif, notamment camerounais, a été réaffirmée dans plusieurs espèces. On peut citer, à titre d’exemple, le jugement n°75/CS/CA/90-91 du 31 janvier 1991, Mbarga Emile c/Communauté urbaine de Yaoundé, le jugement n°12/CS/CA/93-94, du 24 février 1994, Edzoa Georges Maurice c/ Etat du Cameroun et le jugement n°15/CS/CA/97-98 du 26 mars 1998, Noucti Tchokwago c/Etat du Cameroun.

Pourtant, le juge administratif camerounais a, dans une espèce, en date du 26 février 1998, déclaré que les actes administratifs doivent être motivés, alors même que dans le cas d’espèce aucun texte ne l’exigeait. Il y déclare en substance : « Attendu en effet que sans aucun souci de motivation, alors que toute décision administrative doit être motivée, ce qui signifie contenir les éléments de fait et de droit qui justifient la mesure ordonnée, la décision attaquée se contente de la formule (…) ; qu’il s’en suit que le recours est justifié et qu’il y a lieu de prononcer l’annulation de la décision litigieuse » (CS/CA, jugement n°7/97-98 du 26 février 1998, affaire Dame Takote Megne Madeleine épouse Tignokpa c/ Etat du Cameroun).

La Chambre administrative de la Cour suprême adoptait ainsi une position contraire à celle de l’Assemblée Plénière  de la même Cour qui, dans une espèce en date du 26 décembre 1996, affirmait : « Considérant en effet que si la décision administrative n’a pas besoin d’énoncer les motifs qui la sous-tendent, ce principe connaît un tempérament lorsque s’agissant d’une sanction disciplinaire (…), cette motivation apparaît comme une garantie en faveur de l’agent public concerné » (CS/AP, arrêt n°02/A du 26 décembre 1996 , Atangana Mbarga  Adalbert c/Etat du Cameroun).

L’Assemblée Plénière rappelait ainsi que la non-motivation est le principe et la motivation l’exception.

La Chambre administrative de la Cour suprême du Cameroun a, pourtant, par la suite, dans un jugement en date du 30 mars 2000 rappelé l’obligation de motiver les décisions administratives. En effet, dans ce jugement, où il assimile-ou confond- un arrêté rapportant un avancement d’échelon et de grade à une sanction disciplinaire-qui doit être motivée-, il affirme que la « motivation, qui est placée sous le contrôle de la juridiction administrative, juge de la légalité, doit être écrite et comporter l’énoncé des considérations de fait et de droit qui constituent le fondement de la décision (…) ; elle doit être aussi explicite et complète que possible » ( CS/CA, jugement n°42/99-00 du 30 mars 2000, Wabo Rigobert-représenté par Dr GUIMDO D. Bernard-Raymond- c/ Etat du Cameroun).

Le juge de la Chambre administrative de la Cour suprême a, dans un autre jugement rendu le 26 janvier 2001, réitéré l’obligation de motiver les actes  administratifs unilatéraux en ces termes : « Il importe de rappeler que toute décision administrative doit énoncer les raisons de fait et de droit qui sont à la base de la décision » (CS/CA, jugement n°15/20002001 du 26 janvier 2001, Succession Mbarga Raphaël c/Etat du Cameroun).

On peut, au regard de cet imbroglio jurisprudentiel, s’interroger sur l’état réel du droit positif camerounais en matière de motivation. Mais, il est indéniable que la position du juge de l’Assemblée plénière, sauf dispositions textuelles contraires, doit être considérée comme le droit en vigueur en matière de motivation. Le juge de la CA/CS devrait, par conséquent, s’y conformer et mettre un peu d’ordre dans sa jurisprudence. b) – Les exceptions 

Il peut y avoir deux sortes d’exceptions à la non-exigence de la motivation. L’obligation de motiver peut être, soit le fait des textes, soit le fait du juge administratif.

La motivation est une obligation lorsque, de façon expresse, un acte législatif ou administratif l’exige. Il en est ainsi, par exemple, en cas de refus par l’administration de légaliser un parti politique, en cas de rejet d’une demande d’agrément d’une ONG par l’administration, en cas de  sanction disciplinaire  infligée à un agent public.

Le juge administratif peut, exceptionnellement, imposer la motivation des actes administratifs alors même qu’elle n’est pas expressément prévue par un texte. C’est le cas, par exemple, d’une décision portant refus d’inscription au tableau d’un ordre professionnel (CE,14 juin 1946, Van Den Vergat), ou d’un acte  critiqué pour excès de pouvoir : « Attendu que si l’auteur d’un acte administratif n’est pas tenu d’exprimer dans cet acte ou de faire connaître à l’intéressé les motifs de l’acte, cependant, en cas de critique pour excès de pouvoir, il est obligé d’en faire connaître les motifs au juge » (CS/CA, jugement n°75/90-91 du 31 janvier 1991, affaire Mbarga Emile c/Communauté urbaine de Yaoundé).

Les espèces Dame Takote Megne Madeleine, Succession Mbarga Raphaël relatives au litige foncier, ainsi que l’affaire Wabo Rigobert, relative au retrait d’un acte administratif pour fraude, font parties, vraisemblance – au regard de l’exigence formulée par le juge de la

Chambre administrative relativement à la motivation -, de ces cas dont le juge exige la motivation. D’ailleurs, dans l’affaire Succession Mbarga Raphaël, il déclare «(…) qu’il est nécessaire de préciser exactement les considérations sur la base desquelles la décision est prise (…) ; que, le seul fait qu’une décision ne soit pas motivée supprime à la cour la possibilité de contrôler sa légalité et emporte ipso-facto son annulation ».

4- La date

La date n’est pas une condition de régularité de l’acte administratif unilatéral. L’erreur sur la date et son omission ne la vicient pas. Cela voudrait dire, en d’autres termes, qu’une autorité peut se tromper sur la date, qu’elle peut oublier d’indiquer la date, mais un administré ne peut se prévaloir de ces considérations pour exiger l’annulation de cet acte par le juge administratif. Ce qui importe pour l’administré, c’est la date de notification ou de publication dudit acte car, c’est elle qui fait courir les délais de recours administratif et/ou contentieux.

B – La règle obligatoire ou substantielle : la signature ²

Comment appréhende-t-on juridiquement la signature et quelle est sa force juridique ?

  • – La notion de signature

La signature est une règle de forme qui permet de donner une existence juridique à l’acte. Elle est l’élément qui consacre l’avènement de l’acte administratif en tant que norme juridique. Elle peut consister soit en un signe particulier fait par l’auteur de l’acte sur celui-ci, soit, en l’inscription de son nom sur l’acte. En tout cas, elle doit être visible sur l’instrumentum parce qu’elle permet d’identifier l’auteur de l’acte. Quelle en est la force juridique ?

  • – La force juridique de la signature

La signature est l’élément qui permet d’authentifier l’acte. Elle constitue un élément d’opposabilité de l’acte à l’administration. Il peut arriver qu’un acte signé soit exploité par un administré alors même qu’il n’a pas été officiellement publié. On parle de la théorie de la connaissance acquise. Enfin, la signature permet de contester la compétence de l’auteur de l’acte. C’est au regard de toutes ces considérations que la signature constitue une formalité obligatoire.

Dans le souci d’éviter tout laisser-aller et toute insécurité juridique, la jurisprudence a élaboré la théorie dite du parallélisme de forme. Celle-ci signifie que lorsqu’un texte établit des formes pour un acte, les mêmes formes doivent être suivies pour l’acte contraire qui modifient ou suppriment le premier (CFJ/SCAY, arrêt ADD n°55 du 25 mars 1969, Sieur Emini Tina Etienne c/Etat fédéré du Cameroun oriental). Ainsi, est illégale, parce qu’ayant violé le principe du parallélisme de forme, une note de service du Délégué Général à la Sûreté Nationale qui abroge un arrêté du Président de la République (CS/CA, jugement n°78/93-94 du 25 août 1994, Obama Ottou Joseph c/Etat du Cameroun).

Le principe est que l’abrogation d’un acte administratif ne doit être faite que par un acte administratif de même valeur que l’acte abrogé ou de valeur supérieure (CE, 06 novembre 1953, Association des administrateurs civils). Le principe du parallélisme concerne aussi les règles de procédure.

  • 3 – La procédure de l’acte

Le régime qui gouverne la procédure d’élaboration des actes administratifs unilatéraux est, certes, complexe, mais il trouve sa légitimité dans sa raison d’être qui est de créer les meilleures chances de décisions régulières et opportunes. Font partie de ce régime, le lieu, le moment, la consultation et la contradiction.

  • Le lieu

Y a –t-il un lieu où l’autorité administrative est tenue d’édicter un acte administratif unilatéral ? Juridiquement, aucune obligation ne pèse sur l’auteur qui édite l’acte de le faire dans un lieu précis. Ainsi la mention du lieu qui est souvent porté sur l’instrumentum (Fait à Yaoundé le…) n’est pas requise à peine de nullité.

Les règles de fond concernent le lieu d’édiction de l’acte sont rares et sans grande portée. Les problèmes y relatifs avaient été esquissés par le Doyen Maurice Hauriou sous l’arrêt Legrand rendu par le Conseil d’Etat le 22 décembre 1911. Le Maître de Toulouse s’interrogeait sur le point de savoir « quels sont les acte, qui exigent la présence réelle du maire dans la commune  et quels sont ceux qui peuvent être accomplis par lui hors de sa commune ou à distance ? » Pour répondre à cette question, on peut dire qu’un maire ne peut, à distance, exercer les fonctions d’officier d’état civil, celles-ci exigeant sa présence effective dans la commune. A contrario, il peut convoquer le conseil municipal à distance. De même, il peut garder à distance la direction des bureaux et services de sa commune parce que cette direction peut s’exercer par correspondance. Il en est de même de toutes les  autres autorités administratives.

En fait, existe-t-il un critérium de distinction entre ces différentes catégories d’actes ? Si critérium il y a, ce serait celui de la solennité de l’acte à prendre. L’auteur va donc apprécier au regard de ce critérium où prendre tel ou tel acte. Il y va du bon fonctionnement de l’administration.

  • Le moment

En principe, l’administration dispose d’un large pouvoir discrétionnaire qui lui permet de pouvoir choisir la date ou le moment d’édition de ses actes. Mais lorsqu’un texte lui fixe un délai pour prendre un acte peut-elle le prendre après expiration de ce délai ou même s’abstenir de le prendre ? Par ailleurs, en l’absence d’un texte prescrivant les délais d’édiction d’un acte le juge peut-il en imposer à l’administration ?

Cette double interrogation invite à analyse d’une part les délais prescrits par les textes, et, d’autre part, les délais prescrits par la jurisprudence.

1 – les délais prescrits par les textes

En principe, les délais prescrits par les textes sont toujours indicatifs. Ce n’est qu’exceptionnellement qu’ils peuvent être impératifs. a)- les délais indicatifs

Lorsqu’un texte législatif ou réglementaire dit qu’un acte doit être pris dans un délai qu’il fixe, le principe est que l’administration n’est pas dans l’obligation de se conformer à ces délais à peine de nullité.  La jurisprudence fonde l’explication de ce principe sur la finalité impartie aux délais. S’ils sont prévus, c’est en règle générale pour accélérer la procédure d’émission de l’acte sans pour autant limiter dans le temps la compétence de son auteur.  L’annulation d’un tel acte pour non-respect de délais produirait un résultat opposé à celui recherché.

Pour le juge administratif, les dispositions ayant trait aux délais n’ont souvent pour fins que de manifester « la volonté du législateur d’assurer l’application rapide de la loi et n’ont pas pour effet d’empêcher le gouvernement d’user de son pouvoir réglementaire après expiration dudit délai » (CE, 31 mars 1950, société mutualiste des professions libérales). Cette solution est valable aussi bien pour les règlements d’application des lois (CE, 15 mai 1961, Ville de Lyon) que pour les actes individuels (exemple : la circonstance que la décision acceptant l’offre de démission d’un fonctionnaire soit intervenue après expiration du délai de quatre mois prévu par la loi n’est pas de nature à empêcher la validité de cette décision : CE, 24 octobre1962, Meriot).

b)- Les délais impératifs

Les délais impératifs sont de deux ordres : les délais de substitution de compétence et les délais de garantie pour les administrés.

Les délais de substitution de compétence interviennent généralement  dans le cadre des lois d’habilitation qui prévoient que durant une période déterminée et strictement limitée, le gouvernement peut prendre par voie d’ordonnance des mesures qui relèvent normalement du domaine de la loi. Ainsi l’expiration des délais met un terme à cette délégation exceptionnelle et rend le gouvernement incompétent.

L’idée des délais de garanties pour les administrés bien qu’ambiguë est retenue dans au moins deux hypothèses : en matière de publicité préalable et dans le cadre de la décision implicite. Dans le cas de garantie de publicité préalable, la finalité est d’éviter que l’autorité administrative ne statue trop rapidement sans être en possession de tous les éléments et sans permettre aux intéressés de présenter leurs observations ou doléances. C’est le cas, par exemple, des délais relatifs à la procédure l’expropriation pour cause d’utilité publique.

En ce qui concerne la décision implicite, le silence-acceptation et le silence-refus constituent des garanties pour les administrés parce qu’ils permettent de rompre les manœuvres dilatoires de l’administration et constituent ainsi un moyen pour l’administré de saisir le juge pour excès de pouvoir.   2- Les délais prescrits par la jurisprudence 

Le juge prescrit des délais soit en interdisant à l’administration d’agir avant une certaine date : on parle de délais minimum ou utiles ; soit en lui demandant d’agir avant une certaine date limite : on parle de délais maximum ou raisonnables. a)- Les délais utiles ou minimum Par l’imposition des délais, le juge confère à certains principes de procédure tel le droit de la défense, leur pleine signification.

Les délais utiles ou minima interviennent dans le cadre de la procédure disciplinaire. Ils permettent au mis en cause de recevoir communication de son dossier, de préparer et de faire parvenir à l’autorité compétente  ses observations ainsi que les éléments de défense dont il dispose. Ce délai couvre la période qui va du moment où l’intéressé est averti des mesures susceptibles d’être prises à son encontre jusqu’au moment effectif où la décision est prise. Cette considération est parfaitement illustrée par l’arrêt Nègre rendu par le Conseil d’Etat le 20 janvier 1956 (M. Nègre, Directeur de l’Agence France-Presse est informé qu’il sera mis fin à ses fonctions et la décision est prise le lendemain alors qu’il n’a reçu communication de son dossier que le même jour où la décision est prise) et l’arrêt Bernard (CE, 17 février

1932 : l’intéressé n’eut pas matériellement la possibilité de se défendre). b)- Les délais raisonnables ou maximum

Ce sont des délais que l’administration ne peut dépasser. Elle est tenue de prendre la décision à l’intérieur de ces délais.

Plusieurs conditions déterminent l’obligation d’agir de l’administration dans ces délais :

  • l’acte doit être un acte normateur régulier ;
  • l’absence de mesures d’application doit avoir pour effet de rendre imposable l’application du texte en vigueur ;
  • l’administration doit être tenue de prendre les mesures d’application nécessaire, autrement dit, qu’elle ait compétence liée.

Ces conditions ressortent des conclusions du Commissaire du Gouvernement sur

l’arrêt  du Conseil d’Etat du 27 novembre 1964, Ministre des Finances et des Affaires Economiques c/ dame Veuve Renard.

L’administration n’est certes pas tenue de le faire immédiatement, mais elle ne peut se prévaloir de cette liberté de principe et renvoyer sine die ses obligations et les éluder.

Le non-respect des délais maximum ou raisonnables constitue une faute susceptible d’engager la responsabilité de l’administration (CE, 11 décembre 1964, Cavom). Que dire de la consultation ou de la procédure consultative ?

C- La consultation 

Pour analyser cette règle de procédure, il convient d’aborder dans un premier temps les questions ayant trait aux organismes consultatifs, et, dans un second temps, celles liées à la nature des avis émis par eux.  1- Les organismes consultatifs

Le principe en la matière est que les organismes consultatifs ne peuvent régulièrement

se prononcer que s’ils sont composés de personnes qui en sont membres, lesquelles ont été dûment convoquées, que si le quorum est atteint et que si leur composition en garantie l’impartialité.

La participation aux travaux de ces organismes de personnes qui n’en font pas partie a été initialement considérée comme une cause invariable d’irrégularité des avis émis et par suite des décisions prises (CE ,15 mars 1957, Israel). Mais, cette solution a été nuancée par la jurisprudence française et l’état du droit positif ne la consacre qu’à titre de principe.

Le quorum est le nombre minimum des membres de l’organisme qui doivent être présents (au moins lors de l’ouverture de la séance) pour que ses délibérations soient régulières. Il est déterminé par les textes. Dans tous les cas, le quorum est apprécié compte non tenu des catégories entre lesquels les membres de l’organisme peuvent se retrouver repartis.

Si après une seconde convocation le quorum n’est pas toujours atteint l’organisme délibère régulièrement, sauf textes contraires, quel que soit l’effectif présent (CE, 18 mars 1981, Union générale des fédérations des fonctionnaires C.G.T).

En vertu des principes généraux du droit, la composition des organismes consultatifs doit être telle qu’elle garantisse son impartialité (CE, sect., 29 avril 1949, Bourdeaux). C’est ainsi que la procédure sera viciée si a participé à la séance ou aux travaux une personne qui était personnellement intéressée par les questions abordées ou une personne ayant adopté une position susceptible de faire douter de son impartialité (CE, 20 janvier 1960, Mazières) ou si le comportement d’un membre pendant les travaux a été de nature, par la partialité qu’il manifestait, à vicier l’avis émis (CE, 09 mai 1952, Préfet de Police).  

Même si la consultation est facultative, elle ne doit pas constituer un faux- semblant. En effet, l’autorité doit mettre l’organisme consulté en mesure de se prononcer en connaissance de cause. Pour cela, elle doit lui communiquer tous les éléments nécessaires d’appréciation de l’affaire (CE, 21 novembre 1980, Le Chaton).

2- La nature et la portée des avis

La portée des avis varie en fonction de leur nature. C’est ainsi qu’on distingue : l’avis facultatif ; l’avis obligatoire ; l’avis conforme et l’avis spontané. a)- L’avis facultatif  Dans le cadre de l’avis facultatif, la liberté de décision de l’autorité administrative n’est pas limitée par l’avis émis. L’autorité peut même prendre sa décision avant même que l’avis ait été émis et renoncé ainsi à la consultation (CE, 28 avril 1967, Fédération nationale des syndicats pharmaceutiques).

Pour faire bref, l’avis facultatif est un avis que l’autorité administrative n’est ni obligée d’obtenir, ni tenue de suivre.  b)- L’avis obligatoire 

L’avis obligatoire est un avis que l’autorité administrative est tenue d’obtenir mais n’est pas obligée de suivre. Ainsi, elle peut prendre soit l’acte soumis à l’avis tel quel, soit l’acte modifié conformément à l’avis, soit un tout autre acte.

En matière disciplinaire, la consultation du conseil de discipline est une formalité substantielle (CS/AP, arrêt du 24 mars1983, Njikiakam Towa Maurice c/ Etat du Cameroun). Aussi, la réfection d’une sanction disciplinaire annulée entraîne obligatoirement la consultation, à nouveau, du conseil de discipline (CS/AP, arrêt n°02/A du 18 Août 1994, Seba  Ndongo Jean c/ Etat du Cameroun). c)- L’avis conforme 

Dans le cas de l’avis conforme, l’autorité consultante ne peut que décider conformément à l’avis de l’organisme consulté. Ainsi, si cet avis est défavorable à la décision projetée, l’autorité administrative ne pourra que renoncer à cette décision (CE, 22 février1957, Société coopérative de reconstruction de Rouen).

L’autorité administrative ne peut donc prendre la décision projetée qu’avec l’accord de l’organisme consultatif qui se trouve ainsi étroitement associé à l’exercice du pouvoir de décision de l’administration.

Au regard de ce qui précède, l’avis conforme est-il une décision ou une codécision ? Pour le juge administrative camerounais, l’avis conforme serait une codécision voire une décision faisant grief : « Attendu (…) qu’en effet dans son jugement n°40/CS/CA du 30 avril 1981, la Chambre, interprétant les dispositions de l’article 12 du décret n°69/DF/8 du 08 janvier 1969 portant statut particulier du corps des fonctionnaires de l’Education, de la Jeunesse et de la Culture, a admis que l’avis émis par le conseil d’administration de l’Université constitue en fait une décision faisant grief, que cet avis s’impose au chancelier et le lie ; la décision de ce dernier ne constituant qu’une simple formalité » ( CS/CA, jugement n°50 du 07 avril 1983, Akoa Dominique c/Université de Yaoundé).

Le juge administratif français a, pour sa part, affirmé qu’une décision intervenue alors que l’avis conforme prévu n’a pas été pris est nulle pour incompétence (CE, 29 janvier1969, dame veuve Chanebout).

d)- L’avis spontané ou  extraréglementaire

Lire Aussi :  COURS DE DROIT FISCAL GENERAL (PDF)

L’avis spontané est une catégorie d’avis que l’autorité administrative sollicite alors même  que les textes ne l’ont pas prévue.

Les principes généraux du droit public permettent l’obtention d’un tel avis, mais sous certaines conditions pour ne pas être irrégulier et donc ne pas vicier la décision à laquelle il va aboutir. On peut en citer trois, essentiellement :

  • premièrement, que les dispositions législatives ou réglementaires régissant la matière n’y fassent pas obstacle;
  • deuxièmement, que l’autorité investie du pouvoir décisoire ne se considère pas, à tort, liée par l’avis formulé ;
  • troisièmement, enfin, qu’aucun vice propre n’entache la procédure suivie par l’organisme consulté.

Qu’en est-il de la contradiction ou de la règle du contradictoire ?

D- La contradiction 

La contradiction a pour l’objet dans le cadre d’une procédure administrative ou contentieuse de faire participer l’administré ou le requérant, dont les droits où les intérêts particuliers risquent d’être mis en cause, à l’opération normatrice ou à l’élaboration de la norme juridique. Cette participation lui permet soit d’agir personnellement, soit tout, au moins, de présenter son point de vue ou ses observations. Il s’agit, à l’instar de la procédure consultative, d’un procédé exceptionnel en droit administratif, lequel reste marqué par les pouvoirs de domination de l’administration.

Les effets de la contradiction sont différents selon qu’il s’agit d’une mise en demeure ou des droits de la défense.

 

1- La mise en demeure   

La mise en demeure est une formalité par laquelle une autorité publique enjoint une autre autorité publique ou une personne privée (morale ou physique) d’accomplir telle ou telle mesure prescrite par la textes ou la jurisprudence, faute de quoi elle agirait en ses lieu et place ou prendrait des mesures à son encontre.

a)- A l’égard d’une autorité publique ou d’une personne publique, la mise en

demeure est prévue dans le cadre des rapports de tutelle (v. article 50 al. 1 et 2 de la loi n°2004/018 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux communes, concernant la déclaration de démission d’un membre du conseil municipal faite par le Ministre chargé de l’Administration territoriale, du  fait de son abstention persistante de remplir ses fonctions, après que le Ministre l’a mis en demeure). Elle est une condition du pouvoir de substitution d’action de l’autorité de tutelle (v., par exemple, l’article 96 de la loi n°2004/018).

L’objet de la mise en demeure est de briser l’abstention, le laxisme ou la défaillance de l’autorité sous tutelle. Elle n’est soumise à aucune condition de forme particulière ; c’est ainsi qu’elle peut être verbale ou écrite (une lettre ou un télégramme)[6]. Toutefois, elle est obligatoire ; aussi, son absence vicie la mesure de substitution (CE, 20 février 1954, Said Ben Hadj Ali).

b)- A l’ égard des particuliers, de nombreux textes prévoient la possibilité pour l’administration d’exécuter d’office une décision après qu’elle a préalablement prévenu l’intéressé des conséquences possibles de son inaction. A titre d’exemple, l’article 77 §1 de la loi n° 74/023 du 05 décembre 1974 portant organisation communale dispose que  « le maire peut, après une en demeure restée sans suite pendant deux mois, faire démolir tout immeuble bâti en infraction du plan d’urbanisme ou menaçant ruine ».

Le juge administratif camerounais a eu à trancher dans de nombreuses espèces des questions relatives à la mise en demeure qui a donné lieu à l’édiction, par l’autorité communale,  de mesures de destruction ou de démolition. On peut citer : CFJ/AP, arrêt du 31 mars 1971, Commune de plein exercice de Yaoundé c/ Nkwenkam Mohlie ; CS/CA, jugement du 11 juin 1981, Simo Njienou Jean-Jacques c/ Commune urbaine de Bafoussam ; CS/CA, jugement du 30 septembre 1982, Fambeu Thomas c/ Commune urbaine de Mbalmayo.

L’autorité administrative peut procéder à la mise en demeure par tous moyens qui permettent à l’intéressé de prendre connaissance des intentions de l’administration et des conséquences de son refus. Elle est tenue de le faire, car il s’agit d’une formalité obligatoire dont l’administration ne saurait se passer  ou remplacer par des démarches effectuées postérieurement à la décision (CE, 10 décembre 1951, Dame Fontaine).

2- Les droits de la défense 

Si les droits de la défense constituent une exigence fondamentale dans le cadre de la procédure administrative contentieuse, il n’en est pas de même pour ce qui est de la procédure devant l’administration active, sauf si les textes l’exigent.

Lorsque le respect des droits de la défense est imposé par les textes à l’administration, il devient une condition de régularité de l’acte.

La finalité des droits de la défense est d’éviter que certaines mesures puissent léser  les intérêts des intéressés sans que ces derniers aient pu au préalable se défendre ou discuter les griefs que l’administration doit avoir contre eux. a)- Le champ d’application  

On peut en citer trois :

  • toute personne menacée d’une sanction a le droit d’être mise à même de discuter les griefs retenus contre elle (v. CE, 5 mai 1944, Dame veuve Trompier-Gravier ; CE, 26 octobre 1945, Aramu et autres). L’administration est ainsi tenue de suivre une procédure contradictoire chaque fois qu’elle entend prendre une mesure individuelle défavorable ou une décision dérogeant à une réglementation (exemple : les mesures de police : CE, 6 mars 1992, SARL Société du Spectacle de la Place Blanche). Echappent à cette obligation les actes réglementaires et non réglementaires qui ne sont pas individuels (CE, 7 février 1992, Ministre de la Culture c/ SCI du Vieux Château). Cette règle ne s’applique pas, par exemple, lorsque les nécessités de l’ordre public s’y opposent (CE, 13 juin 1990, Peusch) ;
  • les droits de la défense doivent être respectés par toute mesure prise intéressant un fonctionnaire ou un agent public et édictée en considération de la personne intéressée (CCA, arrêt du 25 octobre 1957, Ebongue Jean Adalbert c/ Administration du Territoire ;CFJ/AP, arret du 16 mars 1967, Makoubé Albert c/ Etat du Cameroun ; CFJ/AP, arrêt du 19 mars 1969 , Moukoko James c/ Etat du Cameron oriental ;CS/CA, jugement n°05/90-91 du 29 novembre 1990, Amougou Linus c/ Etat du Cameroun : « Attendu que tout fonctionnaire traduit devant le conseil de discipline a droit à la défense (convocation, communication des dossiers personnels et de l’affaire, audition contradictoire du mis en cause et des témoins), que la violation de ce droit est sanctionnée par le juge administratif par l’annulation de l’acte incriminé ; Attendu que sieur Amougou Linus a comparu devant le conseil de discipline sans faire la moindre réserve ni élever des contestations quant à la procédure suivie contre lui ; de ce fait, il ne peut se prévaloir par la suite d’une quelconque irrégularité viciant la procédure disciplinaire ») ;
  • enfin, le bénéfice des droits de la défense est étendu au cas où une mesure grave est prise à l’encontre d’une personne non fonctionnaire ou agent public lorsque cette mesure intervient en raison des faits personnels à l’intéressé. Il en est ainsi même en matière de police administrative. Telle est la position du juge dans l’affaire Obame Etémé Joseph du 27 janvier

1970 : « Considérant (…) qu’une sanction telle que celle qui a frappé le requérant ne pouvait légalement intervenir sans que ce dernier eût été à même de discuter les griefs articulés contre lui ; qu’ainsi le sieur Obame Etémé n’ayant pas été préalablement invité à présenter ses moyens de défense, l’arrêté attaqué a été pris en violation du principe du respect des droits de la défense et qu’il est de ce point entaché d’excès de pouvoir » (CFJ/CAY, arrêt du 27 janvier 1970 , Obame Etémé Joseph c/ République  fédérale du Cameroun) .

En définitive, le respect des droits de la défense constitue un principe général de droit auquel l’autorité administrative doit se conformer et non y déroger. L’autorité législative l’accepte comme tel tant qu’elle n’a pas manifesté une volonté expresse contraire (CE, Ass., 23 octobre 1964, d’Oriano, RDP, 1965, p.282). b) – Les modalités d’application  

Le respect des droits de la défense impose à l’administration une triple obligation :

Uno, l’administration doit prendre l’initiative d’aviser l’intéressé de son intention de lui infliger une sanction. Sur ce point, la jurisprudence n’est pas formaliste ; elle admet certaines équivalences dès lors que les droits de la défense n’en pâtissent pas, par exemple, la notification d’un arrêté de suspension vaut avertissement qu’une sanction est envisagée (CE, 14 février 1951, Geoffroy). L’avertissement doit parvenir à l’intéressé à la diligence de l’administration à laquelle incombent les démarches nécessaires pour retrouver la trace de celui-ci s’il change de résidence (CE, 22 janvier 1947, Demoiselle Grenier), sauf si ce dernier s’est volontairement soustrait aux recherches (CE, 31 juillet 1948, par exemple en quittant son dernier logement connu sans laisser d’adresse (CE, 28 mai 1948, demoiselle Roussillon) ;

Deuxio, l’avertissement donné à la victime probable d’une sanction est destiné à lui permettre de se défendre. Une défense utile implique la connaissance précise des griefs articulés contre l’incriminé. Celui-ci est à même de demander communication des griefs à l’administration. S’il ne le fait pas, l’administration n’a pas à les lui communiquer d’office (CE, 10 juillet 1965, Perfettini). Mais, la communication demandée ne peut être refusée (CS/CA, jugement n°12/93-94 du 29 février 1994, Edzoa Georges Maurice c/Etat du Cameroun) ;

Troisio, l’objectif est de mettre les intéressés en mesure de présenter leurs défenses aux autorités qualifiées pour donner un avis sur l’affaire et pour prendre la décision relative à la sanction envisagée, laquelle, comme tout acte administratif, comporte des éléments internes.

S/section 2 : Les éléments internes 

Les éléments internes de l’acte sont : le but, le contenu et les motifs de l’acte.

  • 1– Le but de l’acte

Le but de l’acte administratif unilatéral c’est la fin poursuivie par l’autorité administrative lorsqu’elle l’édicte. Cette fin ne doit pas constituer un détournement de pouvoir ; c’est-à-dire que cette autorité ne doit pas utiliser son pouvoir dans un but autre que celui prescrit par le droit ou par les textes (CS/CA, jugement n°40/79-80 du 20 mai 1980, Monkam Tientcheu David c/Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement n°62 du 25 septembre 1980, La société »Assureurs conseils Franco-africaine » ACFRA c/ Etat du Cameroun). Il en est ainsi lorsque l’administration refuse de légaliser un parti politique pour des motifs autres que ceux  contenus dans la loi (cf. CS/PCA/92-93, ordonnance n°02 du 16 décembre 1992, affaire  UPC-Manidem c/Etat du Cameroun , Obs. de B. Guimdo in Juridis info n°16,1993, pp.56-58 et CS/PCA/ 91-92, ord. n°28 du 23 septembre 1992, Affaire UNC c/Etat du Cameroun, Commentaire de Bernard-Raymond Guimdo in Juridis info n°19, 1994, pp. 27-

33). Il en est de même du licenciement d’un fonctionnaire pour motif économique, en ce que le statut général de la fonction publique de l’Etat n’a pas prévu ce cas de licenciement, ni son mode d’indemnisation (CS/CA, jugement n°47/99-2000 du 25 mai 2000, Zoba Ayissi Dieudonné c/Etat du Cameroun).

  • 2 – Le contenu de l’acte

L’acte administratif unilatéral doit, dans son contenu, être conforme à la norme supérieure, en vertu du principe de la hiérarchie des normes. L’illégalité à raison du contenu de l’acte constitue la violation directe de la norme supérieure. Il en est ainsi, par exemple, d’un décret pris pour l’application d’une loi ou d’un arrêté pris pour l’application d’un décret et qui contient des dispositions incompatibles avec celles de la dite loi. On peut citer :     – le cas de l’émission d’un titre foncier par l’administration alors que les autorités traditionnelles n’ont pas fait partie de la commission consultative d’immatriculation comme l’exige la législation  (CS/CA, jugement n°1/98-99 du 26 novembre 1998, Zibi Zanga Jean c/Etat du Cameroun) ;

  • le cas d’une décision prise avec effet rétroactif, contrairement au principe de la non rétro activité des actes administratifs ;
  • le cas de l’édiction d’une sanction contre un fonctionnaire alors que cette sanction ne figure pas parmi les sanctions disciplinaires limitativement déterminées par le statut général.
  • le cas de la prise de plus d’une sanction contre un fonctionnaire pour la même faute, en violation du Statut général de la fonction publique (CS/CA, jugement n°55/90-91 du 27 déc. 1990, Etchona Monkam Florent c/Etat du Cameroun) ;
  • le cas, enfin, d’une décision affectant un enseignant d’université alors que le texte qui fixe les compétences de l’autorité qui affecte ne lui attribue pas une telle compétence (CS/CA, jugement n°01/97-98 du 30 oct. 1997, Meloné Stanislas c/Etat du Cameroun).
  • 3- Les motifs de l’acte

Les motifs sont relatifs aux causes qui justifient l’édiction de l’acte. Il est donc  question de savoir à raison de quoi l’acte querellé a été fait.

L’acte sera légal à raison de ses motifs s’il apparaît qu’il ne  procède pas d’une erreur de droit, d’une erreur dans la qualification juridique des faits, ou d’une erreur de fait.

A- Les motifs de droit

L’acte administratif doit être édicté sur la base des motifs de droit avérés. Trois causes peuvent être à l’origine d’une erreur de droit :

  • erreur sur la base légale sur laquelle la décision querellée a été prise ;
  • le fait de rattacher les dispositions édictées à une norme illégale ;
  • le fait de rattacher les dispositions édictées à une norme régulière et applicable, mais inexactement interprété par l’auteur de l’acte qui s’est trompé sur ce que la norme impose ou permet de faire.
  • – La qualification juridique des faits

Cette hypothèse a été formulée pour la première fois par le CE dans l’arrêt Gomel en date du 04 avril 1914. Il faut que les faits soient de nature à justifier juridiquement la décision. Il ne faut pas que l’auteur de l’acte se trompe sur la qualification juridique des faits qu’il a à prendre en considération. Il doit par conséquent s’assurer que la qualification est celle prévue par les textes ou qu’elle répond à la situation à laquelle il à faire face.

  • – Les motifs de fait

Les motifs de fait sont également nécessaires dans l’élaboration de l’acte administratif.

Le principe de l’erreur lié au fait a été dégagé par le CE le 14 janvier 1916 dans l’arrêt Camino. En plus donc de la qualification juridique des faits qui conditionne l’édiction de l’acte, il faut encore que la réalité de ces faits soit établie. C’est ainsi qu’en matière disciplinaire, par exemple, le juge va rechercher si les faits allégués pouvaient légalement motiver les sanctions prononcées (CS/AP, arrêt n°04/A du 25 février 1999, Fouda Gothard c/ Etat du Cameroun)

En réalité, le contrôle de la qualification juridique des faits entraîne celui de leur exactitude ( CS/CA, jugement n°04/91-92 du 28 nov. 1991, Chi Stephen c/Etat du Cameroun ;CS/CA, jugement n°11/91-92 du 26 déc. 1991, Bassoro Moussa, c/Etat du Cameroun : « Attendu que ledit arrêt qui relaxe Bassoro Moussa est devenu définitif et par conséquent la décision attaquée qui se fonde sur les faits dont celui-ci a été blanchi par le juge répressif doit être annulé comme étant basé sur un motif matériellement inexacte »).

Le juge administratif contrôle les motifs de fait et de droit même s’il ne peut apprécier l’opportunité des décisions administratives (CS/CA, jugement n°25/89-90 du 03 mai 1990 Mba Thomas c/Etat du Cameroun).Un tel acte ne peut donc rentrer dans l’ordonnancement juridique.

Il faut préciser pour terminer que ce n’est pas l’abondance des motifs qui confère l’importance à un acte administratif, mais leur sérieux, leur pertinence et leur caractère déterminant. L’acte administratif doit comporter en lui-même tous les éléments permettant de le comprendre ainsi que ses justificatifs (CS/CA, jugement n°27/99-2000 du 24 février 2000, Société générale de Courtage et de Commerce (SOGECO-Cameroun) c/ Etat du Cameroun). Que dire de l’inscription de l’acte administratif unilatéral dans le temps?

Section 3 : La temporalité 

L’acte administratif unilatéral est comme l’être humain ou celui qui l’élabore. En effet, il s’inscrit dans une perspective eschatologique dans la mesure où il  naît, vit et  meurt.

L’acte administratif unilatéral doit donc être appréhendé dans le temps. Cette temporalité connaît trois moments : l’entrée en vigueur de l’acte ; son exécution et sa sortie de vigueur ou son extinction.

  • 1 – L’entrée en vigueur de l’acte

L’entrée en vigueur de l’acte administratif unilatéral peut être appréhendée de deux manières : d’abord, à partir de sa signature, ensuite, à partir de sa publicité.

Lorsqu’un acte administratif est signé, il existe désormais. Il est par conséquent valable, seulement, il n’est opposable qu’à l’administration. Il n’est opposable aux administrés que lorsqu’il est publié. Dans ce sens, CFJ/CAY, arrêt n°90 du 30 sept. 1969, Sieur Messomo Atenen Pierre c/Etat du Cameroun : «(…), considérant qu’il échet de distinguer entre la validité de l’acte administratif et son opposabilité aux tiers, que l’acte administratif entre en vigueur du fait et à partir de son émission par l’autorité administrative, même s’il ne devient opposable aux tiers que du jour où il a été porté à leur connaissance par un procédé de publicité ; qu’en d’autres termes, l’acte administratif est exécutoire et opposable à l’administration elle-même dès sa signature, indépendamment de toute publicité dont l’objet est, en effet, non pas de rendre la loi ou le décret exécutoire, mais seulement opposable aux tiers ».

Il peut arriver que l’acte ne soit pas publié mais que les administrés en connaissent l’existence et le contenu. On  parle de  « connaissance acquise ». Cette connaissance peut, soit leur profiter, soit jouer en leur défaveur.

A – La publicité 

La publicité s’entend comme la formalité consistant à porter officiellement à la connaissance des administrés les décisions administratives.

La publicité de l’acte administratif unilatéral est une nécessité tant sur le plan juridique que sur le plan pratique.

Sur le plan juridique, d’abord, la date d’émission de l’acte importe peu, c’est celle de la publicité qui importe, notamment pour les tiers. Par ailleurs, la date de la publicité fait courir les délais de recours administratif ou contentieux.

Sur le plan pratique, ensuite, la publicité est à la fois un moyen d’information du public, un moyen d’ouverture de l’administration au public en ce qui permet d’apprécier la qualité de l’activité administrative.

La publicité revêt deux modalités : la publication et la notification.

La publication concerne, en règle générale, les actes réglementaires, c’est-à- dire les actes à portée générale et impersonnelle. Elle est faite, en principe, au Journal Officiel (J.O). Mais au Cameroun, du fait de la parution contingente du Journal officiel, les actes réglementaires sont publiés « suivant la procédure d’urgence » (ex. : Cameroon-Tribune, radio et  télévision et ou radio d’Etat) puis insérés « au Journal Officiel en français et en anglais ».

Quant à la notification, elle concerne les actes non réglementaires. Elle se fait selon deux procédés. Le premier procédé consiste à remettre l’acte à personne ou à domicile par tout moyen laissant trace. Ce procédé peut prendre la forme d’une lettre ou d’un télégramme ou alors d’une signature suivie d’une date dans un registre. Mais, il faut qu’il y ait une trace attestant de l’effectivité de cette notification. Le second procédé c’est l’affichage (cas des résultats de concours et autres examens officiels).

Les deux modalités de la publicité que sont la publication et la notification permettent une connaissance officielle de l’acte par le public ou par la ou les personnes intéressées. En effet, les délais de recours administratif ou de recours contentieux courent à compter de la date de publication ou de la notification.

Il y a lieu de préciser que la publicité, et notamment la notification, qui peut être faite par communiqué radio ou télévisé ou inséré dans un journal papier ou par une correspondance adressée par l’autorité non éditrice de l’acte ne « saurait être considérée comme un acte administratif pouvant être attaqué devant le juge administratif » (CS/CA, jugement n°42/0405 du 02 février 2005, Senfo Tonkam Benjamin c/ Université de Yaoundé).

In fine, il peut arriver qu’une personne intéressée par un acte en ait, non pas une connaissance officielle, mais une connaissance officieuse. Il se pose alors le problème de l’application de la théorie de la connaissance acquise.

B – La théorie de la connaissance acquise

Jean-Marie Auby et Roland Drago définissent la connaissance acquise comme « la conception selon laquelle en l’absence d’une publication régulière, le délai peut être considéré comme commençant à courir s’il est avéré d’une manière quelconque que l’intéressé avait connaissance de l’acte ».

Il convient d’observer que la tendance jurisprudentielle consiste à écarter dès l’abord un moyen de tardiveté fondé sur la connaissance acquise. Ainsi, la jurisprudence refuse de faire appel à l’idée de connaissance acquise

lorsqu’elle n’est pas sûre que le recourant a eu une connaissance suffisante de l’acte. C’est par exemple le cas lorsque le requérant a été informé de l’existence de la décision litigieuse sans en avoir reçu le texte.

Par contre, lorsqu’il apparaît avec certitude que l’intéressé a acquis une connaissance suffisante de la décision, la jurisprudence accepte d’appliquer la règle du délai malgré l’absence de publicité (CS/CA, jugement n°01/2000-2001 du 26 octobre 2000, Dame Yankoué Rebecca c/ Etat du Cameroun et CS/CA, jugement n°94/05-06 du 14 juin 2006, Chambre de Commerce , d’Industrie et des Mines du Cameroun c/ Etat du Cameroun et succession Paul Monthé-intervenant : « (…) en l’absence de notification ou de publicité, le délai (…) court à partir de la date à laquelle le recourant a eu connaissance de l’acte attaqué »). Il en est ainsi lorsqu’il y a aveu par le requérant de la réception d’une copie de l’acte ou lorsqu’il existe une lettre dans laquelle le demandeur en instance cite textuellement l’acte querellé ou alors lorsque la partie requérante n’a pris connaissance de l’existence de l’acte qu’après le séjour de son destinataire au pays et au moment où elle entreprenait les travaux sur le terrain litigieux (v. CS/CA, jugement n°01/2000-2001 du 26 octobre 2000, Dame Yankoué Rebecca c/ Etat du Cameroun) .

En matière de connaissance acquise, le juge administratif camerounais a une position ambivalente voire ambiguë.

Dans certains cas, le juge applique cette théorie, tantôt au détriment du requérant, comme dans l’affaire dame Ngué Andrée du 25 mars 1969 ( CFJ/CAY, arrêt du 25 mars 1969, Dame Ngue Andrée c/Commune de plein exercice de Mbalmayo : « Considérant (…) que le sieur Ngue André, époux de la requérante, a en qualité de conseiller municipal  participé à l’élaboration du plan d’urbanisme de Mbalmayo ; Que Dame Ngué devait savoir par lui qu’une rue allait passer à l’endroit où elle fit creuser sa fosse et planter le maïs (… )»  et dans l’affaire Chambre de Commerce du 14 juin 2006 (CS/CA, jugement n°94/05-06 du 14 juin 2006, Chambre de Commerce, d’Industrie et des Mines du Cameroun c/ Etat du Cameroun et succession Paul Monthé-intervenant[7] : « Attendu qu’il ressort des pièces de la procédure que par ordonnance sur requête n°306 du 18 novembre 1993, le juge des référés de Douala a autorisé sieur MONTHE Honoré, représentant de la succession Paul MONTHE, à assigner la Chambre de Commerce, d’industrie et des Mines du Cameroun en référé d’heure en heure et enjoint aux parties de comparaître devant lui le 22 novembre 1993 ;(…)ladite ordonnance et la requête qui l’a provoquée ont été notifiées à la Chambre de Commerce, d’industrie et des Mines le 19 novembre 1993 ;(…) il ressort de ces indications que la Chambre de Commerce, d’Industrie et des Mines a eu connaissance du titre foncier querellé à la date du 19 novembre 1993 ;(…) dès lors, il lui appartenait de saisir le Ministre compétent de son recours gracieux au plus tard le 19 janvier 1994 ; (…) il s’ensuit que le recours gracieux déposé le 13 juin 1997 était tardif entraînant l’irrecevabilité du recours contentieux »[8] ;  tantôt au profit du requérant, en ce qu’il admet le recours en cas d’absence de trace de notification ( dans ce sens, CS/PCA/91-92, ord. n°28 du 23 sept. 1992, Affaire Union nationale camerounaise c/Etat du Cameroun, avec le commentaire de Bernard-Raymond Guimdo in Juridis info n°19, 1994, pp. 28-33 et CS/CA, jugement n°154/04-05 du 31 août

2005, Mveng Owona c/ Etat du Cameroun : « Attendu qu’en l’espèce qu’aucune trace de notification de la décision attaquée n’existe au dossier ; Que par conséquent, le recours de NVENG OWONA doit être déclaré recevable »[9]).

La jurisprudence considère d’ailleurs que la connaissance acquise vaut notification de l’acte (CS/CA, jugement n°27/98-99 du 29 avril 1999, Etémé Ongolo Gabriel c/ Etat du Cameroun).

Dans d’autres cas, le juge administratif refuse d’appliquer cette théorie ; ce qui, en général, profite au requérant ; dans ce sens, CS/AP, arrêt du 24 mars 1983, Njikiakam Towa Maurice c/ Etat du Cameroun : «  Attendu qu’il est à noter que la notification de l’acte d’affectation n’a pas été faite au requérant le jour même de sa signature(…) ; qu’il ressort, par ailleurs, de l’examen du dossier que , pour des raisons de convenance personnelle, Njikiakam Towa avait entrepris des démarches aux fins de voir rapporter l’arrêté (…) ; qu’il ressort du dossier de la procédure que l’arrêté(…) n’a jamais été porté officiellement à la connaissance de l’intéressé, c’est-à-dire qu’il ne lui a jamais été notifié (..) ; Attendu que l’administration n’ayant pas officiellement porté l’acte à la connaissance de Njikiakam Towa, la décision (…) mettant le requérant en position d’absence irrégulière ne peut être prise en considération ». Dans le même sens, CS/CA, jugement n°37/99-00 du 24 février 2000, Bamby Boniface c/ Etat du Cameroun : « Attendu que la défenderesse (E.C) n’a pas apporté la preuve que le requérant a eu connaissance de l’existence de l’acte attaqué le jour de son élaboration ni d’une preuve de la notification », l’une comme l’autre marquant le point de départ des délais de recours.

En définitive, la théorie de la connaissance acquise est à l’image de Janus biface, au pire, il s’agit d’une théorie manichéenne. C’est pourquoi le juge devrait autant que possible éviter de faire appel à elle lorsque l’acte querellé n’a pas été publié. Quoi qu’il en soit, lorsqu’un acte administratif est publié, il devrait être exécuté.

  • 2 – L’exécution de l’acte

L’exécution de l’acte administratif unilatéral pose le problème de l’autorité de la chose décidée. Ainsi, lorsqu’un acte administratif est pris, il devrait produire tous ses effets de droit.

Deux principes sont à la base de l’autorité de la chose décidée ou de l’exécution de l’acte administratif unilatéral : principe du privilège du préalable et le principe de l’exécution d’office.

A – Le privilège du préalable

Le principe du privilège du préalable signifie que lorsqu’un acte administratif unilatéral  est émis et publié, il jouit d’une présomption de vérité légale. En d’autres termes, il est présumé légal ou conforme au droit en vigueur. Il doit, par conséquent, être appliqué par les tiers avant toute contestation (CS/CA, jugement n°33 du 28 septembre1978, Owoundi Jean-Louis c/Etat du Cameroun).

Le principe ainsi formulé ne doit pas être saisi dans l’absolu. En effet, il connaît des restrictions. Ainsi l’acte n’est pas appliqué en cas de :

  • sursis à exécution prononcé par le juge administratif (pour la procédure et les conditions d’obtention, v. articles 30 et 31 de la loi n°2006/022 du 29 décembre 2006 fixant

l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs) ;

  • sursis de paiement ordonné par l’autorité fiscale (les conditions de son obtention sont contenues dans le Code général des Impôts) ;
  • sursis de la vente des biens du contribuable (les conditions de son obtention sont contenues dans le Code général des Impôts ; ici, faute de constituer des garanties, le comptable du recouvrement peut prendre des mesures conservatoires pour les impôts contestés, la vente ne pouvant être effectuée jusqu’à ce qu’une décision ait été prise sur la réclamation contentieuse, soit par le chef de service départemental des impôts, s’il est compétent, soit par le juge administratif) ;
  • résistance passive de l’administré ( elle est licite, car le juge pénal refuse toute sanction si cet acte est illégal ; lorsque l’exception d’illégalité d’un acte administratif est soulevée devant le juge pénal par un administré qui refuse d’obéir à l’administration et qui est poursuivi de ce fait en justice, soit le juge examine lui-même la régularité de l’acte en cause – le juge de l’action étant le juge de l’exception- ,soit il prononce un sursis à statuer – v. jurisprudence Avranches et Desmaret).

B – L’exécution d’office

En droit public, le principe est que l’administration ne peut faire exécuter ses décisions par la force. Cette interdiction est justifiée par le souci de  préserver les droits et libertés des citoyens. Et si l’administration veut le faire, ce n’est que de façon exceptionnelle ou subsidiaire. Autrement dit, le privilège de l’exécution d’office des actes administratifs unilatéraux n’existe que dans des cas exceptionnels et dans des domaines nettement circonscrits par la jurisprudence. La doctrine en la matière a été formulée par le Commissaire du gouvernement Romieu dans ses conclusions sur l’arrêt du Tribunal des Conflits en date du 02 décembre. 1902, Sté immobilière Saint-Just.

1 – Les conditions  

L’exécution forcée peut être licite dans deux hypothèses très générales :

1ère hypothèse : lorsque la loi l’autorise expressément. C’est le cas en matière de réquisition de personnes et des biens.

 2ème hypothèse : lorsqu’il y a urgence. Comme l’a si bien déclaré le Commissaire du

Gouvernement Romieu, dans ses conclusions sur l’arrêt société immobilière Saint-Just,

« il est de l’essence même de l’administration d’agir immédiatement et d’employer la force publique sans délai ni procédure lorsque l’intérêt immédiat de la conservation publique l’exige ; quand la maison brûle, on ne va pas demander au juge l’autorisation d’y envoyer les pompiers ».

Il se dégage de ceci que l’urgence valide à elle seule des mesures qui seraient autrement illégales. Elle provoque, comme le dit Achille Mestre, « une sorte de renversement de valeurs juridiques ». Il va s’en dire que le juge examinera dans chaque cas s’il y avait effectivement urgence ou péril immédiat (T.C, 08 avril 1935, Action française ; T.C, 19 mai 1954, Office publicitaire de France).

En dehors de ces cas généraux, l’exécution forcée n’est licite que lorsque quatre conditions sont réunies :

Premièrement, il faut avant tout qu’il n’y ait aucune sanction légale, en particulier la sanction pénale ;

Deuxièmement, il faut que l’opération administrative par laquelle l’exécution est nécessaire ait sa source dans un texte précis ou que l’acte  à exécuter soit pris en application d’un texte législatif précis ;

Troisièmement, il faut qu’il y ait lieu à exécution forcée, c’est-à-dire que l’exécution de l’acte se soit heurtée à une résistance certaine ou du moins à une mauvaise volonté caractérisée de l’administré (hypothèse de l’administré récalcitrant) ;

Quatrièmement, il faut que les mesures d’exécution forcée tendent uniquement dans leur objet immédiat à la réalisation de l’opération prescrite par la loi, c’est-à-dire qu’elles ne doivent pas aller au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour assurer l’obéissance à la loi. Par exemple, il ne faut pas, sous prétexte d’assurer par la contrainte l’exécution d’une décision légale, que l’administration aille au-delà. En tout cas, l’emploi illégal de l’exécution forcée est susceptible de sanction.

2 – La sanction de l’utilisation illégale 

On peut envisager en la matière trois cas de figure, au moins. D’abord, si l’administration procède à l’exécution forcée dans les conditions régulières d’un acte que le juge administratif va ultérieurement annuler pour excès de pouvoir, elle s’expose aux dommages et intérêts. Ce principe, à savoir, celui selon lequel l’administration exécute ses décisions à ses risques et périls a été illustré par le C.E. dans l’arrêt Zimmermann rendu le 27 février 1903. Ensuite, l’administration engage sa responsabilité si elle procède à l’exécution forcée d’une décision légale ou illégale dans les conditions irrégulières. L’action indemnitaire relève de la compétence du juge administratif si la mesure litigieuse ou querellée n’a porté atteinte ni au droit de propriété ni à une liberté fondamentale (CE, 21 juillet 1949, Wolff ; CE, 8 avril 1961, Dame Klein). Si au contraire le droit de propriété ou une liberté fondamentale est en cause, l’administration commet une voie de fait et les tribunaux judiciaires sont compétents (T.C, 30 juin 1949, Aubert).

–  Enfin, il y a  voie de fait si l’administration procède à l’exécution forcée d’un acte « manifestement insusceptible de se rattacher à l’application d’un texte législatif ou réglementaire » et de nature à porter atteinte au droit de propriété ou à une liberté fondamentale (TC, 17 février 1947, Consort-Perrin).

Il reste, toutefois, que l’acte administratif, quel qu’il soit, est appelé à un moment ou à un autre à sortir de l’ordonnancement juridique.

  • 3 – La sortie de vigueur

C’est le problème de la durée des effets de l’acte administratif unilatéral. En effet, ce dernier, comme tout acte juridique, est appelé, pour une raison ou pour une autre, à disparaître. Il peut l’être de deux manières, au moins : soit du fait de l’administration ; on parle de sortie de vigueur non contentieuse, soit du fait du juge ; il s’agit de la sortie de vigueur contentieuse.

A – La sortie de vigueur de l’acte du  fait de l’administration

La fin de l’acte administratif unilatéral peut être prescrite par lui-même ou par un autre texte juridique. En général, l’administration peut sortir l’acte administratif de l’ordonnancement juridique soit de façon non rétroactive, on parle de l’abrogation, soit de façon rétroactive : c’est le retrait.

Au cœur de ces deux modalités, il y a la notion des droits acquis. C’est une notion difficile à cerner. Elle se caractérise par ses effets du fait de « l’impossibilité de remettre en cause ces droits et les actes qui les ont créés » (CS/CA, jugement Wabo Rigobert pré cité).

C’est à un examen concret de chacun des aspects des notions d’abrogation et de retrait que le juge administratif peut dire si les actes en cause ont ou non créé de droits.

1- L’abrogation

L’abrogation est une opération juridique qui consiste au moyen d’un autre acte à sortir l’acte existant de l’ordonnancement juridique pour l’avenir. Cette sortie devrait se faire en respectant les règles de compétence, de forme et de procédure. Mêmement, cette sortie doit respecter les règles de fond. A ce propos, il faut distinguer l’abrogation de l’acte réglementaire de l’abrogation de l’acte non réglementaire.

L’abrogation de l’acte réglementaire est toujours possible. Quant à l’abrogation de l’acte non réglementaire, elle n’est possible que si ce dernier n’a pas créé de droits ( arrêt ADD n°55/CFJ/CAY du 25 mars 1969, Sieur Emini Tina Etienne c/Etat  fédéré du Cameroun oriental : « Considérant que la sécurité juridique serait dangereusement comprise si les droits acquis même irrégulièrement par les particuliers pouvaient à tout même être remis en question par l’autorité administrative ; que pour cette raison, un acte administratif individuel lorsque du moins, il a fait naître quelques droits au profit d’un particulier, ne peut être abrogé que dans les délais pendant lesquels un intéressé pourrait faire annuler pour excès de pouvoir ». Elle met en cause l’intangibilité des effets individuels de l’acte concerné.

Dans certains cas, l’administration a le droit d’abroger les actes administratifs (exemple : une nomination à une fonction administrative). Dans d’autres, elle a plutôt l’obligation de le faire. C’est ainsi que la jurisprudence a décidé qu’en cas de changement dans les circonstances de fait ou de droit qui ont présidé à l’édiction d’un règlement, l’administration est tenue de l’abroger sur la demande d’un administré (CE, 10 janvier 1930, Despujol). Cette exigence a, d’ailleurs, été érigée en principe général du droit (CE, 3 février1989, Compagnie Alitalia).

Il est à noter que les actes de pure faveur, les propositions de caractère provisoire, les autorisations précaires et révocables par nature, ne créent pas de droits ou plus exactement, ils ne confèrent pas des droits définitifs. Tel est le cas d’une simple lettre par laquelle le Ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative informe un fonctionnaire qu’il bénéficie conformément à la réglementation d’une bonification d’année d’activités pour enfant mineur à charge alors que la prolongation d’année d’activité doit être normalement matérialisé par un arrêté du ministre investi du pouvoir de nomination. Il est de ce fait « mal aisé et injuste » de demander l’annulation d’une décision administrative en se fondant sur un tel acte (CS/CA, jugement n°03/90-91 du 29 nov. 1990 ; Ayin Abe Benoît c/Etat du Cameroun). Le régime juridique du retrait est fondamentalement différent de celui de l’abrogation. 2- Le retrait 

Le retrait est une opération juridique qui consiste au moyen d’un autre acte à sortir l’acte existant de l’ordonnancement juridique à compter du jour où il a été édicté (on parle d’effet ab initio). Cette sortie devrait se faire en respectant les règles de compétence, de forme et de procédure. Mêmement, cette sortie doit respecter les règles de fond.

Tout le régime juridique du retrait, dégagé par le Conseil d’Etat français dans l’arrêt Dame Cache du 03 novembre 1922, est dominé par la distinction des actes ayant créé des droits et des actes n’ayant pas créé de droits.

Pour les actes qui n’ont pas créé de droits, leur retrait est possible à tout moment et sans condition.

Quant aux actes ayant créé des droits, leur retrait n’est possible que sous trois conditions :

1ère  condition : l’acte querellé doit être entaché d’irrégularité ou d’illégalité. Pour la jurisprudence, cette exigence se justifie par le fait que l’illégalité d’un acte consacre sa nonconformité au droit en vigueur et justifie de ce fait son retrait. Mais, pour assurer la sécurité juridique des administrés dans les droits qu’ils ont acquis, même illégalement, le Conseil d’Etat français estime que « l’administration ne peut retirer une décision individuelle explicite créatrice de droits, si elle est illégale, que dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision » (CE, Ass., 26 octobre 2001, Ternon).

La jurisprudence exclut, cependant, le retrait d’un acte pour simple motif d’opportunité. Par exemple, le retrait de la nomination d’un fonctionnaire doit être justifié par le fait que le fonctionnaire n’avait pas l’âge légal pour être nommé et non par le fait que l’administration regrette son choix. De même, le retrait d’un acte portant avancement d’un fonctionnaire doit être justifié par la nécessité de réparer une illégalité et non parce que « la presse écrite et l’opinion publique » dénoncent « les pratiques d’avancements frauduleux au Ministère de la Fonction Publique et de la Réforme Administrative et où certains proches collaborateurs du Ministre (…) » sont « indexés comme étant les auteurs de telles pratiques » ( CS/CA, jugement n°42/99-2000 du 30 mars 2000, Wabo Rigobert c/ Etat du Cameroun).

2ème  condition : l’acte ne doit pas être devenu définitif. Le retrait de l’acte devenu définitif est exclu, même s’il est illégal (v. CE, 26 nov. 1954, Crouzet ; T.E, arrêt n°190 du 16 mars 1962, Sieur Mbala Zogo André c/Etat du Cameroun : « Considérant qu’en matière administrative, tout acte dont l’annulation n’a pas été demandé dans le délai de recours contentieux devient définitif, que passé ce délai, il doit donc être considéré comme étant

régulier »). Toutefois, si une décision illégale est prise à la suite d’une fraude, elle peut être rapportée à tout moment (CS/CA, Jugement n°36/91-92 du 30 avril 1992, Mveng Mbarga Constantin, c/ Etat du Cameroun ; CE, 13 novembre 1992, Riaz). En effet, une telle décision est considérée par la jurisprudence comme un acte juridiquement inexistant et par conséquent insusceptible de conférer des droits.

3ème condition : il faut que le retrait intervienne dans les délais du recours contentieux  ( v. arrêt n°282/TE du 11 mai 1963, Sieur Donfack Etienne c/Etat du Cameroun : « Considérant qu’en effet, si le retrait d’un acte administratif générateur de droit comme celui qui a intégré le requérant dans le cadre des adjoints d’administration est possible lorsque le dit acte est entaché d’illégalité, il ne peut toutefois être procédé à ce retrait que dans le délai du recours contentieux » ; arrêt n°291/TE du 31 mai 1963, Sieur Fouda Alphonse c/Etat du Cameroun et CS/CA, jugement n°52/06-07 du 28 février 2007, Njooh Michel Pierrot c/ Etat du Cameroun : « Sauf cas de fraude du bénéficiaire, le retrait du titre foncier ne peut intervenir que dans le délai de recours contentieux » ; ). Ici, le pouvoir de l’administration est modulé sur celui du juge, ce qui lui donne une sorte de droit à l’erreur. Cette condition de retrait s’applique aussi bien aux décisions explicites qu’aux décisions implicites d’acceptation qui font l’objet de publication obligatoire ; mais elle ne s’applique pas aux décisions implicites d’acceptation qui ne font pas l’objet d’une publication obligatoire ; mêmes irrégulières celles-ci ne peuvent être retirées (CE, 14 novembre 1964, Evé). Cependant, pour les décisions individuelles irrégulières simplement notifiées et non publiées, le juge autorise leur retrait à tout moment dans la mesure où elles ne peuvent intéresser les tiers à l’égard desquels le délai ne court pas (CE, 06 mai 1966, Ville de Bagneux).

Le retrait, qui intervient après une décision de justice, est irrégulier (CE, 03 nov. 1922, Dame Cachet et jugement n°25/CS/CA du 30 novembre 1978, Kioyo Innocent c/Etat du Cameroun).

Au total, le retrait, à la différence de l’abrogation, est une opération dont la mise en œuvre repose sur des conditions rigides.

B – La sortie de vigueur de l’acte du  fait du juge

La sortie de vigueur de l’acte par le juge s’opère dans  trois cas de figure, au moins.  – Le premier c’est l’illégalité de l’acte. Un acte est dit illégal lorsqu’il ne respecte pas les conditions de forme et de fond requises par le droit. Lorsque le juge saisi  constate que l’acte querellé est effectivement illégal, il l’annule. Cette annulation a des effets ab initio, c’est-àdire que l’acte est considéré comme n’ayant jamais existé. Il convient de préciser qu’en France, depuis un arrêt rendu par le CE le 11 mai 2004 (arrêt Association AC!), les effets de l’annulation contentieuse des actes administratifs ne sont plus absolus, ils peuvent être modulés dans le temps à fin de ne pas remettre en cause les droits de tiers  et plus globalement pour assurer la sécurité juridique des droits acquis légalement et de bonne foi (CE, 25 février 2005, France Télécom).

  • Le deuxième c’est l’inadaptation de l’acte. Cette inadaptation est liée au changement de circonstances qui va amener le juge saisi à constater la caducité de l’acte litigieux. C’est ainsi que dans une espèce en date du 30 novembre 1995, le juge administratif camerounais a constaté la caducité d’un décret de déclaration et d’expropriation pour cause d’utilité publique (CS/CA, jugement du 30 novembre 1995, Affaire société Renault Cameroun contre Etat du Cameroun).
  • Le troisième cas, enfin, c’est la constatation de l’inexistence juridique ou matérielle et de déclaration de nullité de l’acte par le juge administratif. Dans ce cas, le juge n’annule pas l’acte en cause, mais le déclare plutôt nul et de nul effet. Il en est ainsi des opérations de rectification effectuées sur un titre foncier en violation des dispositions pertinentes de la réglementation relative aux conditions d’obtention du titre foncier (CS/CA, jugement n°67/992000 du 28 septembre 2000, affaire Société « L’ANCETRE » c/ Etat du Cameroun).

Que dire en définitive, sinon que l’action administrative unilatérale, expression du pouvoir décisoire de l’administration, connaît d’une manière ou d’une autre une fin.  Il en est de même des contrats administratifs qui relèvent de l’action contractuelle de l’administration.

SOUS/TITRE II

L’ACTION CONTRACTUELLE : LE CONTRAT ADMINISTRATIF

Le contrat, dans la sphère des activités publiques, apparaît comme un procédé traditionnel et fort ancien. Dès le XVIe siècle, en France, des conventions furent passées avec des particuliers, pour la construction et la gestion des canaux, selon une technique  préfigurant les grandes concessions d’ouvrage public du XIXe siècle.

Lorsqu’au XIXe siècle la jurisprudence du Conseil d’Etat dut redéfinir les règles applicables aux contrats, elle s’inspira fortement de ces règles, tout en renforçant, dans la logique d’un Etat fondé sur la protection de la propriété et de l’économie libérale, les droits pécuniaires des cocontractants. Enfin vint Gaston Jèze, qui, dans son ouvrage sur les contrats administratifs (1927-1934) mit en lumière la cohérence d’une construction d’ensemble. Et, de nos jours, dans le cadre du « contractualisme », de très nombreuses opérations ne se réalisent qu’après intenses discussions, phénomène qui touche même les relations entre personnes publiques.

Il existe cependant des cas où l’administration n’a pas le droit, en principe, de recourir au procédé contractuel. Dans un certain nombre de domaines en effet, elle n’est habilitée par les textes à n’agir que par voie d’action unilatérale. Ceci concerne, en particulier, la police administrative générale (exception : la délégation de service public en matière de salubrité publique : cas du ramassage des ordures par la société Hysacam au Cameroun) comme spéciale, l’organisation du service public, la situation des fonctionnaires où des contrats ne sauraient venir modifier ou compléter leur situation légale et réglementaire, ou l’exercice du pouvoir réglementaire. Le procédé contractuel reste néanmoins d’usage très courant dans l’action administrative.

L’acte administratif contractuel ou contrat administratif est ainsi, à l’instar, de l’acte administratif unilatéral, un des moyens juridiques de l’activité administrative.

Il  convient de préciser que l’administration peut conclure deux types de contrat : les contrats de droit commun, conformément aux règles du droit privé (exemple, les contrats de gérance libre et les contrats du personnel non fonctionnaire), et les contrats publics que sont les contrats administratifs. Si les premiers mettent l’administration, sur le plan juridique, au même niveau que les particuliers, les contrats  publics ou administratifs, parce qu’ils sont régis par des règles spéciales, marquent la prééminence de l’administration sur son cocontractant.

La distinction étant ainsi faite entre contrat public ou administratif et contrat privé ou de droit commun, il convient, à présent, de procéder à l’identification des contrats administratifs (chapitre 1) avant de procéder à la détermination de leur régime juridique (chapitre 2).

CHAPITRE I

L’IDENTIFICATION

L’administration recourt à de nombreux contrats, qui peuvent relever selon les cas du droit public ou privé. Il convient donc, avant de déterminer la typologie des contrats administratifs connus, de voir comment le droit permet de procéder à la qualification desdits contrat.

SECTION I : LA QUALIFICATION

Si les contrats de droit commun obéissent aux règles énoncées par le droit privé et que leur contentieux ressortit à la compétence des juridictions judiciaires, les contrats administratifs, par contre, sont soumis à des règles spéciales distinctes de celles du droit civil des obligations et leur contentieux relève des juridictions administratives.

De même, si la notion de contrat est commune au droit administratif et au droit privé, le régime juridique du contrat n’est pas le même dans les deux matières.

Le particularisme des contrats administratifs est dominé et commandé par la notion et la nécessité du service public dont ils doivent permettre ou faciliter le fonctionnement. Il existe deux types de qualification des contrats administratifs : la qualification textuelle et la qualification jurisprudentielle.

  • 1- La qualification textuelle

En principe, c’est le Législatif ou l’Exécutif qui qualifie les contrats. Ce n’est qu’en cas de problème d’interprétation des textes, d’absence ou de silence de textes que la jurisprudence intervient.

Les marchés publics ne constituent, certes, une catégorie importante de contrats administratifs par détermination textuelle, mais, il en existe aussi d’autres. Il en est ainsi  des contrats de partenariat et les contrats entre personnes publiques que sont les contrats plan Etat-Région, les contrats plan Etat-entreprises et établissements publics, les contrats de ville, les conventions, très nombreuses,qui sont passées, souvent en application des lois de décentralisation, entre l’Etat et les collectivités territoriales (Ex.: les conventions pour la mise à disposition des personnels de l’Etat auprès des collectivités territoriales décentralisées).

En cas  d’absence de texte, d’ambiguïté ou d’imprécision de ce dernier, le juge administratif peut être amené à déterminer la nature du contrat en cause.

  • 2- La qualification jurisprudentielle

En principe, deux catégories de critères permettent au juge de déterminer  la nature du contrat objet du litige. Le critère organique et le critère alternatif.

  • Le critère organique

Le principe jurisprudentiel en matière d’identification des contrats administratifs au regard du critère organique est qu’il y a contrat administratif si l’une des parties contractantes est une personne publique. Ainsi, deux personnes privées ne peuvent pas conclure un contrat administratif, sauf si l’une d’entre elle agit au nom et pour le compte d’une personne publique (T.C, 8 juillet 1963, Entreprises Peyrot).

  • Du critère alternatif au critère cumulatif ?

C’est un critère dual, il est soit matériel soit finaliste. La jurisprudence n’établit pas de hiérarchie entre ces deux aspects du critère alternatif. En principe, l’application de l’une n’implique pas l’application de l’autre. Autrement dit, il s’agit de deux  dimensions distinctes d’une réalité donnée. Elles ne devraient donc pas être cumulatives (CCA, arrêt n° 83 du 22 décembre 1951, Renucci c / Administration du Territoire.

Cette dualité, depuis longtemps admise par la jurisprudence française et camerounaise, a été infléchie, voire remise en cause par le juge administratif camerounais, notamment dans le jugement n°147/04-05/ADD, UM NTJAM François rendu par la Chambre administrative de la Cour suprême le 31 août 2005. Dans cette décision, en effet, le juge consacre, en toute vraisemblance, le cumul des critères finaliste et matériel. Il affirme en substance : « (…) pour qu’un contrat soit administratif, il faut la participation du contractant à l’exécution du service public ;(…) de même, pour qu’un contrat soit administratif, il faut qu’il ait pour objet même l’exécution du service public ; (…) en d’autres termes que l’exécution du contrat ait pour but la satisfaction de l’intérêt général ; (…) il en résulte que tous les contrats conclus par l’Administration dans un tel but sont des contrats administratifs ; (…) enfin (…) le contrat administratif doit contenir des clauses exorbitantes du droit commun qui sont des stipulations ayant pour objet de conférer aux parties des droits ou de mettre à leur charge des obligations étrangères par leur nature à ceux qui sont susceptibles d’être librement consentis par quiconque dans le cadre des lois civiles ou commerciales ; (…) il s’agit en d’autres termes des clauses qui diffèrent par leur nature de celles qui peuvent être inscrites dans le contrat analogue de droit privé ; (…) de telles clauses relèvent que les parties se sont placées sous un régime de puissance publique et une seule d’entre elles suffit à comprimer (sic !) au contrat le caractère administratif ».

  • Le critère matériel

Ce critère renvoie au contenu du contrat. Si ce dernier contient des clauses dites exorbitantes de droit commun c’est-à-dire des clauses que l’on ne retrouve pas dans un contrat de droit privé, c’est qu’il s’agit d’un contrat administratif ( CS/CA, jugement n° n°147/0405/ADD du 31 août 2005, UM NTJAM François c/ Etat du Cameroun : « (…) il résulte de la combinaison des clauses de la convention (…) que le coconsultant de l’Administration n’était pas libre de choisir un programme déterminé d’animation culturelle, mais qu’il devait se conformer à celui qui était imposé par la puissance publique , qui, de surcroît avait le pouvoir de résiliation unilatérale de la convention en cas de non-respect par l’intéressé du programme ainsi imposé ; (…) pareilles stipulations ne se rencontrent pas dans un contrat de droit privé »).

Ces clauses, que l’on qualifie aussi de dérogatoires, doivent répondre à des préoccupations d’intérêt général étrangères aux particuliers (CE, 23 mai 1924, Société des affréteurs réunis et TC, 10 février 1967, Préfet de la Seine). A défaut d’une clause exorbitante individualisée, le fait pour un contrat d’être dans son ensemble soumis à un régime exorbitant de droit commun lui confère également le caractère administratif (CE, 19 juin 1973, Société d’exploitation de la rivière du Sant).

  • Le critère finaliste

Ce critère concerne l’objet du contrat. Pour la jurisprudence, le contrat est administratif s’il a pour but l’exécution d’un service public (CE, 20 avril 1956, Consorts Grimouard) ou lorsqu’il a pour objet de confier à un particulier l’exécution même du service public (CE, 20 avril 1956, époux Bertin ; CS/CA, jugement n°147/04-05/ADD du 31 aout 2005, UM NTJAM François c/ Etat du Cameroun : « Que l’animation dont s’agit était réalisée non pas dans l’intérêt particulier, mais dans l’intérêt public, comme afférente à la célébration de la journée mondiale de l’environnement » ).

Il en est de même des contrats par lesquels l’administration recrute des collaborateurs appelés à participer directement à l’exécution du service public (CE 2 juin 1954, Vingtain & Affortit).

Dans tous ces cas, le contrat relève, au plan contentieux, de la compétence du juge

administratif. Mais, s’il s’avère que ce contrat concerne l’exécution d’un service public industriel et commercial, il est, non pas public, mais privé, et relève, par conséquent, de la compétence du juge judiciaire (CE, 31 juillet 1912 société des granits Porphyroïdes de Vosges). Il sied à présent de procéder à la typologie des contrats administratifs.

SECTION II : LA TYPOLOGIE 

Le procédé contractuel, en raison de sa souplesse, permet à l’administration de conclure des conventions dans de très nombreux domaines. L’administration est aussi à même, dans une logique comparable, de gérer ses propriétés en autorisant l’occupation du domaine public ou en louant, voire en vendant son domaine privé.

Toujours dans une optique de moyen mais en sens inverse, les personnes publiques contractent pour que des particuliers leur fournissent des prestations de nature diverse. Les marchés publics occupent une place considérable de ce point de vue.

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L’administration est, enfin, à même, par un contrat, d’organiser le service public, soit en confiant l’exécution à une autre personne, soit, et le procédé tend à se développer, en s’accordant avec d’autres collectivités publiques pour l’exercice de leurs compétences.         Dans cette masse de contrats, certains d’entre eux jouent un rôle particulier en raison de leur fréquence et/ou leur encadrement par les textes ou la jurisprudence. Il est ainsi des  marchés publics et d’autres types de contrats administratifs.

  • 1- Les marchés publics

Afin de disposer des moyens qui leur sont nécessaires pour l’accomplissement de leur mission d’intérêt général, les personnes publiques sollicitent des tiers pour qu’ils assurent des prestations au moyen du marché public. Ce dernier est un classique contrat synallagmatique entre un fournisseur, prestataire ou entrepreneur et un client.

Il sied d’examiner d’abord la notion de marché public, ensuite, les différents types de marchés publics et, enfin, quelques notions essentielles en matière de marchés publics.

A-  La notion de marché public 

Le Code des marchés public, adopté par décret n°2004/275 du 24 septembre 2004, définissait les marchés publics comme « un contrat écrit, passé conformément aux dispositions du (présent) code, par lequel un entrepreneur, un fournisseur ou un prestataire de services s’engage envers l’Etat, une collectivité territoriale décentralisée, un établissement public ou une entreprise du secteur public ou parapublic, soit à réaliser les travaux, soit à fournir des biens ou services moyennant un prix » ( article 5 al.1a).

Quant au décret n°2012/074 du 08 mars 2012 portant création, organisation et fonctionnement des commissions de passation des marchés publics, il définissait le marché public comme « un contrat écrit, passé conformément aux dispositions règlementaires, par lequel un entrepreneur, un fournisseur ou un prestataire de services s’engage envers l’Etat, une collectivité territoriale décentralisée, un établissement public ou une entreprise du secteur public ou parapublic, soit à réaliser des travaux, soit à fournir des biens ou des services, dans un délai déterminé, moyennant un prix »( art. 2.a).

Pour ce qui est du décret n°2018/366 du 20 juin 2018 portant Code des marchés publics, qui abroge les deux décrets précédents, il définit le marché public comme un « contrat écrit passé conformément aux dispositions du (présent) Code par lequel un entrepreneur, un fournisseur, ou un prestataire de service s’engage envers l’Etat, une collectivité territoriale décentralisée ou un établissement public, soit à réaliser des travaux, soit à fournir des biens ou des services moyennant prix ».

La différence entre cette définition et celle du précédent Code c’est la suppression parmi les personnes morales pouvant conclure un marché public avec un tiers l’ « entreprise du secteur public ou parapublic » dont les marchés sont désormais régis par un texte distinct, à savoir le décret n°2018/355 du 12 juin 2018 fixant les règles communes applicables aux marchés des entreprises publiques.

Au demeurant, le marché public n’est pas une donnée homogène. Il existe, en effet, plusieurs types de marchés publics.

B – Les types de marchés publics  

Le Code des marchés publics du 20 juin 2018 consacre plusieurs types de marchés publics.

On a ainsi :

  • les marchés de travaux publics dont l’objet est la réalisation des opérations de construction, reconstruction, démolition, réparation, rénovation de tout bâtiment, route ou ouvrage, y compris la préparation du chantier, les travaux de terrassement, l’installation d’équipements ou de matériels, la décoration et la finition, ainsi que les services accessoires aux travaux, si la valeur de ces services ne dépasse pas celle des travaux eux-mêmes (Article 61 du Code) ;
  • les marchés de fournitures ; dont l’objet est l’achat, la prise en crédit-bail, la location-vente de produits ou matériels y compris les services et accessoires, si la valeur de ces derniers ne dépasse pas celle des biens eux-mêmes (Articles 62 du Code) ;
  • les marchés de services quantitatifs ou des « marchés pour lesquels les prestations ne font pas nécessairement appel à une conception », en ce qu’«ils se traduisent par un résultat physiquement mesurable » (Article 63.1 du Code) ;
  • les marchés de services non quantitatifs et de prestations intellectuelles qui comprennent l’assurance maladie, la publicité, l’organisation des séminaires et les prestations intellectuelles incluent la maitrise d’œuvre, les audits, les études, le contrôle, et les obligations spécifiques liées à la notion de propriété intellectuelle (Section IV.2 du Code) ;
  • les marchés de conception-réalisation, qui sont des marchés de travaux permettant au Maitre d’ouvrage de confier à un groupement d’opérateurs économiques, ou pour les seuls ouvrages d’infrastructures à un seul opérateur économique, une mission portant à la fois sur la réalisation des études et l’exécution des travaux (Article 64 du Code) ;
  • les accords-cadres, auxquels recourt le Maitre d’ouvrage lorsqu’il ne peut pas déterminer à l’avance le volume et le rythme des commandes de fournitures ou de services courants nécessaires à ses besoins et dont l’objet est l’établir les règles relatives aux bons de commande à émettre, ou les dispositions régissant les marchés à commandes subséquents à passer au cours d’une période donnée, notamment en ce concerne les prix, et le cas échéant, les quantités envisagées. Leur durée ne peut excéder trois (03) ans (Article 65.1, 2 et 3 du Code) ;
  • les marchés pluriannuels et à tranches, auxquels recourt le Maitre d’ouvrage lorsque l’intégralité du financement nécessaire pour la réalisation d’un projet ne peut être mobilisée au cours d’un seul exercice budgétaire et que les prestations peuvent s’étaler sur plusieurs années ou s’exécuter en plusieurs phases comprenant une tranche ferme et une ou plusieurs tranches conditionnées ; pour ce faire, le Maitre d’ouvrage doit programmer les dépenses liées à chaque exercice (Article 68.1 du Code) ;
  • les marchés réservés, qui sont des marchés destinés uniquement aux artisans, aux petites et moyennes entreprises nationales, aux organisations communautaires à la base et aux organisations de la société civile (Article 70.1 du Code) ;
  • les marchés spéciaux, que sont les marchés qui ne répondent pas, pour tout ou partie, aux conditions relatives aux marchés sur appel d’offres ou aux marchés de gré à gré ; ils comprennent essentiellement les marchés relatifs à la défense nationale, à la sécurité et aux intérêts stratégiques de l’Etat (Article 71.1 du Code). Ils sont passés après autorisation préalable du Président de la République (Article 71.4 du Code).

C- Quelques notions essentielles dans le domaine des marchés publics

Il convient de distinguer ici les organes des actes ou mesures.

  • Les organes
    • Autorité chargée des marchés publics : autorité placée à la tête de l’administration publique compétente dans le domaine des marchés publics.
    • Autorité contractante : personne physique habilitée à conduire le processus de contractualisation et à signer les marchés y relatifs. Il s’agit des Maitres d’ouvrage et des Maitres d’ouvrages délégués.
    • Maitre d’ouvrage : Chef de département ministériel ou assimilé, chef de l’exécutif d’une collectivité territoriale décentralisée, directeur général et directeur d’un établissement public, représentant l’administration bénéficiaire des prestations prévues dans le marché.
    • Maitre d’ouvrage délégué : personne exerçant en qualité de mandataire de Maitre d’ouvrage, une partie des attributions de ce dernier. Il s’agit du Gouverneur de région et du Préfet de département, du Chef d’une mission diplomatique du Cameroun à l’étranger, habilités à passer à et à signer les marchés financés sur crédits délégués par un Maitre d’ouvrage, et le cas échéant, du chef d’un projet bénéficiant d’un financement extérieur.
    • Maitre d’œuvre : personne physique ou morale de droit public ou de privé chargée par le maitre d’ouvrage ou le maitre d’ouvrage délégué d’assurer la défense de ses intérêts aux stades de la définition, de l’élaboration, de l’exécution et de la réception des prestations objets du marché.
    • Entrepreneur : Personne physique ou morale (publique ou privée) qui s’engage à exécuter des travaux (publics) au profit d’une autre, en l’occurrence la personne publique.
    • Cocontractant de l’administration ou titulaire du marché: Toute personne physique ou morale en charge de l’exécution des prestations prévues dans le marché, ainsi que son ou ses représentants, personnels, successeurs et/ou mandataires dument désignés.
    • Commission des marchés publics : Organe d’appui technique placé auprès du maitre d’ouvrage (ou du maitre d’ouvrage délégué) pour la passation des marchés.
    • Sous-commission d’analyse : Comité ad hoc (institué pour la circonstance) désigné par la Commission de passation des marchés pour évaluer et classer les offres aux plans technique et financier.
    • Observateur indépendant : consultant (personne physique ou morale) recruté (par voie d’appel d’offres) par l’administration (l’organisme chargé de la régulation des marchés publics) afin de veiller au respect de la règlementation, aux règles de transparence et aux principes d’équité dans le processus de passation des marchés publics.
    • Auditeur indépendant : Cabinet de réputation établie, recruté par voie d’appel d’offres restreint par l’organisme chargé de la régulation des marchés, pour réaliser l’audit à postériori des marchés signés au cours de l’année écoulée, et exécutés ou en cours d’exécution.
    • Comité chargé de l’examen des recours résultant des marchés publics : instance établie auprès de l’organisme chargé de la régulation des marchés publics, appelés à examiner les recours des soumissionnaires  qui  s’estiment lésés, et à proposer le cas échéant à l’Autorité chargée des marchés publics, des mesures appropriées.
  • Les actes ou mesures
    • Prestations : travaux, fournitures, services, objets du marché.
    • Avenant : acte contractuel modifiant ou complétant certaines clauses du marché de base pour l’adapter à des évènements survenus après sa conclusion ou signature.
    • Lettre-commande : marché public dont le montant est égal à cinq (05) millions de FCFA et inférieur à cinquante (50) millions de FCFA.
    • Demande de cotation : procédé simplifié de consultation d’entreprises pour la passation de certaines lettres-commandes.
    • Sous-traitance : procédé contractuel par lequel le titulaire d’un marché cède à des tiers l’exécution, sous ses ordres et spécifications, d’une partie de ce marché.
    • Co-traitance : procédé contractuel par lequel les prestations objet d’un marché sont réalisées par des entreprises distinctes dans le cadre d’un groupement.
    • Cahiers de charges : documents qui déterminent les dispositions dans lesquelles les marchés publics sont exécutés. Ils comprennent les documents généraux et les documents particuliers. Il est ainsi du Cahier de Clauses Administratives Générales (CCAG) et des Cahiers de Clauses Administratives Particulières (CCAP).
    • Cahier de Clauses Administratives Générales (CCAG) : document ou acte juridique

(un arrêté du Premier ministre) qui fixe les dispositions relatives à l’exécution et au contrôle des marchés publics et applicables à toute une catégorie de marchés.

  • Cahiers de Clauses Administratives Particulières (CCAP) : Document ou acte juridique qui fixe les dispositions administratives et financières propres à chaque marché.
  • Moratoire : délai qui suspend les poursuites contre tous les débiteurs ou contre certaines catégories seulement, et que la loi accorde lorsque les circonstances générales (un empêchement dirimant, par exemple) rendent difficile ou impossible le paiement des obligations.
  • Intérêts moratoires : intérêts dus par l’administration contractante au titulaire du marché lorsque le défaut de paiement de ce dernier de ses prestations dans les délais fixés par le CCAP lui est imputable. Ces intérêts sont calculés depuis le jour suivant l’expiration desdits délais, jusqu’au jour de la délivrance de l’avis dit « de règlement » du comptable assignataire.
  • Pénalités : Sanctions pécuniaires infligées au titulaire du marché en cas de dépassement des délais contractuels fixés par le marché.
  • Réception : acte unilatéral par lequel le maitre d’ouvrage approuve, dans le cadre des marchés publics de travaux publics ou de fournitures, les travaux réalisés ou les biens et équipements fournis par le titulaire du marché. Il existe en matière de marchés de travaux publics la réception provisoire et la réception définitive et, en matière de marchés de fournitures, la réception technique et la réception définitive. Quid des autres types de contrats administratifs ?
  • 2- Les autres types de contrats administratifs

Les autres types de contrats administratifs sont : le contrat de partenariat, la délégation de services publics, que les différents Codes de marchés publics (2004 et de 2018) ont classés, à tort, dans la catégorie des marchés publics,  et les contrats entre personnes publiques.

A – Le contrat de partenariat 

Il est apparu nécessaire de mettre en place d’autres formes de contrats administratifs qui ne sont ni des délégations de services publics (dont le financement reste assuré par la personne publique), ni des marchés publics, qui seraient soumis, notamment, à la règle de l’interdiction de paiement différé.

Au Cameroun, c’est la loi n°2006/012 du 29 décembre 2006 qui fixe le régime général des contrats de partenariat. D’après cette loi, le contrat de partenariat régit, dans le cadre des projets d’une grande envergure technique et financière, les relations de partenariat entre les personnes publiques et une ou plusieurs personnes publiques ; les personnes publiques et une ou plusieurs personnes privées.

Les modalités d’application de cette loi sont déterminées par le décret n°2008/0115/PM du 24 janvier 2008. Le régime fiscal, financier et comptable applicable aux contrats de partenariat est fixé par la loi n°2008/009 du 16 juillet 2008.

Enfin, l’organisme expert chargé de l’évaluation des projets éligibles aux contrats de partenariat prévu à l’article 7 de la loi n°2006/012, à savoir Conseil d’Appui à la Réalisation des Contrats de Partenariat en abrégé « CARPA », est régi par le décret n°2008/035 du 23 janvier 2008.

A travers le contrat le partenariat, l’Etat ou l’un de ses démembrements confie à un tiers, pour une période déterminée, en fonction de la durée d’amortissement des investissements ou des modalités de financement retenues, la responsabilité de tout ou partie des phases d’un projet d’investissement tels que la conception des ouvrages ou équipements nécessaires au services publics ; le financement ; la construction ; la transformation des ouvrages ou des équipements ; l’entretien ou la maintenance ; l’exploitation ou la gestion.

En France, les lois du 29 août et 9 septembre 2002 ont permis que certains importants contrats portant sur la construction, l’entretien, voire l’exploitation des établissements pénitentiaires ou de ceux affectés aux forces de l’ordre puissent être passés en un seul lot, avec, en cas de construction sur le domaine public, un bail couplé à une location avec option d’achat. De même, la loi du 2 juillet 2003 a habilité le gouvernement à créer un tel instrument juridique par ordonnance ; ce qui a été fait notamment pour les établissements hospitaliers dans le cadre du plan Hôpital 2007.

Au demeurant, le recours à ce type de contrat, qui peut porter aussi sur le financement des équipements publics, doit rester exceptionnel, le Conseil constitutionnel ayant jugé que cela ne pouvait s’appliquer que dans des situations d’urgence ou en raison des « caractéristiques techniques, fonctionnelles ou économiques d’un équipement ou d’un  service déterminé ».

B- La délégation de services publics           

L’article 41 de l’ancien Code des marchés publics énonçait, à propos de la délégation de services publics, que, « l’Etat, les collectivités territoriales décentralisées, les établissements publics ou entreprises du secteur public, peuvent déléguer la gestion d’un service public à un délégataire de droit privé appelé concessionnaire, dont la rémunération est substantiellement liée aux résultats de l’exploitation du service ».

Bien qu’une telle disposition n’existe plus dans le nouveau Code, il reste que celui-ci fait de la délégation de services publics une catégorie des « marchés publics non quantitatifs » qu’il définit comme des « marchés des prestations de services concernant, entre autres, la délégation des services publics, l’assurance maladie, la publicité, l’audit des comptes, l’organisation des séminaires de formation, etc. ».

Il convient de d’indiquer qu’en droit français, la délégation de services publics est une catégorie de contrats publics distincts des marchés publics.

Une telle distinction est d’autant plus pertinente qu’en matière de délégation de service public, l’administration confie, sous son étroit contrôle, à un particulier ou une entreprise, voire à une autre administration publique, le soin de prendre en charge l’exécution même d’un service public, et non de fournir simplement une prestation moyennant prix comme c’est le cas d’un marché public. Ce transfert concerne en général les services publics industriels et commerciaux et dans une certaine mesure  certains services publics administratifs (gestion des autoroutes, transports scolaires, concession hospitalière).

Le contrat de délégation de services publics[10] présente des spécificités car, outre les liens contractuels entre les deux parties, il a des incidences pour les tiers, les usagers du service public. L’objet du contrat est a priori différent du marché public classique ; il en est de même et surtout de son mode de rémunération. L’administration ne verse pas un prix au cocontractant. Ce dernier est plutôt rémunéré pour l’essentiel par les résultats de l’exploitation, même si des subventions concourent à l’équilibre dans des domaines où la rentabilité est faible.

La délégation de services publics connait plusieurs types, à savoir:

-La concession de service public, contrat par lequel l’administration confie à un particulier ou, exceptionnellement, à un établissement public la mission de faire fonctionner un service public en se rémunérant sur les usagers de ce service.

La concession de service public n’est pas liée à la construction d’un ouvrage public. Ainsi, est délégable la gestion du service public des transports, des activités culturelles.             – La concession de travaux publics, qui consiste à confier au délégataire le soin de construire à ses frais l’ouvrage puis de le gérer, dans le cadre d’un service public, pendant une certaine durée assez longue pour qu’il puisse récupérer le montant de ses investissements et faire des bénéfices, grâce aux recettes perçues, en principe, sur les usagers.

La concession de service public (incluant ou non l’exécution d’ouvrages publics) fait l’objet d’une mise en concurrence qui est toujours précédée d’une pré-qualification qui a pour objet d’identifier les cocontractants potentiels offrant des garanties techniques et financières suffisantes et ayant la capacité d’assurer la continuité du service public dont ils seront délégataires.

  • L’affermage, qui consiste à confier au délégataire, rémunéré par les usagers, la seule exploitation des ouvrages publics (par ex : distribution d’eau, comme ce fut le cas de la Camerounaise Des Eaux jusqu’en avril 2018, date marquant la fin de cet affermage) construits par la collectivité publique, et pour laquelle il paye une redevance.
  • La régie intéressée, qui consiste pour une personne publique à déléguer à une personne privée (dite « régisseur ») la gestion d’un service public, et faire dépendre la rémunération qu’elle lui verse des résultats de sa gestion : économie réalisées, gains de productivité, ou encore amélioration de la qualité du service (cas de la gestion de certains marchés communaux).
  • Enfin, l’opération de réseaux, qui comprennent les opérations téléphoniques et électroniques par câbles par fibres optiques ; les opérations satellitaires, etc.

Quoi qu’il en soit, les administrations publiques peuvent, dans le cadre de ce partenariat, externaliser les opérations de certains services et en « lisser » le financement sur plusieurs années[11].

C– Les contrats entre personnes publiques 

Les contrats entre personnes publiques ne présentent parfois guère de spécificités au regard des catégories précédentes. Les personnes publiques concluent ainsi entre elles des conventions qui portent sur la fourniture de prestation (marchés publics ou délégations de service public).

Dans le cadre de leur spécialité, rien n’interdit aux personnes publiques, quelles qu’elles soient, de candidater pour de tels contrats, dès lors qu’elles le font dans des conditions d’égale concurrence avec les autres opérateurs. Le prix, notamment, doit correspondre à l’ensemble des coûts réels et ne pas être minoré grâce aux ressources et moyens attribués au titre de la mission de service public.

Mais, il existe aussi des contrats plus originaux, qui permettent, dans le cadre d’une politique de partenaire très à la mode, de coordonner les différentes politiques publiques en dehors de toute intervention dirigiste et de solutions imposées.  Il en est ainsi :

1-De contrats plan Etat-Région ou Etat-Commune, qui se déclinent sur certains points par des contrats d’agglomération pour l’amélioration de l’espace régional ou communal, tant sur les plans économique, social, culturel qu’infrastructurel et de l’aménagement de territoire régional ou communal ;

2- des contrats plan Etat-entreprises et établissements publics, qui fixent les grandes lignes de la politique à mener par ces derniers , en définissant des objectifs plus ou moins précis et des engagements financiers dans la limite, cependant, des dotations ouvertes chaque année par la loi de finances. Des contrats de cet ordre peuvent aussi être conclus par l’Etat avec des établissements publics tels les universités d’Etat ;

3-des contrats de ville, qui ont pour but d’assurer le renouvellement urbain des quartiers « sensibles » ou des grandes agglomérations urbaines (cas des communautés urbaines au Cameroun telles celles de Douala et Yaoundé).

4- Enfin, des conventions, très nombreuses, qui sont passées, souvent en application des lois de décentralisation, entre l’Etat et les collectivités territoriales (Ex.: les conventions pour la mise à disposition des personnels de l’Etat auprès des collectivités territoriales décentralisées).  Il convient à présent de déterminer le régime des contrats administratifs sont conclus ou passés.

CHAPITRE II  

LE REGIME JURIDIQUE

A l’instar de l’acte administratif unilatéral et des personnes qui en ont la charge, les contrats administratifs naissent, vivent et meurent. C’est dire qu’ils sont formés ou conclus (Section 1), exécutés (Section 2) et disparaissent (Section3).

SECTION I : LA FORMATION 

La formation des contrats administratifs repose sur un certain nombre de principes. Le droit camerounais ne fait pas exception à cette exigence. Par ailleurs, si en droit privé la formation des contrats se fonde sur la liberté et l’égalité des contractants, il n’en est pas de même en droit public des contrats où elles sont fortement édulcorées.

  • 1- La limitation de la liberté de contracter

La limitation de la liberté de contracter en droit administratif concerne aussi bien la personne compétente pour contracter au nom de l’administration que la personne privée désignée pour conclure, ainsi que sur le choix de la personne avec laquelle l’administration doit entrer en relation contractuelle. En somme, cette limitation est relative à la capacité de contracter, au choix du contractant.

A- La capacité à contracter

La capacité à contracter pose le problème de l’autorité habilitée à conclure des contrats administratifs.

1-Du côté des personnes privées, seules peuvent contracter ou soumissionner les personnes qui remplissent les conditions de capacité exigées par le Code civil ou par la législation en vigueur en matière contractuelle.

Il peut s’agir de toute personne physique ou morale, de ses représentants personnels, de ses successeurs et/ ou de ses mandataires dûment désignés.

Sont notamment exclus de la soumission à un contrat administratif les personnes morales dont les dirigeants ont fait l’objet d’une condamnation définitive pour crime ou délit, les personnes morales ou les candidats en état de liquidation judiciaire ou en faillite ou admises au redressement judiciaire ou ayant fait l’objet de procédures équivalentes régies par un droit étranger, les personnes morales qui, à la fin de l’année précédente, ne se sont pas acquittées de leurs obligations fiscales et sociales (v. art. 11.1 de la loi n°2006/012 du 29 décembre 2006 fixant le régime général des contrats de partenariat ; v. également art.51.2 du décret n°2018/366 du 20 juin 2018 portant Code des marchés publics).

2-Du côté de l’administration, seules les personnes morales de droit public sont habilitées à contracter (Etat, collectivités territoriales décentralisées et établissements publics). Pour chaque personne publique, les textes désignent l’autorité compétente pour signer le contrat.

Le décret n°2011/408 du 09 décembre 2011 portant organisation du gouvernement (complété par le décret n°2018/190 du 02 mars 2018), qui institue un ministre délégué à la présidence de la République chargé des marchés publics, dispose, en son article 8, que le ministre délégué à la Présidence de la République chargé des Marchés publics « est responsable de l’organisation et du bon fonctionnement des marchés publics ». A ce titre, « il procède au lancement des appels d’offres des marchés publics en liaison avec les départements ministériels et les administrations concernées ; (…) procède à la passation des marchés publics et en contrôle l’exécution sur le terrain en liaison avec les départements ministériels et les administrations concernées ; (…) participe, le cas échéant, au montage financier des marchés publics en liaison avec les départements ministériels et les administrations concernés ».

Ces dispositions décrétales ont été reprises par le décret n°2012/075 du 08 mars 2012 portant organisation du ministère des Marchés publics, en son article 1er al. 1er et 2. Ce décret précise, en l’alinéa 3 de son article 1er, que « les attributions du ministère des marchés publics (…) s’exercent conformément au décret n°2012/074 du 08 mars 2012 » portant création, organisation et fonctionnement des commissions de passation des marchés publics.

A la lecture du décret n°2012/074 du 08 mars 2012, dont les dispositions ne sont pas tout à fait identiques à celles du décret portant organisation du gouvernement relativement aux attributions du ministre délégué chargé des marchés publics.

Il est à relever que depuis l’adoption du nouveau Code des marchés publics le 20 juin 2018, le ministre délégué chargé des marchés publics  n’est plus habilité à lancer les marchés publics.

Les autorités compétentes pour conclure les marchés publics sont, notamment pour le compte de l’Etat, et selon les cas, les chefs de départements ministériels, les gouverneurs de région, le préfet de département ; pour le compte des collectivités territoriales décentralisées, le maire et le délégué du gouvernement; enfin, pour le compte de l’établissement public, le recteur ou le directeur général.

In fine, la responsabilité contractuelle de l’administration pourrait donc être engagée si le contrat est conclu par une autorité publique incompétente pour le faire et donner droit à l’octroi des dommages et intérêts à la partie lésée ou retenue (CS/CA, jugement n°63/99-2000, Les Etablissements LE PAYSAN c/ Etat du Cameroun : « (…) les fax du Ministre de l’Education Nationale violent (…) les articles 78 et 79 du décret n°86/903 du 18 Juillet 1986 ; (…) que le pouvoir de signer les marchés jusqu’à deux  cent millions de francs appartient aux

Gouverneurs des Provinces ; (…) le Ministre de l’Education Nationale est donc incompétent (…) à signer un marché dont le montant est inférieur à deux cent millions de francs, cette compétence étant dévolue aux Gouverneurs des Provinces conformément au décret susvisé ; (…) il est exact que les décisions administratives querellées ont été prises dans des conditions fort dommageables, surtout que les requérants avaient déjà été notifiés des ordres de service de commencer les travaux et avaient déjà pris toutes les dispositions nécessaires en vue du démarrage des travaux pour éviter de tomber sous le coup des pénalités prévues dans les ordres de service ; (…) ils sont donc fondés à demander la réparation des préjudices subis en raison de l’agissement fautif incriminé ». Que dire du choix du cocontractant de l’administration ?

B- Le choix du  cocontractant

Le choix du cocontractant doit tenir compte des principes qui régissent la conclusion des contrats administratifs ; mais il est aussi fonction des modes de passation des contrats administratifs.

Si en droit  privé le principe est que chacun choisit librement le partenaire ou la personne avec qui il va contracter, en droit public, et plus précisément en droit administratif, des sujétions sont imposées aux personnes publiques.

Le choix du cocontractant doit tenir compte de certains principes. Par ailleurs, il est  fait selon un certain nombre de procédés. Enfin, des mécanismes ont été institués pour veiller au respect des principes qui sous-tendent ce choix. 1-Les principes régissant le choix du cocontractant Les principes qui régissent le choix du cocontractant de l’administration concernent la présentation et l’attribution de la commande publique.

a)-Les principes régissant  la présentation de la commande publique

La présentation de la commande publique doit respecter un certain nombre principes, faute de quoi elle serait viciée et pourrait donner lieu à contestation par les personnes intéressées. Ces principes sont : la publicité et la liberté d’accès à la commande publique. a)-1/La publicité 

La publicité de la commande publique signifie que celle-ci doit être portée à la connaissance du public  par une large diffusion à travers  les moyens publics de masse.

En effet, une saine concurrence suppose une publicité adéquate, non seulement des critères régissant la commande, mais également de ses conditions particulières.

A ce sujet, l’article 88 du décret n°2018/366 du 20 juin 2018 portant Code des Marchés publics dispose : « (1)L’avis d’appel d’offres est publié dans le journal des marchés publics de l’organisme chargé de la régulation des marchés publics qui dispose d’un délai de vingt-quatre (24) heures à compter de sa réception pour le publier. (2)Les publications dans les autres organes à grand tirage et les autres moyens de publicité tel que le communiquéradio, la presse disponible en kiosque, la presse spécialisée ou les voies d’affichage ne pourront être utilisées qu’en sus ».

De même, l’article 8.2 de la loi n°2006/012 du 29 décembre 2006 fixant le régime général des contrats de partenariat dispose que « l’appel public à la concurrence est initié par l’autorité publique. Il est précédé d’une publicité permettant la présentation de plusieurs offres concurrentes(…) ».

Il se dégage de ce qui précède que l’initiateur de la commande publique n’a juridiquement pas de moyen de limiter la diffusion de l’avis d’appel à concurrence. Une telle limitation serait, bien sûr, illégale. a)-2/La liberté d’accès 

La liberté d’accès à la commande publique signifie que toute personne physique ou morale qui répond aux qualifications et conditions requises par les textes en vigueur peut candidater à la commande publique ou à la prestation envisagée.

Il s’agit d’un principe général en matière de commande publique. Il en est ainsi des contrats de partenariats (Art. 8.1 de la loi n°2006/012) et de marchés publics (V. art. 2 du Code).

La conséquence immédiate de ce principe est que toute personne physique ou morale doit être libre de collaborer avec l’administration en vue de lui fournir des prestations. Elle ne devrait en principe pas être écartée sans cause valable. Cela signifie que la violation d’une telle exigence peut entrainer une contestation. Tout cocontractant potentiel ou tout soumissionnaire qui se verrait donc écarter injustement de la commande publique, alors qu’il remplit les critères et conditions exigés pour y accéder peut engager un contentieux.

Ce principe connait, cependant, des exceptions. Il en est ainsi des marchés de gré à gré, des marchés spéciaux, ainsi que des cas prévus par  le Code des Marchés publics,  en son article 51.2 qui dispose que « ne peuvent postuler à la commande publique (…) les candidats :

  1. en état de liquidation judiciaire ou en faillite ;
  2. frappés de l’une des interdictions ou déchéances prévues par les lois et règlements en vigueur, aussi bien au plan national qu’international;
  3. qui n’ont pas souscrit les déclarations prévues par les lois et règlements en vigueur».

Il se dégage de ce qui précède que la violation de ces prescriptions par l’administration peut donner lieu à contentieux à l’initiative des candidats ou soumissionnaires qui s’estimeraient lésés dans le libre accès à la commande publique. Quid des principes régissant l’attribution du contrat ?

b)- Les principes régissant l’attribution de la commande publique

L’attribution de la commande publique est l’étape qui consiste à sélectionner le soumissionnaire ou le partenaire. Elle  est soumise aux principes de la concurrence, d’égalité de traitement des candidats et de transparence. b)-1/Le principe de la concurrence

En matière conclusion des contrats administratifs, la concurrence se traduit par l’instauration ou l’existence d’une compétition entre différents soumissionnaires ou partenaires.

Aux termes de l’article 72 alinéa 1 de CMP, les marchés publics sont passés par voie d’appel d’offres après mise en concurrence des cocontractants potentiel de l’administration sur appel d’offres.

La concurrence est la compétition entre les différents soumissionnaires en vue de bénéficier du marché. Sur ce principe, le CMP fait une distinction entre les soumissionnaires totalement ou partiellement camerounais et les soumissionnaires étrangers.

Lors de la passation d’un marché, la priorité est accordée aux offres équivalentes en fonction des critères d’évaluation fixés par le dossier de consultation. La préférence nationale ne peut être appliquée que lorsque le dossier d’appel d’offres le prévoit (Article 106.6 du Code). Ainsi, lors de la passation d’un marché dans le cadre d’une consultation internationale, « une marge de préférence est accordée, à offres équivalentes et dans l’ordre de priorité, aux soumissions présentées(…)par une personne physique de nationalité camerounaise ou une personne morale de droit camerounais ; une entreprise dont le capital est intégralement ou majoritairement détenu par des personnes de nationalité camerounaise ; une personne physique ou une personne morale justifiant d’une activité économique sur le territoire du Cameroun ». 

Ce préalable de la mise en concurrence détermine aussi la procédure des marchés. C’est ainsi que la passation d’un marché de définition précédent un marché d’études doit donner lieu préalablement à un recensement de l’ensemble des entreprises ou organismes qualifiés pour procéder aux études considérées ; même en l’absence d’un marché de définition, le marché d’études est passé dans tout la mesure du possible après mise en concurrence.

L’article 99 alinéa 1 du CMP est précis à ce sujet lorsqu’il énonce que, « sous réserve du respect des conditions de conformité des offres : (a)l’attribution des marchés de travaux, de fourniture et de services quantitatifs se fait au soumissionnaire ayant présenté une offre remplissant les critères de qualification technique et financière requises et dont l’offre est évaluée la moins-disante; (b)l’attribution des marchés de services non quantitatifs y compris les prestations intellectuelles, et des marchés passés à la suite d’un appel d’offres avec concours se fait au soumissionnaire présentant l’offre évaluée la mieux-disante, par combinaison des critères techniques , financiers et/ou esthétiques».

Quant à l’article 8.1 de la loi n°2006/012, il dispose que « la passation d’un contrat de partenariat est soumis aux principes (…) de concurrence(…) ».

La méconnaissance de ce principe peut être source de contentieux. Ainsi, tout soumissionnaire qui, après attribution de la commande à un de ses concurrents estime, avec des preuves à l’appui, que ce principe a été violé par l’administration, peut en solliciter l’annulation auprès de l’autorité compétente.

Quid du principe d’égalité de traitement des candidats?

b)-2/Le principe d’égalité de traitement des candidats

En vertu du principe d’égalité, les citoyens sont tous égaux devant le service public, qu’ils soient usagers, agents ou candidats aux emplois publics ou à une commande publique.

Le principe d’égalité, un principe constitutionnel, implique la prohibition de toute discrimination basée sur la religion, la race, l’ethnie ou le sexe ( CS/CA, jugement n°29/2005-2006 du 14 décembre 2005, Moukon à Ebong Martin c/ Etat du Cameroun : « Attendu que le principe d’égalité que prévoit la Constitution du Cameroun emporte l’égalité de chance d’accès aux emplois publics ; (…) il en résulte qu’au moment de postuler à un emploi public tous les candidats doivent compétir au même pied d’égalité ».

En matière de passation des contrats administratifs, le principe d’égalité de traitement des candidats impose la prise en compte de l’équité et permet d’éviter des pratiques discriminatoires au niveau de l’administration contractante. Ce principe s’applique ainsi à la passation des contrats de partenariat (Art. 8.1 de la loi n°2006/012) et à celle des marchés publics (Art. 2 du Code des MP). Il en résulte que  la rupture de cette égalité ne peut qu’être que source de contentieux. Il en est de même du principe de transparence. b)-3/Le principe de transparence

La passation des contrats administratifs doit aussi respecter le principe de bonne gouvernance, notamment le principe de la transparence. En effet, son régime représente une garantie de transparence des processus contractuels des dépenses publiques. Aussi, le Ministre des Marchés publics peut, à l’initiative du ou des candidats qui estiment que le principe de transparence n’a pas été respecté par l’administration contractante procéder à l’annulation d’un marché.

Ce principe est consacré aussi bien en matière de contrat de partenariat (art. 8.1 de la loi n°2006/012) qu’en matière de marché public (Art. 2 du Code des MP). Quid des procédés du choix du cocontractant de l’administration ? 2- Les procédés de choix du cocontractant

D’après la règlementation en vigueur, « les marchés publics sont passés par voie d’appel d’offres après mise en concurrence des cocontractants potentiels de l’administration » (Art. 72. 1 du Code).

De même, d’après la législation en vigueur, la passation des contrats de partenariat est soumise à » l’appel public à la concurrence » à l’initiative de « l’autorité publique » (Art. 8.2 de la loi n°206/012). 

Si aucune exception ou dérogation au principe de l’appel public à la concurrence n’est prévue ou envisagée en matière de passation des contrats de partenariat, il n’en est pas de même des marchés publics qui « peuvent exceptionnellement être attribués selon la procédure de gré à gré (…)» (Art. 72.2 du Code) ou être passés selon un procédé dérogatoire que sont les marchés spéciaux (Art.71 du Code des MP).

a)- Le procédé principiel : L’appel d’offres  L’appel d’offres est la procédure par laquelle l’attribution d’une commande publique intervient après appel public à la concurrence.

a)-1/ Pour ce qui est des contrats de partenariat, la sélection du cocontractant s’effectue à travers trois étapes que sont la présélection, le dialogue de pré-qualification et l’adjudication (V. art. 9.1 de la loi n°2006/012).

L’étape de la présélection permet de retenir, « sur la base des pièces produites par les candidats, les offres les plus qualifiées techniquement et financièrement pour répondre aux besoins de la personne publique » (Art. 9.2 de la loi n°2006/012).

Quant à la phase de dialogue de pré-qualification, elle se traduit par une concertation que la personne publique engage avec les candidats présélectionnés en vue de définir les moyens techniques, le montage juridique et financier les mieux à même de répondre à ses besoins, et aussi de s’assurer de l’expérience ainsi que des capacités professionnelles avérées desdits candidats (Cf. art. 9.3).

Enfin, pour ce qui est de l’étape relative à l’adjudication, elle « est l’aboutissement de la procédure de sélection des offres » en ce qu’elle se traduit « par la désignation du cocontractant » (Art. 9.4) qui est le candidat ayant « présenté l’offre économiquement la plus avantageuse »(Art. 10.1).

Les critères d’attribution du contrat sont, entre autres, le cout de l’offre, les objectifs de performance définis en fonction de l’objet du contrat, la part d’exécution du contrat que le candidat s’engage à confier à des petites et moyennes entreprises et à des artisans camerounais (Art. 10.2), en rapport avec l’objet du contrat, la valeur technique de l’offre, son caractère innovant, le délai de réalisation des ouvrages ou des équipements, leur qualité esthétique ou fonctionnelle (Art. 10.3).

In fine, les modalités de sélection des cocontractants de la personne publique en matière de contrat de partenariat sont fixées par le décret n°2008/0115/PM du 24 janvier 2008 précisant les modalités d’application de la loi n°2006/012.

a)-2/ Pour ce qui est des marchés publics, les critères du choix du cocontractant sur

appel d’offres tiennent compte, notamment (Article 73.2 du CMP) :

  • de la qualité et de la capacité professionnelle des candidats ;
  • du prix des prestations et variantes proposées ou du coût de leur utilisation ;
  • du délai d’exécution ou de la livraison de la prestation ;
  • de leur valeur technique et fonctionnelle notamment, les conditions d’exploitation et d’entretien ainsi que de la durée de vie potentielle des ouvrages produits ou des fournitures et services concernés ;
  • du délai d’exécution ou de livraison.

L’appel d’offres n’est valable que si, après avoir respecté toutes les dispositions réglementaires, la Commission de passation des marchés compétente a reçu au moins une soumission jugée valable.

Au regard de la réglementation, l’appel d’offres peut être national ou international, ouvert ou restreint ou sur concours.

L’appel d’offres est national lorsqu’il s’adresse aux personnes physiques ou morales ayant leur domicile ou leur siège social au Cameroun.

Il est international lorsqu’il s’adresse aux personnes physiques ou morales ayant leur domicile ou leur siège social à l’intérieur ou à l’extérieur de territoire national.

Il est dit ouvert lorsque l’avis public invite tous les candidats intéressés à remettre, pour une date fixée, leurs offres ; le dossier de consultation étant, après publication de l’avis, mis à la disposition de chaque candidat qui en a fait la demande, contre paiement des frais y afférents.

L’appel d’offres restreint est un appel d’offres ouvert précédé d’une pré-qualification (V. art 76 al.1 CMP). Il s’adresse donc aux candidats retenus à l’issue de la procédure de pré-qualification. Celle-ci « s’effectue pour des prestations de même nature, à la suite d’un appel public à candidatures par insertion dans des publications habilitées, d’un avis relatif à un appel d’offres particulier ou à un ensemble d’appels d’offres au cours d’une période n’excédant pas six (06) mois » (Article76.2 du  CMP).

Enfin, il est fait (exceptionnellement) usage de la procédure d’appel d’offres sur concours lorsque des motifs d’ordre technique, esthétique ou financier justifient des recherches particulières (Article 79 du CMP). Cet appel d’offres s’effectue selon la procédure d’appel d’offres ouvert ou restreint et le concours porte soit sur la conception d’un projet ; soit à la fois sur la conception d’un projet et la réalisation d’une étude y afférente ; soit à la fois sur la conception d’un projet et la réalisation de l’étude y afférente et le suivi et le contrôle de sa réalisations ; soit la conception et la réalisation du projet lorsqu’il s’agit d’un marché de conception-réalisation(Art. 80.1 du Code).

Dans le cas du procédé d’appel d’offres, l’attribution du marché ne va pas automatiquement à l’offre la plus basse. Il est appliqué la règle non pas du moins disant mais du mieux disant. Ainsi, l’administration  choisit librement la personne qu’elle juge la plus intéressante en tenant compte non seulement du prix mais encore de toutes les données techniques et économiques de l’offre. Quid du procédé de gré à gré ? b)- Le procédé exceptionnel : le gré à gré 

D’après l’article 108 du Code, « le marché est dit de gré à gré lorsqu’il est passé sans appel d’offres (…) ». Il ne peut être passé un tel marché que dans des cas limitatifs déterminés par l’article 109 du Code et « après autorisation préalable de l’Autorité chargée des marchés publics » (Art. 108 du Code) sollicitée par le Maitre d’ouvrage ou le Maitre d’ouvrage délégué. La demande y relative doit être motivée (Art. 110.1 du Code).

L’accord de l’autorité chargée des marchés publics est suivi de la consultation directe, « sans obligation de publicité », d’au moins trois (03) sociétés, sauf dans les cas déterminés  aux alinéas a) ( besoins ne pouvant être satisfaits que par  une prestation nécessitant l’emploi d’un brevet d’invention, d’un procédé, d’un savoir-faire, d’une licence ou de droits exclusifs détenus par un seul entrepreneur, un seul prestataire ou un seul fournisseur) et d)

(fournitures, service ou travaux qui complètent ceux ayant  fait l’objet d’un premier marché) de l’article 109 du Code.

Par la suite, les dossiers de consultation, les offres des soumissionnaires ainsi que l’autorisation du gré à gré donnée par l’Autorité des marchés publics sont soumis à la Commission de passation des marchés publics est saisie pour examen et formulation de ses propositions d’attribution dans un délai de sept (07) jours (Art. 111.1 du Code).

Toute la procédure relative aux marchés de gré à gré est déclinée dans les articles  110 et 111 du Code.

Qu’en est-il des marchés spéciaux ?

c)- Le procédé dérogatoire : les marchés spéciaux

D’après l’article 71.1 du Code, « Les marchés spéciaux sont des marchés publics qui ne répondent pas, pour tout ou partie, aux dispositions relatives aux marchés sur appel d’offres ou aux marchés de gré à gré ». Comprenant essentiellement les marchés relatifs à la défense nationale, à la sécurité et aux intérêts stratégiques de l’Etat, ils « échappent (…) à l’examen de toute Commission des marchés publics » prévues par le Code en ce qu’ils comportent « des clauses secrètes pour des raisons de sécurité et d’intérêts stratégiques de l’Etat » (Art. 71.2 du Code).

Ces marchés concernent l’acquisition de tous équipements, de fournitures ou de prestations directement liées à la défense nationale, à la sécurité et les marchés pour lesquels les intérêts stratégiques de l’Etat sont en jeu (Art. 71.3 du Code).

Il convient de dire, ce qui est une nouveauté dans la règlementation des marchés publics, « les marchés spéciaux sont passés après autorisation préalable du Président de la république » (Art. 71.4 du Code).

Des procédures spécifiques à certains marchés publics ont été organisées par le nouveau Code des Marchés publics. Il en est ainsi des Accords-cadres (Articles 114 à 116) ; des consultations individuelles (Articles 117 à 118) et des marchés passés par appel d’offres avec concours (Articles 119 à 121).

3- Les mécanismes de contrôle du choix du cocontractant

Dans le but d’éviter ou de combattre le favoritisme et la corruption dans la passation des marchés publics, il a été institué deux organes indépendants  dont l’un intervient avant et pendant la conclusion des marchés : c’est l’observateur indépendant ; tandis que l’autre intervient après la passation et l’exécution des marchés : c’est l’auditeur indépendant.

Ces deux organes participent de ce que l’on peut appeler l’expertise indépendante dans la gouvernance de marchés publics.

a)L’observateur indépendant est une personne physique ou morale recrutée sur appel d’offres par l’organisme de régulation des marchés publics (l’Agence de Régulation des Marchés Publics, en abrégé ARMP).

Son rôle est « de veiller au respect de la règlementation, aux règles de transparence et aux principes d’équité dans le processus  de passation des marchés publics » (Article 42.1 du Code).

A ce titre, il assiste aux séances des Commissions de passation des marchés compétentes ainsi qu’à celles des Sous-commissions d’analyse, « pour les marchés dont le montant cumulé des lots est supérieur à cinquante (50) millions de francs CFA » (Article 42.2 du Code) , à l’effet d’évaluer le processus (de passation desdits marchés) en signalant à chaque étape au ministre chargé des marchés publics et à l’ARMP, les manquements au respect de la règlementation, aux règles de la transparence et aux principes d’équité ; de signaler les pratiques contraires à la bonne gouvernance dans le dit processus, « notamment dans le cas de trafic d’influence, de conflit d’intérêt ou de délit d’initié » ( Article 42.2a et b du Code).

A ce titre, il reçoit copie de toute la documentation relative aux dossiers soumis à la Commission de passation des marchés compétente (Article 42.3 du Code). Il adresse, dans les soixante-douze (72) heures, à compter de la fin des travaux de la commission, à l’ARMP, au Maitre d’ouvrage et au président de la Commission de passation des marchés concernés, un rapport détaillé sur les travaux de ladite Commission et sur ceux de la Sous-commission d’analyse, le cas échéant (Article 42.4 du Code).

Le président de la Commission concerné, le Maitre d’ouvrage ou le Maitre d’ouvrage délégué, peuvent, le cas échéant, et dans un délai de soixante-douze (72) heures, à compter de la réception de ce rapport, notifier à l’ARMP leurs observations (Art. 42.5 du Code).

C’est sur la base des rapports de l’observateur indépendant et l’organisme de régulation des marchés publics que l’autorité chargée des marchés publics « peut annuler l’attribution d’un marché effectuée en  violation de la règlementation ou en marge des règles de transparence et d’équité » (Article 42.5 du Code).

Il se dégage de ce qui précède que la présence d’un observateur indépendant est certes exigée lorsque les commissions siègent, mais cette exigence est fonction du montant du marché. On peut donc se demander si la lutte contre le favoritisme et la corruption dans la passation des marchés publics peut, sur cette base, être véritablement efficace et porteuse.

b)- L’auditeur indépendant est un cabinet de réputation établie  recruté par voie d’appel d’offres  par l’Agence de Régulation des Marchés Publics (ARMP). Son audit est réalisé « a posteriori sur les marchés signés au cours de l’année écoulée et exécutés ou en cours d’exécution » (Article 5c du Code).

Dans l’ancien Code, l’audit couvrait un échantillon comprenant tous les marchés supérieurs à 500 millions de FCFA et 25 % des marchés compris entre 30 et 500 millions de

FCFA choisis de façon aléatoire (V. article 153 de l’ancien Code).

Que dire en définitive ? Deux choses. Premièrement, à travers l’adoption et l’application les textes relatifs aux contrats administratifs, l’administration entend veiller à une passation idoine des contrats administratifs. Secondement, on peut s’interroger sur la viabilité et la fiabilité des rapports des observateurs indépendants et des audits des auditeurs indépendants ainsi que sur le sort qui leur est réservé par l’administration. En tout cas, leur finalité n’est pas de rétablir l’égalité entre l’administration contractante et son cocontractant qui est fortement limitée dans la passation des contrats administratifs au profit de la première.

  • 2- La limitation de l’égalité des contractants

En droit privé, les clauses sont, en principe, débattues. Tel n’est pas le cas en droit public où le principe est celui de la non négociation des termes du contrat. En effet, les contrats administratifs sont pour l’essentiel des contrats d’adhésion dont les clauses sont fixées à l’avance par l’administration, à l’exception de la clause relative au prix, et doivent donc être acceptées ou rejetées en totalité par le cocontractant. Par ailleurs, le contrat administratif, notamment le marché public est un contrat qui prend généralement la forme d’un document écrit.

Il inclut, en fonction de son objet, le Cahier des Clauses Administratives Générales (CCAG) correspondant, fixé par arrêté du Premier Ministre, qui détermine les dispositions administratives applicables à tous les marchés publics (V. arrêté n°033/CAB/PM du 13 février 2007). Il peut inclure, également, le Cahier de Clauses Administratives Particulières (CCAP), qui fixe les dispositions administratives et financières propres à chaque marché, ainsi que tous les autres cahiers techniques et documents généraux et documents particuliers définissant les caractéristiques des travaux, fournitures ou de services (V. article 129a, b et c du Code).

Cet ensemble de documents constitue ce qu’on appelle les cahiers des charges, lesquels « déterminent les conditions dans lesquelles les marchés sont exécutés » (Article 129 du Code). Quid de l’exécution des contrats administratifs ?

SECTION II : L’EXECUTION  

L’exécution des contrats de droit privé est dominée par le principe énoncé par l’article 1134 du Code civil selon lequel, « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ».

Il résulte de ce principe le corollaire selon lequel ces conventions ne peuvent être modifiées ou prendre fin que par l’effet du consentement mutuel des parties contractantes.

L’exécution des contrats administratifs n’est sans doute pas soumise à un régime qui ignorerait purement et simplement l’obligation des parties contractantes de respecter les engagements souscrits et qui par suite ne laisserait pas beaucoup de raison d’être à la conclusion de tels contrats, mais il faut dire que le régime de l’exécution de ces contrats est caractérisé par l’importance des prérogatives dont dispose l’administration contractante et qu’il détient, même dans le silence du contrat, en vertu des règles applicables aux contrats administratifs . Bien entendu, le cocontractant a, en contrepartie, des droits qui, souvent, peuvent, eux aussi, n’avoir pas été prévus par le contrat. Dans certaines situations, ces droits se traduisent par de lourdes obligations pécuniaires à la charge de l’administration.

Ainsi, la contexture générale du régime d’exécution des contrats administratifs repose sur deux idées fortes. D’abord, l’existence au profit de l’administration de prérogatives exorbitantes de droit commun des contrats ; ensuite, le droit du cocontractant au règlement du

prix et au respect de l’équilibre financier du contrat.

  • 1- Les prérogatives de l’administration contractante

Il importe peu que les prérogatives de l’administration soient déterminées par le contrat ou non. L’administration contractante les détient en tout état de cause et ne saurait y renoncer régulièrement. Ces prérogatives lui permettent de prendre les décisions qui peuvent, sans doute, provoquer un contentieux susceptible d’être porté devant la juridiction administrative. Elles sont au nombre de quatre : le pouvoir de direction et de contrôle, le pouvoir de modification unilatérale, le pouvoir de sanction et le pouvoir de résiliation.

A-La direction et le contrôle

Ce pouvoir permet à l’administration de s’assurer du respect par le cocontractant des clauses du contrat et d’exiger de lui des renseignements propres à lui permettre de vérifier l’exactitude où la matérialité des actions contractuelles qu’il mène ou devrait mener. L’administration peut, sur cette base, imposer certaines modalités d’exécution au cocontractant. Ce droit de regard se manifeste par la présence des ingénieurs de l’administration pendant l’exécution des marchés publics.

En somme, l’administration contractante a le pouvoir de diriger et de surveiller l’exécution effective du contrat par le cocontractant. Elle a le pouvoir de s’assurer de la qualité des prestations de ce dernier. Il s’agit d’un pouvoir général qui s’exprime en termes de directive, d’instruction, d’orientation et de décision.

B- La modification unilatérale 

On n’applique pas au contrat administratif le principe de l’immutabilité des contrats énoncé par l’article 1134 du Code civil. En effet, l’administration peut, par sa seule volonté, et dans un but d’intérêt général, modifier le champ des obligations du cocontractant, soit en les augmentant, soit en les réduisant. C’est l’application du principe d’adaptabilité ou de mutabilité des services publics.

Ce principe permet d’adapter le contrat administratif aux nouvelles exigences du service.

Le pouvoir de modification unilatérale des contrats administratifs par l’administration est admis par la jurisprudence (CE, 21 mars 1910, Compagnie générale des Tamways).

Ce pouvoir ne doit  pas, cependant, remettre en cause l’équilibre du contrat. Par ailleurs, la modification opérée ou à effectuer ne peut aller jusqu’à provoquer un véritable bouleversement du contrat qui consiste, par exemple, en une remise en cause du contenu même du contrat.

Lorsque l’intérêt général l’exige, l’administration peut toujours mettre fin au contrat, soit par décision particulière, soit par un acte réglementaire. Cette prérogative est le prolongement logique du pouvoir de modification unilatérale qui lui est reconnu et se justifie par la nécessité d’adapter l’action administrative aux circonstances de temps et de lieu, lesquelles sont, en générale mouvantes.

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Ce pouvoir de résiliation a comme contrepartie l’obligation pour l’administration d’indemniser intégralement le cocontractant par l’application de la théorie du fait de prince. Cette résiliation sera légitimement contestée si elle fait  dans un but autre que celui de l’intérêt général.

C- Les sanctions 

Il est reconnu à l’administration contractante le pouvoir d’infliger des sanctions au cocontractant pour cause d’inexécution, de mauvaise exécution, de méconnaissance des clauses du contrat ou pour inobservations des instructions reçues. Ces sanctions sont prises après mise en demeure. On distingue d’une part les sanctions non résolutoires, et, d’autre part, les sanctions résolutoires. 1-Les sanctions non résolutoires

Les sanctions non résolutoires que l’administration peut infliger à son cocontractant sont de deux sortes : les sanctions pécuniaires et les sanctions coercitives. a)- Les sanctions pécuniaires

Les sanctions pécuniaires sont prises soit sous forme de pénalités destinées à sanctionner les retards d’exécution (CE, 23 juin 1944, Ville de Toulon), soit sous forme d’amende ou de pénalité fixée par l’administration lorsque les sanctions prévues par le contrat ne sont pas adaptées à cause, par exemple, de leur sévérité par rapport à certains comportements non gravement fautifs du cocontractant. b)- Les sanctions coercitives

Les sanctions coercitives tendent autant à punir qu’à surmonter la défaillance ou le comportement grave du cocontractant sans que le contrat soit pour autant rompu. Dans ce cas, l’administration se substitue au cocontractant ou désigne une autre personne qui va poursuivre l’exécution du contrat au risque et au frais du cocontractant défaillant (exemple : la mise en régie d’un marché ou la mise sous séquestre d’une mission du service public).

2-Les sanctions résolutoires 

Les sanctions résolutoires consistent pour l’administration à mettre fin au contrat. Ainsi, l’administration peut être amenée, en cas de faute grave ou lourde commise par le cocontractant (défaillance ou indélicatesse) à résilier le contrat. Cette résiliation constitue donc une sanction infligée au cocontractant fautif. Il en est ainsi lorsque le cocontractant a abandonné le chantier et n’a même pas cru devoir réagir après une mise en demeure à lui adressée par l’administration (CS/CA, jugement n° 72 / 88 – 89 du 29 juin 1989 Fouda Etama c / Etat du Cameroun).

Ces sanctions ne peuvent être prononcées que dans le respect des droits de la défense et doivent être motivées (CS/CA, jugement n°63/99-2000 du 27 juillet 2000, Les Etablissements «LE PAYSAN» c/ Etat du Cameroun).

Si les motifs de la résiliation s’avèrent, par suite, inexistantes, le juge administratif saisi ne peut prononcer l’annulation des mesures prises par l’administration envers l’entrepreneur. En effet, le pouvoir de résiliation unilatérale dont dispose l’administration en matière de marchés publics est généralement considéré par la jurisprudence comme une prérogative exorbitante (v. CS / CA, jugement n° 50/84-85 du 1er février 1985, Affaire Tameghi Joseph c/ Etat de Cameroun, ou affaire Amsecom-Amseconcom).

Par ailleurs, si  la faute de l’administration est établie, le cocontractant reste tenu d’exécuter le contrat, mais il a droit à une indemnité, même lorsque les pièces du contrat sont muettes à ce sujet (v. jugement Tameghi Joseph. suscité et CS/CA, jugement n° 44 / 89-90 du

28 juin 1990, entreprise Amsecom c/ l’Etat du Cameroun). Toutefois, il peut demander la résiliation du contrat au juge administratif en cas de faute grave commise par l’administration.

De même, il a droit, en cas de « rupture abusive » du contrat par l’administration, d’obtenir du juge administratif réparation par le versement d’une indemnité compensatrice, d’une indemnité pour préjudice matériel et d’une indemnité pour préjudice moral(v. CS/CA, jugement n°59/04-05 du 23 mars 2005, Etablissements LIPA-SPORTS B.T.P c/ Etat du Cameroun) ou alors des dommages et intérêts ( v. CS/CA, jugement n°80/06-07 du 04 juillet 2007, Etablissement Le «PAYSAN » c/ Etat du Cameroun : « (…) comme relevé dans leur requête, les Etablissements « Le Paysan » avaient successivement reçu du Ministère de la Santé Publique une lettre du 11 Juillet et une autre du 17 septembre 2001 allant toutes dans le sens de l’arrangement amiable de leur différend ; (…) il ressort de ces correspondances que contrairement aux indications de son représentant, l’Etat du Cameroun n’a pas contesté la validité du marché à l’origine du litige dans la mesure où il a accepté de payer les frais de son enregistrement ; (…) à cet égard (…), la position de l’administration est sans rapport avec le préjudice subi par l’entreprise poursuivante laquelle non seulement a engagé des dépenses pour démarrer les travaux, mais encore a subi un manque à gagner par la remise en cause de l’opération concernée ».

L’importance des prérogatives de l’administration contractante ne doit pas faire perdre de vue le fait que le cocontractant a aussi des droits.

  • 2- Les droits du cocontractant de l’administration

Les droits du cocontractant ont trait aux avantages réels ou éventuels qui sont reconnus ou attribués au cocontractant C’est la contrepartie de ses obligations contractuelles. Il est fréquent que l’administration mette à la disposition de son cocontractant, en vue de faciliter l’exécution de ses engagements, certaines prérogatives de puissance publique (exemple, la perception sur les usagers des taxes ou le bénéfice d’un monopole de droit).

Par ailleurs, le contrat fixe les bases et les modalités de la rémunération du cocontractant. Cette rémunération peut être fixée de façon définitive (on parle de prix ferme) ou être  modifiable en fonction d’une référence déterminée (on parle de prix ajustable) ou affectée pour les contrats de longue durée, de clause de variation (il s’agit de prix révisable).

Le cocontractant a droit, sur le plan financier, principalement, au règlement du prix et, éventuellement, au versement des indemnités, en cas d’entraves à l’exécution normale du contrat, dans le but d’assurer l’équilibre financier du contrat.

A- Le droit au règlement du prix 

En principe, le prix n’est dû qu’une fois que le cocontractant a entièrement rempli ses obligations. On parle alors de paiement après service fait. Mais il s’agit d’une règle rigide qui connaît des aménagements permettant la facilitation de l’exécution de ses engagements par le cocontractant.

Il est donc prévu, sur la plan réglementaire, des avances à verser au cocontractant par l’administration en vue de la réalisation des opérations nécessaires à l’exécution des prestations prévues dans le marché (Voir article 83 du Code) ainsi que des comptes (Voir article 84 du Code) que le cocontractant peut obtenir périodiquement pendant l’exécution du marché, sauf dérogations prévues dans le cahier des clauses administratives particulières.

Le cocontractant peut aussi avoir droit à des intérêts moratoires lorsque le retard dans le règlement des prestations objet du marché est imputable à l’administration (v. art. 87 du Code  et CS/CA, jugement n° 139/04-05 du 27 juillet 2005, Société SOTRACOME c/ Etat du Cameroun).

Après l’exécution du contrat, le cocontractant reçoit de l’administration ce qui reste de la rémunération à lui due. Mais, il peut arriver qu’en cours d’exécution du contrat, des entraves surviennent et soient de nature à accroître les charges du cocontractant. Dans ce  cas, ce dernier a droit à des indemnités. Le non-respect de tous ces droits pécuniaires par l’administration ouvre droit à contestation par le cocontractant et donc à contentieux.  Quand est-il du droit du cocontractant à des  indemnités éventuelles ?

B- Le droit à indemnités éventuelles

En règle générale, l’administration est tenue de respecter la règle de l’équilibre financier du contrat qui est la contrepartie de ses prérogatives. Ainsi, lorsque les charges supplémentaires sont imposées aux cocontractants, cet équilibre ne doit pas être rompu. C’est pourquoi, quand des situations de nature à changer les termes du contrat surviennent, il est prévu, au profit du cocontractant, des indemnités compensatrices. De telles situations, que l’on peut considérer comme des entraves ou des obstacles à l’exécution normale du contrat, sont, pour l’essentiel, au nombre de trois, à savoir :

  • du fait du prince ou aléa administratif ;
  • de l’imprévision ou aléa économique ;
  • des sujétions imprévues ou aléas techniques.

Il faut préciser que toutes ces situations ne mettent pas fin au contrat. Elles accroissent seulement les charges du cocontractant. 1- Le fait du Prince ou l’aléa administratif

Le fait du prince résulte de l’exercice par l’autorité publique à l’encontre du cocontractant de ses prérogatives qui entraîne des répercutions sur sa situation. Il  en est ainsi, par exemple, d’une mesure fiscale ou de police ou alors des travaux supplémentaires imposés par l’Administration contractante, qui accroissent les charges du cocontractant (V. CS/CA, jugement Société SOTRACOME suscité). Lorsque la puissance publique (le Prince) aggrave, par son fait, les conditions d’exécution du contrat, elle peut être tenue d’indemniser le cocontractant.

Cette indemnisation compensatrice, qui est intégrale, c’est-à-dire égale au préjudice subi, est fondée, non pas sur des dommages intérêts dus par l’administration pour manquement à ses obligations, mais sur la nécessité de conserver la balance des charges et des avantages tels que l’ont préalablement envisagés les contractants. Cette indemnisation n’est possible qu’à trois conditions :

  • la mesure aggravante des charges du cocontractant doit provenir de la personne publique contractante et non d’autres personnes publiques ;
  • il doit s’agir d’une mesure spéciale qui frappe particulièrement le cocontractant ;
  • la mesure doit avoir une répercussion directe sur l’un des éléments essentiels du contrat (exemple : création d’une taxe frappant des matières premières nécessaires à l’exécution du contrat).

2- L’imprévision ou l’aléa économique

En pleine exécution du contrat, des bouleversements économiques étrangers à la volonté des parties au contrat peuvent imposer une charge ruineuse au cocontractant. L’exécution du contrat est, certes, encore matériellement possible, mais elle devient économiquement désastreuse, en particulier pour le cocontractant. C’est cet état de fait qui justifie la théorie de l’imprévision.

Cette théorie a été formulée par le Conseil d’Etat français dans un arrêt rendu le 30 mars 1916 dans une affaire relative aux difficultés d’application d’une concession de fourniture de gaz de ville produit à partir du charbon dont le  prix s’était accru de façon extrême à la suite de la première guerre mondiale, de telle sorte que les concessionnaires de gaz ne pouvaient poursuivre leur exploitation aux tarifs prévus au contrat sans en courir la ruine. La faillite de l’entreprise contractante et par suite l’interruption du service public a été évitée grâce à une participation de la commune concessionnaire (Cf. CE, 30 mars 1916, Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux).

Le juge administratif camerounais a, lui aussi, dans une espèce en date du 27 janvier 1954 fait application de cette théorie dans le cadre d’un marché de gré à gré (CCA, arrêt n°273 du 27 janvier 1954, Société des Batignolles contre Administration du Territoire).

L’imprévision pose trois types de problèmes  relatifs à ses conditions, ses effets et à sa fin.

a)- Les conditions de l’imprévision

Les conditions de l’imprévision sont au nombre de trois :

  • les contractants n’ont pu raisonnablement prévoir les faits qui bouleversent la situation, étant donné leur caractère exceptionnel (exemple, une guerre ou une crise économique grave) ;
  • les faits doivent être indépendants de la volonté des contractants ;
  • ces faits doivent provoquer un bouleversement dans les conditions d’exécution du contrat ; ainsi, la disparition du bénéfice du cocontractant et l’existence d’un déficit ne sont pas suffisants, il faut que la gravité et la persistance du déficit excèdent ce que le cocontractant a raisonnablement pu et dû envisager. Ces trois conditions sont les seules requises.

b)- Les effets de l’imprévision

Les effets de l’imprévision sont, pour l’essentiel, au nombre de deux :

  • d’abord le cocontractant reste tenu d’exécuter ses obligations contractuelles ;
  • ensuite, à l’égard de l’administration, la théorie de l’imprévision ne fait que mettre en œuvre son obligation d’assurer l’équilibre financier du contrat.

Cette obligation se concrétise dans l’indemnité d’imprévision versée par l’administration à son cocontractant ; mais, elle n’est jamais égale à la totalité des pertes subies ou charges extra- contractuelles. Elle est donc différente de celle octroyée au contractant en cas de fait de prince. c)- La fin de l’imprévision

La théorie de l’imprévision est conçue comme un moyen permettant de franchir une passe difficile. De ce fait, elle revêt un caractère provisoire et temporaire. C’’est ainsi que la jurisprudence la conçoit. C’est dire que si les conditions économiques qui l’ont provoquées en viennent à se consolider de telle sorte que le déficit prenne un caractère définitif, les parties contractantes ont une alternative, soit conclure un nouveau contrat sur des bases nouvelles inspirées de la situation créée, soit, s’il s’avère impossible de redresser la situation, de demander au juge de prononcer la résiliation du contrat (CE, 9 décembre 1932, Compagnie des Tramways de  Cherbourg).

3- Les sujétions imprévues ou l’aléa technique

A la base de la théorie des sujétions imprévues, il y a l’idée que la rémunération du cocontractant, au lieu d’être fixée « ne varietur » par le contrat, doit se modeler sur les charges qui lui incombent réellement de telle sorte que l’aléa inhérent à toute entreprise se trouve sérieusement limité.

On peut citer comme sujétion imprévue une roche qui constitue un obstacle dans l’exécution du marché, en particulier la construction d’une route ; une nappe d’eau insoupçonnée rencontrée par le cocontractant dans le creusement d’un tunnel ; bref tout fait naturel qui complique l’exécution du contrat et accroît les charges du cocontractant (CS / CA, jugement du 31 mars 1988 groupement d’entreprises Dragages- Satom c/ Etat du Cameroun).

En cas de sujétion imprévue, le cocontractant a droit à une indemnité dans la même proportion que celle qui lui est accordée dans le cadre de l’imprévision. En cas de refus de la part de l’administration contractante, le juge administratif peut en déterminer le montant (cf. jugement groupement d’entreprises Dragages-Satom c/ Etat du Cameroun suscité). Si l’aléa technique s’avère insurmontable, il peut être mis fin au contrat. Quid de l’extinction des contrats administratifs ?

  SECTION III : L’EXTINCTION 

Le contrat administratif peut prendre fin dans de multiples hypothèses. S’il est conclu pour   une durée déterminée, il prend fin à l’expiration de cette période. S’il s’agit d’un contrat comportant un seul échange de prestations, par exemple, la vente d’un immeuble à l’Etat, l’exécution des obligations des deux parties met fin à ce contrat. Les deux parties peuvent aussi se mettre d’accord pour résilier le contrat. Cette résiliation peut être aussi décidée par l’administration seule.

Le contrat peut également prendre fin du fait d’un événement extérieur aux parties, par exemple, un cas de force majeur. Enfin, le juge administratif peut être amené à mettre fin à un contrat administratif.

Au-delà de cette pluralité d’hypothèses, la fin du contrat administratif peut être appréhendée selon la summa divisio binaire suivante : la fin normale et la fin provoquée du contrat administratif.

On parle de fin normale lorsque les parties ont exécuté chacune leurs obligations contractuelles ou lorsque la période pour laquelle le contrat a été conclu est venu à expiration. Quant à la fin provoquée du contrat, elle peut être le fait de la volonté des parties, ou liée à un fait qui leur est extérieur.

Au regard de cette dernière considération, il convient d’appréhender dans un premier temps, la résiliation du contrat par l’administration, et, dans un second temps, sa résiliation par le juge administratif.

  • 1- L’extinction administrative

L’administration peut prononcer de façon unilatérale la résiliation d’un contrat administratif et ce, même, en dehors des cas où le contrat lui reconnaît ce pouvoir. Cette résiliation peut être prononcée, soit à titre de sanction, le cocontractant ayant commis une faute, soit à titre de remède, pour des motifs d’intérêt général.

A- L’extinction-sanction

L’administration peut être amenée, en cas de faute grave commise par le cocontractant, à résilier le contrat. Cette résiliation constitue une sanction infligée au cocontractant fautif. Il en est ainsi, par exemple, lorsque le cocontractant a abandonné le chantier et n’a même pas cru devoir réagir après une mise en demeure à lui adressée par l’administration (CS / CA, jugement Fouda Etama c/ l’Etat du Cameroun précité).

Si les motifs de la résiliation s’avèrent, par suite, inexistantes, le juge administratif saisi ne peut prononcer l’annulation des mesures prises par l’administration envers l’entrepreneur. En effet, le pouvoir de résiliation unilatérale dont dispose l’administration en matière de marchés publics est généralement considéré par la jurisprudence comme une prérogative exorbitante (V. CS / CA, jugement n° 50 / 84-85 du 1er février 1985, Affaire

Tameghi Joseph c/ l’Etat de Cameroun dit affaire Amsecom – Amseconcom).

Par ailleurs, si  la faute de l’administration est établie, le cocontractant reste tenu d’exécuter le contrat, mais il a droit à une indemnité, même lorsque les pièces du contrat sont muettes à ce sujet (V. jugement Tameghi Joseph. suscité et CS / CA, jugement n° 44 / 89-90 du 28 juin 1990, entreprise Amsecom c/ l’Etat du Cameroun). Toutefois, il peut demander la résiliation du contrat au juge administratif en cas de faute grave commise par l’administration. De même, il a droit, en cas de « rupture abusive » du contrat par l’administration, d’obtenir du juge administratif réparation par le versement d’une indemnité compensatrice, d’une indemnité pour préjudice matériel et d’une indemnité pour préjudice moral(v. CS/CA, jugement n°59/04-05 du 23 mars 2005, Etablissements LIPA-SPORTS B.T.P c/ Etat du Cameroun) ou alors des dommages et intérêts ( v. CS/CA, jugement n°80/06-07 du 04 juillet

2007, Etablissement Le «PAYSAN » c/ Etat du Cameroun : « (…) comme relevé dans leur requête, les Etablissements « Le Paysan » avaient successivement reçu du Ministère de la Santé Publique une lettre du 11 Juillet et une autre du 17 septembre 2001 allant toutes dans le sens de l’arrangement amiable de leur différend ; (…) il ressort de ces correspondances que contrairement aux indications de son représentant, l’Etat du Cameroun n’a pas contesté la validité du marché à l’origine du litige dans la mesure où il a accepté de payer les frais de son enregistrement ; (…) à cet égard (…), la position de l’administration est sans rapport avec le préjudice subi par l’entreprise poursuivante laquelle non seulement a engagé des dépenses pour démarrer les travaux, mais encore a subi un manque à gagner par la remise en cause de l’opération concernée ».

B- L’extinction-remède

Lorsque l’intérêt général l’exige, l’administration peut toujours mettre fin au contrat, soit par décision particulière, soit par un acte réglementaire. Cette prérogative est le prolongement logique du pouvoir de modification unilatérale qui lui est reconnu et se justifie par la nécessité d’adapter l’action administrative aux circonstances de temps et de lieu, lesquelles sont, en générale mouvantes.

Ce pouvoir de résiliation a comme contrepartie l’obligation pour l’administration d’indemniser intégralement le cocontractant par l’application de la théorie du fait de prince. C’est ainsi que dans l’affaire Distillerie de Magnac Laval du 2 mai 1955, le Conseil d’Etat français reconnaît, sous certaines conditions, à la personne publique contractante, la possibilité de résilier unilatéralement un ou plusieurs contrats dans l’intérêt du service ou dans l’intérêt général, quel que soit l’objet du contrat. Pour le Conseil d’Etat, en effet, « les règles applicables au contrat administratif permettent, sous réserve des droits à indemnité des intéressés », à l’administration contractante de résilier un contrat en cours d’exécution.

Dans le cas spécifique de la concession d’un service public, la résiliation prend la forme de rachat de la concession. Quid de l’extinction juridictionnelle ?

  • 2- L’extinction juridictionnelle

La résiliation du contrat administratif par le juge peut intervenir soit à la demande du particulier cocontractant, soit à la demande de l’administration, soit, enfin, à la demande de l’une ou l’autre partie au contrat.

  • L’extinction à la demande du cocontractant

La résiliation du contrat à la demande du cocontractant peut être prononcée, soit en cas de faute grave de l’administration, ce qui entraîne l’obligation pour elle d’indemniser son cocontractant, soit lorsque les changements que l’administration prétend imposer unilatéralement au cocontractant excèdent certaines limites, soit, enfin, dans certaines hypothèses de force majeure.

  • L’extinction à l’initiative de l’administration

La résiliation du contrat à l’initiative de l’administration est prononcée, soit lorsque cette dernière renonce de son plein gré à user de sa prérogative de résiliation et préfère saisir le juge du contrat, soit lorsqu’il s’agit d’une concession du service public pour laquelle la déchéance ne peut être prononcée par l’administration.

  • L’extinction à la demande de l’une ou l’autre partie au contrat

La résiliation du contrat à la demande de l’une ou l’autre partie au contrat est prononcée par le juge lorsqu’il apparaît manifestement que l’équilibre économique du contrat est définitivement bouleversé du fait des circonstances qui peuvent être liées, soit à un fait naturel, soit à un fait économique, soit à un fait politique. Dans ce cas, il est question de mettre fin à une situation qui est de nature à préjudicier gravement les droits et les intérêts des parties au contrat. Il est, par conséquent, dans l’intérêt de ces parties, lorsque les circonstances leur sont défavorables, que le contrat soit résilié.

Des litiges peuvent survenir ou naitre à l’occasion de la formation et/ou de l’exécution, voire de la résiliation des contrats administratifs. Des modes de règlement desdits litiges sont prévus par la législation en vigueur

Que dire en définitive au terme de ces développements sur l’action juridique de l’administration ? Cette action constitue, d’une certaine façon, l’expression ou la marque de la prééminence de l’administration dans ses rapports avec les tiers. Cette prééminence se justifie et s’explique. En effet, l’administration a une mission d’intérêt général. Elle est au service de la collectivité nationale qu’elle doit protéger. Il faut, par conséquent, qu’elle ait des moyens idoines lui permettant d’assurer efficacement et effectivement cette mission.

L’administration doit, cependant, mener cette activité juridique en se  conformant au droit en vigueur. Autrement dit, l’édiction et l’application des actes administratifs doivent être faites dans le respect du droit qui régit l’administration et ses rapports avec les tiers. L’action matérielle de cette dernière (services publics et police administrative) ne déroge ou ne devrait pas déroger à cette exigence.

TITRE II 

L’ACTION MATERIELLE 

L’administration est, en principe, la seule personne juridique dont la mission consiste à faire en sorte que la collectivité nationale vive en harmonie et à être au service de l’intérêt  général. Des moyens sont mis à  sa disposition à cette fin. Son activité matérielle est double : elle est relative d’une part aux services publics et, d’autre part, à la police administrative.

CHAPITRE  I  

LES SERVICES PUBLICS

En tant qu’une des manifestations les plus importantes de l’intervention de l’Administration, les services  publics sont  une  notion complexe.

Du point de vue formel, il s’agit d’«un ensemble organisé des moyens matériels et  humains mis en œuvre par l’Etat ou  une autre collectivité publique ».

Du point de vue matériel, ils désignent « toute activité destinée à satisfaire un besoin d’intérêt général et qui, en tant que telle, doit être assurée ou contrôlée par l’Administration». Il est donc important  de clarifier cette  notion à travers son être juridique avant d’en déterminer le régime  juridique.

Section 1 : L’être juridique  

En droit administratif, le service public est l’une des notions les  plus importantes et les plus controversées. Pivot du rôle de l’Etat dont la fonction est de servir, il est dès l’origine objet de discussion au regard de dialectique service public/puissance publique que le Doyen Maurice Hauriou a mis en exergue. Il existe plusieurs conceptions de services publics et des critères variés permettent de les identifier.

  • 1- Les conceptions du service public

Il existe plusieurs conceptions du service public ; mais les principales  sont au nombre de deux. La conception objective et la conception subjective.

La conception objective repose sur l’idée qu’il existe des services publics par nature, c’est-à-dire des activités qui, dans leur essence intrinsèque, relèvent de l’intérêt général et doivent être régies en service public.

Cette conception a été défendue par le Commissaire du Gouvernement Matier dans ses conclusions sur l’arrêt du Tribunal des conflits du  22 janvier 1921, SCOA ou affaire Bac d’Eloka.

Quant  à la conception subjective, elle fait appel  à la volonté de l’Etat.  Ainsi, seul l’Etat juge les exigences de l’intérêt général et apprécie de façon discrétionnaire à quel  moment la satisfaction d’un besoin d’intérêt général doit donner lieu à la création d’un service public.

Au demeurant, il existe une réelle difficulté à appréhender la notion de service public.  En l’état actuel du droit positif, lorsque l’Etat n’a pas dit que le service créé est un service  public, la jurisprudence se réfère  à un « faisceau d’indices » pour dire si le service en cause a un caractère public ou non. Il en sera ainsi de l’octroi  à un service (public) de prérogatives de puissance publique ; par exemple, le pouvoir d’expropriation (CFJ/CAY, arrêt n°160 du  8 juin 1971, Fouda Mballa Maurice C/Etat fédéré du Cameroun oriental).

Mais, dans un pays comme le Cameroun, le problème  de la définition du service public a très peu d’importance, car  le Législateur et l’Exécutif s’en soucient très peu. Ils sont plus intéressés par l’efficacité du service créé ou à créer. L’Eta du Cameroun a plutôt une conception opérationnelle de la notion de service public.

  • 2- L’identification des services publics

Ce sont des critères à la fois indissociables et complémentaires. Ils sont au nombre de trois : le critère organique, le critère fonctionnel ou matériel et le critère finaliste.

Le critère organique renvoie à la personne publique. Le critère matériel est relatif à l’activité de cette personne publique, qui doit être administrative. Enfin, le critère finaliste concerne le but visé, qui est l’intérêt général.

Sur la base de ces critères, on  peut définir le service public comme une activité administrative menée ou confiée à une personne publique et qui a pour but la satisfaction de l’intérêt général. Ces trois critères sont considérés comme les conditions d’existence du service public. Elles sont cumulatives et  non alternatives.

Section 2 : La vie  juridique 

Les règles juridiques qui régissent la vie des services publics sont relatives à leur création, à leurs formes, ainsi qu’aux principes qui les régissent et à leurs modes de gestion.

  • 1- La création des services publics

Il convient de déterminer d’abord les organes compétents pour créer les services publics avant d’en déterminer les différentes formes.

  • Les organes compétents

La création des services publics peut intervenir aussi bien au niveau national qu’au niveau local.

Au niveau national, cette création est de la compétence de l’Exécutif. En effet, c’est l’Exécutif qui, au regard de la Constitution (article 8 de la Constitution du 18 janvier 1996), est habilité  à créer les  services publics. Il en est de même de leur organisation et de leur extinction. L’intervention du législateur est-elle exclue ? Sur le plan constitutionnel, le législateur a compétence pour créer les catégories de service public.

Au niveau local, les collectivités territoriales décentralisées ont, sous certaines conditions, le droit de créer des services publics. Cette création ressortit à la compétence des assemblées délibérantes (conseil municipal pour les communes et conseil de la communauté pour les communautés urbaines).

  • Les formes instituées

On peut classer les services publics selon deux critères : le critère formel et le critère matériel.

  • Le critère formel

L’application du critère formel permet de distinguer quatre formes de services publics : les services publics administratifs ; les services publics industriels et commerciaux ; les services  publics  sociaux ; les services publics corporatifs ou professionnels.

Les services publics administratifs sont qualifiés comme tels par les textes législatifs ou réglementaires. En l’absence d’une qualification textuelle, la jurisprudence fait recourt  à trois conditions pour les identifier : d’abord l’objet desdits services ; ensuite, leur mode de financement ; enfin leurs modalités d’organisation et de fonctionnement.

Quant  aux services publics industriels et commerciaux, ils sont soumis à un double régime juridique. Leurs rapports avec l’Etat ou la collectivité publique qui les a créées sont régis par le droit public; tandis que leurs rapports avec leurs agents ou leurs usagers sont régis par le droit privé. Pour ce qui est des services publics sociaux, ce sont des services qui interviennent dans les domaines sanitaires, sociaux et culturels. Pour ce qui concerne, enfin, les services publics corporatifs ou professionnels, il  s’agit, pour l’essentiel, des ordres professionnels. Le caractère public desdits services est lié au recrutement de leurs membres et au régime disciplinaire applicable  à ces derniers.

  • Le critère matériel

Ce critère rejette la distinction classique des services publics. Son application permet de distinguer quatre formes de services publics :

  • les services publics ayant pour finalité le maintien ou l’instauration de l’ordre (la

Défense, la Justice, la Police) ou la régulation des activités privées (les ordres professionnels et les Chambres consulaires que sont la Chambre de Commerce et la Chambre d’Agriculture) ;

  • les services publics ayant pour finalité la protection sociale et sanitaire (la Caisse  Nationale de Prévoyance Sociale, les hôpitaux publics) ;
  • les services publics à vocation éducative et culturelle (enseignement, recherche, loisirs et communication audiovisuelle) ;
  • enfin, les services publics à caractère économique (il s’agit, pour l’essentiel, des services publics industriels et commerciaux).

Mais, quel que soit le service public considéré, il fonctionne sur la base d’un certain nombre de principes que l’on nomme les lois de Rolland (c’est l’auteur qui a formulé ces  lois  ou principes).

  • 2- Les lois ou principes du service public

Ces lois ou principes sont essentiellement au nombre de trois : la continuité, l’égalité et l’adaptabilité ou la mutabilité.

  • La continuité

Ce principe signifie que l’administration doit fonctionner sans interruption. En d’autres termes, le fonctionnement de l’administration publique ne doit pas connaître des arrêts de nature à perturber les services qu’elle doit rendre aux usagers. Il reste  que le fonctionnement du service public est limité dans le temps. C’est pour cette raison qu’un texte prévoit toujours ses horaires d’ouverture et de fermeture.

Dans un premier temps, le juge administratif  appréhendait ce principe dans l’absolu en refusant de reconnaître le droit de grève aux agents publics (CE, 7 Août 1909, Winkell). Mais, par la suite, il a infléchit sa position en reconnaissant que l’exercice du droit grève par les agents publics n’était pas incompatible avec le principe de la continuité du service public (CE ,7 Juillet  1950, Dehaene).

  • L’égalité

D’après ce principe, les citoyens sont tous égaux devant le service public, qu’ils soient usagers, agents ou candidats aux emplois publics. Ce principe, qui est un principe constitutionnel, implique, par conséquent, la prohibition de toute discrimination basée sur la religion, la race, l’ethnie ou le sexe ( CS/CA, jugement n°29/2005-2006 du 14 décembre 2005, Moukon à Ebong Martin c/ Etat du Cameroun : « Attendu que le principe d’égalité que prévoit la Constitution du Cameroun emporte l’égalité de chance d’accès aux emplois publics ; (…) il en résulte qu’au moment de postuler à un emploi public tous les candidats doivent compétir au même pied d’égalité ».

  • La mutabilité ou l’adaptabilité

Ce principe permet à l’administration de mener ses activités en fonction des mutations que connaît la société. C’est ainsi que l’administration peut modifier unilatéralement un contrat administratif lorsque les circonstances l’exigent ; cette modification doit avoir pour finalité l’intérêt général. C’est dans cette optique également que l’administration peut procéder à la réduction de ses  effectifs en personnel pour des motifs économiques ou pour cause de réorganisation des services.

En dehors de ces principes essentiels, il en existe d’autres mais qui n’en sont que des corollaires. On peut citer le principe de neutralité, le principe de gratuité et le principe lié à l’obligation d’un fonctionnement correct de l’administration.

  • 3- Les modes de gestion des services publics

Les modes gestion des services publics sont nombreux. On peut citer : la gestion en régie, la gestion décentralisée, la gestion en concession ou en affermage et la gestion en concession ou en affermage, et la gestion par des organismes professionnels. Dans certains cas, cette gestion est assurée par des personnes publiques, et dans d’autres, des personnes privées.

A- La gestion en régie[12]

La gestion en régie est un mode de gestion qui a été pendant longtemps la seule formule de gestion connue de l’administration publique.

Il convient de préciser qu’il existe deux types de gestion en régie : la gestion en régie classique ou directe et la gestion en régie intéressée.

1-La gestion en régie classique ou directe est celle qui est assurée par les agents de l’administration concernée. Le service est géré par la collectivité publique elle-même. Il est de ce fait dépourvu de la personnalité juridique et de l’autonomie financière.

La gestion en régie classique concerne les activités de la collectivité dont elle relève. D’après l’article 55 al. 1 de la loi n°2004/017 du 22 juillet 2004 relative à l’orientation de la décentralisation, les services locaux gérés en régie fonctionnent  conformément au droit commun applicable aux services publics de l’Etat revêtant un caractère similaire.

L’alinéa 2 dudit article précise que « toutefois, les services d’intérêt public à caractère industriel et commercial peuvent être exploités en régie par les CTD, lorsque l’intérêt public l’exige, et notamment en cas de carence ou d’insuffisance d’initiative privée ».

2-La gestion en régie intéressée est celle qui est confiée à des personnes qui n’appartiennent pas à l’administration. A ce sujet, l’article 59 de loi de la n°2004/017 précise que, « les entreprises exploitant les services publics à gestion intéressée sont soumises pour tout ce qui concerne l’exploitation et les travaux de 1er établissement qu’elles peuvent être amenées à faire pour le compte de l’autorité concédante, à toutes mesures de contrôle et à la production toutes les justifications  conformément à la réglementation en vigueur ».

La difficulté qu’a suscitée la régie, surtout dans le domaine économique, a entraîné la création de structures de plus en plus décentralisées, mais qui restent sous l’autorité de la collectivité publique concernée (par le biais de la tutelle administrative).

B- La gestion décentralisée

C’est une gestion que l’Etat ou une collectivité territoriale décentralisée confie à une structure autonome ayant la qualité de personne publique, en l’occurrence, l’établissement public. C’est ainsi, par exemple, que l’Etat a confié le service public de l’enseignement supérieur aux universités d’Etat, qui sont des établissements publics à caractère scientifique et culturel. L’établissement public est une personne morale de droit public placé sous la tutelle d’une collectivité publique (Etat ou collectivité territoriale décentralisée) et agissant dans un domaine spécialisée de l’action administrative. Il a trois caractéristiques principales :

-il a une personnalité juridique : il peut poser des actes juridiques, ester en  justice ;

il fonctionne selon le principe de spécialité : il doit respecter le champ d’action qui lui est assigné par les textes ;

-il est sous tutelle : en contrepartie de l’autonomie que l’administration lui accorde, cette dernière exerce sur lui le  pouvoir de contrôle et le pouvoir d’orientation des activités qu’il doit mener.

  • La gestion en concession et/ou en affermage[13]

L’affermage et la concession de service public constituent des techniques contractuelles qui permettent à la personne publique de confier à un fermier ou à un concessionnaire la gestion d’un service public.

1-Dans le cadre de la concession, le concessionnaire a en charge, non seulement la gestion quotidienne, mais également l’entretien  et le développement du service public à lui confié (ex. ENEO et CAMRAIL). En la matière, la personne publique est le concédant et le particulier le concessionnaire. Ce dernier jouit, de par la concession, d’importantes prérogatives à l’encontre des usagers ; ce sont des prorogatives de puissance publique dont la contestation de l’exercice ne peut se faire que devant le juge administratif.

2-Dans le cadre de l’affermage, la mission principale assignée au fermier est la gestion classique qui consiste à l’exploitation et à la distribution (ex. Camerounaise Des Eaux jusqu’en avril 2018). Ainsi, par opposition au concessionnaire, le fermier n’a pas compétence pour produire et au développer les infrastructures publiques  qu’il gère. Mais, comme le concessionnaire, il jouit d’importantes prérogatives à l’encontre des usagers ; ce sont des prorogatives de puissance publique dont la contestation de l’exercice ne peut se faire que devant le juge administratif.

  • La gestion par des organismes professionnels

L’Etat peut confier la gestion des services publics à des organismes  privés que l’on nomme les ordres professionnels. Ceux-ci sont créés par l’Etat, au moyen des lois, en fonction des domaines d’activités. Il en est ainsi notamment de l’ordre professionnel des médecins, l’ordre professionnel des architectes, des urbanistes,  etc.

En général, ce sont des structures corporatives ayant  une mission de représentation et d’encadrement des membres d’un même corps de métier. Au regard d’une jurisprudence constante, lorsque les actes pris par ces organes  participent d’une mission de service public, ils sont, en principe, administratifs. Quid de la police administrative ? 

CHAPITRE II 

LA POLICE ADMINISTRATIVE

L’on a tendance  à assigner  à la notion de  police en général des caractères contraignants et répressifs. Cette manière de voir ne correspond pas  à la réalité.

Pour cerner la police administrative, il sied de déterminer sa consistance et d’analyser son régime.

Section 1 : La consistance  

La police administrative a une consistance à la fois notionnelle et organique.

  • 1- La consistance notionnelle

Pour appréhender la police administrative  dans sa consistance notionnelle, il convient, à travers une démarche trilogique, d’identifier son objet, de la distinguer de la  police judiciaire et de déterminer ses différentes formes.

A- L’ordre public comme objet de la police administrative

La police administrative a pour finalité le maintien de l’ordre public. Mais ce dernier  est une notion qui  n’est pas aisée à cerner. On peut cependant tenter  de la saisir à travers ses éléments constitutifs.

  • La notion d’ordre public

L’ordre public constitue, incontestablement, l’objet obligatoire de la police administrative. Autrement dit, la mission assignée  à la  police administrative est de maintenir la concorde au sein de la société toute entière et donc dans l’Etat.  Il s’agit, manifestement d’une obligation.

L’ordre public a  un contenu contingent et évolutif. En effet,  celui-ci est fonction  des circonstances de temps et de lieu. Il n’est pas stable, il change en fonction des situations et des régimes politiques.

Mais,  il ne faut pas croire que l’ordre public est une notion insaisissable. Il a des éléments constitutifs qui permettent de le caractériser, à défaut de le définir.

  • Les composantes de l’ordre public

L’ordre public, au sens de la  police, est l’ordre matériel considéré comme  un état de fait opposé à cet autre état de fait qui est le désordre.

Le danger de désordre matériel est le symptôme qui déclenche l’action préventive de la  police, et son action se borne  à faire disparaître ce symptôme.

La police de l’ordre public ne se préoccupe pas du désordre moral qui a  pu engendrer le désordre  matériel. Elle s’en tient à la politique du fait sans remonter aux causes doctrinales.

L’ordre public  ainsi compris se ramène  à trois éléments : la tranquillité publique, ou tranquillité  dans les rues, des villes et  des villages ; la sécurité publique, qui est  une garantie préventive contre les infractions,  crimes et délits ; enfin, la salubrité publique, qui est une garantie préventive contre les fléaux contagieux et les épidémies. Telle est la perception classique de l’ordre public.

Depuis 1995, le juge administratif suprême français considère que le respect de la dignité humaine constitue une des composantes de l’ordre public. En effet, le Conseil d’Etat  a estimé que le lancer de nain à des fins commerciales est une attente à la dignité humaine; ce qui, en raison des circonstances, constitue  une menace  à l’ordre public (CE, 13 octobre 1995, commune de Morsang-sur-Orge ville d’Aix-en- Provence).

Ainsi, l’ordre public a désormais quatre éléments constitutifs. Est donc battue en brèche la trilogie dégagée, en son temps, par le Doyen Maurice Hauriou, laquelle faisait l’unanimité dans la doctrine et avait été consacrée par la jurisprudence.

Il se dégage de ce qui précède que le maintien de l’ordre public, qui est la finalité de la police administrative, est une action préventive et non répressive. La police administrative se distingue donc de la police judiciaire.

B- La distinction entre police administrative  et  police judiciaire

Cette distinction,  bien que réelle, est cependant relative.

  • Les éléments de la distinction

La police judiciaire est l’action qui consiste à réprimer une infraction. C’est  une action postérieure à l’acte  commis. A ce titre, elle est essentiellement répressive.

Quant  à la police administrative, elle intervient ex-ante à la mesure ou à l’événement qu’elle entend interdire ou autoriser. Il s’agit d’une action essentiellement préventive.

Les caractères distinctifs de ces deux polices ont été élucidés par le Conseil d’Etat dans l’arrêt société Frampar rendu le  24 juin 1901. Il a, dans l’arrêt Baud du  11 mai 1951,  réitéré la distinction entre ces deux polices  en se fondant sur l’objet de l’opération en cause. La police administrative est l’action par laquelle les autorités administratives compétentes définissent, au  moyen d’actes administratifs unilatéraux, réglementaires  ou individuels, les conditions du maintien de l’ordre public. La police judiciaire, quant  à elle, a pour objet de découvrir les auteurs des infractions et de les déférer devant les juridictions répressives compétentes. Elle consiste donc en la recherche d’éléments débouchant directement sur des  poursuites pénales, alors que la  police administrative a  une mission de contrôle et de surveillance sans être orientée sur une infraction criminelle  ou correctionnelle précise. Mais, la distinction entre ces deux  polices doit être relativisée.

  • Les limites de la distinction

Sur le double plan organique et fonctionnel, cette relativité se traduit, d’une part par  une sorte de communauté de personnel entre la  police administrative et la  police judiciaire (ex : l’agent de  police qui régit la circulation sur la voie publique ), et d’autre part, par la  polyvalence de nombreuses opérations de  police ou par la transformation d’une opération de  police administrative en  une opération de  police judiciaire. C’est le cas lorsqu’un agent de police dresse, à l’encontre d’un automobiliste, un procès-verbal (la police administrative se mue ici en police judiciaire) ; c’est le cas aussi lorsqu’un  agent de police contrôle les pièces d’identité des passagers d’un véhicule sur la voie publique (la  police judiciaire se mue ici en police administrative).

C- Les différentes formes de  police administrative

Il existe  deux formes de police administrative : la police administrative générale et  la police administrative spéciale.

La police générale et la  police spéciale  diffèrent l’une de l’autre du  point de vue des buts, des sources et de leurs destinataires.

La police administrative générale s’occupe du maintien de l’ordre  public en général, tant au plan national qu’au plan local.

Quant  à la police administrative spéciale, elle a  un champ compétenciel limité. Elle s’occupe du maintien de l’ordre public spécifique, qui concerne un domaine précis. Elle peut avoir d’autres buts que le maintien de l’ordre public et est régie par des textes spéciaux (la sauvegarde de l’environnement ou de l’esthétique, par exemple).

La police générale s’applique à l’ensemble de l’activité des citoyens alors que la police spéciale s’attache à contrôler certains types d’activités (la police de la chasse, de la cinématographie, de la pêche, de la construction, par exemple) ou certaines catégories de citoyens (les étrangers).

  • 2- La consistance organique

Les autorités  de police administrative sont déterminées par les textes qui fixent leurs attributions. Comment les identifier ?

Existe-t-il un critérium permettant de dire que telle autorité de police administrative a une compétence générale ou spéciale, nationale ou locale ?  Ces autorités peuvent-elles agir sans une certaine collaboration, voire sans  une certaine concurrence ?

Pour répondre à ces questions, il faut, d’une part, procéder à l’identification les autorités de police administrative, et, d’autre part, déterminer les règles qui régissent la concurrence  ou le concours  entre lesdites autorités.

A- L’identification des autorités de police administrative 

Le critérium à prendre en compte ici est celui de l’étendue de la compétence territoriale des différentes autorités de police administrative. On peut ainsi distinguer les autorités de police administrative à compétence nationale et les autorités de  police administrative à compétence locale.

1- Les autorités de police administrative à compétence nationale 

Ces autorités appartiennent à l’administration centrale. Elles fixent les mesures de  police qui doivent, en tout état de cause, être appliquées sur l’ensemble du territoire. Elles émettent, grâce  à leur compétence réglementaire, des prescriptions ou règlements nationaux.

Il s’agit, notamment, du Président de la République (C.E 8 août 1919, Labonne), du Premier Ministre (C.E. 13 mai 1960, SARL « restaurant Nicolas »), ainsi que des ministres, qui sont investis du  pouvoir de réglementation en matière de police spéciale. C’est le cas, par exemple, du Ministre de la Culture et du Ministre du Tourisme. 2- Les autorités de  police administrative à compétence locale

Il en existe dans l’administration déconcentrée, notamment dans les circonscriptions administratives.  On peut citer le Gouverneur (au niveau de la région), le Préfet (au niveau du

Département), le Sous-préfet (au niveau de l’Arrondissement).

Il en existe également au sein des collectivités territoriales décentralisées. Il en est ainsi du Maire dans la commune et du Délégué du Gouvernement dans les communautés urbaines.

Il convient cependant de signaler  qu’en dehors des autorités investies du pouvoir de  police administrative,  il existe des agents chargés de veiller  à l’exécution des prescriptions de  police : c’est le personnel de police. Ce dernier peut être civil ou militaire.

La  multiplicité des polices et la diversité des autorités engendrent, dans tous les cas,  un concours, voire une concurrence dans l’exercice des  pouvoirs de  police.

B- Le concours  entre les autorités de police administrative

Ce concours peut avoir lieu à deux niveaux. D’abord entre les autorités de police administrative générale, ensuite, entre les autorités de police administrative générale et les autorités de police administrative spéciale.

  • Le concours entre les autorités de police administrative générale

La règle ici est que l’acte de l’autorité de police inférieure ne peut pas contrarier l’acte de l’autorité de police supérieure, tant au plan national qu’au plan local.

Le fait que les autorités de police générale à compétence nationale prennent des mesures applicables sur l’ensemble du territoire n’interdit pas aux autorités de police à compétence locale d’édicter des mesures de police dans leur localité. Toutefois, ces dernières ne peuvent prendre que des actes tendant à faciliter  l’exécution de ceux pris par celles-là ; elles ne peuvent pas se dispenser de les appliquer ni les rendre plus ou moins sévère : C.E. 18 Avril 1902, Commune de Neris-Les-Bains. Cet arrêt a consacré le principe du non contrariété de l’acte de l’autorité de police supérieure par l’acte de l’autorité de police inférieure. Par conséquent, sous peine de  nullité, l’acte de l’autorité de police inférieure  doit toujours être conforme  à l’acte de l’autorité de  police supérieure.          

  • Le concours entre autorités de police générale et autorités de police spéciale Deux  cas de figures doivent  être considérés.

Il y a le cas où le concours ne peut avoir lieu ou n’est pas possible du fait d’une prescription textuelle.

Il y a ensuite le cas où le concours a lieu ou est possible. C’est ainsi que la jurisprudence estime que, pour des raisons liées aux circonstances locales, une autorité de police administrative générale à compétence locale peut prendre  un acte contraire à celui d’une autorité administrative spéciale à compétence  nationale. Elle a admis que le maire peut légalement, pour des raisons éthiques liées aux circonstances de sa localité, interdire la projection, dans sa commune, d’un film autorisé au niveau national par le Ministre en charge des questions cinématographiques (CE, 18 décembre 1959, société films Lutetia et syndicats français de producteurs et exportateurs de films).

Section 2 : Le régime de la police administrative

Les règles applicables à la  police administrative concernent d’une part les caractères de ses  actes, et, d’autre part, ses  pouvoirs.

  • 1- Les caractères des actes de la police administrative

Les caractères des actes de police administrative sont au nombre de quatre :

  • les actes de police administrative sont des actes unilatéraux ; par conséquent, l’administration ne saurait conclure des contrats avec des particuliers en matière de police ;
  • les actes de police administrative sont généralement des actes préventifs et non répressifs ;
  • les actes de police administrative sont des actes obligatoires, en ce sens que l’autorité administrative de police est tenue de les prendre et qu’ils s’imposent aux administrés ;
  • les actes de police administrative sont, enfin, des actes qui ne créent pas de droit ; ils peuvent donc être modifiés, abrogés ou retirés en fonction des circonstances.

Les actes de police administrative échappent au principe du droit de la défense. L’autorité de  police n’est donc pas tenue d’informer les administrés et d’avoir leur point de vue avant de prendre une mesure de police. C’est  un principe qui a été formulé par le juge administratif camerounais dans l’arrêt n°208/CCA du  30 janvier 1953, Jean Boone c/ Administration du Territoire. Mais, ce principe a été remis en cause dans l’arrêt Obame Etémé Joseph du 27 janvier 1970 (CFJ/CAY arrêt n°98 du 27 janvier 1970, Obame Etémé Joseph contre République Fédérale  du  Cameroun). Dans  cet arrêt, le juge reproche au Préfet de n’avoir pas permis au sieur Obame d’exercer ses droits de la défense avant de prendre l’acte portant interdiction d’entrée et de séjour de l’intéressé dans son Département : « Considérant (…) qu’une sanction telle que celle qui a frappé le requérant ne pouvait légalement intervenir sans que ce dernier eût été à même de discuter les griefs articulés contre lui ; qu’ainsi le sieur

Obame Etémé n’ayant pas été préalablement invité à présenter ses moyens de défense, l’arrêté attaqué a été pris en violation du principe de respect des droits de la défense et qu’il est de ce point entaché d’excès de pouvoir ». Ce faisant, le  juge de l’espèce  limitait les prérogatives de l’administration en matière de  police.

  • 2- Les pouvoirs de la police administrative

Il convient d’abord de voir comment ces pouvoirs sont articulés avant d’en indiquer  les limites.

A- L’articulation des pouvoirs de  la police administrative

Il existe plusieurs types de pouvoirs de police, qui ont aussi des domaines d’intervention divers.

  • Les types de pouvoirs de police Les pouvoirs de l’administration en matière de police administrative sont, essentiellement, au nombre de quatre :
    • premièrement, les autorités de police administrative ont  un  pouvoir de réglementation en matière de circulation, de salubrité et de tous les éléments constitutifs de l’ordre public. Elles jouissent ainsi d’un pouvoir de sanction répétitive du point de vue de la violation ou de la menace à  l’ordre public ;
    • deuxièmement, les autorités de police administrative jouissent d’un pouvoir de réquisition des biens et des personnes qui porteraient atteinte à l’ordre public ;
    • troisièmement, les actes de police administrative sont, en principe, exécutés d’office en cas d’urgence ou lorsqu’un texte l’exige, tant en ce qui concerne les actes de la police générale que les actes de la police spéciale. Cependant, ce principe connaît des exceptions ; il en est ainsi de l’acte de reconduction à la frontière d’un étranger en situation irrégulière, en ce sens que la procédure d’expatriation échappe à la compétence de la police administrative. L’article 38 de la loi n°90/43 du 19 décembre 1990  relative aux conditions d’entrée, de séjour et de sortie du territoire camerounais, modifiée par la loi n°97/02 du 10 juin 1997, dispose, à cet effet, que, « la mesure de reconduction à la frontière ne peut être exécutée avant l’expiration du délai de 48 h suivant sa notification et avant que la juridiction saisie n’ait statué » ;  
    • quatrièmement, enfin, la mesure de police ne peut, en principe, faire l’objet ni d’un sursis  à exécution (mesure qui consiste à suspendre l’exécution d’un acte administratif lorsque cette exécution aurait des conséquences difficilement réparables), ni d’un référé administratif (procédure rapide permettant de prendre  une mesure conservatoire ou d’instruction en cas d’urgence).

En effet, la mise en œuvre de ces procédures suppose que l’acte querellé ne concerne ni l’ordre public ni la sécurité publique ni la tranquillité publique.

Cependant, dans l’affaire UPC c/Etat du Cameroun du 19 décembre 1993, ce principe a été remis en cause par le juge administratif camerounais.

En effet, bien qu’il ait évoqué les dispositions de l’article 16 suscité, le Président de la Chambre administrative de la Cour suprême a déclaré la requête aux fins de sursis recevable, alors même qu’elle sollicitait la suspension de l’exécution d’une mesure de police, notamment l’interdiction de la tenue du congrès de l’UPC à Bafoussam du 1er au 3 octobre 1993. Il n’a rejeté cette requête que parce que son ordonnance est intervenue après la période prévue pour la tenue du congrès : « Que dès lors, la dite requête aux fins de sursis  à exécution est sans objet » (ordonnance n°4/OSE/PCA/CS/93-94 du 19 décembre 1993, affaire UPC C/Etat du Cameroun).

  • Les domaines d’exercice des pouvoirs de la police administrative

On a d’abord des activités illicites. Par rapport à ces dernières, l’autorité de police intervient pour préciser la portée  de leur prohibition légale.

On a, ensuite, des activités ayant le caractère de simples facultés. Par rapport à ces

activités, l’autorité de police dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour les interdire, les autoriser ou les réglementer. Ce ne sont pas des activités prohibées. Il en est ainsi, par exemple, des manifestations  sur la voie publique.

On a, enfin, des activités ayant le caractère de libertés publiques. Par rapport à ces activités, l’exercice du pouvoir de police est étroitement limité. Cette restriction varie selon qu’il s’agit d’une liberté publique dite relative (exemple : la liberté de commerce ou d’industrie) ou fondamentale (exemple : la liberté d’expression, d’association, ou d’aller et venir). L’exercice des pouvoirs de police connaît des limites.

B- Les limites des pouvoirs de la police administrative

La mise en œuvre des  pouvoirs de  police administrative générale ou spéciale au  moyen d’une réglementation ou d’une décision individuelle se heurte au principe de légalité et au contrôle du juge qui s’appliquent à l’action de l’administration.

Lire Aussi :  Cours politiques publiques complet (PDF)

1- Le principe de légalité

Le principe de légalité est le principe selon lequel l’administration ne peut agir qu’en conformité avec le droit. En effet, l’exercice de ses pouvoirs par l’administration doit être compatible avec les différentes normes juridiques que sont : la Constitution, les traités internationaux, la loi et les principes généraux du droit. Ce principe se manifeste tant en période normale qu’en période de crise.

En période normale, on applique la légalité ordinaire, qui restreint considérablement les  pouvoirs de  police administrative ; en ce sens, lorsque le  juge est saisi, il exerce sur la mesure de police contestée un  contrôle maximum, qui va au-delà de l’examen de l’acte litigieux pour s’intéresser à son opportunité.

En période de crise, c’est la légalité d’exception qui s’applique ; certes, elle implique l’extension des pouvoirs de  police de l’administration tant sur le plan textuel que sur le plan jurisprudentiel, mais n’exclut pas tout contrôle juridictionnel des mesures de police édictées. 2- Le contrôle juridictionnel des mesures de  police

En principe, c’est le  juge administratif qui est compétent en matière de contrôle des mesures de  police administrative. Mais, il arrive que des textes donnent compétence au juge judiciaire pour intervenir dans cette matière.

a)- Le contrôle exercé par le juge administratif  En principe, lorsque le juge administratif est saisi, ce qui est en cause  c’est soit la légalité, soit la nécessité, voire l’opportunité de la mesure de  police litigieuse. Le recourant peut même aller au-delà de la contestation de la mesure en question et exciper le moyen tiré de la responsabilité de l’administration.

Il convient donc de déterminer, d’une part, l’étendue du contrôle exercé par le juge administratif en matière de police administrative, et, d’autre  part, la sanction dudit contrôle. a)-1- Les formes de contrôle  En considération de l’espèce, le juge administratif peut être emmené à exercer trois sortes de contrôle :

  • un contrôle de légalité stricto sensu, qui consiste à s’assurer que la mesure de police contestée est conforme à la législation en vigueur ( CE 19 mai 1933 Benjamin ; ordonnance n°19/O/PCA/CS du 26 septembre 1991, affaire Organisation camerounaise des droits de l’homme (OCDH) c/Etat du Cameroun ; ordonnance n°20/O/PCA/CS du 26 septembre 1991, affaire Kom Ambroise c/Etat du Cameroun) ;
  • un contrôle de proportionnalité, qui consiste à s’assurer qu’il y a adéquation entre l’événement ou le fait en cause et l’acte sanctionnant ce fait ; le juge estime que l’administration doit éviter de prendre des mesures graves pour des situations de moindre importance, car comme le dit l’adage,« il ne faut pas tuer une mouche avec un marteau pilon ». De fait, en matière de police administrative, la liberté est la règle,  la restriction l’exception (CE, 19 mai 1933, Benjamin ; CE, 30 novembre 1956, Bakari Djibo) ;
  • un contrôle d’opportunité, qui consiste à examiner les circonstances de lieu et de temps qui ont justifié l’édition de la mesure de police litigieuse. Dans le cadre de l’exercice de ce contrôle, le juge s’interroge sur l’opportunité  de la mesure de police. Celle-ci ne peut être opportune que sous deux conditions :
  • le lieu où se déroule l’événement doit être un lieu public (exemple : la voie publique) ;
  • le moment ou la période où l’événement a lieu doit être suffisamment critique (CE, 19 juin 1953, Félix Houphouët Boigny, d’Arboussier et autres).  

L’exercice du contrôle d’opportunité par le juge administratif n’est ni général ni absolu. C’est ainsi, par exemple, que le juge administratif camerounais s’est refusé, dans certaines espèces, notamment dans l’affaire CAP- Liberté c/Etat du Cameroun du 26 septembre 1991 et  l’affaire OCDH c/ Etat du Cameroun du 26 septembre 1991,de contrôler l’opportunité d’une mesure de  police litigieuse, en l’occurrence la mesure portant dissolution de certaines associations pour atteinte à l’ordre public et à la sécurité de l’Etat du fait de leur participation à la Coordination des partis politiques qui prônait la désobéissance civile et les villes mortes. En se référant à  deux arrêts du Conseil d’Etat français que sont : l’arrêt Pujo du  4 avril 1936 et l’arrêt d’Assemblée des Croix du Feu et Briscards du  27 novembre 1936, le juge affirme, en substance que s’il « est compétent pour connaître si l’association dissoute tombe par ses agissements sous le coup de la loi, il n’apprécie cependant pas l’opportunité de la dissolution » (sur la critique de cette prise de position, lire Bernard-Raymond Guimdo Dongmo, Le juge administratif camerounais et l’urgence, Thèse de doctorat d’Etat en Droit public, Université de Yaoundé II, 2004, pp.209-215). a)-2- La sanction du contrôle

Lorsque après examen de la mesure de police litigieuse le juge administratif constate qu’elle est conforme au droit en vigueur ou que son édiction était nécessaire ou opportune, il déboute le requérant en la cause.  Mais, s’il  constate le contraire, il annule la mesure litigieuse. Il l’a fait dans certaines affaires où les requérants contestaient les décisions du Ministre de l’Administration Territoriale portant refus de légalisation de leurs partis politiques

(dans ce sens, voir : ordonnance n°25/CS/PCA /91-92 du 18 septembre 1992, Regroupement Démocratique pour la République c/Etat du Cameroun ; ordonnance n°26/CS/PCA /91-92 du 18 septembre 1992, Programme Social pour la Liberté et la Démocratie c/Etat du Cameroun).

Le requérant  peut, par ailleurs, engager la responsabilité de l’administration en demandant au juge administratif la réparation du dommage qu’il a subi du fait de la mesure de police prise par l’administration. Si cette demande est fondée, il lui est octroyé  des dommages-intérêts. Mais, si elle ne l’est pas, par exemple si le juge estime que l’acte est légal, le requérant ne peut avoir droit à des  dommage-intérêts (cf. affaire Kom Ambroise c/Etat du Cameroun précitée).

b)- Le contrôle exercé par le  juge judiciaire  Le contrôle des mesures de  police par le juge judiciaire  n’est possible que si  un texte l’a prescrit. Dans le contexte camerounais, ce contrôle peut intervenir dans deux cas, au moins.

Le premier cas concerne le contentieux des journaux. Initialement, ce contentieux rassortissait à la compétence du juge administratif ; qu’il s’agisse du contentieux de la saisie, du contentieux de la censure ou de celui de l’interdiction des journaux (cf.  les articles 14 et 17 abrogés de la loi n°90/052 du 19 décembre 1990 relative  à la liberté de la communication sociale).Mais, depuis la  loi de n°96/04 du 4 janvier 1996 modifiant celle de 1990, alors que la censure a été supprimée, le contentieux de la saisie et de l’interdiction d’un organe de presse ressortit à la compétence du juge (judiciaire) de référé qui statue d’heure en heure ou suivant les dispositions légales analogues dans les provinces du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Cette nouvelle disposition législative a connu sa première application le 14 juillet 1997 dans l’affaire journal « Mutations » c/ Etat du Cameroun dont a été saisi le  Président du Tribunal de Première Instance de Yaoundé, juge de référé (Ordonnance de référé du  14 juillet 1997, affaire journal “Mutations” contre Etat du Cameroun (MINAT). Dans cette affaire, le juge de référé a ordonné la levée de la mesure d’interdiction  qui avait été prise à l’encontre de cet organe de presse par le Ministre de l’Administration Territoriale.

Le second  cas concerne le contentieux de l’interdiction des manifestations publiques. A la lecture de la  loi n°090/55 du 19 décembre 1990 portant régime des réunions et des manifestations publiques, en cas d’interdiction d’une manifestation  publique par l’autorité administrative, son organisateur peut, par simple requête, saisir le Président du Tribunal de Grande Instance compétent qui statue par ordonnance dans  un délai de 8 jours à compter de sa saisine (V. article 8 al 3 de cette loi) (V. PTGI/Wouri, affaire MRC/Sous-Préfet de Douala 5ème, 8 novembre  2019).  

Au demeurant, l’administration, quelle qu’elle soit, est tenue, dans l’exercice de ses missions de service public et de ces prérogatives de puissance publique, de se soumettre au droit en vigueur.

IIIème  PARTIE

LA SOUMISSION DE L’ADMINISTRATION AU DROIT

L’administration, agissant comme puissance publique ou exerçant une mission de service public, doit se conformer au droit en vigueur dans l’Etat. En le faisant, elle contribue à la construction d’une société de droit.

Mais, il s’avère que dans les rapports administration/ administré, la prééminence de l’administration l’amène la plupart du temps à violer le droit en vigueur. C’est pour cela qu’il existe des mécanismes non juridictionnels et juridictionnels permettant à l’administré de faire constater et sanctionner de telles violations ( v. cours de contentieux administratif).

La soumission de l’administration au droit repose sur des principes dont le contrôle du respect est confié à la justice administrative.

TITRE I

LES PRINCIPES

Les principes qui régissent la soumission de l’administration au droit sont au nombre de deux : le principe de la légalité ou de juridicité administrative, qui constitue une obligation faite à l’Administration de se conformer aux normes juridiques en vigueur, et le principe de la responsabilité administrative, qui est une sujétion s’imposant à la puissance publique avec  l’obligation de réparer le dommage qu’elle aurait causé à autrui soit par sa faute, soit sans sa faute.

CHAPITRE I

LA LÉGALITÉ ADMINISTRATIVE

Stricto sensu, le principe de légalité signifie que l’administration doit se soumettre à la loi, c’est-à-dire à l’acte législatif ; autrement dit, « ce principe signifie que l’acte administratif doit respecter les lois formelles » (CS/CA, jugement n°62 du 25 septembre 1980, La Société « Assureurs Conseils Franco-Africains (ACFRA) c/ Etat du Cameroun).

Lato sensu, ce principe signifie que l’administration doit se soumettre au droit, c’est-àdire à l’ensemble des normes juridiques en vigueur dans l’Etat.

C’est un principe dont le respect« dans l’activité administrative constitue une garantie pour les administrés » (Jugement La Société « Assureurs Conseils Franco-Africains suscité).

L’analyse du principe de légalité, appréhendé lato sensu, portera à la fois  sur sa quintessence, son aménagement et sa limitation.

Section 1 : La consistance du principe

Le principe de légalité est constitué de l’ensemble des règles juridiques externes et

internes à l’administration.

  • 1- Les règles juridiques externes à l’administration

Les règles juridiques externes à l’administration sont essentiellement au nombre de quatre. Elles renvoient à ce qu’on appelle les sources externes de la légalité administrative. Il s’agit de la constitution (son préambule, son corpus et la jurisprudence constitutionnelle) ; des traités internationaux (bilatéraux ou multilatéraux), lorsqu’ils sont régulièrement ratifiés et appliqués par chacune des parties ; des lois, que sont  la loi parlementaire, la loi référendaire et les ordonnances ratifiées par le parlement; enfin, de la jurisprudence administrative, qui comprend les règles générales (les notions et les régimes) et les principes généraux du droit (voir les développements du cours portant sur les sources du droit administratif).

  • 2- Les règles juridiques internes à l’administration

Les règles juridiques internes à l’administration sont constituées, en dehors du contrat administratif qui est une règle partiellement interne à l’administration, des actes administratifs unilatéraux que sont les actes réglementaires et les actes non réglementaires.

Dans la catégorie des actes réglementaires, il existe ce qu’on appelle les règlements autonomes. Comme tous les actes administratifs, ces règlements sont susceptibles de recours contentieux (v. CE, 26 janvier 1959, Syndicat général des Ingénieurs Conseils).

Les actes réglementaires pris par une autorité hiérarchiquement inférieure sont subordonnés à ceux édictés par une autorité supérieure.

Par ailleurs, il existe une subordination de l’acte non réglementaire à l’acte réglementaire, quel que soit l’autorité qui l’a édicté (V. CCA, arrêt n° 678 du 27 décembre 1957, Ndjock Paul c/ Administration du Territoire).

En ce qui concerne les ordonnances non ratifiées, ce sont des actes administratifs réglementaires susceptibles de recours pour excès de pouvoir (CE, 30 novembre 1961, Damiani). Les mesures prises par le Président de la République en application de l’article 9  de la

Constitution (état d’urgence et état d’exception) peuvent-elles faire l’objet de recours contentieux ? En d’autres termes, le juge administratif peut-il contrôler leur légalité ?

En droit français, la question ne se pose plus, car le Conseil d’Etat a reconnu que le juge peut contrôler les mesures prises par le Président français en application de l’article 16 de la Constitution de 1958 si ces mesures ressortissent au domaine réglementaire (CE, 2 mars 1962, Rubin De Servens). On peut subodorer que, de lege feranda, il en sera de même en droit camerounais. Que dire de l’aménagement du principe de légalité ?

Section 2 : L’aménagement du principe

Le principe de légalité connait une articulation duale et est infléchi par la théorie des actes de gouvernement.

S/section 1 : L’articulation du principe

La légalité administrative intervient aussi bien en période normale qu’en période de crise. Ainsi, l’avènement d’une circonstance exceptionnelle ou de crise n’entraîne pas la disparition de la légalité ; il induit plutôt la mise en œuvre d’une  légalité distincte de la légalité ordinaire. C’est ce qu’on appelle la légalité de crise ou légalité d’exception.

  • 1 – La légalité ordinaire

La légalité ordinaire intervient lorsque l’administration exerce, d’une part, la compétence liée, et, d’autre part, le pouvoir discrétionnaire.

S / § 1 – La compétence liée

La compétence liée constitue une prérogative confiée par les textes à l’autorité administrative. Cette dernière est tenue de l’exercer ou de la mettre en œuvre. Mais, l’exercice d’une telle compétence ne doit être ni extra legem ni contra legem, car il peut faire l’objet d’un contrôle juridictionnel qu’on qualifie maximum. Ce contrôle porte tant sur les éléments formels ou externes que sur les éléments matériels ou internes de l’acte querellé.

  • Le contrôle des éléments formels ou externes

Le contrôle des éléments formels de l’acte édicté dans le cadre de l’exercice de la compétence liée porte sur  la légalité externe de l’acte. Les éléments formels dont il s’agit sont : la compétence de l’auteur de l’acte ; la forme et la procédure de l’acte.

Lorsque le juge établit ou constate l’illégalité externe de l’acte querellé, il l’annule ; mais, cet acte peut être repris par l’administration, à la condition que les règles de compétence et/ou de forme et de procédure soient respectées (NB : pour plus d’amples informations, lire, supra, les analyses portant sur l’élaboration des actes administratifs unilatéraux, notamment celles relatives aux éléments externes).

  • Le contrôle des éléments matériels ou internes

Le contrôle des éléments matériels ou interne de l’acte porte sur la légalité interne de l’acte. Il s’agit d’un contrôle normal exercé par le juge administratif. Il concerne le but, le contenu et les motifs de l’acte (NB : pour plus d’amples précisions, lire, supra, les analyses portant sur l’élaboration des actes administratifs unilatéraux, notamment celles relatives aux éléments internes).

  • Le contrôle du but de l’acte

Lorsque le juge contrôle le but d’un acte querellé, c’est pour s’assurer que  l’administration n’a pas commis un détournement de pouvoir ; c’est-à-dire si les fins qu’elle poursuivit sont légales (jugement n° 40 / CS/CA du 29 mai 1980, Monkam Tientcheu David c/ l’Etat du Cameroun) ; autrement dit si son acte ne tend pas à favoriser un tiers au détriment d’une autre personne ( v. jugement n°62 du 25 septembre 1980, La Société « Assureurs Conseils Franco-Africains (ACFRA) c/ Etat du Cameroun : « (…) c’est dans le but de favoriser la SOCAR qui (…) n’est nullement un organe de contrôle de l’activité des assurances qu’est basé la décision attaquée ; (…) en vain avancera-t-on les liens conjugaux existant entre les époux CASA-LEGNO dont l’un Président-Directeur-Général de l’ACFRA, l’autre Directeur de la Société l’Assurances Chanas-et-Privat, ces sociétés étant des entités juridiques différentes de leurs dirigeants et de leurs membres qui les composent ; (…) il s’ensuit que la décision attaquée contenant une illégalité quant au but poursuivi (…) encourt annulation » ou alors si cet acte n’est pas la manifestation de « la mauvaise foi » de l’administration et n’exprime pas l’intention de celle-ci « de nuire aux intérêts » du recourant

( CS/CA, jugement n°102/02-03 du 27 aout 2003, ZE ENDANGTE c/ Etat du Cameroun.

  • Le contrôle du contenu de l’acte

Le juge s’assure, généralement, que le contenu de l’acte querellé est conforme aux normes supérieures. L’illégalité d’un acte à raison de son contenu constitue la violation directe de la loi. C’est le cas d’une décision prise avec effet rétroactif contrairement au principe de la non rétroactivité des actes administratifs.

  • Le contrôle des motifs de l’acte

Sur ce point, la question est de savoir à raison de quoi l’acte en cause a été fait. Il y aura illégalité à raison des motifs de l’acte s’il apparaît que cet acte procède soit d’une erreur de droit, soit d’une erreur dans la qualification juridique des faits, soit d’une erreur de fait.

  1. Trois causes peuvent occasionner une erreur de droit :
  • erreur sur la base légale sur laquelle la décision querellée a été prise (CS/CA, jugement n°99/04-05 du 27 avril 2005, SADOU YAYA c/ Eta du Cameroun) ;
  • le fait de rattacher les dispositions édictées à une norme illégale ;
  • le fait de rattacher les dispositions édictées à une norme régulière et applicable, mais inexactement interprété par l’auteur de l’acte qui s’est trompé sur ce que la norme impose ou permet de faire. Il en est ainsi de l’inexactitude des motifs allégués par l’administration pour édicter une mesure à l’encontre d’un agent (CS/CA, jugement n°52/04-05 du 23 février 2005,

Engamba Evoundou Gaston c/ Etat du Cameroun)

  1. En ce qui concerne l’erreur de qualification juridique des faits, les faits doivent être de nature à justifier juridiquement la décision. Il ne faut pas que l’auteur de l’acte se trompe sur la qualification juridique des faits qu’il a à prendre en considération (CE, 4 avril 1914, Gomel).
  2. Enfin, en ce qui concerne l’erreur de fait, le principe a été dégagé par le CE le 14 janvier 1916 dans l’arrêt Camino.

La jurisprudence exige en plus de la qualification juridique des faits que la réalité de ces faits soit établie. En fait, le contrôle de la qualification juridique des faits entraîne celui de leur exactitude matérielle (v. CS/CA, jugement n°154/04-05 du 31 aout 2005, Mveng Owona c/ Etat du Cameroun).

S / § 2- Le pouvoir discrétionnaire

Le pouvoir discrétionnaire constitue la manifestation de la liberté d’action de l’administration. L’administration est libre d’agir, libre dans le choix du moment de son intervention et du contenu de  son acte.

Mais, l’action de l’administration est juridiquement encadrée pour éviter qu’elle ne transforme ce pouvoir discrétionnaire en pouvoir arbitraire. C’est ainsi qu’elle peut faire l’objet d’un contrôle juridictionnel. Il s’agit d’un contrôle dit minimum, qui porte sur l’auteur, la forme et la procédure de l’acte, les motifs de fait et de droit, et le but poursuivi par l’acte, et non sur le contenu de l’acte puisqu’il participe du pouvoir discrétionnaire.

  • 2- La légalité de crise ou d’exception

La légalité de crise constitue une dérogation à la légalité ordinaire en vertu d’une part, des textes, et d’autre part, de la jurisprudence.

  • Une dérogation à la légalité ordinaire en vertu des textes

Les textes peuvent prévoir une période pendant laquelle la légalité ordinaire ne peut être appliquée et ce au regard de la gravité de la situation. C’est ainsi, par exemple, que la

Constitution camerounaise, en son article 9, a prévu l’état d’urgence et l’état d’exception. C’est la légalité de crise qui s’applique pendant cette période en ce qui concerne le contentieux des actes administratifs.

  • Une dérogation à la légalité ordinaire en vertu de la jurisprudence

La jurisprudence a, elle aussi, formulé des règles relatives à la période de crise qu’elle qualifie de circonstances exceptionnelles.

La notion de circonstances exceptionnelles a été énoncée pour la première fois par le Conseil d’Etat dans l’arrêt Heyriès du 28 juin 1918, puis dans l’arrêt dames Dol et Laurent du 28 Février 1919. Toutefois, sa construction s’est faite de façon étapiste.

Dans un premier temps, la notion de circonstances exceptionnelles s’identifiait à la période de guerre. Dans un deuxième temps, le juge l’a étendue aux périodes de difficultés considérées comme suite de guerre.

Dans un troisième temps, elle a été appliquée à certains moments troubles de la période de paix (menace de grève générale).

Enfin, elle a été appliquée lorsque le respect de la légalité ordinaire comportait des risques sérieux de troubles (CE, 30 novembre, 1923 Coutéas). 

La mise en œuvre ou la consécration des circonstances exceptionnelles produit au moins trois effets :

  • l’administration peut procéder à l’arrestation ou à l’internement des individus soupçonnés ;
  • il peut y avoir application de la théorie des fonctionnaires de fait (CFJ/AP, arrêt n°4 du 04 novembre 1965, Dame Kieffer Marguérite c/Etat du Cameroun : « Attendu que (…) les groupes d’autodéfense avaient été constitués avec l’autorisation tacite du Maire de Nkongsamba et du Préfet du Moungo pour suppléer à l’insuffisance du service d’ordre ; que l’auteur de cet accident qui a été condamné pour homicide pour imprudence par le Tribunal correctionnel de Nkongsamba doit être considéré comme ayant été en service au moment des faits et que la jurisprudence concernant les fonctionnaires de fait doit trouver son application en l’espèce ») ;
  • il peut y avoir restriction de l’exercice des libertés publiques (v. CCA, arrêt n° 713 du 17 septembre 1958, Bellidenty c / Administration du Territoire).

Il reste que les pouvoirs exceptionnels de l’administration connaissent des limites dans leur mise en œuvre, tant dans le temps que dans l’espace et les mesures prises doivent être limitées au but poursuivi et adaptées à ce but (CFJ/CAY, arrêt du 27 janvier 1970, Obame Etémé Joseph c/ République Fédérale du Cameroun).

S/section 2 : La limitation du principe

Il s’agit pour l’essentiel des actes de gouvernement  et de certains actes décisoires de l’administration qui sont insusceptibles de recours juridictionnels.

  • 1- Les actes de gouvernement

Il convient d’une part de voir comment ils ont été consacrés juridiquement, et, d’autre part,  de déterminer ses domaines d’application.

A- La consécration de la notion d’acte de gouvernement

La notion d’acte de gouvernement est d’origine juridictionnelle. Elle est énoncée en fonction des circonstances et des espèces. Il s’agit donc d’une notion fonctionnelle et non conceptuelle.

La jurisprudence entretient sur cette question une véritable dialectique entre l’abandon et la versatilité, le figement et l’évolution.

Au départ, la notion d’acte de gouvernement était fondée sur le mobile politique. C’est ainsi que le Conseil d’Etat refusait de connaître ou de contrôler les actes qu’il estimait fondés sur des considérations politiques (CE, 09 mai 1867, Duc d’Aumale).

Mais, quelques années plus tard, il procédait au rejet de ce mobile politique dans l’arrêt Prince Napoléon (CE, 19 février 1875, Prince Napoléon).

Ce changement jurisprudentiel fut confirmé par le Tribunal des Conflits le 5 novembre1880, dans l’arrêt Marquiguy et par le Conseil d’Etat lui-même dans l’arrêt Duc d’Aumale et Prince Murat du 20 mai 1887.

Les actes de gouvernement sont des actes qui apparaissent comme des actes politiques à raison des matières dans lesquelles ils sont accomplis.

A raison de leur nature, ils échappent, sur le plan contentieux, à la compétence des juridictions administratives et judiciaires et jouissent, de ce fait, d’une immunité juridictionnelle.

L’existence des actes de gouvernement amène à reconnaître que l’activité gouvernementale peut ne pas avoir un caractère administratif. C’est pour cette raison qu’une distinction est faite entre l’activité gouvernementale, qui constitue une action administrative et l’activité gouvernementale qui participe de l’action du gouvernement.

Au Cameroun, l’article 4 de la loi n°2006/022 du 29 décembre 2006 portant organisation et fonctionnement des tribunaux administratifs dispose qu’« aucune juridiction ne peut connaître des actes de gouvernement ».

Selon une formule usuelle de la jurisprudence, les actes du gouvernement sont, d’une part, les actes du pouvoir exécutif concernant ses rapports avec le Parlement, et, d’autre part, les actes du pouvoir exécutif dans ses rapports avec les organisations internationales et les Etats étrangers. Mais, depuis quelques temps,  d’autres domaines d’application des actes de gouvernement ont été consacrés soit par la jurisprudence, soit par le législateur.

B- Les domaines d’application de l’acte de gouvernement

Il convient de distinguer, d’une par les domaines classiques, et, d’autres par les autres domaines qui consacrent une extension de la notion d’acte de gouvernement.

1- Les domaines classiques

Le juge camerounais (CS/CA, jugement ADD n°66/78-79 du 31mai 1979, Kouang Guillaume Charles c/Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement n°7 du 29 novembre 1979, Essomba Marc Antoine c/Etat du Cameroun), à l’instar du juge français, a consacré deux domaines classiques d’application de la théorie des actes de gouvernement. Ainsi, les actes de gouvernement interviennent dans les rapports entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif et dans les rapports internationaux et diplomatiques de l’Etat. a)- Les rapports entre Exécutif et parlement

Dans ce cadre relationnel, sont considérés comme acte du gouvernement : le décret du

Président de la République portant convocation ou clôture d’une session extraordinaire du

Parlement ; le décret du Président de la République prononçant la dissolution de l’Assemblée

Nationale ; les mesures prises par le gouvernement dans l’exercice de son droit d’initiative des lois (dépôt ou retrait d’un projet de loi) ; le décret du Président de la République portant promulgation d’une loi (c’est-à-dire l’acte par lequel le Chef de l’Etat atteste de l’existence d’une loi et donne l’ordre aux autorités d’observer et de faire observer la loi :CE, 08 février 1894, commune de Montory ) ; la décision du Président de la République de saisir ou de ne pas saisir le Conseil constitutionnel d’une loi votée par le Parlement; la décision du Président de la République de mettre en application l’article 16 (Constitution française) ou l’article 9 al.2  (Constitution camerounaise ) relatif l’état d’exception. Dans une espèce en date du 27 septembre 1998, Megret, le Conseil d’Etat a décidé que le décret par lequel le Premier ministre charge un parlementaire d’une mission que celui-ci doit accomplir auprès d’une administration ou en son sein constitue le premier acte de l’exécution d’une mission administrative dont un parlementaire se trouve temporairement investi ; un tel acte est détachable des rapports entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif et revêt le caractère d’une décision administrative susceptible de faire l’objet de recours pour excès de pouvoir. b)- Les relations internationales et diplomatiques de l’Etat

Sont considérés comme actes de gouvernement dans le cadre des rapports internationaux et diplomatiques de l’Etat : les mesures prises et les comportements adoptés par le gouvernement ou ses membres au cours de la négociation des accords internationaux ; les mesures prises et les comportements adoptés par les autorités exécutives dans la conduite des relations internationales (c’est le cas lorsque l’Etat prend un acte portant brouillage d’une émission d’une station radio implantée en territoire étranger : TC, 02 Février 1950, soc. Radio Andorre) ; le refus de l’Etat de saisir une juridiction internationale ; le refus de l’Etat de présenter des candidatures à des emplois dans des organisations internationales (CE, 20 Février 1953, Weiss) ; enfin, le vote du représentant de l’Etat au sein d’une organisation internationale (CE, 23 novembre 1984,  Association Les Verts).

2- Les autres domaines

Il en existe aussi bien au Cameroun qu’en France (pour comparaison).

a)- L’extension de la notion d’acte de gouvernement en droit camerounais

Le droit administratif camerounais a procédé à l’extension de l’acte de gouvernement d’une part en prenant en compte le mobile politique, d’autre part en faisant des actes portant convocation du corps électoral aux élections politiques des actes de gouvernement. a)-1/La prise en compte du mobile politique

   Il en été ainsi dans le jugement Essougou Benoît du 24 avril 1980. Dans un considérant de ce jugement, le juge dit, en effet, ceci : «On entend par acte de gouvernement des actes ayant un caractère essentiellement politique dont la décision appartient exclusivement au gouvernement ; qu’il s’agit encore d’acte se rattachant à la puissance exécutive dans les matières du gouvernement » (CS / CA jugement n° 34/79-80 du 24 avril 1980, Essougou Benoît c/ Etat du Cameroun).

Il s’agit d’un jugement d’espèce c’est-à-dire unique en son genre, parce que le juge administratif n’a plus rendu une décision dans ce sens.

a)-2/Les actes portant convocation du corps électoral aux élections législatives et présidentielles

Le contentieux en référé des actes portant convocation du corps électoral aux élections législatives et présidentielles a donné l’occasion au juge administratif d’affirmer que ces actes sont des actes de gouvernement (v. ordonnance de référé n° 01 / OR / PCA / 92 – 93 / du 02 octobre 1992, affaire UDC c/ l’Etat du Cameroun, Observations de Bernard Guimdo in Juridis info n° 14,  1993 , p.60  ;  ordonnance de référé n° 02 / OR / CS / PCA / 92 – 93 du 02 octobre 1992, affaire SDF c/ l’Etat du Cameroun et ordonnance de référé n° 03/OR/PCA/92- 93 du 02 Octobre 1992, affaire SDF et UFDC c/ l’Etat du Cameroun).

b)-  L’extension de la notion d’acte de gouvernement en droit français  En droit français, on assiste aussi à l’extension des actes de gouvernement.

Sont considérés comme actes de gouvernement : les actes intéressant les rapports d’ordre constitutionnelle entre le Président de la République et le gouvernement (constitution ou modification du gouvernement, présentation de sa démission par le gouvernement) ; les déclarations publiques (conférences de presse) du Président de la République, du Premier ministre et des membres du gouvernement, dans l’exercice de leurs fonctions politiques.

Par ailleurs, dans une espèce en date du 9 avril 1999, Madame BA, le Conseil d’Etat a estimé qu’il n’appartient pas à la juridiction administrative de connaître de la décision par  laquelle le Président de la République nomme, en application des dispositions de l’article 56 de la Constitution, un membre du Conseil constitutionnel (il s’agit d’un acte de gouvernement).

En définitive, l’acte de gouvernement n’a pas cessé de faire parler de lui. Tantôt décrié, tantôt défendu, il est un véritable serpent de mer, voire une hydre. Mais il n’y a pas que l’acte de gouvernement qui constitue une limitation de la légalité. Il en est de même des actes  décisoires de l’administration insusceptibles de recours juridictionnel.

  • 2- Les actes décisoires de l’administration insusceptibles de recours juridictionnel

Il s’agit des actes liés à la répression du terrorisme, des actes portant désignation des chefs traditionnels et des actes pris pour le règlement des litiges portant sur les limites des circonscriptions administratives et des unités de commandement traditionnel.

  • Les actes relatifs à la répression des activités terroristes

La loi n° 64/16 du 26 juin 1964 énonce, en son article 1er, qu’ « est irrecevable nonobstant toutes dispositions législatives contraires, tout acte dirigé contre la République fédérale, les Etats fédéraux et les autres collectivités publiques dans le but d’obtenir la réparation des dommages de toute nature occasionnés par les activités terroristes ou par la répression du terrorisme ».

Elle précise, en son article 2, que : « Seul le Président de la République est compétent pour accorder des secours dans la limite des crédits ouverts ».

  • Les actes portant désignation des chefs traditionnels

Il convient de distinguer en cette matière quatre moments divergents et/ou convergents dans la jurisprudence administrative, traduction d’un « tango jurisprudentiel» qui ne rassure pas, car source d’insécurité juridique préjudiciable aux droits fondamentaux et à l’Etat de droit.

Dans un premier temps, le juge administratif  a admis que les actes portant désignation des chefs traditionnels étaient des actes administratifs susceptibles de recours pour excès de pouvoir en application d’un principe général qui consacre ce recours contre tous les actes administratifs : CS/CA, jugement n°7/79- 80 du 29 novembre 1979, Essomba Marc Antoine c/ l’Etat du Cameroun et CS/CA, jugement n° 40/79-80 du 29 mai 1980, Monkam Tientcheu David c/ l’Etat du Cameroun. Or, depuis le 30 juin 1979 , il existait une loi (loi n°79 / 17 du 30 juin 1979) qui disposait, par dérogation à l’article 9 de l’ordonnance n°72/6 du 26 août 1972 fixant l’organisation de la Cour Suprême, que les contestations soulevées à l’occasion de la désignation des chefs traditionnels sont portées devant l’autorité investie du pouvoir de désignation qui se prononce en premier et dernier ressort et que la décision prise peut être reportée par l’autorité compétente si celle-ci estime qu’elle a été induite en erreur. Pour le juge administratif, cette loi ne pouvait exclure le recours pour excès de pouvoir, car ce dernier est ouvert même sans texte contre tout acte administratif faisant grief, conformément aux principes généraux du droit, et a pour effet d’assurer le respect de la légalité (il a fait application de ce principe dans l’affaire Monkam Tientcheu suscitée).

Dans un deuxième temps, le juge administratif camerounais a changé sa jurisprudence en la matière. En effet, dans des espèces intervenus des années plus tard, il a estimé que les actes portant désignation des chefs traditionnels ne sont pas contestables devant lui : CS/AP, arrêt n° 17 / AP du 19 mars 1981, Etat du Cameroun, Etat du Cameroun c/ enfants Banka ; collectivité Deido – Douala c/ Etat du Cameroun, Kouang Guillaume c/ Etat du Cameroun. ; CS / CA, jugement n° 39 / 88-89 du 25 mars 1989, Egbe Besong Alfred c/ Etat du Cameroun ; CS / CA, jugement n° 66 / 88-89 du 29 juin 1989, NKFU Simon Ngawe c/ Etat du Cameroun. Après avoir rappelé les termes de loi n°79/17 du 30 juin 1979 suscité, ceux de la loi n° 80 / 31 du 27 novembre 1980 qui dessaisit d’office les juridictions de droit commun et de l’ordre administratif de toutes les affaires pendantes devant elles et relatives aux contestations soulevées à l’occasion de la désignation des chefs traditionnels, dans le 1er cas ( son arrêt du 19 mars 1981), il s’est déclaré dessaisi, tandis que dans les 2nds cas (ses jugements de 1989), il s’est déclaré plutôt incompétent. Ce qui n’est pas exactement la même chose. 

Dans un troisième temps, le juge administratif, à travers la Chambre administrative, a remis en cause sa jurisprudence d’incompétence de 1989 dans deux espèces intervenues, respectivement, le 25 octobre 2001[14] et le 29 août 2002[15], en appliquant, non pas les lois de 1979 de 1980, mais le décret n°77/445 du 15 Juillet 1977 portant organisation des chefferies traditionnelles. Dans la première espèce, il a prononcé l’annulation d’un arrêté du Ministre de l’Administration Territoriale qui rapportait un autre arrêté pris, « par erreur », par son prédécesseur et portant homologation de la désignation du requérant comme chef traditionnel. Le motif avancé par le juge est que le Ministre a procédé à une mauvaise application des dispositions du décret du 15 juillet 1977, notamment celles relatives aux contestations soulevées à l’occasion de la désignation des chefs traditionnels, qui sont portées devant l’autorité investie du pouvoir de désignation, laquelle tranche en premier et dernier ressort, et ne peut revenir sur sa décision que si elle a été induite en erreur[16]. Le juge a donc estimé que le Ministre aurait dû, au regard des circonstances de l’espèce, appliquer, non pas ces dispositions, mais plutôt celles portant sur les procédures disciplinaires[17], puisque, d’une part, il n’y a pas eu contestation à l’occasion de la désignation du recourant, et que, d’autre part, la preuve de l’erreur commise par son prédécesseur n’a pas été rapportée. Pour le juge, « (…) en agissant ainsi, il (le Ministre) a laissé la possibilité à une juridiction compétente, à savoir la Chambre administrative de la Cour suprême, de contrôler l’acte ainsi posé par ledit défendeur qui ne relèvent pas de la désignation mais plutôt, de la procédure disciplinaire à engager contre un Chef défaillant, et dans ce cas, contre le recourant, dont la désignation était déjà régulièrement homologuée par l’acte de son prédécesseur (…) ». Dans la seconde espèce-qui n’est en réalité que la suite de la première espèce- occasionnée, d’abord par un recours en tierce opposition introduit par celui qui a été nommé en lieu et place du Chef dont l’arrêté rapportant l’homologation de la désignation a été annulé par le juge, ensuite par une demande reconventionnelle introduite par le chef déchu, défendeur en l’instance, la Chambre administrative a, non seulement confirmé le jugement rendu dans la premier espèce, mais, et surtout, procédé à l’annulation de l’arrêté portant désignation du tiers opposant comme chef traditionnel. Elle s’est fondé sur le fait qu’ « (…) il est démontré (…) que l’arrêté (…) du 03 septembre 1999 du Ministre de l’Administration Territoriale ayant rapporté celui (…) du 20 février 1997 de Monsieur le Vice-Premier Ministre chargé de l’Administration Territoriale (…) est frappé du vice d’abus de pouvoir et entraîne ainsi son annulation, comme l’a ordonné le jugement de la Chambre de céans intervenu le 25 octobre 2001 ; (…) l’arrêté attaqué portant désignation de Mr Tambe Joseph Takaw comme chef de 2ème degré (…) qui a été pris par erreur ou par dessein et en violation des dispositions du décret n°77/245 du 15 Juillet 1977 (…) constitue ainsi aussi , un abus de pouvoir ». Par ailleurs, la Chambre administrative a estimé que le fait pour le Ministre de l’Administration Territoriale de ne pas répondre à la demande reconventionnelle qui lui a été communiquée est une « attitude » qui « montre que ledit Ministre ne s’oppose pas à cette demande et laisse croire qu’il n’a pas, vu les éléments du dossier, les arguments valables à opposer à ladite demande du défendeur ».

Au demeurant, ce nouveau revirement  ou « rerevirement »jurisprudentiel a fait long feu. En effet, dans un jugement rendu le 31 Octobre 2002[18], et c’est le quatrième temps, le juge administratif est revenu sur sa jurisprudence d’incompétence en invoquant des arguments similaires à ceux contenus dans ses décisions de 1989. Il l’a fait, certes de manière ambiguë, mais de façon certaine. Il affirme, en substance : « (…) cette affaire relative aux contestations soulevées à l’occasion de la désignation d’un chef traditionnel est exclue de la compétence de cette juridiction, la loi ne précisant pas s’il s’agit des contestations soulevées aux cours des consultations ou après l’arrêté préfectoral d’approbation de la désignation ».

Incompétent pour connaître au fond des contestations relatives à la désignation des chefs traditionnels, le juge administratif  se déclare également incompétent pour connaître, en urgence, de toute demande sollicitant la suspension de l’exécution des actes portant désignation des chefs traditionnels[19], toujours sur le fondement de l’article 1er de la loi n° 80/31 du 27 novembre 1980 et de la loi n° 79/17 du 30 juin 1979.                                                 

C- Les actes pris pour le règlement des litiges portant sur les limites des circonscriptions administratives et des unités de commandement traditionnel  

Les suscités sont consacrés par la loi n°2003/016 du 22 décembre 2003 relative au règlement des litiges portant sur les limites des circonscriptions administratives et des unités de commandement traditionnel.

D’après cette loi, les litiges portant sur les limites des circonscriptions administratives et des unités de commandement traditionnel « sont portés devant des commissions qui, à la suite d’une procédure contradictoire, établissent des procès-verbaux au vu desquels l’autorité  compétente statue en dernier ressort » (Article 1er al.1). Aussi, « est irrecevable, nonobstant toute disposition législative contraire, tout recours judiciaire en annulation d’un acte administratif ( ?) pris pour le règlement des litiges portant sur les limites des circonscriptions administratives et des unités de commandement traditionnel » (Article 2).

Dans un article commis il quelques années, le Pr R. Chapus  se demandait si l’acte de gouvernement était un monstre ou une victime (v. R. Chapus, « L’acte de gouvernement, monstre ou victime ?», D., 1958. I. pp. 5-10 ). Dans tous les cas, monstre ou victime, l’acte de gouvernement ne peut nullement engager la responsabilité de l’administration. Il en est de même de ces actes décisoires qui,  bien qu’édictés par l’administration ne peuvent être contestés devant le juge administratif.

CHAPITRE II 

LA RESPONSABILITE ADMINISTRATIVE

La responsabilité de l’administration ou responsabilité de la personne  publique est  un élément essentiel du régime administratif en tant que sujétion s’imposant à la puissance publique dont l’objet est de mettre en œuvre l’obligation incombant à l’Etat de réparer le dommage qu’il a causé à autrui.

Cette responsabilité est d’origine prétorienne contrairement à la responsabilité de droit privé. Au départ, il s’est agi d’une responsabilité personnelle du fonctionnaire ; c’est par la suite qu’elle a été étendue à l’administration. Mais dans la pratique, la victime du dommage ne pouvait pas obtenir réparation de l’agent, auteur du dommage, car l’article 2 de la loi des 16-24 août 1790 avait institué « la garantie des fonctionnaires » qui subordonnait les poursuites dirigées contre l’agent à l’autorisation de l’administration. Cette garantie avait même été constitutionnalisée par l’article 75 de la constitution de l’An VIII qui exigeait que l’autorisation soit accordée par le Conseil d’Etat. Dans la pratique, il était fort rare que celle-ci soit accordée.

Le principe de la responsabilité administrative a été admis par le Tribunal des Conflits dans l’arrêt Blanco du 8 février 1873, en ces termes : « (…) la responsabilité qui peut incomber à l’Etat pour les dommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu’il emploie dans le service public (…) n’est ni générale, ni absolue ; elle a ses règles spéciales». Aussi restrictive que puisse paraître la formule, elle n’en consacre pas moins l’existence d’une responsabilité de la puissance publique.

Le droit commun de la responsabilité administrative est donc prétorien, tandis que le droit d’exception résulte des lois. Certes, la responsabilité administrative est autonome, mais, il n’en demeure pas moins qu’elle présente des similitudes avec celle du droit privé.

Dans le cadre de la responsabilité administrative, on a, en général, trois protagonistes :

le particulier ou la victime, l’agent  public ou l’auteur du dommage et l’administration. Mais, pour que cette responsabilité soit établie et mise en œuvre, certaines conditions doivent être remplies. Il existe, par ailleurs, des régimes spéciaux de responsabilité.

Section 1 : Les  conditions de possibilité

Dans la théorie générale de la responsabilité, trois conditions sont généralement exigées. Elles sont invariables selon que l’on se situe en droit de la responsabilité privé ou en droit de la responsabilité publique ou administrative : un préjudice indemnisable, un fait dommageable et l’imputabilité.

  • 1- Le préjudice indemnisable

Le problème que pose le préjudice est celui de sa nature. L’administration peut-elle réparer tous types de dommages ? Une réponse négative, quoique complexe, s’impose. Ainsi, on a des préjudices indemnisables et les préjudices non indemnisables.

Le juge administratif, dans l’affaire BIAO c/Etat du Cameroun (l’arrêt n°352/CCA du 12 juillet 1955),  a défini les caractéristiques d’un préjudice indemnisable en ces termes : « Considérant… que pour qu’une demande en dommages-intérêts puisse être accueillie par le tribunal administratif, le demandeur doit non seulement prouver la faute de service, mais aussi que cette faute qui met en jeu la responsabilité d’une administration publique ait engendré des conséquences dommageables pour lui et que le préjudice qui en résulte est un préjudice certain, spécial, direct, et porte atteinte à une situation juridiquement protégée ».

Le juge administratif a posé les mêmes exigences dans l’arrêt Njikiakam Towa Maurice du 24 mars 1983.

Il existe, en gros, six sortes de préjudices indemnisables.

  • Le préjudice direct : D’une part, il doit résulter directement de l’administration ou avoir une relation directe avec l’action administrative (CS/CA, jugement n°28 du 28 décembre 1978, Baha Ngue Jean Michel c/ Etat du Cameroun). Ainsi, un préjudice qui est causé par une personne qui n’appartient pas à l’administration ne saurait engager sa responsabilité. D’autre part, la victime doit avoir été directement touchée. Le juge administratif applique ces règles rigoureusement. Le fonctionnaire Njikiakam Towa Maurice qui avait valablement demandé réparation « pour lui-même et ses six enfants dont la scolarité et l’épanouissement ont été frustrés », suite à l’acte de révocation pris à son encontre, s’est vu opposer par le juge une fin de non-recevoir partielle. S’il est établi qu’il est personnellement touché par l’acte illégal, « la situation ne saurait être la même pour ses enfants ; qu’en effet, ceux-ci n’ont aucun lien ou rapport personnels, directs et certains avec l’administration employeur de leur père ». 
  • Le préjudice certain : Il doit être avéré et non présumé. Le juge administratif ne répare donc que le préjudice actuel et non futur (CS/CA, jugement n°35 du 22 février 1979, CNPS c/United Cameroon international company).
  • Le préjudice matériel : Le juge exige que le dommage subi soit palpable. En matière d’acte administratif de révocation irrégulière d’un fonctionnaire, il ressort que le préjudice matériel pourrait s’analyser en la perte du traitement que l’intéressé aurait dû percevoir, n’eut été la faute la faute de l’administration l’ayant mis en réserve du service effectif au moyen de l’application de la décision illégale.

Dans d’autres hypothèses il peut s’agir d’un dommage causé  à un bien matériel, mobilier ou immobilier. Si la matérialité du préjudice n’est pas avérée, il ne peut y avoir réparation (CS/CA, jugement n°2 du 2 novembre 1978, So’o Georges c/Etat du Cameroun).Le préjudice matériel doit donc, pour être admis et réparé, avoir été réellement subi. Ainsi, les membres d’une succession, qui continuent « à jouir de leur immeuble depuis le retrait du titre foncier y afférent » ne peuvent pas justifier de l’existence d’un « préjudice matériel réellement subi » pour solliciter réparation en cas d’annulation contentieuse dudit retrait (CS/CA, jugement n°99/04-05 du 27 avril 2005, Sadou Yaya c/ Etat du Cameroun).

  • Le préjudice anormal et spécial : C’est un préjudice qui  atteint de façon grave la victime. Il survient, généralement, en matière de travaux publics et est admis sur la base la rupture de l’égalité devant les charges publiques ( CE, 14 janvier 1938, Sté des produits laitiers « La fleurette »).
  • Le préjudice légitime : Au départ, le juge estimait que le préjudice ne peut être réparé que si la victime est dans une situation juridiquement protégée, c’est-à-dire avoir la qualité pour agir. Celle-ci étant plus entendue ici comme le titre auquel le requérant peut engager une procédure juridictionnelle. C’est ainsi qu’il a eu à juger que le décès d’un concubin ne pouvait être réparé (CE, 11 Mai 1928, Mlle Rucheton). Mais, quelque temps après, il devait revenir sur cette solution pour admettre la légitimité du préjudice subi par une concubine du fait du décès de son partenaire imputable à l’administration (CE, 21 Octobre 1955, Dame Braud ; CE, 3 mars 1978, Dame Muesser).

Dans l’affaire Etong Anne c/ Etat du Cameroun, jugement n°12/2002-2003 du 28 novembre 2002, le juge pose comme condition d’indemnisation le respect du droit en vigueur : « Attendu que la superficie (175 m2 au lieu de 1000m2), le non-respect du recul de

5m derrière les bornes, le défaut d’accord de mitoyenneté des voisins immédiats et le non espacement  de son permis de bâtir…rendent non fondées ses demandes en annulation de l’arrêté en cause et en paiement de 60.000.000 de dommages-intérêts ». 

  • Enfin, le préjudice moral. L’admission de ce préjudice résulte d’un revirement jurisprudentiel. Dans un premier temps, le juge administratif a refusé de réparer les préjudices moraux, estimant, notamment, que « les larmes ne se monnaient pas » (CCA arrêt n°310 du 3 septembre 1954, Vittori Pierre c /Administration du Territoire) ou que, « la douleur morale, n’étant pas appréciable en argent, ne constitue pas un dommage susceptible de donner lieu à réparation » (CE, 29 octobre 1954, Bondurand, D., 1954, p.767). Cette position a été critiquée en France par la doctrine, surtout que les tribunaux judiciaires admettaient le préjudice moral. C’est la raison pour laquelle, dans un second temps, le Conseil d’ Etat  allait, en 1961, reconnaître le préjudice moral (CE, 24 Novembre 1961, Letisserand). Il sera suivi par le juge administratif  camerounais dans l’affaire dame Kwédi Augustine (CFJ/CAY, arrêt n°10 du 16 mars 1967, dame Kwedi Augustine c/ Etat du Cameroun). En l’espèce, le juge camerounais avait estimé que la mort d’un être cher,  en l’occurrence l’enfant de la requérante, perpétrée par un véhicule de l’administration, constituait un préjudice moral indemnisable.

Le préjudice moral peut être une atteinte à l’affection, à l’honneur ou résulter des frustrations créées par l’acte litigieux  au requérant ou à ses ayants droits ( CS/CA, jugement n°99/04-05 du 27 avril 2005, Sadou Yaya c/ Etat du Cameroun : « Attendu que pour avoir violé les dispositions des textes (…) le chef de département de l’Urbanisme et de l’habitat (…) frustré les ayants droits de la succession SADOU BOUBA, leur causant ainsi un préjudice moral certain qui mérite réparation ».

Le juge semble le concevoir en fonction de l’impact psychologique néfaste que cause le fait générateur. Il sied de noter que la jurisprudence administrative reconnait que les deux types de préjudices peuvent être cumulés. Il en est ainsi dans le jugement n°197/2010 du 23 juillet 2010, affaire Atangana Benjamin : « Attendu … qu’il ya lieu de ramener à la somme de 23.975.000 ventilée comme suit : préjudice matériel 18.975.000, préjudice moral 5.000.000 ». Le juge peut condamner « pour tous préjudices confondus » (voir jugement Youtou Martin c/ Etat du Cameroun MINEFI).

Il existe d’autres considérations  d’admission et de réparation du préjudice moral qui sont déterminées par le juge. C’est ainsi que dans une espèce en date du 02 février 2005, le juge administratif camerounais affirme que « si la recourante n’a subi aucun préjudice matériel du fait de la mauvaise notation par son chef direct au motif que la rectification de ladite note a permis ses avancements en échelon et en grade, il n’en demeure pas moins vrai que cette dernière a subi un préjudice moral du fait de la suspension de son salaire résultant de la saisine directe du Ministre des Finances par le greffier en chef qui ne s’est référé au préalable ni au chef de la juridiction ni au chef du département de la justice ; (…) sa demande est d’autant plus fondée que le chef du département de la justice a ordonné la reprise en solde de la recourante avec rappel des salaires (…) il convient de déclarer son recours contentieux (…) partiellement fondé sur la réparation du préjudice moral(…) » ( CS/CA, jugement n°41/04-05 du 02 février 2005, Mme Ebengué  Essomba née Eva Rose c/ Etat du Cameroun).

In fine, dès lors que le préjudice moral est établi, il est réparé par le juge (v. CS/CA, jugement n°12/93-94  du  24 février 1994, Edzoa Georges Maurice C/Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement n°102/02-03 du 27 avril 2003, Zé Endangté c/ Etat du Cameroun). Mais, sa réparation varie selon les situations (il peut être  accordé à la victime soit un franc symbolique, soit une somme importante à la mesure du préjudice subi).

  • 2- Le fait dommageable

Il peut être défini comme un fait administratif qui résulte soit de l’action, soit de l’inaction de l’administration, et qui a causé un dommage  à autrui. Dans un  cas, la responsabilité de l’administration peut être engagée pour faute ; dans un autre cas, elle peut être engagée sur la base de l’absence de  faute.

S/§ 1- La responsabilité pour faute

La faute est tout manquement à une obligation préexistante, tout agissement ou abstention répréhensible, de nature à engager la responsabilité de son auteur.

Pour Charles Eisenmann, la faute administrative existe chaque fois qu’un agent administratif s’est comporté autrement qu’il aurait dû le faire, chaque fois que sa conduite n’a pas été conforme à ce qu’elle aurait dû être, c’est-à-dire pas conforme à une règle qui détermine comment il doit se conduire. Elle signifie que l’administration, par le biais de son agent, a posé un acte fautif qui a causé un dommage à autrui.

On peut établir plusieurs classifications parmi les fautes administratives susceptibles d’engager la responsabilité des personnes publiques. D’une part, on peut opérer une classification en fonction de la nature ou du type d’actes. On partira alors de la grande distinction entre « actes juridiques » et « actes matériels ». D’autre part, on peut établir une classification en fonction du contenu des règles, c’est-à-dire des points sur lesquels porte la règlementation ou l’obligation. Ce sera la distinction fondamentale entre faute-action et fauteabstention. D’après

Pour Agathe Van Lang, la responsabilité publique distingue plusieurs types de faute. On a notamment la faute personnelle, la faute de service et, enfin la faute du service public. Seulement, il faut distinguer plus aisément la faute imputable à l’administration de la faute personnelle de l’agent.

A- La faute de service 

Le Commissaire du Gouvernement Edouard Laferrière, dans ses  conclusions sur l’arrêt Laumonier-Carriol (TC, 5 mai 1877), définissait la faute de service comme «l’acte dommageable impersonnel qui révèle un administrateur  plus ou moins sujet  à erreur ».

La faute de service revêt deux dimensions et peut avoir des manifestations variées.  Il y a la faute de service du fait de l’agent et la faute de service du fait de l’administration ellemême, qui est une faute du service ou une faute anonyme.

Il y a faute de service de l’agent lorsque l’acte posé par ce dernier l’a été dans le service ou à l’occasion du service (CCA, arrêt n°269 du 27 novembre 1953, Nama Gallus C/ Administration du Territoire).

Il y a faute anonyme ou faute du service lorsque le dommage n’est pas imputable à un agent en service ou dans le service. C’est au juge administratif qu’il appartient d’apprécier la faute du service : il exige pour engager la responsabilité publique tantôt une faute simple, non qualifiée, tantôt une faute lourde ou grave selon le service public concerné, la nature de l’activité (matérielle ou juridique) et les circonstances. Le droit commun est celui de la faute simple, la faute lourde étant requise exceptionnellement pour les activités présentant une difficulté particulière.

La faute de service intervient dans trois hypothèses au moins :

  • en cas de mauvaise organisation ou mauvais fonctionnement du service. C’est le cas, par exemple, lorsque la voie publique est défectueuse ( CS/CA, jugement n°45 du 27 mai 1982, Dzietham Pierre c/Etat du Cameroun) ou lorsqu’un citoyen envoie, depuis l’étranger, un mandat par la poste, mais ne peut le percevoir lorsqu’il retourne au pays parce qu’il a été remis à une autre personne (CS/CA, jugement n°13 du 23 novembre 1989, Enyengue Dipoko Bernard c/Etat du Cameroun) ;
  • dans le cas d’un fonctionnement tardif du service de l’administration. Par exemple, lorsque l’administration ne respecte pas le délai prescrit pour traiter un dossier.
  • en cas d’absence de service. Par exemple, la carence du pouvoir de la police sanitaire pour enrayer la contamination par le virus du sida (CE, 9 avril 1993, M.G).

La faute de service  peut consister en une opération matérielle, en une inertie ou carence administrative, ou alors en un acte juridique illégal (CS/AP, arrêt du 24 mars 1983,  Njikiakam Towa Maurice C/Etat du Cameroun).

B- La faute personnelle  

Lire Aussi :  Cours d'institution administratives et décentralisation (PDF)

Edouard Laferrière, toujours dans ses conclusions sur l’arrêt Laumonier-Carriol, écrivait que la faute personnelle révèle «l’homme avec ses passions, ses faiblesses, ses imprudences».

C’est l’arrêt  Pelletier (T.C, 30 juillet 1873) qui a opéré le distinguo entre faute de service et faute personnelle pour pouvoir déterminer la juridiction compétente. Lorsqu’il y a faute de service, c’est le juge administratif qui est compétent. A contrario, lorsqu’il y a faute personnelle de l’agent, c’est le juge judiciaire qui est compétent. Seulement, cette distinction est d’application difficultueuse pour un certain nombre de raisons. Il existe, par exemple, des fautes personnelles commises hors du service, des fautes personnelles  commises dans l’exercice des fonctions et des fautes personnelles commises en dehors des fonctions, tout en étant non dépourvues de tout lien avec le service, notamment un accident provoqué (dans la vie privée) par une arme détenue régulièrement par un agent (CE, 26 octobre 1973, Sadoudi).

1-La mise en œuvre de la responsabilité de l’administration : la substitution de responsabilité

L’administration ne répond de l’action de son agent que dans le cas d’une faute personnelle commise dans le service ou à l’occasion du service. Elle en répond devant les juridictions judiciaires, qui appliquent les règles de droit privé.

Ce principe est posé par l’article 3 de la loi n°2006/022 du 29 décembre 2006 portant organisation et fonctionnement des tribunaux administratifs, qui dispose que « les tribunaux de droit commun connaissent conforment au droit privé tout autre litige, même s’il mettent en cause les personnes morales énumérées ci-dessus, la responsabilité de ladite personne étant à l’égard des tiers de plein droit substituée de plein droit à celle de son agent auteur du dommage causé même dans l’exercice de ses fonctions ».

Cette disposition pose deux règles. La première est qu’en dehors du recours pour excès de pouvoir, du contentieux des contrats administratifs, des litiges intéressant le domaine public ou des litiges attribués au juge administratif par une loi, tous les autres litiges sont de la compétence du juge judiciaire. A l’observation, cette disposition prescrit qu’en dehors des actes administratifs bilatéraux ou multilatéraux, la compétence du juge judiciaire s’impose. Ce faisant, elle rend inutile au Cameroun la distinction faute personnelle/faute de service car au fond, dès qu’il ne s’agit pas d’un acte juridique formel, c’est-à-dire dès qu’il s’agit d’un fait ou d’un geste, le juge judiciaire devient compétent. La seconde règle est l’application quasiment automatique du mécanisme civiliste de la responsabilité du commettant (v. affaire Litty Herman c/ Mbeleck ; également (CS/AP, arrêt n°12 du 13 octobre 1994, Poungoue Flaubert, Dibong et ONPC c/ Ministère public, Kilten et autres). Après avoir indemnisé la victime, l’administration se retourne contre son agent au moyen de l’action récursoire.            Mais quelles sont les conditions et les modalités de cette substitution de responsabilité ? Les conditions sont au nombre de deux. D’abord, l’auteur du dommage doit avoir la qualité d’agent d’une personne publique. L’agent est pris ici au sens large et englobe les fonctionnaires, les agents de l’Etat, les auxiliaires, les  collaborateurs de l’administration (CCA, arrêt n°28 du 11 septembre 1950, Nlem Mbomezom c/ Administration du Territoire). Ensuite, l’auteur doit avoir causé le dommage dans l’exercice de ses fonctions (CS, arrêt du

18 juillet 1967, Litty Herman c/ M’Beleck). Quant aux modalités, elles sont mises en œuvre en deux étapes :

  • la première consiste en l’établissement de la responsabilité de l’agent du fait des poursuites dont il est l’objet ;
  • la seconde consiste en l’endossement de cette responsabilité par l’administration une fois celle de l’agent établie (CFJ/AP, Arrêt n°1 du 15 octobre 1969, Bollo Joseph c/ Etat du Cameroun). Il faut préciser que la première étape conditionne la mise en œuvre de la seconde. 2- Le régime juridique de la responsabilité de l’agent à l’égard de l’administration.

Les règles qui régissent la responsabilité de l’agent à l’égard de l’administration sont de deux ordres. D’une part, elles sont relatives à l’action  récursoire de l’administration  contre son agent en cas de dommage direct causé  à elle-même. C’est ainsi que la perte d’un véhicule administratif par un agent peut amener l’administration à émettre à son encontre un ordre de recettes (CFJ/CAY, arrêt du 20 mars 1972 Mbedey Norbert c/ Etat du Cameroun).  Il est à noter que le principe de la responsabilité de l’agent à l’égard de l’administration pour dommage direct à elle causé a été explicitement admis par l’article 21 de la  loi des finances n°61/11 du  14 juin 1961. D’autre part, elles ont trait à  l’action récursoire de l’administration contre son agent en cas de préjudice causé à un tiers. Dans ce cas, l’administration indemnise la victime et se retourne  contre  son agent pour lui émettre un ordre de recettes (CS/ CA, jugement n°33 du 28 septembre 1978, Owoundi Jean-Louis c/ Etat du Cameroun). De toutes les façons dans les deux hypothèses sus citées, il y aura action récursoire.  La question que l’on pourrait se poser est celle de savoir si cette action récursoire est administrative ou juridictionnelle. Le législateur camerounais ne semble ne pas avoir fait grand cas de cette question.

En France, l’action récursoire est toujours juridictionnelle, c’est-à-dire que pour recouvrer les sommes avec lesquelles il a indemnisé la victime et ainsi appeler, par exemple, le conducteur à assurer sa part de responsabilité éventuelle dans la responsabilité, la puissance publique doit préalablement saisir le juge administratif.

Au Cameroun, l’action récursoire ne s’embarrasse pas de telles considérations : elle est administrative et non juridictionnelle. Cela voudrait dire qu’une fois que la victime est indemnisée, l’administration émet automatiquement et systématiquement un ordre de recette avec retenues à la source à l’encontre à l’encontre de son agent. Cet ordre correspond à l’équivalent des sommes que l’administration a déboursées pour indemniser la victime.

L’ordre de recettes, qui est l’acte par lequel l’autorité administrative récupère les sommes qu’elle a versées pour réparer le dommage  causé par son agent à un tiers ou à ellemême, constitue, au regard de la jurisprudence, un acte administratif faisant grief donc susceptibles de recours contentieux (CS/CA, jugement n°39/93-94 du 28 avril 1994, Ondo Owono Charles c/Etat du Cameroun). Dans l’affaire Mbedey Norbert, le juge distingue deux types d’ordre de recette. D’une part, l’ordre de recette qui est généralement fait à la suite de la perte ou à la détérioration d’un bien appartenant à l’administration d’un et dont l’agent public à la garde. Cet ordre de recette peut être aisément annulé sur la base des quatre cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir. D’autre part, l’ordre de recette qui résulte précisément de la substitution de la responsabilité en matière d’accident de circulation. La question qu’il pose est celle de savoir s’il peut faire l’objet d’annulation alors qu’en réalité il trouve son fondement juridique dans une décision de justice passée en force de chose jugée. Autant dire que si le juge administratif annule cet ordre de recette, il remet en cause implicitement mais certainement la décision de son collègue de l’ordre judiciaire. De plus, si la faute était constitutive d’une infraction pénale ayant conduit à la condamnation du chauffeur surgissent encore d’autres difficultés dont la moindre n’est pas l’application de l’adage selon lequel « le criminel tient l’administratif en l’état ».   

S/ § 2- La responsabilité sans faute

La responsabilité de l’administration peut être engagée même en dehors de toute faute à elle imputable. Il s’agit d’assurer une protection aussi large que possible des intérêts des particuliers. En effet, il est des événements qui ne sont pas constitutifs de faute mais qui sont de nature  à porter atteinte aux droits et intérêts des tiers.

On distingue deux sortes de responsabilité sans faute en droit administratif : la responsabilité pour risque (qui est la réception de la théorie civilisée du risque en matière de responsabilité) et la responsabilité en dehors du risque ou responsabilité du fait de la rupture de l’égalité devant les charges publiques.

A- La responsabilité pour risque 

Il y a responsabilité pour risque lorsque l’action de l’administration comporte  des dangers susceptibles de menacer ou de porter atteintes aux droits ou intérêts des particuliers.  La jurisprudence a dégagé quelques hypothèses en la matière.

On a le cas du voisinage des choses dangereuses. Il en ainsi lorsque l’administration met en œuvre des choses qui présentent par elles-mêmes un danger ; par exemple, l’explosion d’un dépôt pétrolier ou d’un dépôt de munitions dans le voisinage d’un lieu d’habitation (CE,  28 mars 1919, Regnault – Desroziers). Cette hypothèse renvoie aussi à la théorie du risqueprofit. Cette dernière impose à celui qui crée un risque à l’occasion d’une activité dont il tire profit d’en assumer la responsabilité si le risque se réalise. Cette conception, apparente à la théorie du risque en droit civil se rapproche de l’idée de la relation entre charge et avantage.

On a le cas des activités dangereuses. Il en est ainsi d’une mauvaise manipulation du sang dans les hôpitaux (CE, 9 Avril 1993, Bianchi) ; il en est de même de l’utilisation d’armes à feu. La responsabilité de l’administration sera engagée lorsque, pourchassant des bandits, des éléments de la force de l’ordre usent de leurs armes  à feu et blessent grièvement, non pas les individus poursuivis, mais de citoyens innocents (CE, 24 Juin 1949, Le Comte et Daramy).

Il s’agit là de la théorie du risque-crée. Elle résulte du caractère dangereux de l’activité exercée ou de la chose employée par l’administration dont elle doit répondre en cas de dommage. Inauguré par l’explosion de munitions entreposées dans un fort, « révélant un risque anormale de voisinage » (CE, 23 mars 1919, Regnault – Desroziers), le raisonnement est repris pour l’usage de la police d’armes ou d’engins comportant des risques exceptionnels

(CE, 24 juin 1949, cons. Lacomte), et toutes les fois où la concrétisation accidentelle d’un danger entraine des dommages.

Le risque, en tant que fondement de la responsabilité a été contesté par Paul Amselek, qui trouve un fondement unique dans l’émergence du dommage anormale, le risque n’étant évoqué que pour exprimer l’anormalité. 

B- La responsabilité en dehors du risque 

Il convient, d’abord, d’identifier les cas relatifs à cette responsabilité, avant d’en  rechercher le fondement.

1- Les cas de responsabilité en dehors du risque

On peut identifier, en gros, trois cas de responsabilité sans faute en dehors du risque.

Le premier cas, et le plus courant, c’est en matière de travaux publics. Dans ce cas, il faut distinguer entre les dommages causés aux tiers, dont la réparation est large, et les dommages causés aux usagers, dont la réparation est restrictive, car  le mis en cause peut apporter la preuve qu’il a tout fait pour éviter la survenance du dommage.

Le deuxième cas concerne les mesures d’ordre économique ou social imposées aux particuliers dans l’intérêt général. Il en est ainsi du refus par l’administration d’engager une action en démolition d’un immeuble bâti en méconnaissance des règles d’urbanisme ou du refus par l’administration d’exercer son pouvoir de police (CE, 20 mars 1974, Navarra) et des pressions exercées sur une entreprise, lors d’un conflit du travail, pour qu’elle adopte une solution lui portant un grave préjudice (CE, 21 novembre 1947, Sté Boulenger ; voir également l’arrêt CE 14 janvier 1938 SA des produit laitiers « La Fleurette » ; CE S. 30 juillet 2003, Ass. Pour le développement de l’aquaculture en région centre).

Le troisième cas est relatif au refus d’exécution des décisions de justice. Il en ainsi du refus de l’administration de prêter main-forte à l’exécution d’une décision de justice s’il est inspiré par l’intérêt général, parce que, par exemple, l’exécution risquerait d’entraîner de graves troubles (CE, 30 novembre 1923, Coutéas : expulsion de 8000 personnes armées). 2- Le fondement de la responsabilité en dehors du risque 

Ce fondement c’est la rupture de l’égalité devant les charges publiques. En vertu de l’égalité des citoyens devant les charges publiques, la collectivité doit indemniser doit indemniser le préjudice anormal et spécial qui résulte pour une ou quelques-uns des personnes. Il en ainsi lorsque la victime a été atteinte de façon spéciale et anormale ; bref, lorsqu’elle a subi  un dommage exceptionnel (CFJ/CAY, arrêt n°05 du 25 mars 1969, Dame Ngué Andrée c/ Commune de plein exercice de Mbalmayo). Dans cette espèce, le juge administratif précise que « considérant que la collectivité publique doit être condamnée en dehors de toute idée de faute à réparer le préjudice exceptionnel, anormal, c’est-à-dire d’une particulière gravité souffert par un individu à raison de l’exécution des travaux d’intérêt général sous peine de porter atteinte au principe de l’égalité de tous devant les charge publique ; qu’en l’espèce, il apparait bien que l’aménagement d’une rue communale en portant gravement atteinte au droit de la propriété de Dame Ngué, et ce dans l’intérêt général, a imposé à celle-ci un sacrifice qui excède sa part normale aux charges publiques et qui par suite lui donne droit à une compensation pécuniaire » (Arrêt ADD n°49/CFJ/SCAY du 30 avril 1968).

Il faut donc un fait générateur, c’est-à-dire un fait qui remet en cause l’égalité des citoyens et qui est d’une gravité particulière (CFJ/AP, Arrêt n°14 du 4 novembre 1965, Société Industrielle et Commerciale Africaine (SINCOA) c/Etat du Cameroun). Au-delà de cette exigence, il faut apporter la preuve que c’est l’administration qui est à l’origine du dommage subi. C’est le problème de l’imputabilité du dommage.

  • 3- L’imputabilité du dommage

A qui imputer le dommage subi et  comment  y parvenir ? Cette double  interrogation invite, d’une part, à rechercher  le lien de causalité entre le fait dommageable et la personne publique, et, d’autre part,  à déterminer la collectivité publique responsable.

A- L’établissement du lien de causalité 

Le lien de causalité consiste à établir le rapport entre le fait dommageable, qui est la cause, et le préjudice subi, qui en est la conséquence.

Dans le droit de responsabilité administrative, il faut apporter la preuve que le fait en cause est  imputable à l’administration. C’est la raison pour laquelle la jurisprudence exige  que la cause soit directe. Ainsi, en l’absence d’une telle cause, ou d’un tel lien direct, la responsabilité de l’administration ne peut être engagée (CS/CA, jugement n°43 du 22 février 1979, Moutombi Christophe c/ Etat du Cameroun).

Lorsque la cause n’est pas établie de façon directe, l’administration peut, soit voir sa responsabilité atténuée, soit être exonérée de toute responsabilité.

La responsabilité de l’administration est atténuée dans le cas de partage des responsabilités. Celui-ci intervient lorsqu’il est établi qu’il y a eu faute de la victime et faute de l’administration (TE, arrêt n°127 du 23 décembre 1960, Dame ferrière Marie c/ Etat du Cameroun et CFJ/CAY, Arrêt n°145 du 23 mai 1971, Ngijol Pierre c/Etat fédéral du Cameroun), ou si le dommage est dû tout à la fois à une faute de l’administration et à une faute d’un tiers ;

L’administration est exonérée dans les cas suivants :

  • la faute de la victime. Celle-ci doit être dûment établie (TE, arrêt n°279 du 11 mai 1963, Nkoa Ndi Sylvestre c/ Etat du Cameroun) ;
  • la force majeure (CE, Sect., 29 juillet 1953, Epoux Glasner). C’est un fait étranger à l’administration, imprévisible dans sa survenance et irrésistible dans ses effets ; elle n’est admise que de façon exceptionnelle (v. par exemple : CE, 4 avril 1962, Ministre des Transports, AJ, 1962, p.592, Concl. Braibant ; pour un exemple d’admission de la force majeure : CE, 23 janvier 1981, Ville de Vierzon) ;
  • le cas fortuit. Un dommage est  imputable à un cas fortuit lorsqu’on en ignore la cause, on dit que la cause est inconnue (ex. : un accident mécanique tel que l’explosion d’un navire de guerre : CE, 10 mai 1912, Ambrosini) ;
  • le fait d’un tiers. Ici, le dommage est causé par une personne extérieure à l’administration ;
  • l’exception de risque accepté. Le juge administratif applique ce principe lorsque la victime s’est sciemment exposée au dommage qui est survenu (CE, 10 juillet 1996, Meunier, RDP, 1997, p.246, Concl. Stahl ; CE, 16 novembre 1998, Sille).

B- L’identification de la collectivité publique responsable

En principe, la collectivité publique responsable est celle dont dépend le service ou l’agent public qui a causé le dommage. C’est ainsi que la jurisprudence  distingue le gardien de la chose et le propriétaire de la chose.

Sera responsable du dommage causé par un véhicule administratif, non pas son propriétaire mais son utilisateur. Ainsi, dans une espèce en date du  4 novembre 1966, le juge administratif camerounais a décidé qu’une commune devait répondre du dommage causé par son agent qui conduisait un véhicule que l’Etat avait mis à sa disposition (CFJ/CAY, Arrêt n°1 du  4 novembre 1966, Dame Mengue Marie c/Commune mixte rurale  de Mbalmayo : « Considérant que la commune mixte rurale de Mbalmayo gardienne de ce véhicule administratif appartenant à l’Etat fédéré du Cameroun oriental était tenue de répondre de tout dommage qu’il causerait aux tiers).

Il existe des hypothèses où l’application de cette règle pose, sur le plan juridique, des problèmes. Il en est ainsi lorsque plusieurs personnes publiques sont associées à une même activité, lorsque l’agent public exerce deux fonctions (cas du dédoublement fonctionnel : exemple, le maire est à la fois agent de l’Etat et agent de la Commune) ; enfin, lorsque l’Etat exerce la tutelle sur les collectivités territoriales décentralisées.

Dans le cas où plusieurs personnes publiques sont associées à une même activité, l’indemnisation solidaire en droit civil n’est pas applicable. Chaque personne publique, responsable de son secteur, doit répondre des dommages causés à autrui. Mais, s’il y a impossibilité de dissocier les deux éléments, la responsabilité des deux est engagée.

Dans le cas où l’agent public exerce deux fonctions (ou lorsqu’il y a dédoublement fonctionnel), à l’instar du Maire qui est à la fois au service de l’Etat et de la commune (V. notamment articles 71.1 et 77 de la loi n°2004/018 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux communes), la responsabilité de l’Etat sera engagée si le maire a agi comme agent de l’Etat et celle de la commune engagée s’il a agi comme agent de la commune.

Enfin, dans le cas où l’Etat exerce la tutelle sur les collectivités territoriales décentralisées, deux hypothèses doivent être considérées :

  • l’autorité de tutelle se substitue à l’autorité sous tutelle. Dans ce cas, c’est la responsabilité de la collectivité sous tutelle qui est engagée ;
  • l’exercice de la tutelle ne comporte pas de substitution. Dans ce cas, c’est la responsabilité de la collectivité de tutelle qui est engagée. Mais comment la mettre en œuvre ?

Section 2 : L’application du principe

La mise en œuvre de la responsabilité administrative est relative d’une part, aux actions en responsabilité, et, d’autre part, au régime d’indemnisation.

  • 1- Les actions en responsabilité

Les actions en responsabilité posent le problème de la juridiction compétente, c’est-àdire celui la détermination de la juridiction appelée à connaître de la responsabilité de l’administration.

Dans l’arrêt Blanco, il est soulevé la question de la juridiction compétente en cas de responsabilité administrative : « Considérant que la responsabilité qui peut incomber à l’Etat pour les dommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu’il emploie dans le service public, ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le code civil, pour les rapports de particulier à particulier ; que cette responsabilité n’est ni générale, ni absolue ; qu’elle a ses règles spéciales… ».

Par cette prise de position, le Tribunal des conflits posait implicitement mais certainement le principe d’un dualisme juridictionnel. Ce système d’organisation juridictionnelle soulève généralement des problèmes de réparation des compétences. Les solutions à ce problème sont de trois types. D’abord, on peut employer la technique dite de la clause générale des compétences qui consiste à poser un principe général de répartition des compétences. Ensuite, la technique dite de l’énumération. Ici, les compétences attribuées à une juridiction sont énumérées, définies dans une liste. Enfin, il peut être fait usage de la technique dite mixte qui allie à la fois clause générale des compétences et énumération des compétences. Quelle est l’option prise au Cameroun ?

Cette question est d’autant plus délicate au Cameroun du fait de l’existence d’un dualisme juridictionnel. Par ailleurs, la répartition des compétences qui est faite par les textes constitutionnels et législatifs depuis environ trente-huit ans n’est pas de nature à faciliter l’identification du juge compétent. Cela a conduit certains juristes camerounais à affirmer que le juge de droit commun de l’administration c’est le juge judiciaire et le juge d’attribution est le juge administratif.

Qu’à cela ne tienne, la répartition des compétences au Cameroun obéit à la fois à la technique de la clause générale des compétences et à celle de l’énumération (V. article 9 l’ordonnance n°72/06 du 26 aout  1972 portant organisation de la Cour suprême, puis les articles 2 et 3 de la loi de n°2006/022 du 29 décembre 2006 portant organisation et fonctionnement des tribunaux administratifs). Ainsi, le juge administratif et le juge judiciaire sont les deux juges de l’administration. Ils interviennent tous les deux en matière de responsabilité de l’administration.

La juridiction administrative a une compétence principielle en matière de responsabilité administrative : « Le contentieux administratif comprend (…) les actions en indemnisation en des préjudices causé par un acte administratif » (Article 2 de la loi n°2006/022 du 29 décembre 2006 portant organisation et fonctionnement des tribunaux administratifs).

La juridiction judiciaire intervient exceptionnellement dans le contentieux de la responsabilité de l’administration. Sa compétence en la matière est consacrée par les articles 3 et 4 de la loi n°2006/022 du 29 décembre 2006 portant organisation et fonctionnement des tribunaux administratifs : « Les tribunaux de droit commun connaissent conforment au droit privé tout autre litige, même s’il mettent en cause les personnes morales énumérées à l’article 2 ci-dessus, la responsabilité de ladite personne étant à l’égard des tiers de plein droit substituée de plein droit à celle de son agent auteur du dommage causé même dans l’exercice de ses fonctions ».

Généralement une loi spéciale vient définir les modalités d’intervention du juge judiciaire dans le domaine concerné. Il existe plusieurs hypothèses d’intervention du juge judiciaire dans le contentieux de la responsabilité de l’administration.  On peut citer :

  • le contentieux des accidents causés par les véhicules administratifs régi par le droit

CIMA ;

  • le contentieux de l’indemnisation lié à l’expropriation pour cause d’utilité publique ;
  • le contentieux de l’exécution des contrats des agents de l’Etat relevant du Code du

Travail ;

  • lorsque la gestion des services de l’administration relève du droit privé ;
  • lorsqu’il s’agit d’un service public industriel et commercial ;
  • en cas de voie de fait  ou d’emprise irrégulière (Voir article 4 de la loi n°2006/022 du 29 décembre 2006 portant organisation et fonctionnement des tribunaux administratifs: les tribunaux de droit commun connaissent « des emprises et des voies de fait administratives et ordonnent toutes mesures pour qu’il y soit mis fin. Il est statuée sur les exceptions préjudicielles soulevées en matière de voies de fait administrative par la chambre administrative de la Cour suprême »).

La jurisprudence administrative s’attèle elle aussi à assurer le respect des différent domaines de compétence. Ainsi, dans le jugement n°197/CA/CS/2010 du 23 septembre 2010, Moulion Théodore c/ Hôpital général de Yaoundé, la juge administrative se déclare incompétent pour connaitre des litiges relatifs aux fautes commises par un médecin. Il dit en substance : « Attendu qu’en l’espèce l’acte du médecin Djindjon Fidele d’avoir placé au recourant une broche obsolète, défectueuse et de qualité douteuse ne constitue pas le contentieux administratif susvisé ; Que cette négligence du médecin Djindjon pourrait engager la responsabilité de l’Etat suivant l’article 3 (1) susvisé ; Par conséquent, relève des tribunaux de droit commun ; qu’il s’ensuit que la Chambre administrative est incompétente ». 

Une fois que le problème de la compétence se trouve réglée, celui du régime de l’indemnisation apparait.

  • 2- Le régime d’indemnisation

Le régime de l’indemnisation a trait aux modalités d’indemnisation, à la date d’évaluation du dommage et aux intérêts moratoires voire compensatoires.

A- Les modalités d’indemnisation 

Le principe dans le droit de la responsabilité administrative est que la réparation du dommage se fait en argent et  non en nature. Comme le dit le Professeur Kamto, « il ne faut pas demander au juge ce qu’il ne saurait vous accorder ». L’observation de la totalité des cas des condamnations juridictionnelles à raison d’illégalités fautives de l’administration de l’administration se fait uniquement en argent. L’on explique cette prédilection à réparer le préjudice par l’allocation des sommes d’argent  au moyen de l’interdiction faite au juge administratif d’adresser des injonctions à l’administration. En effet, le juge administratif, notamment camerounais, n’est pas compétent pour adresser des injonctions à l’Administration pour le règlement financier de la réparation (Jugement n°92/82-83 du 28 juillet 1983, Tchouankeu Joseph c/Etat du Cameroun).

Le droit positif camerounais contribue considérablement à maintenir le juge dans une position de faiblesse afin que ce dernier ne puisse donner des ordres aux autorités administratives, comme il le fait habituellement à l’endroit des particuliers. La conséquence directe de cette prohibition est que le fonctionnaire illégalement sanctionné, par exemple, et qui sollicite du juge qu’il condamne l’Etat à lui verser des dommages-intérêts, ne doit uniquement s’attendre qu’à une indemnisation financière du préjudice. Le juge administratif camerounais s’en tient encore à ce principe qui est quasiment abandonné par son homologue français. Un exemple partant est fourni par l’arrêt Lélé Gustave c/ Etat du Cameroun. 

Par ailleurs, il n’est appelé à réparer que le préjudice et rien que le préjudice. Ainsi, un fonctionnaire illégalement révoqué peut par la suite, et sur décision de justice, être réintégré dans la fonction publique. Le juge  administratif applique, dans ce cas, le système de rappel intégral de traitement. Pour lui, en effet, l’absence de service fait ne saurait justifier le nonpaiement du traitement du fonctionnaire dès lors qu’il est démontré qu’une telle situation est imputable à l’Administration ( CS/CA, jugement du 31 mai 1979, Atangana Eloundou Cyprien c/ Etat du Cameroun : « Considérant que la mise à la retraite de façon précipitée de l’intéressé lui a effectivement fait perdre neuf mois de son traitement (…) ; qu’il y lieu de condamner l’Etat à verser à l’intéressé une indemnité équivalente à ces neuf mois de solde (…) ». Mais il n’en a pas toujours été ainsi.

Dans un premier mouvement, le juge administratif retient le système dit du « rappel de traitement », c’est-à-dire que la réparation accordée à ces agents lésés à la suite d’actes illégaux correspond au total des traitements qu’ils auraient perçus s’ils avaient été maintenus en service. Ce qui justifie, par conséquent, la position du juge d’après laquelle « lorsque le désinvestissement de la fonction provient du fait de l’administration, notamment en cas de suspension illégale ou de déplacement d’office irrégulier, l’agent a droit au traitement, bien qu’il n’ait pas exercé effectivement la fonction pendant tout le temps que subsiste l’empêchement » (Arrêt n°0192/CCA du 5 décembre 1952, Dame Regenault, veuve Olivier c/Administration du Territoire). Cette position a été confirmée dans l’arrêt n°277/CCA du 27 janvier 1954, Yem Mback Pierre c/Administration du Territoire.

La deuxième phase consacre la prise en compte du service fait. Désormais, tout fonctionnaire irrégulièrement sanctionné et a fortiori révoqué, qui par la suite est réadmis dans sa fonction, ne peut prétendre au rappel intégral de son salaire. Il pourra uniquement recevoir une indemnité destinée à couvrir le préjudice réellement subi du fait de la sanction prise à son encontre, laquelle indemnité sera calculée tenant compte des ressources que le fonctionnaire a pu se procurer par un travail connexe durant toute la période sanction (arrêt n°19/CFJ/AP du  16 mars 1967, Tagny Mathieu).

Enfin, à la faveur d’un important dispositif normatif, le juge sera contraint d’opérer un revirement de jurisprudence qui le conduira à réhabilité les conceptions du juge colonial. Sa position nouvelle s’est déclinée dans deux arrêts : affaire Belinga Ze Thomas du 03 février 1978 ( le juge décide de condamner l’Etat au versement à l’intéressé d’une « indemnité équivalente à son traitement ») ; jugement n°65/CS/CA du 31 mai 1979 Atangana Eloundou Cyprien c/Etat du Cameroun : « (…) la mise à la retraite de façon précipitée de l’intéressé lui a effectivement fait perdre neuf mois ; Qu’il y a lieu de condamner l’Etat à verser à l’intéressé une indemnité équivalent à ces neuf mois de solde, soit le montant de 658.602 FCFA » ( Voir également l’affaire Metou Josué du 30 juin 1982). C’est la solution que semble avoir définitivement retenu le juge administratif sur la question.

Il convient, en outre, de préciser que c’est au juge administratif qu’il appartient d’apprécier les dommages. Ainsi, dans l’affaire Etablissement OPTIMA c/ Etat de Cameroun (MINDEF), il affirme son pouvoir d’appréciation : « Attendu qu’en ce qui concerne la demande de dommages et intérêts, il ressort que si celle-ci est fondée en principe, elle est cependant exagérée quant à son quantum ; Attendu que la Chambre administrative dispose cependant eu égard à l’ancienneté de la créance d’élément d’appréciation suffisant pour lui allouer la somme de 4.000.000 de Francs à ce titre (jugement n°140/2009/CS/CA du 22 juillet 2009 ».

Le pouvoir d’appréciation du juge administratif porte également sur la détermination du montant. Il ne se laisse pas impressionner par les montants exorbitants que réclament les requérants. Un exemple de demande exorbitante est servi par l’affaire Action pour la Démocratie et l’Egalité de Chance c/ Etat du Cameroun (PR), jugement n°76/06-07. Le requérant demandait au juge administratif d’ordonner le paiement de la somme de 22 milliards en guise de participation de l’Etat à sa campagne électorale et de le condamner au paiement des dommages et intérêts pour le préjudice subi (affaire ayant abouti à l’irrecevabilité pour défaut de recours gracieux préalable).

Le juge apprécie le dommage et fixe le montant qui pour lui parait approprié : « Attendu que la somme de 35.000.000 de francs sollicitée est exagérée au regard du montant du marché qui s’élève à 15.000.000 ; Qu’il y a lieu de faire droit à la demande de l’entreprise en lui allouant la somme de 10.000.000 » (jugement n°80/06-07 du 04 juillet 2007 affaire Etablissement le « Paysan » c/ Etat du Cameroun (Minsanté). Il en est de même dans le jugement n°197/2010 du 23 juillet 2010, affaire Atangana Benjamin c/ Etat du Cameroun : « Le requérant évalue le préjudice global subit à 104.975.000 francs ; Attendu que cette demande est exagérée quant à son quantum, qu’il y a lieu de la ramener à la somme de 23.975.000 ventilée comme suit : préjudice matériel 18.975.000, préjudice moral 5.000.000 francs » ( Dans le même sens, le jugement n° 17/2010/CA/CS février 2010 affaire Atangana Pascal c/ Etat du Cameroun (MINFIB) : « S’agissant du quantum de la somme réclamée à titre de préjudice, celle-ci est exagérée et la somme de 120.000.000 tous préjudices confondus est appropriée »).

Il arrive même que le juge alloue une indemnité bien qu’ayant rejeté le principe même de l’indemnité. Dans l’affaire Youtou Martin contre Etat du Cameroun, après avoir décidé dans l’exposé des motifs que, « attendu que la réclamation de 50.000.000 à titre de dommages et intérêts pour les préjudices subis n’ayant pas figuré sur son recours gracieux il y a lieu d’en lui débouter », il décide d’un paiement de « 2.000.000 pour tous préjudices confondus ».

La liberté du juge administratif est tellement large qu’il peut se permettre de ne pas motiver le refus d’ordonner les dommages et intérêts à la charge de l’Etat. Il en est ainsi dans le jugement n° 45/2002-2003 du 27 mars 2003. Dans cette espèce, il décide sans motivation aucune de refuser l’octroi de dommages et intérêts réclamés par le requérant.

Il apparait donc que le juge administratif détient d’important pouvoir pour l’appréciation du préjudice. Quid de la date d’évaluation du dommage ?

B- La date d’évaluation du dommage 

La date d’évaluation du dommage est différente selon qu’il s’agit du dommage causé aux personnes physiques ou du dommage causé aux biens.

Selon René Chapus, l’office du juge administratif ou sa mission dans le plein contentieux est de remplacer les décisions dont il est saisi et qui sont contestées à juste titre, par ses propres décisions, qui se substitueront à celles qui étaient contestées. Quant à la date à laquelle le juge se placera pour apprécier ce que doit être la décision de remplacement de celle contestée à juste titre, elle est la même à laquelle il se prononce. Il sera ainsi en mesure de prendre en considération (pour que sa décision soit vraiment ce qu’elle doit être) les changements qui ont pu affecter l’état du droit et/ou les circonstances de fait (CE, sect., 8 janvier 1982, Aldana Barrena ; voir également CE 25 novembre 1998, Départ. Du Nord : il appartient aux commissions départementales et à la commission centrale d’aide sociale, « eu égard tant à la finalité de leur intervention qu’à leur qualité de juge de juges de plein contentieux, non d’apprécier la légalité de la décision (contestée), mais de se prononcer ellesmêmes sur le bienfondé de l’action (en récupération), d’après l’ensemble des circonstance de fait à la date propre de la décision ».

Cependant, s’il arrive qu’entre la date de l’audience (à l’issue de laquelle l’affaire a été mis en délibéré) et celle à laquelle la décision doit être rendue, des changements de nature à affecter le fondement de cette décision sont survenus, la juridiction saisie d’un recours de plein contentieux doit différer le prononcé du jugement et en rouvrir l’instruction contradictoire. Sera ainsi respecté le principe qui lui prescrit de statuer d’après les circonstances  de fait et de droit établies à la date de sa décision.

Le juge considère que l’emprise du temps sur les droits et les dommages doit nécessairement être prise en compte dans l’évaluation du dommage. Il prendra en compte toutes les incidences y relatives.

Le juge tient compte de la dépréciation ou l’appréciation monétaire. Il prend aussi en compte « la durée des faits » ( Jugement n°80/06-07 du 04 juillet 2007 affaire Etablissement le « paysan » c/ Etat du Cameroun (Minsanté) : « Qu’il y a lieu de faire droit à la demande de l’entreprise en lui allouant la somme de 10.000.000 compte tenu de la durée des faits » ; ou encore « l’ancienneté de la créance ». Ainsi, dans le jugement Etablissement OPTIMA c/ Etat de Cameroun (MINDEF) le juge déclare que, « Attendu que la Chambre administrative dispose cependant eu égard à l’ancienneté de la créance d’élément d’appréciation suffisant pour lui allouer la somme de 4.000.000 de Francs à ce titre ».

La détermination de l’indemnisation prendra aussi surtout en compte l’objet du dommage.

Pour ce qui est des dommages causés aux personnes, leur date d’évaluation pour  l’indemnisation est celle du prononcé du jugement. La raison en est que le juge a la possibilité d’évaluer l’évolution du dommage subi par la personne concernée.

En ce qui concerne les dommages causés aux biens, leur évaluation pour l’indemnisation se fait à compter du jour de la réalisation du dommage. On estime qu’entre temps, la victime a réparé le dommage (CCA, arrêt n°163 du 12 décembre 1952, Ndingué Jean c/Administration du Territoire). Au regard de tout ce qui précède, la position du juge administratif pourrait être qualifiée de réaliste.

C- Les intérêts moratoires et les intérêts compensatoires

L’indemnité accordée par le juge à la victime porte des intérêts à compter du jour  où le requérant a demandé réparation à l’administration. Ainsi, la partie bénéficiaire d’une condamnation pécuniaire a droit, non seulement à la somme d’argent que le jugement lui accorde, mais aussi aux intérêts qu’elle lui aurait rapporté si elle avait pu en disposer et la placer (au taux légal du loyer de l’argent) sans attendre l’issue du procès. On parle des intérêts moratoires. Le terme moratoire vient du latin « mora », qui veut dire retard.

Les intérêts moratoires compensent le retard mis par l’administration débitrice pour payer sa dette (voir jugement n°05/2005-2006 du 02 novembre 2005, affaire colonel Djouakoua Gérard c/ Etat du Cameroun).

Ces intérêts étaient prévus par les articles 1153 et 1154 (actuellement abrogés par une loi camerounaise sur l’exécution des décisions de justice) du Code civil, lesquelles ont été reprises et appliquées par le juge administratif (CS/CA, jugement du 29 Novembre 1979, Eka Ngaleu Clément c/Etat du Cameroun).

La détermination du point de départ des intérêts met en présence une distinction simple.

Lorsque les intérêts ont été demandés, ils courent à compter de la réception par la partie débitrice de la demande de la somme principale. Si le demandeur a directement saisi le tribunal, ils courront à partir de la saisine (CE sect. 13 février 2002, Cie d’ass. Les Lloyd’s de Londres).

Lorsqu’ils n’ont pas été demandés, ils vont de plein droit courir à compter du prononcé du jugement, à moins que le juge n’en décide autrement (CE sect. 3 septembre 2007, Dechelotte).

En France, aux termes de l’article 1153-1 du Code civil, le champ d’application de cette disposition est limité au cas de « condamnation à une indemnité ». La jurisprudence administrative l’étend à toutes condamnations pécuniaires. Les intérêts vont courir jusqu’à la liquidation de la créance principale (arrêtant son montant et précédant le mandatement, elle représente l’ « exécution » du jugement). Ils courront même jusqu’à la date du paiement effectif, si un délai anormalement long s’est écoulé depuis celle de la liquidation.

Depuis la loi française du 23 juin 1989 sur la protection du consommateur, le taux des intérêts est fixé par décret pour chaque année civile, par référence au taux de rendement moyen de certaines adjudications de bons du trésor. En 2008, il était de 3,99%. Le bénéficiaire du jugement peut même demander au juge la « capitalisation des intérêts », de façon que les intérêts échus soient (à compter de la date de sa demande) capitalisés pour être eux-mêmes productif d’intérêts.

Au Cameroun, un tel système n’existe pas…encore. Le juge détient en cette matière de larges pouvoirs d’appréciation du taux des intérêts moratoires. Toutefois il prend la peine dans ses décisions de préciser séparément le montant de l’indemnisation et celui des intérêts moratoires, même s’il donne lieu à un montant unique (jugement n°05/2005-2006 du 02 novembre 2005, affaire colonel Djouakoua Gérard c/ Etat du Cameroun).

Exceptionnellement, le juge peut allouer, en plus des intérêts moratoires, des intérêts compensatoires en cas de mauvaise volonté caractérisée de l’administration (CE, 21 janvier 1944, Caucheteux et CE, 29 mai 1962, Desmonts). Le requérant doit introduire une instance particulière. Il aura satisfaction à deux conditions. Il doit d’abord justifier qu’un retard anormal à payer la somme principale lui a causée « un préjudice distinct » de celui que celui que les intérêts moratoires sont censés réparer (par exemple il, il a dû emprunter, ou a été l’objet de saisies). Il doit en outre établir que le retard en cause est imputable au « mauvais vouloir » du débiteur.

La responsabilité de l’Etat s’est étendue, dans les conditions restrictives, à des activités publiques étatiques autres que celles de l’administration active.

Section 3 : Les régimes spéciaux

Les régimes spéciaux concernent d’une part, l’activité législative, et, d’autre part, l’activité juridictionnelle. Les règles y relatives sont très spécifiques en raison de la nature des dites activités.

  • 1- La responsabilité de l’Etat du fait des actes de l’organe législatif

Il convient d’indiquer, d’abord, le principe, qui est celui de l’irresponsabilité de l’Etat législateur, et, ensuite, les exceptions consacrées, qui constituent les cas de responsabilité de cet Etat.

A- Le principe : l’irresponsabilité de l’Etat législateur 

L’Etat législateur est resté très longtemps irresponsable. Toute demande d’indemnisation du fait des lois votées par le parlement butait à cette règle (CE, 11 janvier 1938, Duchatelet).

Cette irresponsabilité était fondée sur le caractère même de la loi, à savoir qu’elle est l’expression de la volonté générale et que, comme telle, elle s’impose  à tous. Elle ne paraissait donc pas susceptible de causer des dommages identifiables aux particuliers.

Cependant, l’application du principe de l’égalité de tous devant les charges publiques a conduit le Conseil d’Etat français à reconnaître la responsabilité de l’Etat du fait de la loi, laquelle est une responsabilité sans faute. Ainsi, dans l’arrêt «La Fleurette» (CE, 14 janvier 1938, Société des Produits Laitiers « La Fleurette »), le Conseil d’Etat a admis l’ouverture d’un droit à indemnité en réparation des conséquences dommageables d’une loi. Toutefois, la reconnaissance de cette responsabilité reste enfermée dans des conditions réductionnistes qui font qu’elle n’est que très exceptionnellement engagée en France.

Au Cameroun, l’irresponsabilité de l’Etat législateur paraît être une règle qui ne connaît pas encore d’exception.

B- Les exceptions : les cas de responsabilité de l’Etat législateur

Il existe deux cas de responsabilité de l’Etat législateur : la responsabilité du fait des actes des services du parlement et la responsabilité du fait du silence de la  loi. C’est ce qu’on appelle la responsabilité du fait des lois.

En ce qui concerne la responsabilité du fait des actes des services du parlement, l’ordonnance française n°58/1100  du 12 novembre 1958, en son article 8, pose le principe de la responsabilité de l’Etat  «à raison des dommages de toute nature causés par les services des assemblées parlementaires».

Les règles de compétence et de fond applicables en la matière sont les mêmes que celles concernant l’action administrative. La juridiction compétente, c’est la juridiction administrative. Le juge judiciaire ne peut l’être que sur  la base d’une disposition  textuelle expresse.

Pour ce qui est de la responsabilité du fait du silence de la loi, il faut distinguer deux situations. D’abord, il suffit d’appliquer le texte si la loi a, soit exclu toute indemnité pour les dommages qu’elle cause, soit posé le principe et les modalités de l’indemnisation. Ensuite, si la loi n’a rien prévu, le principe traditionnel est celui de l’irresponsabilité de l’Etat législateur. Mais, il existe des exceptions jurisprudentielles.

On peut citer, en particulier, l’arrêt « La Fleurette » qui a admis la responsabilité de l’Etat du fait de la loi. La solution consacrée par le Conseil d’Etat dans cet arrêt repose sur l’interprétation de la volonté du législateur. Il déduit de son silence compte tenu des circonstances, un consentement  à l’indemnisation. La responsabilité se fonde, en l’espèce, sur le principe de l’égalité de tous devant les charges publiques.

L’intérêt général au nom duquel le sacrifice est imposé se confond avec l’intérêt collectif d’une catégorie sociale ou économique (dans l’affaire «La Fleurette», il s’agit des producteurs de lait). Ainsi, on procure un avantage aux uns en imposant une charge à d’autres.

Mais, pour la jurisprudence, l’activité sacrifiée ne doit être ni illicite ni incommode ou dangereuse pour la collectivité.

Au Cameroun, le  juge administratif a estimé que les lois votées par l’Assemblée Nationale ne peuvent être portées à  la connaissance des tribunaux, notamment administratifs (CFJ/AP arrêt n°24 du 28 octobre 1970, SGTE c/ Etat du Cameroun oriental).

  • 2- La responsabilité de l’Etat du fait des actes des organes juridictionnels

Sur cette question, il convient  de faire le distinguo  entre les dommages imputables à l’organisation des services juridictionnels et les dommages imputables à leur fonctionnement.

  • Les dommages imputables à l’organisation des services juridictionnels

L’organisation des services juridictionnels relève de la compétence de l’Exécutif. A ce titre, les dommages imputables  à cette organisation impliquent d’une part l’application du droit commun de la responsabilité administrative, à savoir le droit administratif, et, d’autre part, la compétence du juge administratif. Le problème est plus complexe en ce qui concerne les dommages imputables au fonctionnement desdits services.

  • Les dommages imputables au fonctionnement des services juridictionnels

Il convient pour la clarté de l’analyse, d’aborder, dans  une perspective comparative, l’évolution de la question en France et au Cameroun.

1-L’évolution de la question en France : du principe de l’irresponsabilité au principe de la responsabilité  

Depuis l’arrêt Giry de 1956 (Cour de Cassation, civil, 23 novembre 1956), les activités de la police judiciaire sont soumises par les tribunaux judiciaires au droit commun de la responsabilité de la puissance publique élaboré par la jurisprudence administrative, non seulement sur la base de la faute mais également sur la base du risque.

Par ailleurs, depuis 1958, le Conseil d’ Etat (arrêt Blondet, 28 novembre 1958) admet que les actes préparatoires détachables des jugements des juridictions administratives peuvent constituer des fautes de service susceptibles d’engager la responsabilité de l’Etat.

Mais, c’est surtout la loi du 5 juillet 1972 relative  à  la réforme de la procédure civile qui a posé, en son article 11, des règles nouvelles en la matière.

D’après cette loi, dont les principes ont été transposés par le Conseil d’Etat aux juridictions administratives,  « l’Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice ». Mais, elle a assorti cette responsabilité de limites étroites sur les terrains de la faute de service et de la faute personnelle. La responsabilité pour faute de service n’existe qu’en cas de faute lourde ou de déni de justice.

Quant à la responsabilité pour faute personnelle, elle n’est plus liée à la procédure de prise à partie qui a disparu. C’est ainsi que les conditions de cette responsabilité relèvent du statut  de la magistrature.

2- La situation au Cameroun 

            Il sied d’examiner le principe avant d’en envisager les exceptions.

a)- le principe

En droit positif camerounais, les décisions de justice passées en force de chose jugée ont force de vérité légale. C’est ainsi que les juridictions administratives et judiciaires

consacrent l’irresponsabilité de l’Etat en raison de la chose jugée. Dans l’arrêt Tagny Mathieu

(arrêt n°40 du 16 mars 1967), le juge administratif affirme, sans équivoque, que « l’incompétence de la juridiction administrative est totale en ce qui concerne les  jugements et les mesures d’instruction des tribunaux judiciaires». Dans l’arrêt Aoua Hadja (CFJ/CAY, arrêt n°213 du 18 août 1972), il va dans le même sens en consacrant l’incompétence du juge administratif quant à la connaissance du contentieux mettant en cause le fonctionnement des services judiciaires.

b)- les exceptions

Il existe quelques exceptions en cette matière. On peut citer, sous toute réserve, deux hypothèses:

  • un condamné reconnu innocent par suite de la révision de sa condamnation criminelle ou correctionnelle du fait de la survenance de faits nouveaux, peut attraire l’Etat devant la juridiction judiciaire pour obtenir des dommages-intérêts. Ceux-ci sont accordés par l’arrêt de révision, conformément à l’article 44 du Code d’Instruction Criminelle (CS /CA, jugement n°13 du 5 juin 1975 Koulou Maurice c/ Etat du Cameroun) ;
  • la procédure de prise à partie (supprimée en France) peut être engagée contre les magistrats s’ils se sont rendus coupables de dol, faute professionnelle lourde, concussion ou déni de justice (voir article 246 du Code de Procédure civile et commerciale. Prévue également par l’article 33 de la loi n°75/16 du 8 décembre 1975 fixant la procédure et le fonctionnement de la Cour suprême, en son article 33, elle a été ignorée par la loi n°2006/016 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour suprême qui abroge la précédente).

En somme, la responsabilité de l’Etat n’est ni générale ni absolue. Les possibilités d’accès à la  justice[20], notamment à la justice administrative sont donc limitées. Que dire de l’effectuation de la soumission de l’administration au droit ?

TITRE II

L’EFFECTUATION (Voir Cours de Contentieux administratif, L3)

Agrégé de Droit public et de science politique

Professeur des universités

[1] De même, le juge administratif intervient pour vérifier la légalité ces actes dans le cadre d’un recours contentieux introduit par toute personne qui estime que de tels actes ne sont pas conformes au droit en vigueur. Bien évidemment, cette personne doit justifier d’un intérêt pour pouvoir contester lesdits actes.

[2] Voir l’intégralité du texte in Cameroon Tribune n°9749/5950 du jeudi 23 décembre 2010.

[3] Ce décret abroge le décret n°78/485 du 9 novembre 1978 fixant les attributions des chefs de circonscriptions administratives, des organismes et personnel chargé de les assister dans l’exercice de leurs fonctions modifiées par le décret n°79/024 du 18 janvier 1979. Ce même décret supprime les districts et précise que ceux existent actuellement vont continuer de fonctionner jusqu’à leur érection en arrondissement.

[4] La voie de fait peut être soit un acte juridique, soit une opération  matérielle ; A ce sujet, le juge administratif camerounais, dans un jugement rendu le 29 décembre 2004 affirme, non sans quelque amalgame, que « (…) de jurisprudence constante, on entend par voie de fait administrative tout acte administratif (sic !) ou tout agissement de l’administration dont l’irrégularité porte une atteinte grave à un droit fondamental de la personne » (CS/CA, jugement  n°31/ADD/04-05 du 29 décembre 2004, YIKAM Jérémy c/Etat du Cameroun). Dans ce jugement, la voie cde fait en question est à la fois un acte juridique (résiliation du contrat) et une opération matérielle (continuation d’occupation de l’immeuble par l’administration, notamment le ministère de la Défense : « (…) il ressort des pièces du dossier que le Ministre de la défense a résilié le contrat dont s’agit tout en continuant son occupation de l’immeuble à travers l’un de ses officiers (…).ce faisant, le Ministre de la Défense a commis une voie de fait administrative »).

[5] En l’espèce, le Ministre du Travail a autorisé, en lieu et place de l’inspecteur du Travail, le licenciement de sieur Mboa, délégué du personnel dans sa société.

[6] Au Cameroun, la mise en demeure est adressée au Maire « par  tout  moyen laissant trace écrite » (article 97.1 de la loi n°2004/018).

[7] Il est à préciser que la partie requérante a interjeté appel contre ce jugement  le 21 septembre 2006.

[8] A titre de droit comparé, v. Cour de Cassation/ 1ère Chambre civile, arrêt du 12 novembre 1998, Commune de Moulin : « Attendu qu’en statuant ainsi alors que la délibération du conseil municipal (…) qui autorisait le maire de Moulin à vendre l’immeuble litigieux ayant été annexé à l’acte notarié, Mme Henriques ne pouvait pas ignorer que cette délibération ne concernait que son fils ; qu’elle n’avait donc pu croire de bonne foi que le maire avait le pouvoir de lui vendre l’immeuble (…) »

[9] Dans le même sens, CS/CA, jugement n°08/05-06 du 02 novembre 2005, WATIA Pierre c/ Etat du Cameroun. Ce jugement a fait l’objet d’appel de la part du recourant quant au fond qui lui était défavorable.

[10] Sur cette question, lire, GUIMDO DONGMO (Bernard-Raymond), « Contrats de délégation de service public et harmonisation dans le cadre de l’OHADA : cas de la régie intéressée, de la concession et de l’affermage », Actes du Colloque international de Libreville sur Les pratiques contractuelles d’affaires et les processus d’harmonisation dans les espaces régionaux, organisé par l’ERSUMA du 26au 28 octobre 2011, publication de l’ERSUMA, 1ère éd., juin 2012, pp.168-178.

[11] Sur l’ensemble de la question, lire GUIMDO DONGMO (Bernard-Raymond), « Initiation à la compréhension des contrats de partenariat public-privé », Séminaire de formation délocalisée des avocats et avocats stagiaires, organisé par le CIFAF et autres du 5 au 6 décembre 2016 à Yaoundé, 17p.

[12] V. GUIMDO DONGMO (Bernard-Raymond), « Contrats de délégation de service public et harmonisation dans le cadre de l’OHADA : cas de la régie intéressée, de la concession et de l’affermage », Actes du Colloque international de Libreville sur Les pratiques contractuelles d’affaires et les processus d’harmonisation dans les espaces régionaux, organisé par l’ERSUMA du 26au 28 octobre 2011, publication de l’ERSUMA, 1ère éd., juin 2012, pp.168-178.

[13] V. GUIMDO DONGMO (Bernard-Raymond), « Contrats de délégation de service public et harmonisation dans le cadre de l’OHADA : cas de la régie intéressée, de la concession et de l’affermage »(…).

[14] CS/CA, jugement n°07/2001-2002 du 25 octobre 2001, affaire Dr Enonchong Henry Ndifor Abi c/ Etat du Cameroun (MINAT). Ce jugement a fait l’objet de l’appel de l’Etat le 25 août 2005.

[15] CS/CA, jugement n°50/2001-2002 du 29 août 2002, affaire Chief Tambe Joseph Takaw c/ Etat du Cameroun (MINAT) et Dr Enonchong Henry Ndifor (Intervenant volontaire). Ce jugement a fait l’objet de l’appel de l’Etat le 07 septembre 2005.

[16] Article 16 du décret du 15 Juillet 1977.

[17] V. articles 29 et 30 du décret du 15 juillet 1977.

[18] CS/CA, jugement n°08/02-03 du 31 Octobre 2002, affaire BATEG Daniel c/ Etat du Cameroun (MINAT).

[19] Voir ordonnance n° 27/CS/PCA du 27 mars 1997, Balla Benoît contre Etat du Cameroun ; ordonnance n° 25/ORSE/PCA/CS/97-98 du 31 décembre 1997, affaire Manga Myoungou Ebénézer c/ Etat du Cameroun ; ordonnance n° 78/ORSE/PCA/CS/97-98 du 23 septembre 1998, affaire Famille Bonambende c/ Etat du Cameroun.

[20] Lire Bernard-Raymond Guimdo Dongmo, « Le droit d’accès à la justice administrative au Cameroun. Contribution à l’étude d’un droit fondamental », Droit prospectif-Revue de la Recherche Juridique, 2008-1, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, pp. 453-498, notamment, pp. 475-497.