Cours Droit Du Contentieux Administratif Par le Professeur Jacques BIPELE KEMFOUEDIO Et Docteur Olivier FANDJIP Chargé de Cours de Droit Public. Université De Dschang. Faculté Des Sciences Juridiques Et Politiques.

Table des matières

Introduction générale du cours

Le contentieux administratif se définit comme l’ensemble des litiges impliquant directement ou indirectement l’administration et portés devant le juge ou toute autre autorité étatique compétente en vue de son règlement. Il s’agit d’un ensemble des litiges attraits devant les juridictions administratives et, par extension, les règles qui s’appliquent au traitement de ces litiges. Dans le cadre de cette introduction, l’accent sera mis sur les branches du contentieux administratif, son évolution au Cameroun, l’objet et l’intérêt du cours.

  1. Les branches du contentieux administratif

Prenant en compte le contentieux administratif du point de vue de la nature et de l’étendue des pouvoirs du juge, LAFERRIERE a distingué quatre branches :

–  Le contentieux de pleine juridiction ou plein contentieux : Dans ce type de contentieux, le juge peut prononcer non seulement des annulations mais aussi des condamnations pécuniaires, notamment, en vue de la réparation du préjudice.

–  Le contentieux de l’annulation : Il est le domaine du recours pour excès de pouvoir destiné à obtenir l’annulation des actes administratifs illégaux.

Le contentieux de l’interprétation : Ici, le juge, saisi d’un recours en interprétation ou d’un recours en appréciation de légalité, ne fait que déclarer ce qu’est le sens d’un acte administratif obscur ou s’il est entaché ou pas d’illégalité.

–  Le contentieux de la répression : Pour le Professeur Edouard LAFERRIERE, ce contentieux correspond à la répression par le prononcé d’amendes, des contraventions de grande voirie comme l’atteinte à l’intégrité matérielle ou à l’affectation des dépendances du domaine public.

A la distinction de LAFERRIERE, la doctrine ultérieure, conduite par DUGUIT et Marcel WALINE, notamment, a opposé une distinction différente axée sur la considération de la nature de la question à laquelle le juge doit répondre pour statuer sur le recours exercé. Il s’agit de confronter une décision à la légalité, c’est-à-dire à l’ensemble des normes d’origines diverses qui régissent l’action de l’administration et qui constituent le « droit objectif ». Le juge doit alors répondre à une question de droit objectif ou bien il s’agit de savoir si une personne doit être reconnue comme ayant dans son patrimoine un droit dont elle est titulaire, tel qu’un droit de créance, par exemple, un droit à des dommages-intérêts. Le juge est alors en présence d’une question de droit subjectif.

Cette distinction va ainsi plus loin que celle proposée par LAFERRIERE. Elle éclaire en profondeur le contentieux administratif ; mais elle ne peut pas être seule retenue en l’état du droit qui est modelé sur celle de LAFERRIERE. Fort heureusement, il est possible de les combiner en prenant de l’état du droit une vue synthétique qui se traduit par une distinction tripartite entre le contentieux de l’excès de pouvoir, le contentieux de pleine juridiction et le contentieux de la répression.

En pratique, le droit positif camerounais a opté pour une approche synthétique des deux classifications (Edouard LAFERRIERE, d’une part, Léon DUGUIT et Marcel WALINE, d’autre part) se traduisant par une distinction de quatre branches au sein du contentieux administratif. Ces quatre branches ont été déjà évoquées à savoir le contentieux de l’excès de pouvoir, le contentieux de pleine juridiction ou le recours de plein contentieux, le contentieux de la répression et le contentieux de l’interprétation.

1)  Le contentieux de l’excès de pouvoir :

Il correspond à trois recours à savoir le recours pour excès de pouvoir, le recours en appréciation de légalité et le recours en déclaration d’inexistence.

*  Le recours pour excès de pouvoir

Il se définie, selon le droit commun, comme le recours par lequel on demande au juge l’annulation d’une décision administrative en raison de l’illégalité dont elle serait entachée. Ce recours s’affirme comme un véritable instrument de contrôle de l’administration. Ici, le juge joue son rôle de gardien de la légalité puisqu’il élimine de l’ordonnancement juridique les actes administratifs qui sont entachés d’illégalité.  Dès lors que les actes sont annulés, l’ordre légal est rétabli. Le recours pour excès de pouvoir apparaît très exactement comme « un procès fait à un acte ». Et le juge, si l’acte est illégal, ne ferait rien de plus que de l’annuler. Il disparaîtra alors à l’égard de tous et rétroactivement. Il sera réputé n’avoir jamais existé. Les droits conférés par un tel acte deviennent anéantis puisqu’il n’y a pas de droits acquis dans des situations juridiquement irrégulières. Elevé à la dignité constitutionnelle, à la faveur de l’article 32 de la loi fondamentale du 18 Janvier 1996, le recours pour excès de pouvoir est un recours objectif et doté d’un caractère d’ordre public. C’est aussi un recours d’utilité publique. Il y a ainsi le contentieux objectif ou contentieux de la légalité lorsque le requérant invoque la violation d’une règle de droit et contentieux subjectif ou contentieux des droits lorsque le requérant invoque des droits faisant parti d’une situation juridique individuelle subjective.

Le caractère objectif de ce recours découle de ce qu’à son appui seuls sont invocables des moyens tirés de la violation d’un droit objectif à savoir violation d’une norme constitutionnelle, conventionnelle, législative, règlementaire ou jurisprudentielle. Ce caractère objectif emporte comme conséquence essentielle l’autorité de la chose jugée. L’annulation de l’acte illégal joue erga omnes, c’est-à-dire qu’elle vaut à l’égard de tous et non seulement à l’égard des parties au procès. Ici, le juge donne une réponse à une question de droit objectif.

Le caractère d’ordre public du recours vient de ce que les administrés ne peuvent renoncer ni à l’exercice du recours, ni au bénéfice de la chose jugée ; autrement dit, le consentement donné par un particulier à une décision administrative ne supprime pas le droit de cet administré de contester ultérieurement l’acte.

Le caractère d’utilité publique du recours dénote de ce que le respect de la légalité est d’intérêt général. Sous cet angle, alors même que le requérant croit agir dans son intérêt, il se comporte en réalité comme un défenseur du droit. Parce qu’il est d’utilité publique, le recours pour excès de pourvoir doit pouvoir être exercé par le plus grand nombre de personnes possibles. Toutefois, un certain nombre de conditions doivent être remplies pour intenter ce recours (cf. CS/CA, jugement n° 8 du 29-11-1979, Mbouendeu Jean De Dieu). Ces conditions touchent la nature de l’acte querellé, la personne du requérant, la forme et le délai prescrit. En plus, il est ouvert, même sans texte, et en vertu des principes généraux de droit, contre le plus grand nombre de décisions possibles (CS/CA, jugement n° 40 du 29 mai 1980, MONKAM Tientcheu David contre Etat du Cameroun).

            * Le recours en appréciation de légalité

Le recours en appréciation de légalité est un recours incident et non principal. Autrement dit, il découle d’une instance en cours devant le juge de droit commun et la question de légalité posée au juge administratif est liée à cette instance. La question que le recours pose au juge administratif est en effet une question de droit objectif relative à la légalité d’un acte administratif.

Comme on peut le constater, le recours en appréciation de légalité a pour objet d’obtenir du juge non une annulation mais uniquement une déclaration relative à la légalité de l’acte administratif en cause.

            * Le contentieux en déclaration d’inexistence

C’est tout recours tendant à faire déclarer par le juge administratif qu’une décision est, en raison de la gravité des vices qui l’entachent, « nulle et non avenue », c’est-à-dire juridiquement inexistante. Ce recours peut être déféré au juge sans condition de délai et est insusceptible de conférer des droits. Très rarement exercé parce que son existence est mal connue et qu’il est peu fréquent que des décisions soient juridiquement inexistantes, ce recours est tout aussi objectif que les précédents. Il n’y a d’ailleurs pas d’obstacle à exercer à sa place un traditionnel recours pour excès de pouvoir, sur lequel le juge statuera comme s’il était un recours en déclaration d’inexistence.

2) le contentieux de pleine juridiction

Il s’agit d’un contentieux dans lequel le juge a le pouvoir, allant au-delà de l’annulation, de prononcer des condamnations pécuniaires et, plus généralement, de substituer sa propre décision à celle qui lui est déférée. Comme c’est normal, il appréciera ce que doit être sa décision en se plaçant à la date même où il se prononce, c’est-à-dire en tenant compte de la situation de fait et de droit existant à cette date.

Le contentieux de pleine juridiction ou encore le recours de plein contentieux est à la fois un contentieux subjectif et objectif : il est subjectif dans la mesure où les recours exercés tendent à la reconnaissance d’un droit subjectif, tel qu’un droit résultant d’un contrat ou d’un droit à des dommages –intérêts découlant de la réalisation d’un préjudice. Il est objectif dans la mesure où les recours exercés posent une question de légalité.  La jurisprudence, s’inspirant de la démarche de laferrière, les range dans le plein contentieux. Tels sont les recours relevant de ce qu’on appelle les contentieux spéciaux. Entrent dans cette catégorie.

Le contentieux électoral dans lequel le juge peut rectifier les résultats proclamés par l’administration ;

– Le contentieux fiscal dans lequel le juge peut modifier le montant de l’impôt mis à la charge du contribuable ;

– Le contentieux des installations classées où le juge peut modifier les conditions dont l’autorisation préfectorale d’exploitation est assortie ;

– Le contentieux des édifices menaçant ruine (ici, alors que l’autorité de police avait prescrit des réparations, le juge peut ordonner la démolition) ;

Comme il est loisible de constater, la méconnaissance d’un droit personnel doit être justifiée pour entamer un recours de plein contentieux et le jugement obtenu bénéficie de l’autorité relative de la chose jugée, alors que dans le cadre du recours pour excès de pouvoir, le jugement obtenu bénéficie de l’autorité absolue de la chose jugée.

3) Le contentieux de la répression

Du fait de sa moindre importance quantitative, ce type de contentieux se situe nettement à part des précédents. Il correspond à l’exercice des poursuites contre des personnes en vue de prononcer une sanction. Qualifié de « contentieux des poursuites », le contentieux de la répression porte sur les atteintes portées à l’intégrité matérielle ou à l’affectation de dépendances du domaine public : enlèvement de sable des rivages de la mer, pollution d’un cours d’eau, détérioration d’une barrière de passage à niveau, implantation de clôtures empêchant le passage sur des dépendances effectuées à l’usage du public. Relativement à de telles contraventions, dites de grandes voiries, les poursuites sont exercées devant le tribunal administratif et tendent au prononcé d’amendes.

Ainsi, le contentieux de la répression est relatif aux poursuites exercées devant les juridictions administratives spéciales compétentes en vue d’infliger des sanctions aux personnes en raison du caractère répréhensible de leurs comportements.

4) Le contentieux de l’interprétation

Il tend à obtenir du juge administratif qu’il se prononce sur la signification précise, le contenu exact d’un acte administratif obscur. Il est un recours incident et non principal car le contentieux administratif camerounais ne prévoit pas de recours principal d’une disposition législative ou règlementaire. Sur ce point, d’ailleurs, saisi à titre principal pour interpréter un acte administratif, la juridiction administrative s’est déclarée incompétente (Cf. CS/CA, jugement n° 04 du 03 octobre 1985, Onambele ELA Raphaël contre Université de Yaoundé).

  1. L’évolution du contentieux administratif au Cameroun

Au Cameroun, le contentieux administratif est distinct du contentieux judiciaire et répressif. Toutefois, il s’est développé au sein des institutions dont les visages n’étaient point de nature à prévenir ce qu’en France on a voulu éviter par le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires à savoir le jugement de l’administration par les tribunaux ou les magistrats de l’ordre judiciaire. Bien au contraire, l’influence de ces derniers a été et continue à être prépondérante dans le contentieux administratif. Il convient de mettre en exergue l’évolution de la juridiction administrative (A) et les réformes opérées dans ce domaine (B).

  1. A) L’évolution de la juridiction administrative
Lire Aussi :  Cours d'introduction à l'économie complet (PDF)

La recherche d’un système juridictionnel original mieux adapté, au Cameroun, à son caractère biculturel a été largement tributaire de l’évolution politique et institutionnelle du pays. En effet, sous l’administration franco-britannique instituée par le régime du mandat puis de la tutelle, prévalait alors dans la partie du Cameroun confiée à la Grande Bretagne, la règle de l’unité du contentieux : le juge de droit commun était aussi juge de l’administration. Il en allait autrement dans le Cameroun français. La France y avait étendu dès 1920 son dualisme juridictionnel. Un décret du 14 avril 1920 créa la première juridiction  administrative camerounaise à savoir le conseil du contentieux administratif du Cameroun qui prenait des décisions susceptibles d’appel au Conseil d’Etat siégeant à Paris. L’émancipation du Cameroun allait entraîner de substantielles réformes et la disparition du conseil du contentieux administratif qui apparaissait à l’origine comme un simple prolongement juridictionnel de l’administration, cela en violation du principe de la séparation de la juridiction administrative de l’administration active.

Cette entorse originaire ne sera pas totalement éliminée avec le tribunal d’Etat du Cameroun créé par le décret n°59/83 du 04 juin 1959 et destiné à connaître en premier et dernier ressort des litiges administratifs.

La création d’une Cour Suprême par la loi du 30 juin 1960 allait combler cette imperfection en matière juridictionnelle. Cette première Cour Suprême du Cameroun indépendant sera la juridiction d’appel du Tribunal d’Etat qui est maintenu ; en même temps qu’elle jouera le rôle de tribunal de conflits en cas de conflit de compétence entre le tribunal d’Etat et les juridictions judiciaires. Elle sera remplacée un an plus tard par la Cour Fédérale de Justice dont la création résultait de l’article 33 de la Constitution de 1961. Sa conception initiale est bouleversée par les lois du 29 novembre 1967 et du 4 juin 1969 qui la transforment en une juridiction administrative de compétence véritablement nationale.

Avec l’avènement de l’Etat Unitaire, disparaît la Cour Fédérale de Juste au profit d’une nouvelle Cour Suprême créée par l’article 32 de la constitution de 1972. Sa structure est complètement rénovée. Elle comprend tout l’ordre juridictionnel administratif camerounais composé d’une chambre administrative unique, juridiction de premier ressort qui remplace les anciennes formations administratives siégeant à Yaoundé et à Buea et d’une Assemblée Plénière jugeant en appel.

A la vérité, les formations administratives de la Cour Suprême apparaissent ainsi comme une excroissance au sein de la haute juridiction, car ce sont les seules formations spécialisées de la Cour. Cette dernière paraît ainsi avoir été conçue avant tout comme l’instance judiciaire suprême à laquelle on a bien voulu adjoindre une fonction administrative contentieuse.

Ainsi conçue, la juridiction administrative camerounaise affiche une dépendance vis-à-vis du versant judiciaire de la Cour Suprême non seulement en raison de son insertion organique dans cette haute juridiction des tribunaux de droit commun, mais aussi et surtout du fait de la non- spécialisation des magistrats qui y siègent.

En effet, comme l’a écrit le Professeur BOCKET en 1971, « ce sont les magistrats de l’ordre judiciaire formés uniquement en vue de leur mission principale consacrant l’essentiel de leur temps à l’activité des juridictions judiciaires qui vont accessoirement se prononcer sur des problèmes parfois importants et délicats de l’administration. Or, l’on sait l’importance de la juridiction administrative dans la formation et le développement de ce droit. Sans doute, la lecture  de ses arrêts témoigne du souci fort louable de recourir au mode de raisonnement et aux principes classiques adoptés par le juge administratif français. Mais, derrière cette façade, l’on peut se rendre compte que les juges ne peuvent se défaire de leur formation. L’on peut légitimement penser que la pureté du droit administratif s’en ressentira.

L’argument du professeur BOCKET s’articule autour de la qualité du juge judiciaire. Ceux-ci ont un esprit, une technique et une méthode de raisonnement qui vient de leur formation civiliste. En effet, le bon juge judiciaire se doit de respecter la stricte égalité entre les particuliers. En revanche, le juge administratif a le devoir de tenir compte des différences qui existent entre l’administration détentrice des prérogatives de puissance publique et les particuliers. Bien plus, nul n’est bon juge que ce qu’il est impossible sinon extrêmement difficile de demander aux mêmes hommes d’avoir à la fois des connaissances des problèmes qui naissent en droit privé et en droit public. N’ayant pas des connaissances suffisantes et la tournure d’esprit nécessaire pour statuer sur les litiges essentiellement administratifs et ne pouvant valablement manier certains concepts de droit public comme l’excès de pouvoir, l’acte préparatoire, l’ordre public, le juge judiciaire est très souvent porté :

Soit à prendre des décisions brutales ou tatillonnes qui dressent contre lui les justiciables et expliquent en partie l’abdication de ces derniers.

Soit à se réfugier dans des solutions de facilité en appliquant aux litiges administratifs des règles de droit privé.

Soit enfin à se comporter plus comme un allié de l’administration ainsi que le prouve les faits de l’espèce OWOUNDI Jean-Louis du jugement n°33 du 28 septembre 1978.

C’est dire donc que le maintien au sein de la juridiction administrative des magistrats judiciaires se fait au prix d’une perte de substance et de l’incohérence de cette institution qui va certainement prendre un visage profondément nouveau malgré quelques problèmes qui vont perdurer.

  1. B) Les dernières reformes du contentieux administratif au Cameroun

Le contentieux administratif au Cameroun était souffrant comme le soulignait avec exactitude le Professeur Célestin KEUTCHA TCHAPNGA. On présentait très souvent et à juste raison la juridiction administrative nationale comme une justice trop centralisée, trop lente, inefficace et même mystérieuse. Une autre critique souvent entendue concernait l’incapacité du juge administratif à traiter avec pertinence de la question de l’urgence. On dénonçait enfin l’opacité de la procédure. Les requérants considéraient un peu la justice administrative comme une sorte de boîte noire : une fois la requête introduite, ils avaient le sentiment que rien ne s’y passe jusqu’au jour où deux ou trois ans après, ils reçoivent une convocation à l’audience, s’y rendent et ne comprennent rien à ce qui s’y passe.

Il y avait ainsi urgence à la réformer. La loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 est apparue comme l’ordonnance prescrite, ordonnance chirurgicale bien sûr en raison de la greffe d’une série d’organes à opérer pendant les années à venir. Elle a notamment ouvert de nouvelles perspectives à la juridiction administrative en supprimant l’Assemblée Plénière, juge d’appel, une fonction désormais exercée par la nouvelle Chambre administrative instituée par l’article 38 et en posant à l’article 40, des bases d’une déconcentration territoriale de l’institution à travers la création des tribunaux administratifs par région.

Il a fallu attendre un peu plus de dix ans pour que la loi n°2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs soit adoptée. Cette nouvelle loi, avec la loi n°2006/016 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour Suprême, a abrogé les textes antérieurs en matière de contentieux administratif et notamment la loi n°75/17 du 08 décembre 1975 et la fameuse ordonnance n°72/6 du 26 août 1972.

Si l’on s’interroge sur les innovations essentielles que le nouveau texte introduit dans le contentieux administratif, on peut faire les observations suivantes au niveau structurel :

– La nouvelle loi réalise l’œuvre la plus original en créant au chef-lieu de chacune des dix  régions  du pays un tribunal administratif compétent pour connaître en premier ressort du contentieux des élections locales (municipales et régionales) et en premier ressort de l’ensemble du contentieux administratif concernant l’Etat, les collectivités publiques territoriales décentralisées et les établissements publics administratifs.

– Le législateur reprend ainsi explicitement une tendance jurisprudentielle favorable à la décongestion de la justice administrative. On se souvient que dans l’affaire Albert ONO NGAFOR c/ Etat du Cameroun, révélée par l’arrêt du 16 août 1990, l’Assemblée plénière de la Cour Suprême a reconnu qu’un requérant qui réside hors de Yaoundé pouvait interjeter appel  au greffe du tribunal du lieu où il se trouve, ce qui était salutaire dans un pays où la majorité de la population est nécessiteuse.

– La chambre administrative de la Cour Suprême comprend une section du contentieux de la fonction publique, une section du contentieux des affaires foncières et domaniales, une section du contentieux fiscal et financier, une section du contentieux des contrats administratifs et enfin une section du contentieux de l’annulation et des questions diverses. Chaque section connait des appels et des pourvois en cassation relatifs aux matières qui relèvent de sa compétence.

La chambre administrative est compétente pour connaître :

  1. Des appels formés contre les décisions rendues en matière de contentieux des élections régionales et municipales ;
  2. Des pourvois formés contre les décisions rendues en dernier ressort par les juridictions inférieures en matière de contentieux administratif ;
  3. Des exceptions préjudicielles soulevée en matière de voie de fait et d’emprise devant les juridictions inférieures en matière de contentieux administratif ;
  4. De toute autre matière qui lui est expressément attribuée par la loi ;

En attendant la mise en place des tribunaux administratifs, la chambre administrative de la cour suprême exerçait provisoirement leur attribution,  les sections en premier ressort et les sections réunies en appel et en cassation.  Ces tribunaux administratifs sont désormais fonctionnels dans toutes les régions. Ce qui constitue une avancée malgré le temps pris.

  • L’objet et l’intérêt du cours

Le présent enseignement a pour objet de faire cerner les différents contours du contentieux administratif au Cameroun. Il vise à répondre à la question fondamentale de savoir quelle est la juridiction compétente en cas de conflit dans lequel l’administration est impliquée ? Le présent cours vise alors à mettre à la disposition des étudiants, des magistrats, des pouvoirs publics, des citoyens, des CTD, de tous les acteurs de l’administration et de la justice des instruments juridiques qui permettent de mieux cerner  et appréhender le contentieux administratif.

Une étude sur le contentieux administratif présente un intérêt à plusieurs égards : d’un côté, il s’agit d’un intérêt social et de l’autre d’un intérêt  scientifique.

Du point de vue social, cet enseignement s’illustre comme une contribution à l’amélioration des connaissances des citoyens en ce qui concerne les litiges dans lesquels l’administration est impliquée. Ainsi, ce cours contribue au profit des acteurs de la société à la clarification des concepts, de la procédure et des voies de recours touchant au contentieux administratif.

Sur le plan scientifique, ce cours a un intérêt visible. Il est un véritable instrument qui permet aux usagers et aux membres du corps judiciaire d’aborder avec succès le contentieux administratif.

Le présent enseignement consacré au contentieux administratif sera abordé sur deux angles : la répartition des compétences en matière de litige administratif contentieux (première partie) et le déroulement de la procédure devant le juge (seconde partie).

première partie : la repartition des competences dans le contentieux administratif

Les compétences ici sont reparties entre deux ordres juridictionnels à savoir la juridiction administrative (Chapitre I) et la juridiction judiciaire (chapitre II).

CHAPITRE I) : l’étendue des compétences de LA juridiction administrative

Le domaine initial de compétence de la juridiction administrative statuant en premier ressort est, depuis 1972, précisé par les textes. Cette situation a été  reprécisée par la loi de 2006 relative à l’organisation et au fonctionnement du tribunal administratif.

L’article 2 alinéa 3 de la loi n°2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs énumère ainsi au titre du contentieux administratif à l’encontre des pouvoirs publics :

  1. a) les recours en annulation pour excès de pouvoir et, en matière non répressive, les recours incidents en appréciation de légalité ;
  2. b) les actions en indemnisation du préjudice causé par un acte administratif découlant d’une autorité décentralisée ou déconcentrée ;
  3. c) les litiges concernant les contrats administratifs ou les concessions de services publics ;
  4. d) les litiges intéressant le domaine public ;
  5. e) les litiges intéressant les opérations du maintien de l’ordre.

Ces dispositions font appel aux notions comme celles d’actes administratifs normateurs (section I) de domaine public, de l’ordre public (section II) et d’action en indemnisation du préjudice causé par un acte administratif (section III) dont le sens a été, dans certains cas, progressivement précisé par le juge administratif.

Section I). le contentieux des actes administratifs normateurs

On regroupe généralement, sous la rubrique des normes juridiques administratives, l’acte administratif unilatéral (para I) et l’acte administratif bilatéral, appelé encore contrat administratif (para II).

para I) les litiges relatifs a l’acte administratif unilateral

Pour qu’un acte pris par une autorité administrative soit  déféré devant le juge administratif, il faut satisfaire à deux catégories de conditions de forme et de fond.  S’agissant des conditions de forme, il faut notamment que l’acte soit pris unilatéralement par l’autorité habilitée à le faire. Qu’en  ce qui concerne les conditions matérielles de fond, il faut notamment que l’acte soit décisoire, à savoir qu’il porte atteinte aux droits et intérêts légaux du recourant. Deux éléments seront pris en considération ici pour déterminer le critère de la décision administrative contre laquelle les administrés peuvent  former des recours en annulation ou en indemnisation devant le juge administratif. D’une part, la décision doit émaner d’une autorité administrative (I), d’autre part, elle doit faire grief (II).

  1. Un acte dont l’auteur a agi en qualité d’autorité administrative
  2. a) La règle

L’acte administratif susceptible d’être attaqué doit être pris par une autorité administrative à savoir le sous-préfet, le préfet, le gouverneur, le ministre, le maire, le président du conseil régional, etc. L’acte doit donc être pris par cette autorité dans l’exercice de ses fonctions. Autrement dit, l’auteur de l’acte doit agir en qualité d’autorité administrative déconcentrée ou décentralisée.

  1. b) Les exclusions

Sont toutefois exclus du champ du contentieux administratif les actes des autorités législatives, judiciaires et les actes de gouvernement.

  • Le cas des actes des autorités législatives

Depuis l’arrêt société des Grands Travaux de l’Est de 1970, il ne fait pas de doute que les lois régulièrement adoptées par le parlement et promulguées par le Chef de l’Etat ne peuvent être déférées au juge administratif. Il en est de même des décisions prises par les organes du parlement comme le bureau ou le président, les commissions parlementaires lorsqu’elles concourent à l’élaboration de la loi. Toutefois, en France, depuis l’arrêt la Fleurette du 14 janvier 1938, le juge administratif a compétence pour connaître de la responsabilité sans faute de l’Etat du fait des lois fondées sur le principe de l’égalité de tous devant les charges publiques. Rien ne s’oppose à ce que cette solution de bon sens soit consacrée au Cameroun.

En revanche, les décisions des services administratifs du parlement peuvent être attaquées devant le juge  administratif. C’est notamment le cas des litiges individuels concernant les agents titulaires du parlement (exemple : acte portant sanction disciplinaire d’un cadre). Doivent être également considérées comme actes administratifs faisant grief, les ordonnances de l’article 38 de la constitution prise sur habitation législative quand elles n’ont pas été ratifiées par une loi. Elles sont susceptibles de recours  pour excès de pouvoir et l’annulation se prononce si elles ne sont pas conformes  à la loi d’habilitation.

Lire Aussi :  Cours de Politique Publique 2 complet (PDF)

** Le cas des actes des autorités judiciaires

Selon une jurisprudence traditionnelle confirmée par le Tribunal des conflits le 27 novembre 1952 dans une décision plus couramment appelée préfet de la  GUYANE, les litiges intéressant le service public de la justice relève de la compétence de la juridiction administratives ou de celle des tribunaux judiciaires lorsqu’ils se rattachent à l’organisation des services ou l’exécution des fonctions juridictionnelles. Ainsi, le juge administratif pour connaître de toutes les mesures prises par l’exécutif relatives à la création,  à la suppression des juridictions ainsi que celles concernant la carrière et discipline des magistrats qui sont les fonctionnaires comme les autres.

.                      En revanche, les actes relatifs au fonctionnement des services judiciaires ne constituent pas des actes faisant grief et l’incompétence du juge administratif pour en connaître est totale. La chambre administrative a eu à consacrer ce principe en ces termes : « le principe de la séparation des pouvoirs interdit au juge administratif de statuer sur des actions qui mettent en cause le fonctionnement des tribunaux judiciaires ». Dans cette logique, le juge administratif est appelé à se déclarer incompétent pour connaitre de la responsabilité de l’Etat du fait du mauvais fonctionnement du service public de la justice.

*** Le cas particulier des actes de gouvernement.

Les actes de gouvernement sont explicitement exclus de la compétence de la juridiction administrative par l’article 4 de la loi n°2006/022 qui dispose : « aucune juridiction ne peut connaitre des actes de gouvernement ».

Mais qu’est-ce qu’un acte de gouvernement ?

Il s’agit d’une « dénomination appliquée à un certain nombre d’actes émanant des autorités exécutives et dont la caractéristique commune est de bénéficier d’une immunité juridictionnelle absolue…actes qui, d’une part, se rattachent aux rapports entre les pouvoirs exécutif et législatif, d’autre part, intéressent les relations extérieures , mettant en cause, dans le cadre du droit international, les rapports du pouvoir exécutif avec les puissances étrangères ou les organisations internationales ». Selon le lexique des termes juridiques, par acte de gouvernement, il faut entendre « la qualification à prétention explicative donnée à certains actes émanant d’autorités de l’Etat, dont les juridictions tant administratives que judiciaires se refusent à connaître et qui, en général, soit concernent les relations du gouvernement et du parlement, soit mettent directement en cause l’appréciation de la conduite des relations internationales par l’Etat ».

Ainsi définis, les actes de gouvernement figurent en bonne place parmi les actes pris par le chef de l’Etat dans l’exercice de ses compétences tirées des articles 5, 8, 9 et 10 de la constitution. Certes, ce principe de l’injusticiabilité des actes présidentiels consacrés à l’article 53 (3) de la constitution camerounaise révisée en 2008 est compliquée dans sa mise en œuvre à cause de la théorie de la loi-écran. Il vient, à côté des actes de gouvernement purs et des actes portant désignation des chefs traditionnels, délimitation des circonscriptions administratives et autres, allonger la liste des actes injusticiables au Cameroun. Pourtant, le Professeur Louis  FAVOREU rappelait qu’« aucun acte de l’exécutif ne peut logiquement se voir reconnaître le statut d’acte incontestable car, quelle que soit l’activité qu’il exerce, l’exécutif est soumis à la loi du monde, à la constitution ». En conséquence, l’acte de gouvernement est justiciable  par nature  et injusticiable par accident ». En pratique, la peur des juges était mise en avant pour expliquer la réserve à connaître les actes de gouvernement.

La juridiction administrative apparaissait alors dans une situation particulièrement précaire en raison même de sa compétence, du fait qu’elle ne constituait pendant longtemps qu’un démembrement du pouvoir exécutif d’où son souci de ne pas gêner l’action du gouvernement et bien davantage de ne pas engager une épreuve de force avec lui. Elle n’entendait pas exposer ses décisions, à demeurer lettre  morte et encore à œuvrer à sa propre disparition ou à des ajustements de son statut principalement de nature réglementaire.

  1. Un acte qui fait grief

La décision de l’autorité administrative attaquée ne peut lier le contentieux que si elle lèse le requérant dans ses droits ou dans ses intérêts, si elle est susceptible de lui faire grief c’est-à-dire de lui porter préjudice.

Comme l’a si bien souligné la Chambre Administrative dans l’affaire Société ELF/SEREPCA, objet du jugement n°18/ADD du 24 novembre 2004, « le juge administratif n’est compétent pour statuer sur un acte déféré devant lui que si… celui-ci est décisoire, à savoir qu’il porte atteinte aux droits et intérêts légaux du recourant ».

Pour qu’un acte soit considéré comme de nature à faire grief, il faut qu’il entraîne des conséquences juridiques auxquelles seul peut s’attacher le grief. L’acte sans conséquences juridiques, celui qui ne modifie pas l’ordonnancement juridique, n’entre pas dans la catégorie des actes faisant grief quels que soient les effets dommageables qu’il puisse comporter.

Ce principe permet de déclarer insusceptibles de recours pour excès de pouvoir un certain nombre d’actes administratifs pris par l’autorité administrative et qui n’entraînent pas d’effets juridiques. C’est notamment le cas des documents d’ordre intérieur, c’est-à-dire des avis consultatifs, des circulaires interprétatives et instructions de service qui n’ont pas un caractère réglementaire, des expressions des souhaits ou des vœux de l’administration, des recommandations qui ne lient pas leurs destinataires et des actes préparatoires qui précèdent et annoncent la décision définitive à venir.

Le juge administratif a été très clair sur ce point dans le jugement n°50 du 26 juillet 1990, ESSAMA Joachim Michel : « Attendu qu’il est de jurisprudence constante que sont irrecevables devant le juge administratif les recours dirigés contre les actes qui, tels les simples mesures d’instruction, les avis consultatifs, les ordres d’enquêtes, les projets, les vœux, les déclarations, ne font que prévoir ou préparer une décision. Attendu qu’il échet dès lors de déclarer irrecevable, pour défaut d’acte administratif faisant grief, le recours introduit par Joachim Michel ESSAMA ».

Ainsi, pour qu’un acte administratif d’une autorité administrative soit valablement attaqué devant la juridiction administrative, il doit faire grief.

Para II. Les litiges relatifs aux contrats administratifs

Le contrat administratif comporte des stipulations qui obligent les parties contractantes. Si l’une des parties agit en contradiction de ses stipulations lors de la formation ou de l’exécution du contrat, il peut naître un contentieux dont l’examen appartient au juge administratif. La loi n°2006/022 fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs, reprenant in extenso les dispositions de l’article 9, alinéa 2(c) de l’ordonnance de 1972, est précisément le fondement normatif d’une telle compétence juridictionnelle. Elle attribue en effet aux instances du contentieux administratif « les litiges concernant les contrats (à l’exception de ceux conclus, même implicitement, sous l’empire du droit privé) ou les concessions de service public ».

Ces dernières années, le juge administratif a eu à se prononcer clairement sur les critères alternatifs du contrat administratif. Il a également tranché de nombreux litiges nés d’une grande variété de contrats administratifs. Nous pouvons en rendre compte succinctement à travers le contentieux de l’exécution des marchés publics (I) et le contentieux des contrats de concession des services publics (II). Il semble inintéressant d’évoquer par la suite les matières contentieuses résultant de la formation des contrats de partenariat (III).

I- Le contentieux de l’exécution des marchés publics

L’administration peut passer des contrats administratifs avec des personnes de droit public ou de droit privé. Aux termes de l’article 5 (w) du décret n°2018/366 du 20 juin 2018 portant Code des marchés publics, un marché public est « un contrat écrit passé conformément aux dispositions au présent Code, par lequel un entrepreneur, un fournisseur ou un prestataire de services s’engage envers l’Etat, une collectivité territoriale décentralisée, un établissement public ou une entreprise du secteur public ou parapublic, soit à réaliser des travaux,  soit à fournir des biens ou des services moyennant un prix ».

La réglementation nationale a soumis l’exécution des marchés publics à un dispositif protecteur d’intérêts éminemment contradictoires : la garantie de l’intérêt général, de la fortune publique et de la continuité du service public d’une part et  la sauvegarde des droits et intérêts du cocontractant d’autre part. Le contentieux y relatif peut naître, soit de la résiliation abusive des contrats par l’autorité administrative (a), soit des mutations des clauses contractuelles (b).

  1. a) Le contentieux de l’exécution des marchés publics né de la résiliation abusive du contrat par l’autorité administrative

Lors de l’exécution d’un marché public, il peut arriver que les parties se retrouvent devant le juge administratif pour résiliation abusive du contrat par l’autorité administrative. Il faut tout de même rappeler que le recours pour excès de pouvoir est en principe exclu dans le contentieux contractuel public de l’exécution des marchés publics. Il ne peut être actionné que contre les actes détachables du contrat, notamment contre certaines clauses contractuelles qui constituent à la vérité des actes administratifs unilatéraux. Le recours contractuel de plein contentieux, notamment le contentieux de la résiliation unilatérale des contrats administratifs, est la voie de droit ouverte au cocontractant de l’administration décentralisée lorsque cette dernière a commis un acte fautif. Le juge administratif a ces dernières années rendu plusieurs décisions portant sanction de la résiliation unilatérale dont la faute incombe à la puissance publique.

  1. b) Le contentieux de l’exécution des marchés publics né de la mutation des clauses contractuelles par l’autorité administrative

Lorsque le cocontractant, à la suite de la mutabilité contractuelle imposée par la puissance publique contractante ou justifiée par la survenance de faits nouveaux (force majeure, imprévision, sujétions imprévues et imposées) voit ses charges aggravées et est obligé de les exécuter, il a droit à une indemnité réparatrice. L’événement en question doit être imprévisible à la date de la signature du contrat, étranger à la volonté des parties. Il doit enfin avoir bouleversé l’économie du contrat de manière radicale. Le juge administratif camerounais a eu l’occasion d’appliquer ces trois conditions dans le jugement n° 189 du 27 juillet 2005, Société SOTRACOME contre Etat du Cameroun.

  1. II) Le contentieux des contrats de concession des services publics

La concession de service public est le contrat par lequel l’administration (l’autorité concédante) charge une personne morale ou physique (le concessionnaire) d’exploiter un service public, à ses risques et périls, pour une longue durée, moyennant une rémunération versée par les usagers du service public.

Cinq caractéristiques se combinent ainsi pour définir le contrat de concession de service public :

1° L’existence d’un service public;

2° L’imputation des risques au concessionnaire ;

3° Le mode de rémunération du concessionnaire, qui se fait par les taxes ou redevances perçues sur les usagers, qu’ils soient effectifs ou éventuels ;

4° Le contrôle exercé par l’administration concédante ;

5° Les privilèges de puissance publique et avantages reconnus par le contrat au cocontractant, à l’exemple des droits d’expropriation, de police, etc.

La concession de service public présente l’avantage de permettre à l’administration tout à la fois de garder les services publics sous l’autorité de la puissance publique, de faire jouer dans leur gestion le mobile du profit capitaliste, enfin de se décharger sur le concessionnaire des risques financiers de ses initiatives.

Au Cameroun, le contrat de concession constitue, comme la convention d’affermage, une modalité de délégation de service public régie par les textes sur les marchés publics. A la lecture du Code des marchés publics de 2018, les pouvoirs publics peuvent déléguer la gestion d’un service public à un délégataire de droit privé appelé concessionnaire, dont la rémunération est substantiellement liée aux résultats de l’exploitation du service. Les délégations comprennent les régies intéressées, les affermages, l’opération de réseaux ainsi que les concessions de service public, qu’elles incluent ou non l’exécution d’ouvrages publics.

Devant le juge administratif, le contentieux des concessions de service public, comme celui de tout autre contrat administratif d’ailleurs, se caractérise par la restriction du recours pour excès de pouvoir, qu’il émane des parties ou des tiers. Le principe est donc l’irrecevabilité du recours pour excès de pouvoir contre le contrat émanant d’un tiers. La finalité est d’assurer la stabilité des relations contractuelles et donc la sécurité juridique. Ce principe connaît toutefois quelques aménagements, notamment la possibilité d’obtenir l’annulation de l’acte détachable du contrat de la concession.

III. Le contentieux résultant de la formation des contrats de partenariat

A la lecture de la loi n°2006/12 du 29 décembre 2006 fixant le régime général des contrats de partenariat, les pouvoirs publics camerounais ont institué un nouveau type de contrat, le  contrat de partenariat  qui, aux termes de l’article 2, « …régit, dans le cadre des projets d’une très grande envergure technique et financière, les relations de partenariat entre : – les personnes publiques et une ou plusieurs autres personnes publiques ; – les personnes publiques et une ou plusieurs personnes privées ».

Le contrat de partenariat est « un contrat par lequel l’État ou l’un de ses démembrements (CTD par exemple) confie à un tiers, pour une période déterminée, en fonction de la durée d’amortissement des investissements ou des modalités de financement retenues, la responsabilité de tout ou partie des phases suivantes d’un projet d’investissement :

La conception des ouvrages ou équipements nécessaires au service public ;

Le financement ;

La construction ;

La transformation des ouvrages ou des équipements ;

L’entretien ou la maintenance ;

L’exploitation ou la gestion ».

En effet, l’État au Cameroun avait toujours estimé qu’il devait être, pour le secteur économique, plus qu’une autorité de tutelle, un tuteur devant paternellement le guider. Aujourd’hui est, officiellement, celui des temps nouveaux et le terme de partenaire paraît résumer la nouvelle symbolique des rapports entre l’État et l’économie. Comme soulignait J.M. PONTIER, le partenaire,  c’est celui avec lequel on affronte des adversaires, celui sans lequel on ne peut pas jouer, celui sans lequel on ne peut pas exister.

Appliquée à notre domaine, l’idée de partenariat a pris la forme de la contractualisation dont on peut en trouver les prémisses dans les contrats de performance qui ont connu leur vogue dans les années quatre-vingt. Passer, dans les relations entre l’État et l’économie, de la conception de tuteur tout-puissant à celle de partenaire est un changement d’état d’esprit considérable qui n’est pas encore totalement achevé.

A l’évidence, comme ont judicieusement relevé des auteurs, « l’État ne se détermine plus en lui-même, mais en relation avec des partenaires avec lesquels il forme un système de jeu coopératif plus qu’hiérarchique… (il) semble perdre en unité et en pouvoir direct de type hiérarchique mais gagné en capacité de coordination, d’incitation et de stratégie au service d’une autre politique. Tout litige né de ces contrats de partenariat relève de la compétence de la juridiction administrative.

Section II : les litiges intéressant les opérations du maintien de l’ordre

Les autorités administratives (président de la République, premier ministre, ministre, gouverneur, préfet, sous-préfet, maire, le Président du conseil régional…), en tant qu’autorités de police administrative, peuvent, dans l’exercice de leurs fonctions de maintien de l’ordre public, poser des actes susceptibles de recours devant le juge administratif. La notion d’ordre public, a-t-on justement pu relever, peut être entendue dans deux sens assez différents, bien que ne manquant pas d’une certaine alliance : dans son sens normatif, l’ordre public désigne presque toujours le but que vise une norme ou quelquefois son motif.  Dans son sens procédural, il s’applique au caractère de telle règle dont on va souligner l’impérativité. Ainsi, parle-t-on de moyen d’ordre public. C’est seulement en son premier sens que ce cours entend l’ordre public.

Lire Aussi :  COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL 1 complet (PDF)

En effet, ce qui frappe le lecteur des décisions du juge administratif,  c’est que dans chacune de celles-ci, il se borne à invoquer l’ordre public, ou un de ses aspects, comme si le concept était évident, sans jamais éprouver le besoin de le clarifier.

L’explication tient probablement, non seulement à sa formation de privatiste et à son esprit relativement peu inventif dont on a souligné à suffisance les inconvénients, mais aussi à deux autres facteurs qui sont, en réalité, intimement liés:

D’une part, aucun texte de droit positif ne définit l’ordre public. La plupart du temps, le législateur n’en donne qu’une définition sinon lapidaire du moins défectueuse. Comme l’a souligné pertinemment le professeur KAMTO, « cette notion d’ordre public ne fait l’objet d’aucune définition en droit camerounais alors même qu’elle semble y avoir un sens particulier, en tout cas plus restrictif qu’en droit français d’où elle est tirée. Alors qu’en droit français, cette notion vise la « sécurité, la tranquillité et la salubrité publiques », les textes camerounais l’emploient fréquemment à côté d’autres notions, notamment celles de sécurité et de tranquillité comme s’il s’agissait de notions autonomes ».

D’autre part, la doctrine administrative, de façon presque générale, a toujours présenté et qualifié l’ordre public comme une notion imprécise, au lieu d’essayer de le définir.  Joseph BINYOUM en donne une exacte mesure lorsqu’il écrit : « il importe de ne pas se méprendre sur le sens et la portée de la notion d’ordre public, notion très floue, imprécise, qui permet toutes sortes d’interprétations et par cela même légitime toutes les interventions du pouvoir, que celles-ci se fassent a priori ou a posteriori » .

Ainsi, au Cameroun, l’ordre public, qui «reflète l’organisation politique et juridique d’un État » apparaît davantage comme une notion fonctionnelle que conceptuelle : on y connaît mieux son existence que son essence. La simple référence à une menace à l’ordre public est une motivation suffisante pour limiter ou interdire l’exercice d’une liberté.

Section III. : le contentieux de l’indemnisation du préjudice causé par un acte administratif

Comme toute autre activité, l’activité de l’administration peut être génératrice de dommages. Ce risque est d’autant plus fréquent et lourd de conséquences de nos jours que l’administration met en œuvre de puissants moyens. S’il est vrai qu’engager la responsabilité de l’administration publique peut de nos jours sembler une solution naturelle en cas de réalisation d’un dommage du fait de l’administration, force est de reconnaître que tel n’a pas toujours été le cas. À l’origine, l’administration est apparue totalement irresponsable au nom du principe selon lequel l’Etat ne pouvait mal faire.

Au Cameroun, les textes ont toujours limité l’indemnisation aux préjudices causés par un acte administratif fut-il de l’autorité décentralisée. L’article 2 alinéa 3 de la loi n°2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des Tribunaux Administratifs, par exemple, énumère ainsi, entre autres, au titre du contentieux administratif à l’encontre de l’Etat et de ses démembrements  les actions en indemnisation du préjudice causé par un acte administratif… Mais, pour les dommages causés par un fait juridique émanant d’une autorité administrative,  c’est le juge judiciaire qui est compétent pour connaitre du litige. Ainsi, la juridiction administrative est appelée à se déclarer incompétente toutes les fois que les demandes en indemnisation des dommages ne sont pas fondées sur la responsabilité de l’État en raison d’un acte administratif.

Toutefois, il faut bien constater que la frontière entre les deux domaines de compétence demeure encore floue car, pour des cas similaires, les litiges sont confiés indifféremment à l’une ou à l’autre juridiction, sans justification valable. L’affaire NOUMSI Jean Bosco contre Commune urbaine de Yaoundé (jugement n°0322/TGI du 22 juillet 1987) indique cette situation : À la suite de l’effondrement d’un pont mal construit par la commune urbaine de Yaoundé sur la rivière Afeme, les eaux de ruissellement envahirent en inondant la ferme du requérant située sur sa propriété sise au quartier Koumassi. Ayant évalué le préjudice subi à 27.057.000 FCFA, il sollicite que le Tribunal de grande instance applique en l’espèce l’article 1382 du Code civil.

La défenderesse, sous la plume de Me MBALA, estime qu’étant une personne morale de droit public, divers actes accomplis par la commune urbaine de Yaoundé sont des actes administratifs dont la compétence échappe aux juridictions de l’ordre judiciaire et qu’en l’espèce, l’exécution d’un ouvrage public comme le pont dans son territoire rentre dans la catégorie d’actes administratifs qu’elle accomplit et, par conséquent, elle devait ressortir à la compétence du juge administratif.

Appelé à statuer, le juge de céans a décidé : «… que l’ordonnance n° 72/6 … modifiée par les lois n°75/6 du 8 décembre 1975 et 76/28 du 14 décembre 1976 en son article 9, donne compétence au juge administratif de connaître des actions en indemnisation du préjudice causé par un acte administratif. Qu’en l’espèce, s’agissant d’un contentieux de cette nature, il convient d’accueillir l’argumentation de la défenderesse et dire qu’elle est justifiée. Qu’en conséquence, il échet de se déclarer incompétent ».

Ressortissent alors à la compétence du juge judiciaire tous les litiges ayant trait aux accidents de circulation, à l’oubli par les éléments de la police municipale d’une barrière de contrôle qui finalement occasionne un accident de circulation, au paiement d’un mandat postal à une personne autre que son destinataire, à la voie de fait  administrative et à l’emprise irrégulière.

Chapitre II) : la competence du juge judiciaire en matiere de litiges administratifs

Cette compétence est bien perceptible non seulement en matière de fait juridique commis par une autorité administrative mais aussi et surtout en matière de voie de fait administrative et emprise irrégulière. La voie de fait administrative de manière classique est une action matérielle de l’administration (qu’elle soit décentralisée ou déconcentrée) entachée d’une grave irrégularité et portant atteinte à certains droits fondamentaux des individus et aux libertés publiques définies par la loi.  L’emprise quant à elle est liée au droit de propriété sur les immeubles. Autrement dit, il n’y a d’emprise que sur les immeubles. L’emprise se concrétise par toute occupation ou dépossession, temporaire ou définitive, partielle ou totale, d’une propriété immobilière privée, bâtie ou non, imputable à une personne publique ou à un entrepreneur des travaux publics. Il faut deux conditions cumulatives pour qu’il y ait emprise irrégulière : d’une part, il faut qu’il y ait une véritable dépossession, c’est-à-dire une mainmise sur la propriété.  D’autre part, il faut que l’atteinte ait été portée à la propriété immobilière ou un droit réel immobilier.

Aux termes de l’article 9 de l’ordonnance du 26 août 1972 fixant l’organisation de la Cour Suprême « … les tribunaux de droit commun… connaissent, en outre, des emprises et des voies de fait administratives et ordonnent toute mesure pour qu’il y soit mis fin. Il est statué sur l’exception préjudicielle en matière de voie de fait administrative par l’Assemblée plénière de la Cour Suprême ». Ces dispositions ont été reprises mutatis mutandis par le législateur de 2006 : « … les tribunaux de droit commun… connaissent, en outre, des emprises et des voies de fait administratives et ordonnent toute mesure pour qu’il y soit mis fin. Toutefois, il est statué par la Chambre administrative de la Cour Suprême sur l’exception préjudicielle soulevée en matière de voie de fait administrative et d’emprise » (Cf. article 3 (2) de la loi n° 2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs).

A l’analyse, il y a lieu de remarquer que face à un contentieux de la voie de fait et de l’emprise irrégulière, et contrairement à ce qu’a toujours pensé la doctrine majoritaire, le juge judiciaire a une compétence principale en matière de constatation même si elle peut être paralysée à travers le soulèvement d’une exception préjudicielle (Section I).  En matière de réparation et de cessation de la voie de fait et de l’emprise irrégulière, la compétence exclusive est réservée au juge judiciaire (Section II).

Section I : La compétence du juge judiciaire en matière de constatation de la voie de fait et de l’emprise irrégulière

Le Législateur  camerounais de 2006, à l’instar de son homologue de 1972, n’a pas été très clair sur l’autorité juridictionnelle compétente pour constater exclusivement la voie de fait et l’emprise. Si la jurisprudence classique et la doctrine pensent qu’en la matière, c’est au juge administratif que revient le rôle exclusif de constatation, il y aurait lieu de souligner que cette position est à nuancer à la lecture attentive de l’article 3 (2) de la loi de 2006 suscitée, lequel a repris l’esprit de l’article 9 de l’ordonnance de 1972. A l’examen minutieux de cet article, le juge judiciaire semble même avoir la compétence principale en matière de constatation de la voie de fait et de l’emprise (para I). La constatation faite par le juge administratif n’intervient qu’à titre exceptionnel à travers le soulèvement d’une exception préjudicielle (para II).

Para I- La compétence principale du juge judiciaire en matière de constatation

Depuis l’intervention de l’ordonnance du 26 août 1972 suscitée, le juge administratif a été considéré par la jurisprudence et la doctrine comme seule autorité compétente pour constater les voies de fait et les emprises. Pourtant, à notre sens, telle n’est pas l’idée qui peut se dégager des dispositions législatives. A la lecture de l’article 3 (2) de la loi n° 2006/022 fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs, la compétence principale en matière de constatation de la voie de fait et de l’emprise irrégulière revient au juge judiciaire. De manière claire, et selon l’idée qui peut aisément se dégager de la loi de 2006, lorsqu’aucune partie au procès n’a contesté la compétence de constatation de la voie de fait administrative et de l’emprise irrégulière à travers une exception préjudicielle, le juge judiciaire constate. A la vérité, l’exception préjudicielle est un moyen de défense et en tant que tel, elle ne peut qu’être soulevée par la partie qui a intérêt. Si aucune partie ne soulève cette exception, il ne reviendrait pas au juge, en sa qualité d’arbitre impartial, de la soulever. En effet, le procès civil étant la chose des parties, la question préjudicielle mise en exergue dans le cadre du contentieux des voies de fait et des emprises au Cameroun n’est pas, à notre sens, d’ordre public.

Certes, en matière contentieuse, les règles de compétence sont d’ordre public et l’idée de la question préjudicielle renvoie en principe, sauf dans certains cas[1], à l’incompétence du juge saisi au préalable et devant qui la question est soulevée.  Le Professeur CORNU analyse la question préjudicielle comme «  le point litigieux dont la solution doit précéder celle de la question principale qu’elle commande mais qui ne peut être tranchée par la juridiction saisie, de telle sorte que celle-ci doit surseoir à statuer jusqu’à ce que la question préjudicielle ait été résolue par la juridiction seule compétente pour en connaître ». La question préjudicielle est donc celle qui appelle un jugement distinct et séparé émanant d’un juge autre que celui du fond et dont la solution doit précéder l’examen du fond et être tranchée par une juridiction autre que celle compétente sur l’action principale. En d’autres termes, la question est qualifiée de préjudicielle chaque fois que le règlement relève d’une autre juridiction que celle devant laquelle ladite question est soulevée. C’est donc parce que le juge préalablement saisi est incompétent pour répondre à la question qu’elle est dite préjudicielle. Toutefois, sans la réponse à la question posée au juge de renvoi, le juge saisi au principal est impuissant  pour résoudre le litige qui lui est soumis.

Mais la question préjudicielle en matière du contentieux de la voie de fait et de l’emprise en droit camerounais semble originale en ce qu’elle rompt avec le rituel dans le champ des questions de ce genre. En disposant que « les tribunaux de droit commun connaissent des voies de fait et des emprises », le législateur leur confère expressément le pouvoir de constatation (ne serait-ce qu’une constatation indirecte ou sous-entendue) et de réparation. On peut aisément comprendre cela en droit camerounais parce que ce droit n’a pas consacré formellement le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires. Or, c’est ce principe qui conduit généralement à la question préjudicielle. La spécificité de ce contentieux serait que le juge judiciaire procède à la qualification ou à la constatation, mais qu’un tel pouvoir, bien qu’il soit principal, est précaire en ce qu’il est susceptible d’être paralysé par le biais d’une exception préjudicielle. C’est donc le soulèvement in limine litis (avant tout débat au fond) de la question préjudicielle en principe par l’une des parties au procès ayant intérêt qui rend le juge judiciaire incompétent pour constater la voie de fait et l’emprise. En attendant que cette exception soit soulevée pour paralyser cette compétence de constatation ou de qualification de la voie de fait et de l’emprise, le juge judiciaire détient le plein pouvoir à cette fin. C’est dire que si lors de la qualification des faits qui figure généralement dans l’acte de saisine du tribunal, aucune partie n’a soulevé des contestations à travers une exception préjudicielle, le juge judiciaire constate.

On comprend dès lors à l’examen de l’article 3 (2) de la loi de 2006 que le législateur ne semble pas expressément retirer cette compétence de constatation au juge judiciaire. Il semble même en la matière faire de lui l’acteur principal. On pouvait tout de même, si l’on était en droit français, opposer à cette situation juridique la violation du principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires. A notre sens, un tel argument serait impertinent en ce que les voies de fait administratives et les emprises irrégulières sont des actes tellement grossiers et dénaturés qu’ils perdent leur caractère administratif. C’est parce que l’acte a perdu son caractère administratif que le juge judiciaire détient la plénitude de compétence (mais pas l’exclusivité) en matière de constatation de la voie de fait administrative et de l’emprise irrégulière.

Abordant dans cette logique, certains juges judiciaires ont brisé de manière courageuse et audacieuse la jurisprudence constante en la matière, s’inscrivant par-là dans une pensée positive de rénovation. Dans l’affaire dame PAGUI TONFACK Armelle contre le Chef de Centre Départemental des Impôts de la Menoua et sieur EDJO’O Pierre Christian, le juge des référés du Tribunal de Première Instance de Dschang a déclaré que « la fermeture entreprise au mépris de procédures sus-invoquées est constitutive de voie de fait ». Dans l’affaire succession FOKOUA Pierre contre Commune de Dschang et Dr MOMO Bernard, le juge de référé du Tribunal de Première Instance de Dschang a qualifié les agissements du Maire de « voie de fait ». De manière limpide, le juge affirme « qu’en terrassant ainsi ledit site et en autorisant les véhicules de transport public à s’y installer, le Maire commet une voie de fait puisqu’il prend une décision qui porte atteinte à une propriété privée et est insusceptible d’être rattachée à l’exécution d’un texte législatif ou réglementaire »[2]. Dans l’affaire KENGMO Etienne, JIOFACK Jacques, NGASSA Edouard contre Monsieur le Sous-préfet de Nkong-Ni, la même logique a prévalu. Sans ambages, le juge judiciaire a constaté en des termes clairs la voie de fait : « qu’en l’absence d’une procédure légale ou réglementaire, dans le cas d’espèce, les agissements du Sous-préfet de Nkong-Ni participent d’une voie de fait »[3]. Cette position rejoint la décision rendue par le Président du Tribunal de Première Instance de Douala dans l’affaire Deïdo Pharmacy contre Chef de Centre Divisionnaire des Impôts de Douala VII[4].

Lire Aussi :  Cours De Procédure Civile Complet (PDF)

On note ainsi depuis un certain temps une tentative de revirement jurisprudentiel. Cette attitude s’inscrit dans un esprit de changement vers le progrès du droit.

Para II- La paralysie de cette compétence à travers le soulèvement d’une exception préjudicielle

Si au cours du procès en matière de voie de fait et d’emprise irrégulière, une partie a soulevé l’exception préjudicielle, parce que non d’accord de la qualification en présence, le juge judiciaire n’a plus de choix, il ne peut que prendre acte, ordonner automatiquement et obligatoirement un sursis à statuer et renvoyer la partie la plus diligente à mieux se pourvoir et plus précisément à saisir la Chambre administrative de la Cour suprême aux fins de constatation. Le soulèvement d’une exception préjudicielle dans ce genre de contentieux arrête ainsi le pouvoir de constatation du juge judiciaire.

Avant l’intervention de la loi de 2006/022 suscitée, la pratique judiciaire et une jurisprudence constante démontraient que le juge administratif a compétence presque exclusive pour constater la voie de fait administrative et l’emprise irrégulière. Cette règle s’est érigée en un principe d’ordre public. Dans cette perspective, la constatation de la voie de fait administrative relevait de la compétence de l’Assemblée plénière[5] alors que celle de l’emprise irrégulière relevait de la Chambre administrative[6].

L’avènement de la loi de 2006/022 a apporté une innovation qui mérite d’être mise en exergue. En effet, qu’on soit en présence du contentieux de la voie de fait ou de l’emprise, la constatation, lorsqu’une exception préjudicielle a été soulevée, relève de la compétence exclusive de la Chambre administrative. Cette juridiction de renvoi est tenue d’y répondre en totalité afin que le juge du principal puisse ensuite statuer sur le fond du litige. Certes, l’éloignement de cette instance juridictionnelle des justiciables ne manquerait pas, comme par le passé, d’hypothéquer  foncièrement la protection des droits de l’Homme et des libertés publiques. En tout état de cause, cette exception vise à soumettre la question préjudicielle devant la Chambre administrative de la Cour Suprême pour qu’elle affirme si les agissements déplorés de l’administration sont effectivement constitutifs de voie de fait ou d’emprise ou s’il s’agit de simples actes administratifs   unilatéraux pris en excès de pouvoir. Le renvoi préjudiciel offre ainsi le moyen de garantir la sécurité juridique à travers une application uniforme des règles du contentieux touchant aux voies de fait et emprises dans l’ensemble du territoire.

Qui doit donc soulever l’exception préjudicielle ? Au principal, l’exception préjudicielle, étant un moyen de défense, peut être soulevée par toute partie ayant intérêt. A ce sujet, pouvoir revient à la partie la plus diligente manifestant un intérêt de saisir la Chambre administrative aux fins de constatation. Sur ce point d’ailleurs, le Professeur Yves GAUDEMET rappelait que « Le renvoi qu’implique ou qu’impose la question préjudicielle reste à la discrétion, mais aussi à la charge, des parties ».

Toutefois, rien n’interdirait au juge, qu’il soit judiciaire ou du tribunal administratif, s’il est embarrassé, et en l’absence d’une exception préjudicielle soulevée par une partie, de saisir aussi la Chambre administrative pour lui soumettre cette question. Sur ce point, la loi n’a d’ailleurs pas précisé qui doit soulever l’exception préjudicielle. Or, en droit, ce qui n’est pas interdit est autorisé. Sur cette base, le juge judiciaire ou du tribunal administratif peut valablement soulever cette exception préjudicielle. Certes, une telle démarche pourrait être critiquable et même suspecte surtout lorsqu’on se trouve devant le juge judiciaire statuant en matière civile car, le procès civil est la chose des parties et la question préjudicielle analysée ici ne nous semble pas d’ordre public.

Il convient d’ailleurs de rappeler que cette exception préjudicielle ne peut pas seulement être soulevée devant le juge judiciaire, mais peut aussi l’être devant les tribunaux administratifs. En effet, « la Chambre administrative est compétente pour connaître… des exceptions préjudicielles soulevées en matière de voie de fait et d’emprise devant les juridictions inférieures en matière de contentieux administratif »[7]. C’est dire qu’au cours d’un contentieux d’excès de pouvoir, pendant devant un tribunal administratif, une partie au procès peut estimer que les agissements de l’administration dans le cas d’espèce sont tellement dénaturés ou grossiers qu’ils sont assimilables à une voie de fait ou à une emprise irrégulière. Face à cette situation, la partie qui a intérêt peut soulever une exception préjudicielle. A cet effet, le tribunal administratif, en principe, sursoit à statuer afin de permettre à la Chambre administrative de constater si effectivement il y a voie de fait, emprise irrégulière ou non. Si la Chambre administrative estime qu’il y a voie de fait ou emprise, alors le tribunal administratif se déclare incompétent et renvoie la partie la plus diligente à se mieux pourvoir. Si en revanche la Chambre administrative estime qu’il n’y a pas voie de fait ou emprise irrégulière, l’instance reprend devant le tribunal administratif.

La même gymnastique serait faite si l’exception est soulevée devant le juge judiciaire. Alors, si la Chambre administrative estime qu’il n’y a pas voie de fait ou emprise irrégulière, le juge judiciaire, à moins d’être en présence d’un fait administratif, se déclare incompétent et renvoie la partie la plus diligente à se mieux pourvoir. A ce niveau, si l’on est en présence d’un simple acte administratif illégal, la victime ne pourrait que saisir le juge administratif qui statuera de nouveau en contentieux d’excès de pouvoir ou en indemnisation. Ici, la victime sera tenue de respecter la procédure en vigueur en matière du contentieux administratif[8]. Si, en revanche, le juge administratif estime qu’il y a voie de fait ou emprise, l’affaire est retournée au juge judiciaire pour réparation et ordonnance de toute mesure pour y mettre fin.

Section II- La compétence exclusive du juge judiciaire en matière de réparation et de cessation de la voie de fait et de l’emprise irrégulière

Rendant un vibrant hommage à la jurisprudence Max Keller NDONGO[9], MVE NDONGO Abraham[10], NOMENY NGUISSI Emile[11] et MEDOU Gaston[12], la doctrine, sans complaisance aucune, a souligné avec emphase le rôle du juge judiciaire en matière de voie de fait et d’emprise irrégulière. En effet, il est constant qu’en matière de voie de fait et d’emprise, le juge judiciaire détient seul la compétence de réparer le préjudice subi (Para I) et de prendre toutes mesures efficaces pour mettre fin à ces comportements grossièrement irréguliers (Para II).

Para I- La compétence du juge judiciaire en matière de réparation

Dans un contentieux de voie de fait ou d’emprise, la réparation consiste à octroyer les dommages-intérêts  à la victime à l’effet de la rétablir dans ses droits. De manière plus claire, la réparation vise à accorder à la victime d’une voie de fait ou d’une emprise une indemnité compensatrice du préjudice souffert. Selon l’article 3 (2) de la loi n° 2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs, ce pouvoir de réparation relève exclusivement de la compétence du juge judiciaire et s’étend à l’ensemble du préjudice.

Jouant ainsi son rôle de gardien des droits et libertés essentiels, le juge judiciaire, statuant comme juge de fond (et non comme juge des référés), a compétence de rétablir les parties au procès au même ou semblable état qu’elles étaient avant la commission des faits déplorés. Il le fait en octroyant généralement une somme d’argent à la victime aux fins de compensation. A la vérité, le juge judiciaire apprécie l’ensemble du préjudice et détermine le montant des dommages-intérêts que va supporter l’administration. Ainsi, si un particulier a été victime d’une atteinte irrégulière à l’un de ses droits fondamentaux, il serait normal qu’une indemnité lui soit accordée. En principe, c’est le patrimoine administratif qui est tenu de supporter cette dette, l’auteur d’une voie de fait ne supportant qu’exceptionnellement les conséquences pécuniaires de ses agissements. Dans tous les cas, la juridiction civile, qui est seule compétente au point de vue de la réparation, doit rechercher si l’auteur de l’acte ou du fait constitutif d’une emprise ou d’une voie de fait a commis une faute personnelle détachable du service et entraînant sa responsabilité personnelle. Dans le cas échéant, c’est la collectivité publique qui doit être condamnée à réparer le préjudice quitte à exercer par la suite une action récursoire contre son agent. Ainsi, à travers l’octroi de ces dommages-intérêts, la victime voit son préjudice réparer.

Il importe tout de même de souligner que si le montant à octroyer à la victime n’excède pas dix millions (10 000 000) de francs CFA, il reviendrait au Tribunal de Première Instance statuant en matière civile et commerciale de connaître de ce litige. Si, en revanche, le montant de la demande est supérieur à dix millions (10 000 000) de francs CFA, compétence reviendrait au Tribunal de Grande Instance statuant en matière civile et commerciale.

A côté de l’octroi des dommages-intérêts, à l’effet de réparer le préjudice subi, le juge judiciaire a aussi compétence pour faire cesser la voie de fait administrative et l’emprise irrégulière.

Para II- La compétence du juge judiciaire en matière de cessation

Le législateur camerounais a réservé au juge judiciaire la compétence exclusive en ce qui concerne les mesures à prendre pour mettre fin à la voie de fait et à l’emprise. Dans cette perspective, le juge judiciaire a le pouvoir d’adresser à l’administration des injonctions de faire ou de ne pas faire, c’est-à-dire de prononcer des mesures qui obligent l’administration à cesser ou à mettre fin à la voie de fait ou à l’emprise. Ce pouvoir revient au juge judiciaire de fond et de référé. Mais, pour ce dernier, à savoir le juge de référé, il revient à la victime de démontrer le caractère urgent ainsi que le péril en la demeure qui entoure la procédure. C’est ce qu’en a d’ailleurs décidé le juge judiciaire dans l’affaire dame PAGUI TONFACK Armelle contre Chef de Centre Départemental des Impôts de la Menoua, Receveur des Impôts du Centre Départemental de la Menoua et sieur EDJO’O Pierre Christian[13] et dans l’espèce KENGMO Etienne, JIOFACK Jacques, NGASSA Edouard contre Monsieur le Sous-préfet de Nkong-Ni[14].

En tout état de cause, et comme le relevait le Professeur Jean CHEVALIER, le juge judiciaire se reconnaît le droit d’ordonner la cessation, par la restitution de l’objet réquisitionné, par l’expulsion de l’administration hors des locaux occupés, par la remise en l’état des lieux, par la suppression des ouvrages s’ils ne constituent pas des ouvrages publics, en utilisant au besoin la menace d’une astreinte. De même, le juge judiciaire s’accorde le pouvoir d’ordonner l’inscription ou la radiation d’un électeur, la libération des individus placés dans des établissements d’aliénés, l’accomplissement d’un acte d’état civil[15].

Comme il est loisible de le constater, l’ordonnance de toutes mesures visant à mettre fin à la voie de fait et à l’emprise se manifeste par des restitutions, l’enlèvement des scellés irrégulièrement apposés, des destructions, des expulsions, la libération des personnes détenues, la levée d’une suspension ou d’une fermeture, l’enlèvement de matériels déposés sur un terrain privé… Toutes ces mesures peuvent être accompagnées d’astreinte. Il s’agit de toute injonction faite à une personne ou à une partie d’accomplir un acte ou de s’abstenir d’accomplir un acte sous peine d’une condamnation pécuniaire par jour, semaine ou mois de retard. Elle peut se résumer en une sanction pécuniaire qu’un juge entend infliger à un condamné, fut-il l’administration, qui refuserait d’exécuter promptement et dans un délai bien précis la décision rendue par lui. On note ici la manifestation éloquente du pouvoir de commandement reconnu au juge c’est-à-dire l’imperium qui est le pouvoir d’ordonner des mesures nécessaires et urgentes pour assurer l’exécution d’une décision de justice. Cette mesure, qui vise à protéger en urgence les droits de l’homme et les libertés publiques, peut être ordonnée tant par le juge de fond que par le juge des référés.

Ainsi donc, le juge judiciaire a le pouvoir d’enjoindre à l’administration la cessation des comportements constitutifs de voie de fait et d’emprise. Il a aussi le pouvoir d’adresser à l’administration les injonctions propres à prévenir la commission de la voie de fait et de l’emprise : pratiquement, le juge judiciaire des référés, à travers la pratique du « référé préventif », peut interdire à l’administration des comportements ou agissements imminents qui seraient constitutifs de voie de fait ou d’emprise. Toutefois, il importe de souligner que cette compétence de prévention de la voie de fait et de l’emprise à travers le référé préventif est exercé en France mais souffre encore au Cameroun d’un déficit de base légale.

 seconde partie : le deroulement de la procedure EN contentieux administratif

La procédure administrative contentieuse désigne l’ensemble des règles suivant lesquelles s’exerce le pouvoir des juridictions administratives. Elle est relativement longue et assez coûteuse pour une population à majorité nécessiteuse et peu formée à la science juridique. Ces deux facteurs expliquent sans doute l’abdication du justiciable potentiel camerounais. Cette procédure se différencie de celle en vigueur devant les juridictions de droit commun par son caractère inquisitoire et essentiellement écrit. Pour mieux rendre compte de la situation, nous allons examiner le déroulement du procès administratif depuis l’introduction de la demande en justice jusqu’à la sanction du recours en passant par l’instruction (chapitre I). Ces développements nous conduisent à l’examen des voies de recours de nature à être exercées lorsque le juge a rendu sa décision (chapitre II).

chapitre I. L’INTRODUCTION ET L’INSTRUCTION DE LA DEMANDE EN JUSTICE

Toute demande en justice pour être instruite doit, au préalable, être bien introduite.

Section I) L’introduction de la demande en justice

Le contentieux administratif au Cameroun ne s’est pas essentiellement démarqué des règles classiques en la matière. En effet, le jugement d’une demande au fond ne peut avoir lieu que si le juge a préalablement et positivement résolu le problème de sa recevabilité. Celle-ci est subordonnée à deux catégories de conditions: les unes sont relatives à la personne du requérant qui doit satisfaire à certaines exigences pour pouvoir intenter le recours contentieux (para I). Les autres sont relatives aux formes et aux délais dans lesquels doit être présentée la demande (para III). Mais avant cela, il est indispensable d’examiner les conditions liées aux délais (para II)

para i. les conditions relatives à la personne du requérant

Trois conditions doivent être soigneusement remplies par le justiciable pour voir sa demande examiner au fond : avoir la capacité (I), justifier d’un intérêt pour agir (II) et posséder la qualité requise (III).

 I. LA CAPACITE POUR AGIR EN JUSTICE

Pour agir en justice, toute personne doit être capable. La capacité d’une personne physique s’apprécie à un triple point de vue, à savoir : physique, juridique et moral.

Posséder la capacité physique signifie pour le requérant qu’il doit exister, c’est-à-dire être né et demeuré en vie au moment même où la demande est faite. Par exemple, une requête présentée au nom d’une personne décédée est en principe irrecevable, à moins que l’action ait été intentée avant la mort de ce dernier.

Lire Aussi :  Cours de science administrative Complet (PDF)

Pour ce qui est de la capacité juridique, le requérant doit avoir 21 ans révolus à la date de l’action. Bien plus, il doit être en possession de tous ses droits, doit pouvoir en jouir, c’est-à-dire n’en avoir pas été déchu. Enfin, il doit être en possession de toutes ses facultés mentales, donc capable de discerner. Ainsi, un malade mental ou un fou est incapable de conduire une instance. Il peut être représenté. Cette représentation est la règle quand le requérant est une personne morale. Le juge administratif exige en principe que la personne morale existe juridiquement, c’est-à-dire qu’elle ait une personnalité juridique.

Toutefois, en pratique, il se montre réaliste en ne déclarant pas irrecevable une demande introduite par une personne morale de fait puisqu’il admet que les associations non déclarées, donc sans capacité juridique et même les associations dissoutes, sont recevables à former des recours pour excès de pouvoir contre les décisions de l’administration.

II. L’INTERET POUR AGIR EN JUSTICE

Dans le contentieux administratif, tout recourant doit justifier d’un intérêt à la solution du litige dont il saisit le juge administratif. En principe, le préjudice subi fonde l’intérêt du requérant. Le grief sert de fondement à l’intérêt mais sans s’identifier à lui. C’est en réalité le profit escompté qui justifie l’intérêt du requérant. Autrement dit, si l’exercice du recours n’est pas susceptible d’offrir un certain avantage pécuniaire ou moral à celui qui en prend l’initiative, la demande doit être déclarée irrecevable. C’est ce qu’explique la maxime « pas d’intérêt, pas d’action » qui a pour objet d’éviter des contestations inutiles de nature à encombrer le prétoire.

L’intérêt invoqué peut revêtir plusieurs formes. Il est en principe direct et personnel ainsi que le précise la Chambre Administrative dans son jugement n°51 du 29 mars 1969, BABA YOUSSOUFA contre Etat du Cameroun. Il peut aussi être collectif lorsque l’acte litigieux concerne les entités juridiques comme les associations ou les syndicats. L’intérêt est matériel si la décision de l’administration porte atteinte au patrimoine du requérant; comme l’illustre le jugement n°30 du 31 mars 1977,  MBOCKA NTONGO MPONDO Guillaume. Enfin, si la décision administrative affecte la réputation du requérant, l’intérêt sera moral,  comme l’a précisé la Chambre Administrative de la Cour Suprême dans son jugement n°36 du 26 mai 1977, TEUGUIA Gabriel C/ État du Cameroun.

Ainsi, l’intérêt complète la qualité pour fonder l’action en justice. Mais, qualité et intérêt ne se confondent pas comme l’a laissé naguère penser le Conseil du contentieux administratif dans le jugement n°123 du 19 septembre 1952, BELL et BEBEY EYIDI contre Paul SOPPO PRISO.

Toutefois, cette confusion apparaît encore dans certaines décisions récentes de la juridiction administrative. Ainsi, par exemple, pour démontrer la notion de qualité à propos du recours en référé de M. LELE Gustave, le président de la Chambre Administrative, statuant comme juge de référé, rappelle d’abord «qu’un recours pour excès de pouvoir n’est recevable que si son auteur justifie d’un intérêt juridique à obtenir l’annulation de l’acte attaqué», puis conclut « qu’il n ‘est pas contesté que LELE Gustave soit aussi actionnaire de la Banque Unie de Crédit (B. U. C) ; que la radiation de cette banque lui cause personnellement préjudice ; que par conséquent la suspension de l’exécution des décisions attaquées lui profite nécessairement ; Qu’il s’ensuit que LELE Gustave a qualité pour agir dans la présente instance».

Si l’intérêt représente l’avantage pécuniaire ou moral qu’espère obtenir le requérant en exerçant l’action en justice, la qualité, elle, tient au titre juridique dont se prévaut le requérant pour exercer son action en justice.

III. LA QUALITE POUR AGIR EN JUSTICE

La qualité pour agir en justice est le titre juridique qui sert à engager le procès. C’est le titre qui permet à une personne de demander en justice la sanction du droit dont il prétend être titulaire. On aboutit à la conclusion selon laquelle « nul ne peut agir  pour le compte d’autrui sans un titre qui lui en donne le pouvoir » (Cf. CS, 5 juillet 1973, Bulletin 4126 ou CS, 22 mars 1973, n° 46/CC, Bulletin p. 4022).  La tendance à l’adoption d’une conception restrictive de la notion de qualité pour agir s’est toutefois développée au Cameroun. Cette tendance déjà perceptible a été remarquable dans le jugement n°8 du 29 novembre 1979, MBOUENDEU Jean de Dieu et Elites Banka contre État du Cameroun. Cette restriction a pour but de déjouer les immixtions intempestives  dans le patrimoine d’autrui. Par exemple, seule la victime d’une voie de fait administrative causée par une mairie a qualité pour intenter une action en justice.

Para II. les conditions liées à l’exigence d’un recours gracieux préalable

Que l’administration soit déconcentrée ou décentralisée, elle n’est jamais surprise devant la justice. Ce principe, constant depuis 1961, a été rappelé par l’article 12 de l’ordonnance n°72/6 du 26 Août 1972 fixant l’organisation de la Cour Suprême qui dispose que « le recours devant la Cour Suprême n’est valable qu’après rejet d’un recours  gracieux adressé au Ministre compétent ou à l’autorité statutairement habilitée à représenter la collectivité publique ou l’établissement public en cause » ; et, en dernier lieu, par l’article 17 alinéa 1 de la loi n°2006/022 qui prévoit désormais que « le recours devant le Tribunal administratif n’est recevable qu’après rejet d’un recours gracieux adressé à l’autorité auteur de l’acte attaqué ou à celle  statutairement habilité à représenter la collectivité publique ou l’établissement public en cause ».

Le recours gracieux préalable au contentieux, qu’on ne saurait confondre avec la décision préalable,  apparaît ainsi comme  un mécanisme de déclenchement du processus administratif, un impératif à la saisine du juge. Il constitue une sorte de préalable à la conciliation qui permettra   peut-être aux particuliers d’éviter le recours au juge. Il apparaît, à la limite, comme le premier degré de règlement des conflits administratifs. Cette exigence illustre bien l’hypothèse d’une « justice avant le juge » dans laquelle l’autorité habilitée  à recevoir le recours est amenée à arrêter définitivement la position de l’administration sur la question litigieuse : telle est la finalité essentielle de cette règle explicitement affirmée dans le jugement n°65 du 22 avril 1976,  EDIMO Jean Charles contre État du Cameroun.

Cependant, en dépit d’une réglementation qui se veut complète en la  matière,  le régime   juridique du recours gracieux est loin d’offrir toutes les précisions souhaitables, malgré l’évolution consacrée par la loi n°2006/22 sur la notion d’autorité habilitée  à le recevoir.  L’incertitude de certains aspects de son régime juridique a longtemps constitué un terrain favorable à l’innovation du juge administratif. Ce dernier a apporté quelques réponses plus ou moins précises au flou qui entourait la législation sur le caractère impératif et d’ordre public de la règle (I), sur le caractère impératif des délais (II) et sur les autorités adressataires dudit recours (III).

I. les caractères impératifs et d’ordre public du recours gracieux préalable dans le contentieux de la décentralisation

Le juge administratif a affirmé explicitement les caractères obligatoires et d’ordre public du recours gracieux (A), tout en assortissant le principe de nombreuses exceptions dont certaines ont été consacrées par la loi (B).

A.    L’AFFIRMATION DU PRINCIPE

Le recours gracieux est un impératif à la saisine du juge administratif. Quel que soit le contentieux administratif en cause, cet impératif, prescrit par la loi, est régulièrement rappelé par la doctrine  et fermement entériné par la jurisprudence. Son inobservation entraîne l’irrecevabilité du recours contentieux.

Dans l’affaire Société des Fournitures Industrielles du Cameroun (SFIC), objet du jugement n°007 du 14 janvier 2009, par exemple, le juge de l’espèce a déclaré irrecevable la demande de dommages-intérêts de la SFIC pour absence ou défaut de RGP. Il a eu la même position dans le jugement n°129 du 25 Août 2004, DIAB FC de Bandja et panthère de Bangangté  contre Fédération Camerounaise de Football (FECAFOOT).

Le recours gracieux préalable (RGP) est, en outre, un moyen d’ordre public. En conséquence, le non- respect des dispositions de la loi qui l’instituent peut être constaté d’office par le juge sans qu’aucune des parties à l’instance ne l’ait invoqué.

Par ailleurs, il n’est pas sans intérêt de noter que le recours contentieux est également déclaré irrecevable lorsqu’il est fondé sur un recours gracieux collectif, sauf s’il s’agit d’un recours contre un acte indivisible.

Dans le jugement n°102 du 25 mars 2009, ABANA Jean Paul et 75 autres contre État du Cameroun (SG/PR), par exemple, la Chambre Administratif a déclaré irrecevable  le recours contentieux en cause parce qu’il était fondé sur un recours gracieux collectif formé le 23 Août 2003 par 6 Commissaires et 16 Officiers de police et adressé au Ministre d’État, Secrétaire général de la Présidence de la  République pour solliciter une reconstitution de carrière.

De même, dans le jugement n°85 du 25 mars 2009, ABANCHIME LIMANGANA contre État du Cameroun (PM), le recours contentieux du requérant tendant à solliciter du Premier Ministre son reclassement au grade de Conseiller des Affaires étrangères a été déclaré irrecevable car il avait pour fondement un  recours gracieux signé par 73 autres collègues.

En revanche, sont déclarés recevables les recours  gracieux et contentieux dirigés contre un titre foncier établi au nom de leur auteur commun ; un tel titre étant indivisible à l’égard des ayants droits, veuves et filles du défunt,  elles ont intérêt à agir collectivement pour préserver et faire valoir leurs droits.

Il s’agit désormais d’une règle fondamentale de procédure réaffirmée constamment par la jurisprudence,  mais qui comporte des exceptions notables.

A. LES EXCEPTIONS AU PRINCIPE

Les exceptions à l’exigence du recours gracieux préalable dans le contentieux de la décentralisation sont rares. Certes, dans le contentieux administratif globalement, ces dernières années ont vu se développer de nombreuses exceptions textuelles au caractère impératif du recours gracieux (1). D’autres exceptions au principe résultent de la jurisprudence (2).

  • LES EXCEPTIONS TEXTUELLES

La justice moderne, s’interroge le professeur Gérard CONAC, « peut-elle être comprise et exceptée par exemple si les tribunaux invoquent systématiquement à  l’encontre des plaideurs le dépassement des délais ou leur opposent l’absence d’un recours gracieux  préalable ou si ce recours ayant bien été formé le déclarent irrecevable parce qu’adressé à une autorité incompétente ? ». « Certes, poursuit-il, un maniement habile des règles de procédure peut garantir le confort du juge en lui évitant d’avoir à trancher des cas parfois délicats. Mais, ces refus fondés sur des règles  formalistes sont plus souvent ressentis comme des dénis de justice ». Ils expliquent, en partie, pourquoi, jadis, les justiciables africains étaient si éloignés des instructions incarnant la justice étatique.

C’est sans doute la raison pour laquelle, consciente du rôle éminemment positif que doit jouer le juge dans la construction et le renforcement de l’État de droit,  à la faveur du renouveau démocratique en Afrique, la doctrine est unanime à reconnaître qu’il faut que l’accès au prétoire soit relativement aisé pour les justiciables ; car, ainsi  que l’avait si bien écrit Jean RIVERO, « la justice est un service public dont la raison d’être est l’usager ».

Répondant en partie aux attentes de la doctrine et aux aspirations des citoyens, le législateur camerounais a pris diverses mesures permettant de citer directement l’administration devant le juge administratif  comme un particulier peut citer un autre particulier devant le juge  judiciaire.

Ainsi, de nos jours, « par le biais de lois spéciales attributives de compétences nouvelles au juge administratif, on note un déclin sensible   de la traditionnelle protection précontentieuse de l’administration. La multiplication croissante des exceptions à la formalité processuelle qu’est  le recours gracieux préalable   en est la manifestation éclatante ».

Il en est ainsi notamment des lois n°90/053  et n°90/056 du 19 décembre 1990 relatives respectivement à la liberté d’association et aux partis politiques.

En effet, aux termes des articles 13 alinéa 3 de la loi n°90/056 du 19 décembre 1990 sur les partis politiques, « par dérogation à l’article 12 de l’ordonnance n°72/06 du 26 août 1972 fixant l’organisation  de la cour suprême », la suspension, la dissolution des associations et le refus d’autorisation des partis politiques « sont  susceptibles de recours sur simple requête devant le Président de la juridiction administrative ».

De même, la loi n°97/012 du 10 janvier 1997 fixant les conditions d’entrée, de séjour et de sortie des étrangers au Cameroun prévoit à l’article 36 que « l’étranger qui a fait l’objet d’une mesure de reconduite à la frontière peut, dans les 48 heures suivant notification de celle-ci, demander son annulation devant la juridiction administrative compétente, nonobstant les règles prévues en matière de recours gracieux préalables.

C’est également le cas dans le contentieux des élections municipales ou régionales. Aux termes de l’article 194 de la loi n°2012-011 du 19 avril 2012 portant code électoral révisée par la loi n° 2012/017 du 21 décembre 2012 et par celle n° 2019/005 du 25 avril 2019, tout candidat ou toute personne ayant la qualité d’agent du gouvernement pour l’élection peut réclamer l’annulation des opérations électorales de la commune devant la juridiction administrative compétente. Les contestations font l’objet d’une simple requête.

L’article 267 du même code exclut également le recours gracieux dans le contentieux des élections régionales.

Les lois précitées sur les ordres des professions libérales consacrent la même exception dans le contentieux électoral.

En outre, aux termes des articles 122, 123 et 124 du livre des procédures fiscales issu du Code général des impôts de 2012, les décisions de dégrèvement ou de rejet rendues par l’administration, en réponse à la réclamation du contribuable, relèvent des compétences respectives : – du chef  de Centre Provincial des impôts dans la limite de trente millions (30 000 000) de francs ; – du directeur général des impôts dans la limite de cent millions (100 000 000) de francs ; – du Ministre chargé des Finances au-delà de cent millions (100 000 000) de francs. La décision de l’administration doit être rendue dans un délai de trois (3) mois à compter de la date de réception de la réclamation. Cette décision, formulée par écrit, doit être motivée. En cas de silence de l’administration au terme du délai de trois (3) mois ci-dessus visé, le contribuable peut saisir d’office la Chambre Administrative de la Cour Suprême.

La loi n°74-18 du 5 décembre 1974 relative au contrôle des ordonnateurs, gestionnaires et gérants de crédits publics et des entreprises d’Etat, aujourd’hui abrogée, habilitait aussi le Conseil de Discipline Budgétaire et financière à sanctionner les irrégularités constatées dans le maniement de la fortune publique. La règle du recours gracieux était cependant exemptée dans l’éventualité de la contestation de la mise en débet, puisque l’article 12 de la loi précitée disposait que les décisions dudit Conseil pouvaient être déférées directement pour annulation devant la juridiction administrative. Cette dernière appliquait strictement cette disposition dérogatoire.

Aujourd’hui, c’est le Conseil de Discipline Budgétaire et Financière, en abrégé « C.D.B.F », qui a vu son organisation et son fonctionnement fixés par le décret présidentiel n°2008/028 du 17 janvier 2008, qui est chargé de prendre des sanctions à l’encontre des agents publics, patents ou de fait, coupables des irrégularités et fautes ayant eu pour effet de porter préjudice aux intérêts de la puissance publique (article2). L’article 16 de ce texte ajoute que les décisions du Conseil ne sont pas susceptibles de recours gracieux préalable. Elles peuvent faire l’objet de recours en annulation devant la juridiction administrative, sans que ce recours soit suspensif.

Lire Aussi :  Cours d'institution administratives et décentralisation (PDF)

Certes, comme le souligne le Professeur ABA’A OYONO, « il n’est pas encore question de citation directe dans le contentieux administratif. Mais, force est de remarquer cette propension (..) à favoriser le déclin d’une telle formalité processuelle dont le caractère protecteur vis-à-vis de la puissance publique ne fait point de doute. Et, conclut-il justement, c’est finalement le simple justiciable qui paraît, dans la foulée, bénéficier d’une protection contentieuse ».

L’institution d’une série de dérogations à la règle du recours gracieux préalable à la procédure contentieuse s’inscrit parfaitement dans les objectifs poursuivis par les pouvoirs publics consistant à juger certaines affaires dans des délais raisonnables. Il en est de même du recours de l’autorité de tutelle contre les actes des autorités sous-tutelles.

2) Les exceptions jurisprudentielles

La première est classique : lorsque le juge judiciaire a été saisi par erreur, le recours gracieux préalable n’est plus exigé si la même affaire est portée devant le juge administratif.

Les autres exceptions peuvent être considérées comme des innovations jurisprudentielles. La juridiction administrative camerounaise semble donc être très restrictive dans les exceptions au recours gracieux préalable. Ce qui n’avantage pas forcément les requérants puisque le recours gracieux constitue très souvent pour eux un obstacle sérieux à la résolution de leur litige avec l’administration. La loi et le juge ont très récemment apporté des réponses à la question de délais du recours gracieux préalable.

 II. Le caractère impératif des délais

Dans le contentieux administratif, l’exercice du recours gracieux préalable  est enfermé dans certains délais (A). Ces derniers posent juridiquement le problème du décompte et de la durée (B).

A) La durée des délais

Aux termes de l’article 17 alinéa 3 de la loi n°2006/022, les délais diffèrent selon la nature de la demande. En effet, le recours gracieux préalable adressé à l’administration décentralisée doit, à peine de forclusion, être formé :

– En cas de demande d’annulation, dans les 03 mois suivant la publication pour les actes réglementaires ou la notification pour les actes individuels ;

– En cas de demande d’indemnisation, dans les 06 mois suivant la réalisation du dommage ou sa connaissance ;

– En cas d’abstention d’une autorité ayant une compétence liée, c’est- à-dire tenue par un texte de prendre une décision, dans les 04 ans à partir de la date à laquelle ladite autorité était défaillante.

Un prolongement systématique des délais est offert aux requérants établis à l’étranger. A eux s’applique le délai de distance. Il est de 01 mois si le requérant réside en Afrique, de 02 mois pour le reste du monde. La jurisprudence administrative camerounaise a constamment appliqué ce principe, notamment dans le jugement n°46 du 30 avril 1981, OUMAROU Paul.

Bien plus, et conformément à l’article 3 paragraphe 2 de l’ordonnance n°72/11 du 26 août 1972 portant publication des lois, ordonnances, décrets, acte réglementaires, ce délai peut être prolongé d’un jour en fonction du lieu où se trouve le requérant par rapport à Yaoundé. La méthode de calcul de ces délais est assez particulière.

B) La computation du délai

Le délai court dès que la formalité relative à la publicité est accomplie. Cette formalité est indispensable car, s’il est vrai que l’acte administratif est exécutoire et opposable à l’administration dès sa signature, force est de reconnaître qu’il ne devient opposable aux administrés qu’à partir du jour où il a été porté à leur connaissance par un des moyens de publicité, c’est-à-dire par la publication ou la notification.

Exceptionnellement, le délai court à partir de la théorie de la connaissance acquise. Cette théorie désigne la conception selon laquelle, en l’absence d’une publicité régulière, le délai peut être considéré comme commençant à courir s’il s’achève d’une manière quelconque que l’intéressé avait connaissance de l’acte. La connaissance doit porter sur l’existence et le contenu de la décision. La seule connaissance des faits ne suffit pas. Cette théorie est traditionnellement retenue en cas de recours formé par un membre d’une assemblée délibérante contre un acte à l’élaboration duquel il a pris part. Le délai courrait ainsi à partir de la séance d’adoption de l’acte. Cette théorie a été étendue au cas où l’intéressé a formé un recours administratif contre la décision, manifestant ainsi qu’il en avait la connaissance. Il en est également ainsi lorsque la décision a été signée en présence de l’intéressé.

            En outre, le délai court à partir du lendemain du jour de la notification ou de la publication de l’acte. Il s’agit donc d’un délai franc.

De ce fait, par exemple, si la publication de l’acte a été faite le 17 octobre 2014,  le délai du recours gracieux préalable à l’annulation va courir à partir du 18 octobre 2014 et va expirer le 18 janvier 2015. Si le dernier jour est un samedi, un dimanche ou un jour férié, le recours gracieux est encore recevable jusqu’à la fin de l’échéance du délai c’est-à-dire jusqu’au premier jour ouvrable.

Exceptionnellement, enfin, le délai court lorsque le préjudice est tardif, c’est-à-dire lorsque c’est seulement après coup, bien des années après qu’apparaissent les éléments constitutifs du préjudice dont on demande la réparation.

C’est cette tardivité dans l’apparition du préjudice qui fonde et ouvre en droit la procédure de rétrocession consacrée enfin par la Chambre Administrative de la Cour Suprême le 30 novembre 1995 dans l’affaire Société Renault Cameroun.

Désormais, lorsque l’immeuble exproprié n’a pas reçu la destination prévue après un certain délai, le propriétaire peut en revendiquer la restitution sans que la forclusion lui soit immédiatement opposée.

Il s’agit là également d’un véritable revirement de jurisprudence. Car, par le passé, par exemple dans l’affaire Dame veuve ONGONO Régine rendue le 26 mai 1984, la Chambre Administrative faisait la confusion entre deux situations juridiques absolument distinctes : d’une part, celle où un acte juridique génère un préjudice immédiat et appelle de ce fait une prompte réaction du justiciable dans les délais prévus par la loi, d’autre part, celle où le préjudice résultant de l’acte ne peut, comme en l’espèce, apparaître qu’à l’avenir.

En appréciant les délais de recours à partir de l’époque de la réalisation des faits préjudiciables, comme l’a fait observer le professeur KAMTO, elle en arrivait curieusement à reprocher à la requérante de n’avoir pas engagé les recours gracieux et contentieux à un moment où rien ne justifiait qu’une telle démarche fut entreprise, parce que le préjudice n’était pas encore constitué et donc perceptible.

Deux remarques méritent d’être faites à ce niveau :

-souvent le juge se montre très réaliste dans l’appréciation et la preuve de la recevabilité du recours gracieux. Ainsi, par exemple, il admet désormais qu’en cas d’envoi du recours gracieux par poste, le cachet de la poste fait foi. Il rompt ainsi avec un arrêt BIYOUMBI André de 1973 dans lequel il déclarait qu’un pli remis à la poste ne devient la propriété du destinataire qu’à la date de réception du pli par ce dernier et non à celle de son expédition ;

-le juge administratif s’est toujours refusé à proroger les délais, notamment lorsque les requérants avaient adressé par mégarde leur recours gracieux à une autorité incompétente pour le recevoir. Par exemple, au Préfet et non au Maire ou encore lorsque le plaideur cherche à provoquer une décision confirmative de décision antérieure non attaquée dans les délais, pensant par-là faire courir de nouveaux délais.

La comparaison avec la jurisprudence française montre l’extrême sévérité de la juridiction administrative camerounaise. On sait en effet qu’en France, lorsque l’administré commet une erreur sur l’autorité qualifiée pour connaître de son recours, il conserve les délais.

Toutefois, en vertu du principe de l’unicité de l’administration, un recours adressé par erreur à une autorité incompétente et par suite transmis par cette dernière à l’autorité réellement compétente suffit à lier le contentieux.

C’est, en substance, ce qui ressort du jugement n°62 du 22 avril 1976, BICIC contre Etat du Cameroun.

« Considérant que si un recours gracieux adressé à une autorité incompétente est irrecevable parce que formé en violation des dispositions de l’article 12 de l’ordonnance du 26/08/1972 qui dispose : « le recours devant la Cour Suprême n’est recevable qu’après rejet d’un recours gracieux adressé au Ministre compétent », cette règle devient inapplicable dans le cas où le Ministre incompétent a transmis la requête au Ministre réellement compétent ; qu’en effet, le Ministre réellement compétent a l’obligation de répondre et ne peut se dérober sous prétexte que la requête ne lui a pas été directement adressée. Que la transmission par l’autorité incompétente à l’autorité réellement compétente lie le contentieux à l’égard de l’administration ».

La rigueur et la sévérité du juge administratif camerounais ne se limitaient pourtant pas à ce niveau. Fort heureusement, la loi n °2006/022 a apporté d’utiles précisions sur la notion d’autorité adressataire du recours gracieux.

III. L’autorité adressataire du recours gracieux

L’autorité habilitée à recevoir le recours gracieux préalable varie selon qu’il s’agit de l’administration déconcentrée ou de l’administration décentralisée.

  1. L’AUTORITE HABILITEE A RECEVOIR LE RECOURS GRACIEUX PREALABLE DANS L’ADMINISTRATION DECONCENTREE

Dans le cas d’un contentieux administratif ayant impliqué  l’administration déconcentrée, le recours gracieux préalable est adressé à l’auteur de l’acte c’est –à-dire à l’autorité ayant pris l’acte administratif querellé. C’est d’ailleurs le substrat de l’article 17 alinéa 1er de la loi n° 2006/022 du 29 décembre 2006 qui dispose que « le recours devant le tribunal administratif n’est recevable qu’après rejet d’un recours gracieux adressé à l’autorité auteur de l’acte attaqué ou à celle statutairement habilitée à représenter la collectivité publique ou l’établissement public en cause ». Dans l’administration déconcentrée, le législateur ici s’est soumis au principe du parallélisme des formes qui recommande que les autorités administratives ayant compétence pour prendre un acte ont la même compétence pour le retirer ou l’annuler. C’est dans le cas échéant qu’on se retrouve devant le juge. Si donc, par exemple, un délégué départemental des enseignements secondaires a pris un acte préjudiciable contre un enseignant, c’est à ce délégué départemental qu’on doit adresser le recours gracieux préalable. Si un secrétaire général de ministère a pris un acte administratif contre un personnel de son ministère, c’est à ce secrétaire général et non au ministre que le recours gracieux préalable doit être adressé. Si l’acte est pris par un ministre, c’est à ce dernier que le recours précontentieux doit être adressé. Cela vaut même pour un ministre délégué à la présidence. Si l’acte est, par exemple, pris par le délégué général à la sureté nationale, le recours gracieux préalable est adressé à cette autorité ayant pris l’acte contesté et non au président de la République.  Cette logique n’est pas forcément partagée dans l’administration décentralisée.

  1. L’AUTORITE HABILITEE A RECEVOIR LE RECOURS GRACIEUX PREALABLE DANS L’ADMINISTRATION DECENTRALISEE

Il convient ici de relever la situation avant le 29 décembre 2006 et après cette date.

1) L’autorité adressataire du recours gracieux avant le 29 décembre 2006

Dans le contentieux administratif des Collectivités Territoriales Décentralisées (CTD), l’étape précontentieuse, avant la date du 29 décembre 2006,  était marquée par l’exigence d’un double recours à savoir un recours gracieux préalable adressé à l’autorité habilitée à représenter la collectivité et, en cas de rejet, un autre recours gracieux adressé à l’autorité de tutelle qu’est le préfet.

  1. Le recours gracieux préalable adressé à l’autorité habilitée à représenter la collectivité

L’autorité habilitée à représenter la collectivité ici est, soit le Maire dans le cadre des communes et communautés urbaines, soit le président du conseil régional dans le cadre des régions. Dans le cadre du contentieux, il convient de préciser à la lumière du droit positif que les recours dirigés contre les collectivités territoriales obéissent aux règles du contentieux administratif ou du contentieux de droit commun suivant  le cas. Ainsi les délais dans lesquels ce recours sera adressé étaient ceux fixés par l’article 12 de l’ordonnance n° 72/6 du 26 août 1972 fixant l’organisation de la Cour suprême modifiée par la loi n° 76/28 du 14 décembre 1976. Selon cet article, le recours devant la Cour Suprême n’est recevable qu’après rejet d’un recours gracieux adressé au ministre compétent ou à l’autorité statutairement habilitée à représenter la collectivité publique ou l’établissement public en cause.

Constitue un rejet du recours gracieux le silence gardé par l’autorité pendant un délai de trois (03) mois sur une demande ou réclamation qui lui est adressée. En cas de demande d’indemnisation, l’autorité compétente dispose cependant, après s’être le cas échéant, prononcée favorablement sur le principe de l’indemnisation, d’un délai supplémentaire de trois mois pour en proposer le montant.

Le recours gracieux doit, à peine de forclusion, être formé :

  • Dans les deux mois de publication ou de notification de la décision attaquée ;
  • En cas de demande d’indemnisation dans les six mois suivant la réalisation du dommage ou sa connaissance ;
  • En cas d’abstention d’une autorité ayant compétence liée dans les quatre ans à partir de la date à laquelle ladite autorité était défaillante.

Il faut par ailleurs préciser que ces délais sont d’ordre public.

  1. Le recours gracieux préalable adressé à l’autorité de tutelle

Il s’agissait ici d’une particularité du contentieux  administratif des CTD. La recevabilité du recours contentieux en la matière était subordonnée entre autres à un recours de tutelle adressé au préfet. L’article 73 de la loi de 1974 sur l’organisation communale disposait que « les actes du maire… peuvent être l’objet d’un recours gracieux auprès de leur auteur ; en cas d’insuccès, ils sont soumis à l’appréciation de l’autorité de tutelle ; les délais du recours contentieux ne courant qu’à partir de la date de saisine de cette autorité ». Aux termes de l’article 56 de la loi de 1987 sur les communautés urbaines, « aucune action contre la communauté urbaine n’est recevable si le demandeur n’a pas préalablement adressé à l’autorité de tutelle une requête exposant l’objet et les motifs de sa réclamation dans les délais prévus par la législation en matière de contentieux administratif ». L’article 31 du décret n°77 /91 du 25 mars 1977 terminant les pouvoirs de tutelle sur les communes énonce à propos que « les actes du délégué du gouvernement, du maire ou de l’administrateur municipal peuvent faire l’objet d’un recours gracieux auprès de leur auteur. En cas d’insuccès, ou si le magistrat municipal garde silence, pendant un mois, ils sont soumis à l’appréciation du préfet qui dispose  de deux mois pour y donner avis. Le silence gardé par le préfet vaut décision implicite de rejet. En cas de recours contentieux, les délais courent à partir de la date de notification du rejet explicite ou à partir de la date  de rejet implicite ». C’est en respect de toutes ces dispositions que le recours de l’Entreprise de Travaux d’Hydraulique et de Génie Civil (ETHYGEC) contre Communauté Urbaine de Yaoundé (CUY) a été rejeté par la Chambre administrative de la Cour Suprême  pour défaut de recours de tutelle préalablement adressé au Préfet (Cf. Jugement n°66 /2008 du 18 juin 2008). Il en est de même du recours contentieux introduit par sieur KWANYA NGANGWA André Richard contre Communauté Urbaine de Douala, objet du jugement n° 90/2008/CA/CS du13 août 2008.

2) L’autorité adressataire du recours gracieux après le 29 décembre 2006

Reprenant mutatis mutandis les dispositions de l’article 12 de l’ordonnance 72 susvisée, le législateur de 2006 à travers l’article 17 alinéa 1 de la loi n° 2006/022 du 29 décembre 2006 dispose : « le recours devant le Tribunal administratif n’est recevable qu’après rejet d’un recours gracieux adressé à l’autorité auteur de l’acte attaqué ou à celle statutairement habilitée à représenter la collectivité publique ou l’établissement public en cause ». Constitue un rejet du recours gracieux, le silence gardé par l’autorité pendant un délai de trois mois sur une demande ou réclamation qui lui est adressée. Ce délai court à compter de la notification du recours gracieux. En reformulant la première condition relative à l’autorité adressataire du recours gracieux préalable au contentieux, l’article 17 alinéa 1 de la loi n°2006/022 répond aux attentes des justiciables jadis déroutés par l’imprécision et les difficultés d’interprétation jurisprudentielle, maintes fois dénoncées, du terme « Ministre compétent » contenu dans l’article 12 paragraphe 1 de l’ordonnance n°72/6 du 26 août 1972 fixant l’organisation de la Cour Suprême. Cette notion était source de confusions et d’incertitudes de nature à favoriser l’abdication du justiciable potentiel.

Lire Aussi :  COURS DE DROIT FISCAL GENERAL (PDF)

Dans le cadre des collectivités territoriales décentralisées, si l’acte attaqué a été pris par le Maire, par exemple, le recours gracieux doit lui être adressé parce qu’il est non seulement l’autorité auteur de l’acte attaqué mais, en plus, il est l’autorité habilitée à représenter la collectivité publique. Si l’acte a été pris, par exemple, par le secrétaire général de la commune, le recours gracieux préalable doit  lui être adressé, en tant qu’auteur de l’acte, ou à défaut  être adressé au Maire en tant qu’autorité habilitée à représenter la collectivité publique. Avec la loi de 2006, le recours de tutelle n’existe plus dans le contentieux administratif des CTD.

Dans le cadre de la décentralisation technique ou par service, le recours gracieux est en principe adressé à l’autorité habilitée à représenter l’institution. C’est le cas par exemple d’un acte pris par un Recteur d’Université. Si cet acte fait grief, le RGP doit être adressée à cette autorité en tant qu’autorité habilitée à représenter l’institution. Si l’acte est pris par le Doyen de Faculté, en principe, le recours gracieux est adressé toujours au Recteur en tant qu’autorité habilitée à représenter l’institution. Mais peut-on adresser le RGP au doyen en tant qu’auteur de l’acte ? L’interprétation de l’article 17 alinéa 1 laisse penser que ce recours peut exceptionnellement lui être aussi adressé en tant qu’auteur de l’acte. Avec la loi de 2006, le recours gracieux préalable doit toujours, à peine de forclusion, être formé :

  1. Dans les trois mois de publication ou de notification de la décision attaquée ;
  2. En cas de demande d’indemnisation dans les six mois suivant la réalisation du dommage ou sa connaissance ;
  3. En cas d’abstention d’une autorité ayant compétence liée, dans les quatre ans à partir de la date à laquelle ladite autorité était défaillante.

Il faut aussi par ailleurs préciser que ces délais sont d’ordre public.

 III. les conditions de forme et de délai

Toute requête introductive d’instance donne lieu à la consignation d’une provision de vingt mille (20.000) FCFA. Cette consignation est payée par le recourant. Une consignation supplémentaire peut être ordonnée par le Président de la juridiction en cas de nécessité. Les personnes morales de droit public sont en principe expressément dispensées de la consignation. Les requêtes collectives sont irrecevables sauf s’il s’agit d’un recours dirigé contre un acte indivisible.

La requête introductive d’instance doit contenir les nom, prénom, profession et domicile du demandeur, la désignation du défendeur éventuel, l’exposé des faits qui servent de base à la demande, les moyens et l’énumération des pièces produites à l’appui de la demande. Elle est libellée sur papier timbré et signée par le requérant ou son mandataire. Le requérant illettré qui n’a pas de mandataire y appose son empreinte digitale. Si le recours est dirigé contre un acte d’une autorité administrative décentralisée, il doit impérativement être accompagné d’une copie de cet acte.

Pour être également recevable, la demande doit être présentée dans les délais prescrits. En général, on ne peut attaquer les décisions de l’administration qu’à l’intérieur d’un délai de 60 jours à compter de la décision de rejet explicite ou implicite du recours gracieux, sinon le recours contentieux sera déclaré irrecevable pour forclusion. Si l’administration ne répond pas au bout de 03 mois, son silence est considéré comme un rejet : c’est une décision implicite de refus qui doit être attaquée dans les 60 jours  à compter du lendemain de la notification de la décision de rejet du recours gracieux visé à l’article 17 de la loi n° 2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des Tribunaux administratifs. Si après  les 03 mois exigés pour la décision implicite de rejet l’administration se prononce par une décision explicite, cette décision explicite n’est pas valable et ne saurait par conséquent prolonger les délais de recours.

Souvent, en cas de demande d’indemnisation, l’autorité compétente dispose, après s’être le cas échéant prononcée sur le principe de l’indemnisation, d’un délai supplémentaire de 03 mois pour en proposer le montant. En d’autres termes, si avant l’expiration du délai de 03 mois après lequel le silence de l’administration se transforme en décision implicite de rejet, l’autorité compétente déclare qu’elle accepte d’indemniser, son acceptation prolonge les délais : elle dispose encore de 03 mois à compter de la date de l’acceptation pour proposer le montant de l’indemnisation.

Le décompte se fait de la même manière qu’en ce qui concerne le recours gracieux. Aucun allongement du délai d’introduction de la demande ou aucune suspension dudit délai ne pourra résulter de l’acte attaqué.

Le respect des délais est donc un impératif dans la procédure contentieuse. Il conditionne le déroulement du procès, car un acte administratif non contesté devant le juge dans les délais ne peut plus, en principe, être attaqué par voie contentieuse. Il devient définitif et produit ses effets quelles que soient les illégalités ou irrégularités qui l’affectent.

Toutefois, le délai sus-évoqué est prorogé si le requérant a, dans l’intervalle :

  • déposé une demande d’assistance judiciaire conformément aux prescriptions de la loi n°2009/004 du 14 avril 2009 portant organisation de l’assistance judiciaire. Cette condition a été instituée dans le but de protéger les requérants indigents. Elle vise à établir une certaine justice sociale, une sorte d’égalité devant la justice ;
  • saisi une juridiction incompétente. Par exemple, le justiciable a saisi le juge judiciaire au lieu du juge administratif.

Dans ces deux hypothèses,  le recours contentieux est valablement introduit dans les 60 jours qui suivent la notification de la décision statuant sur la demande d’assistance judiciaire ou sur la compétence (cf. Article 19 alinea 2 de la loi n° 2006/022 du 29 décembre 2006).

La règle du délai présente un caractère d’ordre public. Les exceptions y relatives peuvent être soulevées à tout moment de l’instance, du moins avant que la saisine du juge ne soit vidée. Cette règle est de nature à éteindre l’action en justice. Le non- respect des délais rend le requérant forclos. La forclusion est donc la déchéance d’un droit non exercé dans le délai prescrit.

section II. L’INSTRUCTION DE LA DEMANDE EN JUSTICE DANS LE CONTENTIEUX administratif

Avant de trancher les litiges, le juge administratif, à l’instar du juge judiciaire, est appelé à instruire la demande. Les règles de procédure lui imposent cela. Ainsi, après le dépôt de la demande, l’instruction va permettre de préparer le prononcé du jugement. A cet effet, les parties au procès doivent  éclairer le juge sur l’ensemble des données de fait et de droit du litige. L’instruction se traduit par l’examen des mémoires produits par les parties, mémoires qui leur permettent de développer les moyens destinés à justifier leurs conclusions ainsi que, s’il faut les prononcer, des mesures d’instruction (expertise, transport judiciaire sur les lieux, enquêtes, auditions de témoins,  étude et résultat).

Devant le juge judiciaire, l’instruction est accusatoire. En revanche,  devant le juge administratif, elle est inquisitoire, c’est-à-dire dirigée par le juge. Dans le contentieux administratif, l’instruction du recours respecte les règles fixées par le législateur de 2006. En effet, une fois enregistrée, la demande est confiée à un juge que l’on appelle Rapporteur. Ce dernier est un magistrat membre de la justice administrative désigné par le Président de la Chambre pour diriger, sous son autorité, l’instruction de l’affaire. Si le demandeur ne s’est pas conformé aux prescriptions relatives à la consignation, à la législation sur l’enregistrement et le timbre, le Rapporteur le fait avertir par le greffier qu’il doit régulariser sa demande dans les quinze (15) jours à compter de cet avertissement et cela sous peine d’irrecevabilité de la requête . Après la régularisation du recours, le rapporteur peut réclamer au demandeur ou au défendeur la communication de tous les documents dont la production lui paraît utile à la solution du litige.

L’instruction est ensuite contradictoire en ce sens que le juge doit utiliser, dans son investigation, une méthode permettant la confrontation des deux parties.

Le contradictoire, explique le professeur GOHIN, « est le droit pour toute personne directement intéressée de se voir assurer une information utile dans l’instance, par la communication des différents éléments du dossier produits dans un délai suffisant, en vue de leur discussion devant le juge ». En principe, « les juges ne peuvent se prononcer sur aucun mémoire, aucun document, aucun dossier, aucun moyen nouveau, aucune demande nouvelle produite par une autre partie sans que l’autre partie ait eu la possibilité d’en prendre connaissance et d’y répondre ».

En effet, lorsque le dossier est en état, sur proposition du Rapporteur, le Président prend une ordonnance appelée ordonnance de soit- communiqué fixant le délai accordé au défendeur pour produire son mémoire en défense.

Dans les trente (30) jours, le demandeur a le droit de déposer un mémoire en réplique auquel le défendeur peut répondre à son tour dans le même délai de quinze jours et ainsi de suite jusqu’à l’épuisement des arguments.

Le juge a le pouvoir qu’il s’est reconnu par voie jurisprudentielle de prescrire à l’administration la production de tous les dossiers et documents ainsi que de toutes les informations quant aux motifs de fait et de droit des décisions contestées. Si l’administration ne se plie pas, ou pas complètement à l’injonction, les affirmations du demandeur sont tenues pour établies.

Lorsque les échanges de mémoires sont terminés ou lorsque les délais fixés pour leur dépôt sont expirés, le Rapporteur procède à l’étude du dossier. Il établit son rapport que le greffier se charge de transmettre avec le dossier au Procureur Général qui le renvoie dans les trente jours au greffe avec ses réquisitions et ses propositions pour l’inscription de l’affaire au rôle. L’instruction est close grâce à la diligence du greffier qui est chargé d’informer les parties de la date et de l’heure de l’audience.

Il ressort ainsi de l’organisation générale de l’instruction que la bonne administration de la justice administrative est liée, dans une très large mesure, au fonctionnement correct des greffes.

Il est intéressant de relever que pendant l’instruction de la demande principale, des événements ou des difficultés peuvent survenir et modifier le déroulement du procès, en posant au juge de nouveaux problèmes dont dépend la solution du litige. Il en est ainsi notamment des demandes incidentes (demandes additionnelles et reconventionnelles), de l’intervention (forcée et volontaire), du désistement et de l’acquiescement, des péremptions et reprises d’instance, de la récusation.

Toutes les règles d’instruction sus-décrites sont pour l’essentiel classiques. Des mesures d’instruction spéciales sont exigées dans des procédures d’urgence.

section III. LES PROCEDURES D’URGENCE

Au regard de la loi 2006/022 du 29 décembre 2006, deux procédures d’urgence qu’on qualifie aussi de mesures conservatoires existent dans le contentieux administratif camerounais. Il s’agit du sursis à exécution et du référé.  A la différence du sursis à exécution qui  est « la suspension de l’applicabilité d’un acte dans l’attente du jugement à rendre sur sa légalité; (…) sa neutralisation
pendant le procès dont il fait l’objet, en quelque sorte la détention provisoire de l’acte non encore condamné mais déjà inculpé», le référé administratif a pour objet de permettre au président de la juridiction saisie de prendre, sans toucher au fond du litige, des mesures d’urgence de nature à sauvegarder les intérêts du requérant. S’il est vrai que les deux notions constituent des mesures conservatoires, force est de reconnaître qu’elles sont des notions autonomes. C’est pourquoi, il faut les analyser différemment.

Para I. Le sursis à exécution

En principe, le recours contentieux contre une décision administrative ne suspend pas l’exécution. Cette règle de l’effet non suspensif du recours porté devant le juge administratif peut être dangereuse car l’exécution des décisions administratives peut entraîner des conséquences irréparables que le juge ne pourra pas, après coup, effacer. C’est pourquoi le législateur a organisé en faveur des administrés (ou autres catégories de justiciables) la procédure du sursis à exécution qui tend à obtenir du juge administratif une ordonnance demandant à l’administration de différer l’exécution de la décision ou de l’acte incriminé(e) jusqu’à ce qu’il soit statué au fond et de manière définitive.

Le sursis à exécution est ainsi une procédure conservatoire puisqu’il ne touche pas au fond du litige. Il permet de suspendre l’applicabilité d’un acte administratif faisant grief dans l’attente du jugement à rendre sur sa légalité et sa régularité.

A la différence du droit comparé, le droit camerounais en la matière est très restrictif; ainsi que permet de le constater l’article 30 de la loi n°2006/022 : « alinéa 1 : le recours gracieux contre un acte administratif n’en suspend pas l’exécution. Alinéa 2 : toutefois, lorsque l’exécution est de nature à causer un préjudice irréparable et que la décision attaquée n’intéresse ni l’ordre public ni la sécurité ou la tranquillité publiques, le Président du Tribunal Administratif peut, saisi d’une requête, après communication à la partie adverse et conclusion du Ministère Public, ordonner le sursis à exécution. Alinéa 3 : il est statué sur la demande de sursis par ordonnance. Alinéa 4:l’ordonnance prononçant le sursis à exécution devient caduque à l’expiration du délai prévu à l’article 13 ci-dessus, c’est-à-dire si après soixante (60) jours, le Tribunal n ‘est pas saisi de la requête introductive d’instance ». C’est  dire qu’on peut introduire la demande en sursis avant la requête introductive d’instance.

Cette restriction législative au sursis à exécution est davantage perceptible lorsque l’on étudie les conditions de sa recevabilité (I) et celles de son octroi (II).

I) Les conditions de recevabilité d’une demande de sursis à exécution

Les actes administratifs des autorités décentralisées peuvent faire l’objet d’un sursis à exécution. En effet, il est de jurisprudence constante que tout recours dirigé contre une décision d’une autorité administrative doit être accompagné d’une copie de cette décision. La non-adjonction à la requête de l’acte administratif litigieux est, en tout cas, un motif d’irrecevabilité.

Que faire alors lorsqu’il s’agit d’opérations matérielles non assorties d’actes juridiques les ordonnant formellement ?

Dans de tels cas, le juge du sursis s’en tient strictement à l’apparence d’une absence de décision ; ce qui est fort regrettable, car le juge de fond est plus libéral en la matière, puisqu’il reconnaît déjà qu’une décision faisant grief peut être implicite, verbale ou résulter d’une omission, d’une défaillance de l’administration.

Lire Aussi :  Cours éthique et déontologie Complet (PDF)

La demande de sursis à exécution est irrecevable en l’absence d’un recours principal, c’est-à-dire, en l’absence d’un recours contentieux visant l’annulation ou la réformation de la décision administrative en cause. Le juge a affirmé en effet qu’une « demande de sursis à exécution est essentiellement une demande accessoire, incidente dans un recours contentieux ». Et, dans l’affaire LELE Gustave242, il a précisé que « la procédure de sursis à exécution est fonction d’une procédure déjà pendante », c’est-à-dire en cours devant la juridiction administrative.

Cette condition, fixée jadis par l’article 17 de la loi n°75/17 précitée, permet au juge d’avoir des éléments de fond de nature à le mettre à même d’apprécier le bien-fondé du sursis qu’on lui demande et d’éviter ainsi d’ordonner un sursis que ne pourra justifier la solution définitive du litige.

Le juge, dans l’affaire AHANDA Dieudonné contre État du Cameroun, objet de l’ordonnance n°39/OSE/CS/PCA/1996 portant rejet d’une demande de sursis à exécution, a appliqué la même règle en affirmant, dans le cas d’espèce, que « le requérant a saisi directement le juge administratif sans avoir au préalable introduit un recours contentieux; que ce faisant, sa demande, qui n ‘a pas respecté les prescriptions de la loi susvisée, doit être déclarée irrecevable ».

La question s’est posée de savoir si ce recours principal devait être antérieur, concomitant ou postérieur à la requête en sursis à exécution. Aux termes de l’article 17 de la loi n°75/17 du 8 décembre 1975, « la demande en sursis peut être formée en même temps que la demande principale et par la même requête ». Il s’agit là, comme l’a indiqué le juge de l’espèce MBIAMA MESSANGA Casimir contre Etat du Cameroun, « d’une faculté qui n’exclut nullement une requête séparée,  bien au contraire ».

En 1986, le Président de la Chambre Administrative affirmait, dans une affaire MBIAYI Philippe contre État du Cameroun, que « la loi ne subordonne nullement la recevabilité de la demande de sursis à l’existence d’un recours formé antérieurement à celle-ci ». Il suffisait donc que l’acte administratif litigieux fasse l’objet d’un recours contentieux.

La doctrine alors en a déduit « que le moment où le recours principal est introduit importe peu et qu’il suffit, en définitive, que l’on prouve l’existence de ce recours principal au moment où le Président de la Chambre Administrative examine pour la première fois la demande de sursis ».

Toutefois, le juge avait modifié sa jurisprudence à cet égard. Il l’avait fait dans l’affaire Elites Intérieures de l’Arrondissement de Yokadouma, représentées par l’Honorable BOMOKOU NKONO René, en des termes clairs et précis:« Attendu qu’aux termes des articles 16 et suivants de la loi n°75/17 du 08 décembre 1975 fixant la procédure devant la Cour Suprême statuant en matière administrative, la demande de suspension d’exécution ne peut être recevable que si elle est consécutive au recours au fond et formée par la même requête ou par requête séparée après le dépôt de la demande principale. Qu’il en résulte que l’existence de celle-ci doit être justifiée à l’introduction de la demande de sursis. Attendu, en l’espèce, que le requérant a saisi directement le juge administratif sans avoir au préalable introduit un recours contentieux. Que ce faisant, sa demande, qui n ‘a pas respecté l’esprit de la loi n°75/l 7 du 08 décembre 1975 susvisée, doit être déclarée irrecevable ».

Cette interprétation avait été également exposée avec plus de clarté par le juge de l’affaire AHANDA Dieudonné contre État du Cameroun précitée, lorsqu’il estimait que «la demande de suspension d’exécution ne peut être recevable que si elle est consécutive à la demande principale et formée par la même requête, soit en même temps, soit après le dépôt du recours au fond ; qu’il en résulte que l’existence de celui-ci doit être justifiée à l’introduction de la demande de sursis ».

La demande de sursis n’était donc plus recevable si elle était formée avant la demande principale. Cette nouvelle exigence simplifiait considérablement la procédure. Ainsi, le recours gracieux formé pour la requête principale était suffisant lorsque le recours principal précédait la demande de sursis ou lorsque les deux demandes étaient concomitantes.

En précisant désormais que «la recevabilité d’une demande de sursis est subordonnée à l’introduction d’un recours principal dans le délai de soixante jours », l’article 30 alinéa 4 de la loi n°2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des Tribunaux administratifs est venu légaliser la jurisprudence MBIAMA MESSANGA Casimir et MBIAYI Philippe précitée, qui était assez libérale. Ainsi, dans un contentieux administratif touchant au sursis à exécution dans lequel l’administration est impliquée, on peut aisément conclure que le recours contentieux peut être déposé avant, en même temps ou après la demande de sursis à exécution dans le délai de 60 jours prescrit.

II. Les conditions du prononcé du sursis à exécution

Aux termes de l’article 30 de la loi n°2006/022, l’octroi du sursis à exécution d’un acte administratif signé par une autorité administrative est subordonné à la nature du préjudice subi (A), aux conclusions du ministère public (B) et à la matière sur laquelle porte l’acte incriminé (C).

A) Le caractère « irréparable » du préjudice

La terminologie de la jurisprudence est, en pratique, très fluctuante. Alors que la loi parle de préjudice irréparable, certaines ordonnances font état tantôt d’un préjudice inestimable ou important, tantôt d’un préjudice difficilement réparable ou grave. Cette position jurisprudentielle nous semble plus adaptée et réaliste. L’expression « préjudice irréparable » utilisée par le législateur nous semble peu exacte car, dans la logique, un préjudice est irréparable lorsqu’il n’est pas susceptible d’être remis en état ou compensé par une indemnité en argent. Le juge administratif n’ayant pas compétence pour priver  un administré de sa liberté c’est-à-dire le condamner fermement ou pour le condamner à mort, la notion de préjudice irréparable devient complexe et peut-être peu adapté. En conséquence, et logiquement, un préjudice d’ordre financier ne présente pas un tel caractère, car il pourrait être réparé complètement par l’octroi ultérieur des dommages-intérêts. Sans doute, un tel préjudice financier peut-il présenter un certain degré de gravité ou même une gravité certaine, mais il n’est pas douteux qu’un préjudice peut être grave et même très grave sans pour autant être irréparable.

Par exemple, la saisie des journaux constitue sûrement un préjudice très grave mais les pertes pécuniaires et autres manques à gagner résultant de cette saisie sont chiffrables et par suite réparables.

La jurisprudence relative à la nature du préjudice susceptible de justifier l’octroi du sursis à exécution illustre la volonté du juge d’atténuer la rigueur de la loi à son égard.

B) L’exigence des conclusions du ministère public

Aux termes de l’alinéa 2 de l’article 30  de la loi n°2006/022 du 22 décembre 2006 sus-évoquée, le Président du Tribunal administratif avant de statuer sur une demande de sursis à exécution doit au préalable la communiquer à la partie adverse. Le principe du contradictoire qui gouverne le procès administratif le recommande. En plus, le Président du Tribunal ne peut statuer sur cette demande qu’après conclusion du Ministère public. En la matière, il importe de signaler que l’exigence de l’avis conforme du ministère public contenue dans l’ordonnance n°72/6 compliquait davantage une procédure qui était déjà en pratique rendue inopérante par diverses autres conditions. Désormais, l’épithète « conforme » qui était contenu dans l’expression « avis conforme» n’existe plus et on ne peut s’en plaindre, car le juge de l’urgence peut accorder le sursis après les conclusions du ministère public.

Cette nouvelle disposition a vraisemblablement pour but de tirer les conséquences des ordonnances récentes dans lesquelles le juge administratif de l’urgence, à travers une interprétation audacieuse de la Constitution, ne se considérait plus comme étant tenu de statuer conformément à l’avis du ministère public, en raison, on l’a déjà dit, de l’idée qu’il se fait désormais de son nouveau statut institutionnel et de la caducité, selon lui, des dispositions législatives et réglementaires existantes. Le juge en la matière n’est ainsi pas tenu par  les orientations contenues dans ces conclusions du Ministère public.

c) L’exclusion des litiges intéressant l’ordre public du domaine du sursis à exécution

Au Cameroun, l’ordre public, la sécurité et la tranquillité publiques, on l’a dit, apparaissent davantage comme des notions fonctionnelles que conceptuelles : on y connaît mieux leur existence que leur essence ; la simple référence à ces notions est une motivation suffisante pour rendre impossible l’obtention du sursis à exécution. Autrement dit, il suffit à l’administration de viser et de prouver les nécessités de l’ordre public, de sécurité publique ou de tranquillité publique dans sa décision pour lier celle du juge.

La très grande flexibilité de l’ordre public rend ainsi perméables les droits et libertés, car elle provoque l’élargissement des compétences des autorités administratives en fonction des nécessités. Cette exclusion encourt le reproche de prohiber le sursis dans un domaine où il serait particulièrement utile à la défense des droits et libertés. Il y a là,  incontestablement, une résurgence du mobile politique qui limite considérablement le domaine de compétence du juge administratif en matière de sursis à exécution. Fort heureusement, en 2006, le législateur a supprimé cette exclusion en matière de référé administratif.

Para II. Le référé administratif

La procédure de référé permet au juge unique d’ordonner, outre les mesures d’instruction, les mesures conservatoires afín d’éviter que l’écoulement du temps ne défavorise le requérant, par rapport à l’autre partie qui est généralement la puissance publique.

En fait, comme on l’a souligné avec pertinence, « l’urgence est l’âme du référé administratif ». Cette procédure de type spécial est actuellement organisée par les articles 27, 28 et 29 de la loi n°2006/022 fixant l’organisation et le fonctionnement des Tribunaux administratifs en ces termes :

Article 27 alinéa 1 : « dans les cas d’urgence, le Président du Tribunal ou le Magistrat qu’il délègue peut, sur requête, et si le demandeur justifie de l’introduction d’un recours gracieux, les parties convoquées et après conclusions du Ministère Public, ordonner en référé toutes mesures utiles sans faire préjudice au principal ». Alinéa 2 : « la notification de la requête est immédiatement faite au défendeur avec fixation d’un délai de réponse ne pouvant excéder 05 jours ».

Article 28 : « il est statué sur la requête par ordonnance de référé. L’ordonnance est, dans les 24 heures, notifiée aux parties en cause ».

Article 29 : « l’ordonnance de référé est susceptible d’appel devant la Chambre Administrative de la Cour Suprême. Toutefois, elle est exécutoire par provision ».

Pour caractériser le référé, ces dispositions insistent sur une condition essentielle de recevabilité de la demande de référé (I) et sur les pouvoirs limités du juge de référé (II).

 I) Les conditions de recevabilité de la demande de référé

L’article 122 de la loi n°75/17 du 08 décembre 1975 fixant la procédure devant la Cour Suprême statuant en matière administrative, qui régissait alors le référé administratif disposait : « dans tous les cas d’urgence, et sauf pour les litiges intéressant le maintien de l’ordre public, la sécurité et la tranquillité publiques, le Président de la Chambre Administrative ou de l’Assemblée Plénière ou le Magistrat qu‘il délègue, peut, après avis conforme du Ministère public, ordonner toutes mesures utiles sans faire préjudice au principal ».

De ces dispositions, le président de la Chambre administrative, dans l’affaire SIGHOKO FOSSI Abraham contre Etat du Cameroun, objet de l’ordonnance de référé n°12 du 18 juillet 1984, en déduisait logiquement « (…) que la procédure de référé est indépendante de la saisine préalable de l’administration ; que les parties sont, dans la pratique, dispensées de cette formalité ; que ceci est heureux car il faut que les mesures prises en référé interviennent rapidement ».

C’est dire que la requête en référé initiée contre un acte pris par une autorité administrative pouvait être formée sans le recours gracieux préalable et avant la demande introductive d’instance.

Mais cette belle construction jurisprudentielle, favorable au requérant, avait été remise en cause dans l’affaire SOSSO Emmanuel contre Crédit Foncier du Cameroun. Dans la singulière ordonnance de référé n°6 du 08 décembre 1998 à laquelle cette affaire a donné lieu, le juge de l’espèce a exigé explicitement que la requête en référé soit désormais accompagnée d’un recours gracieux préalable.

Cette affaire a introduit un changement profond au niveau des conditions de recevabilité des requêtes en référé qui emportent moins aisément l’adhésion. En effet, la réponse positive et sans nuance du juge de l’espèce à la question de savoir si la demande de référé est soumise à la formalité précontentieuse du recours gracieux peut surprendre en ce qu’elle prend manifestement le contre-pied de la jurisprudence antérieure. Elle peut aussi décevoir, car il est bien difficile ici de discerner les raisons qui ont conduit le juge à adopter une telle position. Le juge de l’espèce s’est comporté comme un juge aérien, un juge indifférent au temps qui passe, un juge qui n’a manifestement pas la culture de l’urgence.

Malgré de vives critiques doctrinales, cette tendance jurisprudentielle a été fermement consacrée par l’article 27 de la loi n°2006/022 qui exige désormais la justification de l’introduction d’un recours gracieux lorsque le juge statue en matière de référé.

Dans l’affaire Entreprise des Travaux Publics et Génie Civil Sari (ETPGC) contre État du Cameroun (MINTP), par exemple, objet de l’ordonnance de référé n°12 du 17 juillet 2009, le président de la Chambre Administrative a fait une exacte application de cette disposition, en affirmant : « qu’il en résulte que la saisine du juge des référés administratif doit être consécutive à un recours gracieux. Attendu, en l’espèce, que l’Entreprise demanderesse ne justifie pas de l’introduction d’un tel recours. Qu’ainsi, ladite Entreprise ne s’étant pas conformée au texte précité, son recours est irrecevable ».

A côté de cette condition, il existe deux autres qui permettent au juge de statuer en matière de référé sans faire préjudice au fond c’est-à- dire au principal : la convocation des parties au procès et les conclusions du Ministère public. Toutefois, on ne doit pas perdre de vue que le juge de référé administratif a des pouvoirs limités.

ii) La limitation des pouvoirs du Juge de référé administratif

Bien que l’article 27 alinéa 1 de la loi n°2006/022 du 29 décembre 2006 prévoit que le juge de référé peut ordonner « toutes mesures utiles», ses pouvoirs sont en fait étroitement circonscrits. Il lui est interdit, d’une part, de faire obstacle à l’exécution d’une décision administrative (A), d’autre part, de porter préjudice au principal (B).

A) L’interdiction de faire obstacle à l’exécution d’une décision administrative

Le référé administratif et le sursis à exécution sont deux notions autonomes, même s’il reste vrai qu’ils constituent des mesures conservatoires.

Comme le fait justement remarquer le juge de l’affaire Collectivité MVOG ELA  contre Etat du Cameroun (MINAT), objet de l’ordonnance de référé n°13 du 17 juillet 2009 : « … il résulte de la combinaison de ces textes que, malgré l’unicité de l’organe de décision, les deux procédures qu’ils régissent sont distinctes par leur objet, entraînant de ce fait, une réelle dichotomie de compétence ; Qu’en effet, la procédure de référé (…) permet au juge administratif, sans toucher au fond du litige, ni faire obstacle à l’exécution de la décision administrative contestée, d’ordonner des mesures provisoires destinées à préserver les intérêts des parties, à l’exemple des expertises ou autres mesures d’instruction, tandis que celle du sursis à exécution (…) permet au requérant d’obtenir, du même Magistrat, une mesure différant l’exécution de la décision en cause jusqu’à ce qu’il soit éventuellement statué sur le fond du litige ».

Autrement dit, la procédure de référé administratif, fixée par les articles 27, 28 et 29 de la loi n°2006/022 du 29 décembre 2006 est, par son objet, fondamentalement différente de la procédure du sursis à exécution prévue à l’article 30 de la même loi et avec laquelle elle ne saurait se confondre.

Lire Aussi :  Cours De Droit De La Fonction Publique (PDF)

B) L’interdiction de porter préjudice au principal

Le juge de référé est le juge du provisoire appelé à ne pas statuer au fond du litige. L’interdiction faite au juge de référé de ne pas prononcer des mesures portant « préjudice au principal » n’est pas une innovation de l’article 27 de la loi n°2006/022 susmentionnée. Elle est inhérente au régime juridique du référé administratif. Comme le relève la doctrine, «l’idée que le juge des référés ne saurait prendre position sur le fond et limiter les pouvoirs de la juridiction en orientant sa décision future est l’une des idées les moins contestées et les plus faciles à comprendre ». Autrement dit, ce principe tend à exclure que le juge de référé puisse empiéter sur la mission attribuée au juge du fond, puisque le référé est édicté dans le cadre d’une procédure provisoire et accessoire.

L’interdiction faite au juge de référé de porter préjudice au principal répond aussi au souci de donner à la procédure de référé la célérité nécessaire, car la connaissance des contestations sérieuses nécessite de longues investigations, lesquelles sont incompatibles avec la rapidité qui caractérise la procédure de référé.

Cette limitation de pouvoir « incite le juge des référés à faire preuve d’une certaine timidité chaque fois que la demande qui lui est présentée risquerait de l’amener à prendre position sur une question délicate concernant le fond même du litige ».

Ainsi, le juge de référé considère alors que préjudicie au principal toute demande tendant à l’annulation d’une décision administrative. Il a ainsi indiqué qu’il ne peut annuler, ni les résultats des examens contestés par un élève parce qu’il « est incompétent pour décider par ordonnance du fond du litige », ni l’avenant contesté d’un contrat administratif, ni une décision prise à l’encontre d’un architecte par le Conseil de l’ordre national des architectes , ni le bulletin de liquidation de recettes contesté par le requérant, ni la censure administrative d’un journal, ni le décret portant convocation du corps électoral à  l’élection présidentielle. Ainsi, la décision du juge de référé administratif ne doit ordonner que des mesures conservatoires, en tout cas utiles à sauvegarder une situation mise en péril par un acte administratif.  Cette mesure ne doit nullement être une solution finale au fond du litige (…). Par exemple, un juge de référé ne peut ordonner la discontinuation des poursuites sans examiner préalablement le bien-fondé, en fait et en droit, ou mieux sans faire préjudice au principal ».

Un effort très appréciable a été fait en matière de décentralisation, avec l’institution du sursis à exécution spécial de 48 heures.

On sait, en effet, qu’aux termes de l’article 77 de la loi n°2019/020 du 24 décembre 2019 portant code général des collectivités territoriales décentralisées, le représentant de l’État ( à savoir gouverneur ou préfet ) qui a connaissance des décisions réglementaires et individuelles prises par le président du Conseil régional ou le Maire dans le cadre de l’exercice de leurs pouvoirs prévus aux articles 75 et 76 du code de 2019, peut déférer à la juridiction administrative compétente les actes qu’il estime entachés d’illégalité, dans un délai maximal d’un mois à compter de leur réception. Il peut aussi joindre à ce recours une demande de sursis à exécution de ces décisions. Le juge fera droit à la demande de sursis dès lors que « l’un des moyens invoqués dans la requête paraît, en l’état de l’instruction, sérieux et de nature à justifier l’annulation de l’acte attaqué ».

Bien plus, lorsque l’acte déféré au Tribunal est de nature à compromettre l’exercice d’une liberté publique, la juridiction administrative ou un de ses membres délégués à cet effet, prononce le sursis dans un délai maximal de quarante-huit (48) heures (cf. article 78 alinéa 2 de la loi de 2019 portant  code des CTD).

Rien n’interdit de généraliser une telle mesure de bon sens en matière de droits et libertés publiques. La décision du juge rendue en matière de sursis à exécution et en matière de référé administratif peut faire l’objet de recours. Il en est de même lorsqu’il statue en tant que juge de fond.

Chapitre II. : LES VOIES DE RECOURS CONTRE LES DECISIONS DU juge RENDUES EN CONTENTIEUX administratif

Les décisions du tribunal rendues dans le contentieux administratif peuvent faire l’objet de recours. On entend par « voie de recours » l’ensemble des procédures destinées à permettre un nouvel examen devant une juridiction hiérarchiquement supérieure à celle qui a rendu la décision critiquée ou encore un nouvel examen devant la même juridiction qui a rendu la décision critiquée. Dans le cadre du contentieux administratif, deux catégories de voies de recours sont ouvertes contre les décisions du Tribunal administratif : les voies de réformation (section I) et les voies de rétractation (section II).

section I : LES VOIES DE REFORMATION

La justice ne saurait, en règle générale, être rendue une fois pour toute par des juges statuant définitivement en premier et dernier ressort. La bonne administration de la justice exige que dans tout système juridictionnel, soit mise en place une construction à plusieurs étages, destinée à vérifier, par l’exercice de voies de recours appropriées et par des juges réputés plus chevronnés, que la sentence initiale a été rendue régulièrement et à bon droit. Sur cette base, deux voie de reformation sont ouvertes aux justiciables. Il s’agit de l’appel (para I) et de la cassation (para II).

Para I : L’appel

L’appel se borne à assurer sa double fonction traditionnelle qui consiste à contrôler d’une part la régularité en la forme des sentences et d’autre part leur bien-fondé. En matière administrative, « l’appel est une voie de réformation et une voie d’annulation des jugements du 1er ressort non assortis de cassation ». L’appel suspend en principe l’exécution des jugements. On dit en ce sens qu’il a un effet suspensif. Il a aussi un effet dévolutif, c’est-à-dire que le litige, dans sa complexité de fait et de droit, est porté devant le juge d’appel qui doit réexaminer à nouveau toute l’affaire.

Les matières contentieuses susceptibles d’appel contre les décisions des Tribunaux administratifs sont essentiellement contenues dans l’article 114 de la loi n° 2006/022 fixant l’organisation et le fonctionnement desdits Tribunaux, aux termes duquel, « les décisions rendues en premier ressort dans les conditions prévues par des textes particuliers, celles rendues … en matière de référé sont susceptibles d’appel devant la Chambre administrative dans les délais prévus par le texte fixant la procédure devant (ladite Chambre) de la Cour Suprême ». Ce délai d’appel est de 15 jours à compter du lendemain de la notification de la décision du tribunal administratif attaqué (Cf. article 89 de la loi n° 2006/016 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour Suprême). Il convient de relever que si la décision au fond peut faire l’objet d’appel, conformément à l’article 114 alinéa 3 de la loi n°2006/022, les décisions ADD (Avant Dire Droit) peuvent aussi faire l’objet de cette même voie de recours à condition qu’il ne s’agisse pas des ADD touchant aux mesures d’instruction du juge à l’exemple d’un transport judiciaire,  de la commission d’un expert, etc. A côté de l’appel, le législateur a consacré une autre voie de reformation à savoir le pourvoi en cassation.

Para II. le pourvoi en cassation

L’article 40 de la constitution de 1996, en son paragraphe 3, prévoit que la Chambre administrative « statue souverainement sur les décisions rendues en dernier ressort par les juridictions inférieures en matière de contentieux administratif ». L’article 116 de la loi n° 2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des Tribunaux administratifs précise que « les décisions rendues en premier et dernier ressort par le Tribunal administratif sont susceptibles de pourvoi (en cassation) devant la Chambre Administrative ».   

En principe, la fonction du recours en cassation n’est pas d’assurer, au profit de la juridiction supérieure qui en est saisie, le jugement à nouveau du litige. « Le juge de cassation n’est pas appelé à juger les procès, mais seulement à se prononcer sur la légalité des décisions rendues », a-t-on justement fait remarquer. En cas de pourvoi en cassation, la Chambre Administrative de la Cour Suprême se contentera alors de vérifier si les Tribunaux Administratifs ont fait une application régulière de la loi, s’ils ont, ou non, respecté les règles de forme et de fond qu’ils étaient tenus d’appliquer. Elle pourra annuler la décision qui lui est soumise et la renvoyer à la juridiction de fond qui devra statuer à nouveau.

Mais, dans un souci d’économie du temps, l’article 104 alinéa 4 de la loi n° 2006/016 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour Suprême a octroyé à la Chambre Administrative, en cas de cassation, le pouvoir d’évocation lorsque l’affaire est en état d’être jugé au fond. C’est dire toute l’attention accordée désormais à la célérité du procès administratif.

Le champ d’application du pourvoi en cassation qui, en principe, n’a pas d’effet suspensif, est fixé avec précision par quelques dispositions pertinentes des lois de 2006.

D’abord, par l’article 38 de la loi n°2006 / 016, aux termes duquel « la Chambre administrative est compétente pour connaître … des pourvois formés contre les décisions rendues en dernier ressort par les juridictions inférieures en matière de contentieux administratif, des exceptions préjudicielles soulevées en matière de voie de fait et d’emprise devant les juridictions inférieures en matière de contentieux administratif, de toute autre matière qui lui est expressément attribuée par la loi ».

Ensuite, l’article 2 alinéa 3 de la loi n° 2006/022 énumère ainsi, entre autres, au titre du contentieux administratif à l’encontre de l’Etat et de ses démembrements : les recours en annulation pour excès de pouvoir et, en matière non répressive, les recours incidents en appréciation de légalité (…). Selon l’article 15 alinéa 2 du même texte, à côté de la question de droit préjudicielle instituée par l’article 14 alinéa 2 de la loi, le Tribunal Administratif du siège de l’autorité qui a pris la décision attaquée est également compétent pour connaître des recours en interprétation et appréciation de la légalité de l’acte litigieux intervenant sur renvoi de l’autorité judiciaire.

Enfin, les ordonnances de référé administratif et de sursis à exécution, rendues par le Président du Tribunal Administratif, peuvent faire l’objet d’un recours en cassation en application des dispositions combinées des paragraphes IV (articles 108 à 110) et V (articles 111 et 112) de la loi n° 2006/016 précitée.

Les matières contentieuses sont ainsi conférées par le constituant et le législateur à la Chambre administrative directement et indirectement.

section II. LES VOIES  DE RETRACTATION

Les recours en rétractation sont au nombre de deux : ceux offerts aux personnes non présentes au procès (para I) et ceux offerts aux personnes présentes aux procès (para II).

Para I : Les voies de recours en rétractation offertes aux personnes non présentes au procès.

Dans le contentieux administratif, toute personne a le droit de contester une décision de la justice administrative qui la concerne. En termes claires, toute personne insatisfaite d’une décision rendue par le juge administratif peut demander le réexamen de l’affaire en exerçant la voie de recours y afférente. Si l’appel et le pourvoi en cassation constituent les deux voies de recours les plus connues, d’autres moyens permettent aux justiciables de contester une décision de justice dont ils ne sont pas satisfaits : il en est ainsi notamment de l’opposition (I) et de la tierce opposition (II) qui sont des voies de recours offertes aux personnes non présentes au procès.

 I. L’OPPOSITION

En droit processuel, le terme opposition s’utilise pour désigner une « voie de recours ordinaire ouverte au défaillant pour faire rétracter un jugement par défaut en remettant en question devant la même juridiction les points déjà jugés afin qu’il soit statué à nouveau en fait et en droit ».

L’opposition constitue ainsi une voie de recours qui tend à faire rétracter, c’est-à-dire à faire rejuger, par la même juridiction, un jugement rendu en l’absence de la partie qui en est l’objet. Elle ne concerne donc que les décisions rendues par défaut, c’est-à-dire en l’absence d’une partie qui n’a pu faire valoir ses arguments lors du premier jugement. Lorsqu’une partie fait opposition, la juridiction ayant initialement statué est à nouveau saisie de l’entier litige et une nouvelle instance recommence. Cette instance peut aboutir à la confirmation ou à l’annulation de la première décision. L’opposition tend au rétablissement du principe du contradictoire. Recours de droit commun, elle est ouverte chaque fois qu’un texte ne l’exclut pas.

Les articles 107 à 111 de la loi n° 2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des Tribunaux administratifs fixent le régime juridique de l’opposition en ces termes :

Article 107. La déclaration d’opposition contre tout jugement de défaut du Tribunal administratif est faite soit par le demandeur en personne ou par son avocat, soit par un mandataire muni, à peine d’irrecevabilité, d’un pouvoir spécial (c’est-à-dire d’une procuration spéciale). Si l’on s’en tient au droit commun, ce mandat doit être dûment légalisé.

Article 108. Le greffier qui enregistre la déclaration d’opposition en délivre immédiatement une expédition au déclarant.

Article 109 (1). Les jugements sont rendus par défaut lorsque les parties n’ont pas déposé les mémoires dans les délais impartis.

(2) Les décisions par défaut sont susceptibles d’opposition.

(3) La requête en opposition est formée dans les quinze jours de la notification de la décision de défaut.

Article 110. – Pendant ce délai, auquel  s’ajoute le délai de distance, le jugement ne peut être exécuté à moins que, en cas d’urgence ou de péril en la demeure, l’exécution provisoire avec ou sans caution n’ait été ordonnée.

Article 111. – La notification de la décision doit, à peine de nullité, mentionner :

  • le délai dont dispose la partie défaillante pour former opposition ;
  • qu’à l’expiration de ce délai, la décision devient définitive.

A- Conditions et modalités de l’opposition

L’opposition à la décision du Tribunal administratif peut être faite dans deux cas :

1) Si, étant le défendeur (c’est-à-dire la personne mise en cause dans le procès), la décision a été rendue sans qu’il ait la possibilité de déposer son mémoire en défense (alors qu’il était encore dans les délais prévus pour déposer ce mémoire) ;

2) Si, étant partie au procès, on n’a pas reçu notification ou n’a pas été appelé à prendre connaissance des rapports d’expertise ou des procès-verbaux d’enquête ou de descente sur les lieux.

La requête en opposition doit être formée dans les 15 jours suivant la date à laquelle la décision de défaut  a été notifiée. La notification doit d’ailleurs mentionner obligatoirement (à peine de nullité) d’une part le délai dont dispose l’opposant pour former l’opposition, d’autre part, qu’à l’expiration de ce délai, la décision devient définitive.

Lire Aussi :  Cours de comptabilité publique Complet (PDF)

La requête en opposition doit être introduite de la même manière que lorsque l’on saisit la Chambre administrative pour connaître d’un litige, c’est-à-dire suivant les règles qui s’appliquent à la requête introductive d’instance.

Pendant le délai de 15 jours dont on dispose pour former la requête en opposition, délai auquel il faut ajouter le délai de distance pour les personnes résidant hors du siège de la juridiction (1 jour pour 50 km), le jugement ou l’arrêt auquel on s’oppose ne peut être exécuté, à moins que, en cas d’urgence ou de péril en la demeure, l’exécution provisoire avec ou sans caution n’ait été ordonnée.

La partie condamnée par défaut pourra former opposition dans les 15 jours de la signification du jugement.

L’opposition est formée par déclaration au greffe de la juridiction qui a rendu la décision. Le greffier qui enregistre la déclaration d’opposition en délivre immédiatement une expédition au déclarant.

  1. Une personne qui se laisserait condamner une seconde fois par défaut ne pourrait pas former une nouvelle opposition. On parle alors d’itératif défaut.

B. Finalité et portée de l’opposition

L’opposition formée hors délai est irrecevable et sans effet sur la décision attaquée. L’opposition, si elle est recevable, remet la cause et les parties en l’état où elles se trouvaient lors de l’acte introductif d’instance. En cas d’indivisibilité, l’opposition de l’une des parties ayant obtenu gain de cause est opposable aux autres.

L’affaire est rejugée par le même Tribunal qui a rendu la décision par défaut. L’opposant étant présent peut faire valoir ses arguments devant le juge qui peut, soit confirmer la première décision, soit l’infirmer. L’opposition suspend l’exécution si celle-ci n’a pas été ordonnée nonobstant opposition. Autrement dit, si la décision attaquée n’a pas été assortie de l’exécution provisoire nonobstant opposition, alors celle-ci une fois formée fait valoir son caractère suspensif. L’opposition a donc, comme l’appel, en principe un effet suspensif et dévolutif.

II). LA TIERCE OPPOSITION

La tierce opposition, quant à elle, peut se définir comme une « voie de recours extraordinaire ouverte à tous les tiers lésés ou menacés d’un préjudice en raison d’un jugement auquel ils n’ont pas été partie ». La tierce opposition est particulièrement utile lorsqu’il existe une situation d’indivisibilité entre le tiers et l’une des parties. L’article 115 de la loi n° 2006/022 la consacre en ces termes :

(1) La tierce opposition devant le Tribunal administratif est soumise aux règles édictées par le droit commun ;

(2) La demande est soumise aux conditions de la requête introductive d’instance.

A. Conditions et modalités de la tierce opposition

Si une personne n’a pas été partie à la procédure ou qu’elle n’y a pas été représentée, alors qu’elle avait intérêt à y défendre ses droits, elle peut alors faire à nouveau juger les dispositions du jugement qui lui font grief en introduisant une procédure dite « tierce opposition ». Sont irrecevables à former tierce opposition les personnes qui ont été régulièrement représentées à l’instance c’est -à- dire à l’audience.

La tierce opposition n’est donc possible qu’à deux conditions :

  • Que le tiers opposant n’ait été ni régulièrement appelé, ni représenté à l’instance ;
  • Que le recours soit dirigé contre un jugement ou un arrêt qui préjudicie à ses droits.

Si l’on désire faire une tierce opposition, on doit suivre le droit commun en la matière, c’est-à-dire la même procédure et les mêmes règles que devant le juge judiciaire. La demande en tierce opposition sera introduite comme une requête introductive d’instance ; elle pourra être introduite à tout moment, sans condition de délai. Dans quel délai peut-on faire la tierce opposition ?

En principe, le délai d’action est de trente ans à compter du jugement. Ce délai s’explique par le fait qu’en matière contentieuse, le jugement n’étant pas notifié aux tiers, ceux-ci peuvent n’en avoir connaissance que longtemps après.

B) Finalité et portée de la tierce opposition

Cette voie de recours ressemble à l’opposition en ce que le Tribunal qui remet l’affaire au rôle entend à nouveau les parties et rend un second jugement ; mais, son pouvoir est alors limité, en ce que, s’il déclare la demande recevable et fondée, le Tribunal ne peut modifier sa décision que sur les chefs de demande qui sont préjudiciables au requérant à la procédure de tierce opposition.

Par ailleurs, si au moment où l’intéressé forme cette voie de recours, le jugement est devenu définitif à l’égard des autres parties ou à l’égard de l’une ou l’autre d’entre elles, les modifications qui interviennent ne leur sont pas opposables.

Autrement dit, si la tierce opposition est ouverte à tous les tiers y ayant intérêt, elle ne possède que des effets limités : le jugement primitif n’est susceptible de se voir modifier qu’en ce qu’il préjudicie aux tiers. Ce qui signifie qu’il conserve tous ses effets entre les parties initiales au litige.

En outre, comme l’appel et l’opposition, la tierce opposition a un effet dévolutif.

Enfin, le recours à la tierce opposition n’est, en principe, pas suspensif : la tierce opposition ne suspend pas l’exécution du jugement qui est contesté, sauf exception.

Si la tierce opposition est admise, la décision n’est rétractée que dans l’intérêt du tiers opposant. Ainsi, la tierce opposition laisse subsister le jugement entre les parties et à l’égard des autres tiers. Rien n’exclut donc, sauf dans certains cas exceptionnels, que le jugement contre lequel elle est formée soit exécuté pendant la période d’examen de ce recours.

Para II. LES VOIES DE RECOURS EN RETRACTATION OFFERTES AUX PERSONNES PRESENTES AU PROCES

La révision et la rectification d’erreur matérielle constituent deux voies de recours en rétractation offertes aux personnes présentes au procès.

 I- LA REVISION DE LA DECISION DU JUGE ADMINISTRATIF

 A.  Conditions et modalités

La révision d’une décision contradictoire du Tribunal Administratif (par opposition à une décision par défaut), c’est-à-dire d’une décision rendue à la suite d’un procès auquel les parties au litige ont effectivement pris part et ont eu la possibilité de se défendre, peut être demandée dans les trois cas suivants :

  • lorsqu’il y a eu dol personnel (par exemple, une fausse déclaration qui a déterminé le juge à rendre sa décision);
  • lorsqu’il a été statué sur les pièces reconnues ou déclarées fausses depuis la décision ;
  • lorsqu’une partie a succombé, faute de présenter une pièce décisive retenue par son adversaire.

Le recours en révision doit être formé dans un délai de trente (30) jours qui court à compter du lendemain du jour de la connaissance de la cause ouvrant droit à révision. Il est instruit et jugé par le Tribunal qui a rendu le jugement prétendument vicié et selon la procédure suivie devant le Tribunal. Elle est prévue par l’article 118 de la loi n° 2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des Tribunaux Administratifs.

La révision d’une décision d’appel ou d’un pourvoi répond aux conditions posées par les articles 11, 13 et 41 de la loi n°2006 / 016 du 29 décembre 2006.

 B. Finalité et portée

Le recours en révision est une voie de rétractation qui permet de demander à un Tribunal dont la décision est définitive de statuer à nouveau en fait et en droit, parce que son jugement est entaché d’erreur (exemple : faux témoignage ou faux document produit). La révision apparaît ainsi comme une voie de recours contre une erreur judiciaire dont la réalité n’apparaît qu’après que la décision est devenue irrévocable. Elle suspend l’exécution du jugement attaqué.

 II. LE RECOURS EN RECTIFICATION D’ERREUR MATERIELLE

Dans l’affaire Sieur Olivier BILE, agissant au nom des « Libérateurs » contre Président de la République, Président du Sénat, Président de l’Assemblée nationale[16], le Conseil constitutionnel, dans une démarche pédagogique, a retenu une définition restrictive de l’erreur matérielle : « Attendu que l’erreur matérielle s’entend comme des omissions ou incorrections susceptibles d’affecter la forme et non le fond d’une décision »[17]. Cette définition est réitérée dans l’affaire sieur DIBAMOU André Marie contre Président de la République, Président du Sénat, Président de l’Assemblée Nationale avec plus de précisions : « Qu’en clair, une faute d’orthographe, de grammaire ou de style ne saurait constituer une erreur matérielle susceptible de créer une ambiguïté dans la compréhension de la décision entreprise ; Attendu qu’en l’espèce, au lieu de relever les erreurs matérielles telles que prévues par la loi, le requérant s’est plutôt évertué à corriger la rédaction de la décision du Conseil attaquée ; Que n’ayant pas ainsi rapporté la preuve des erreurs matérielles à lever, il y a lieu de rejeter sa requête comme non justifiée »[18].  Suivant ce raisonnement, toute velléité tendant à toucher le fond de la décision est irrecevable ou rejetée comme en attestent les espèces Sieur Olivier BILE et Sieur DIBAMOU André Marie[19]. Cette faille de correction des erreurs matérielles qu’offre le règlement intérieur du Conseil s’assimile à une voie de recours extraordinaire en vigueur dans le droit commun processuel[20]. Le recours en révision en contentieux administratif semble épouser la même logique. Il est intéressant de voir les conditions et modalités, d’une part (A), et, d’autre part, la finalité et a portée (B).

 A. Conditions et modalités

Il est possible d’introduire un recours en rectification d’erreurs matérielles devant le Président du Tribunal saisi si la décision rendue par cette juridiction est entachée d’une erreur matérielle susceptible de nuire à l’exécution de la décision. Ce recours est introduit par simple requête et le délai est de trente  (30) jours à compter de la notification de la décision mise en cause.

 B. Finalité et portée

Un tel recours est sans incidence sur la décision quant au fond. Il vise simplement à faire porter des corrections sur le texte de la décision, ainsi qu’il est loisible de le constater à la lecture du jugement n°58 du 31/07/1980, LEMBE PENDA Samuel contre Etat du Cameroun.

Bibliographie INDICATIVE

* Ouvrages

– ABANE ENGOLO (Patrick Edgard), Traité de contentieux administratif du Cameroun, Paris, L’Harmattan, 2019 ;

– Chapus (René), Droit du contentieux administratif, Paris, Montchrestien, 2005 ;
– DebBasch (Charles), Droit administratif, 6e édition, Paris, Economica, 2002 ;
– KEUTCHA TCHAPNGA (Célestin), Précis de contentieux administratif au Cameroun. Aspects de l’évolution récente, Paris, L’Harmattan, 2013 ;
-OWONA (Joseph), Droit administratif spécial de la République du Cameroun, Paris, Edicef, 1985;

– OWONO (Joseph), Le contentieux administratif de la République du Cameroun, Paris, L’Harmattan, 2011 ;

* thèses  

– Aba’a OYONO (Jean-Calvin), La compétence de la juridiction administrative en droit  camerounais, Thèse nouveau régime en Droit, Université de Nantes, 1994 ;

– BILONG (Salomon), Responsabilité de la puissance publique et compétence du juge en droit camerounais, Thèse de doctorat 3e Cycle en Droit public, Université de Yaoundé II, 1998 ;
– DOUNGUE  KAMO (Grégoire Yves), Le recours gracieux préalable au Cameroun, Trente ans après, Thèse de Master Recherche, Université de Dschang, FSJP, 2008/2009 ;
– FANDJIP (Olivier), Le temps dans le contentieux administratif : Essai d’analyse comparative des droits français et des Etats d’Afrique francophone, Thèse en vue de l’obtention du titre de Docteur en Droit public, Université d’Auvergne, Décembre 2016 ;

– Sietchoua Djuitchoko (Célestin), L’appel dans le contentieux administratif au Cameroun. Contribution à l’étude de la juridiction administrative, Thèse Nouveau Régime en Droit, Université d’Aix-Marseille III, 2001 ;

-TSEGUI NZUNDIE (Agnès Flore), L’encadrement juridique actuel de la coopération des collectivités territoriales décentralisées au Cameroun, Thèse de Master Recherche, Université de Dschang, Faculté des Sciences Juridiques et Politiques, Année académique 2013-2014 ;

 

articles  scientifiques

 

– BIPELE KEMFOUEDIO (Jacques), « Le contentieux de la voies de fait administrative et de l’empire irrégulière au Cameroun : Contribution à la répartition des compétences entre le juge judiciaire et le juge administratif », Juridis périodique n° 93, janvier-février –mars 2013, pp. 64-72 ;

– BIPELE KEMFOUEDIO (Jacques) et FANDJIP (Olivier), « Le nouveaux procès administratif au Cameroun : Réflexion sur le recours gracieux en matière d’urgence », RIDC, n° 4, octobre- décembre 2012, pp. 973 – 993 ;

– Keutcha Tchapnga (Célestin), « La réforme attendue du contentieux administratif au Cameroun : A propos de la loi n° 2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des Tribunaux administratifs », Juridis périodique, n° 70, avril- mai – juin 2007, pp. 24-29.
– Keutcha Tchapnga (Célestin), « Le régime juridique du sursis à exécution dans la jurisprudence administrative camerounaise », Juridis périodique n° 38, avril, mai, juin 1999, pp. 83-93 ;

 

* textes :  

– Constitution camerounaise du 18 janvier 1996 ;

– Loi n° 2006-015 du 29 décembre 2006 portant organisation judiciaire ;

– Loi n° 2006/016 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour Suprême ;

– Loi n° 2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des Tribunaux administratifs ;

 

 

[1] D’après le tribunal de conflit français, lorsqu’une question préjudicielle est identique à une question sur laquelle la Cour de Justice a déjà été amenée à se prononcer ou lorsque la réponse à cette question ne laisse place à aucun doute raisonnable ou peut être clairement déduite de la jurisprudence, la Cour peut, après avoir entendu l’Avocat général, statuer par voie d’ordonnance motivée, en faisant notamment référence à l’arrêt déjà rendu sur cette question ou à la jurisprudence pertinente (T.C. 12 décembre 2011, Société  Green Yellow et autres c/ Electricité de France, n° 3841).

[2] Cf. Président du Tribunal de Première Instance de Dschang, ordonnance de référé n° 19/ORD du 16 octobre 2008.

[3] Cf. Président du Tribunal de Première Instance de Dschang, ordonnance de référé n° 21/ORD du 14 décembre 2011.

[4] Tribunal de Première Instance de Douala, ordonnance de référé n° 791 du 10 janvier 2002. Dans cette affaire, le Président du Tribunal statuant en référé a constaté la voie de fait administrative et a ordonné la levée des scellés apposés sur l’immeuble exploité par la requérante, sous astreinte.

[5] CFJ/SCAY, arrêt n° 10 du 17 octobre 1968, MVE NDONGO Abraham – Procureur Général contre NGADA Victor.

[6]  CFJ/CAY, arrêt n° 157 du 13 mars 1971, MEDOU Gaston C/ Etat Fédéral du Cameroun.

[7] Cf. article 38 alinéa c de la loi n° 2006/016 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour Suprême.

[8] Recours gracieux préalable, recours de tutelle si possible, respect des délais de procédure, recours contentieux…

[9] CFJ/SCAY, arrêt n° 20 du  04 novembre 1966.

[10] CFJ/SCAY, arrêt n° 08 du 16 octobre 1968.

[11] CS /CA, jugement n° 63 du 26 mai 1988.

[12] CFJ/CAY, arrêt n° 157 du 13 mars 1971.

[13] Cf. Président du Tribunal de Première Instance de Dschang, ordonnance de référé n° 06/ORD du 15 décembre 2006.

[14] Cf. Président du Tribunal de Première Instance de Dschang, ordonnance de référé n° 21/ORD du 14 décembre 2011.

[15] J. CHEVALIER, « L’interdiction pour le juge administratif de faire acte d’administrateur », AJDA, 1972, p. 83.

[16] Décision n° 2/CC/CCT/CC du 04 mai 2022.

[17] Décision n° 2/CC/CCT/CC du 04 mai 2022, Rôle 8.

[18] Décision n° 4/CC/SDA du 06 juin 2022, Rôles 25 et 26.

[19] Dans ces deux espèces dont les références sont ci-dessus données, l’erreur matérielle touche ou concerne la forme d’une décision et non le fond.

[20]