COURS DE  POLITIQUE PUBLIQUE 2 Par Pr. TCHOUPIÉ ANDRÉ. Professeur Titulaire en Science Politique. Assisté de Dr. TAGNE KOMMEGNE Sandrine Carole. PhD en Science Politique.  FACULTÉ DES SCIENCES JURIDIQUES ET POLITIQUES. DÉPARTEMENT DE SCIENCE POLITIQUE. UNIVERSITE DE DSCHANG.

INTRODUCTION GÉNÉRALE

Les politiques publiques constituent, au sein de la science politique et de la sociologie, une discipline qui couvre par ses contributions, trois aspects principaux de la vie sociopolitique et scientifique : la connaissance, l’action ou la gestion et la formation. L’étude de cette discipline est en effet fortement marquée par l’empreinte de mettre en exergue des problèmes concrets comme le relève Patrick Hassenteufel.

Pour de nombreux politistes et sociologues, les politiques publiques constituent les principales réponses à la nécessité d’élaborer des connaissances applicables aux problèmes de l’action politique et administrative. L’entrée par les politiques publiques contribue à expliquer ou renouveler les transformations de la démocratie (quels problèmes sont traités ?, qui participe ?, pour qui ?, qui proteste ?), de l’État et du gouvernement (quelle capacité de direction de la société ?) mais permet aussi de montrer les limites de la régulation politique : acteurs économiques et sociaux qui résistent, manipulent, colonisent, neutralisent l’action publique. Les politiques publiques sont autant des questions de mise en œuvre que des questions de décision. Par conséquent, l’analyse des politiques publiques est «une discipline appliquée de la science sociale qui utilise de multiples méthodes de recherche et d’argumentation pour produire et transformer de l’information pertinente pour une politique, information qui puisse être employée dans des contextes politiques afin de résoudre des problèmes de « politique-action », (Dunn, 1981). C’est pourquoi, elles s’assimilent à la science de « l’État en action ».

Cependant, l’analyse des politiques publiques est le plus souvent confrontée à un certain nombre de difficultés. Se situant au carrefour de savoirs déjà établis auxquels elles empruntent ses principaux concepts (décision, changement, réseaux, temporalité, acteur, path dependence…), les politiques publiques se heurtent inévitablement, dans cette pluridisciplinarité, aux savoirs académiques qui prétendent déjà répondre aux questions qu’elles posent. Hassenteufel pense que l’analyse des politiques publiques est issue des disciplines telle que l’économie, la sociologie des organisations, la  sociologie, la Science Politique, l’histoire, le droit etc. qui contribuent toutes à l’analyse de l’action publique. A titre illustratif, l’apport d’Emile Durkheim en sociologie, reste majeur pour l’analyse des représentations et des normes et la contribution des politiques publiques à la régulation de la société ; la sociologie du droit est également mobilisée par la sociologie de l’action publique pour appréhender la production et la diffusion des normes ou les réseaux de juristes transnationaux ; les travaux de sociohistoire permettent de reconstituer les catégorisations sociales et leurs usages, la mise en forme des problèmes publics et des représentations du monde social. Pour ces raisons, l’analyse des politiques publiques peut être considérée comme un véritable objet carrefour des sciences sociales même si la démarche sociologique y est largement privilégiée.

Le plus remarquable des heurts que rencontrent les politiques publiques prend sa source dans le caractère extraordinairement polysémique du terme politique. Ce dernier désigne, d’une part, « les interactions qui s’établissent entre des acteurs, individuels ou collectifs, poursuivant des intérêts différents ou convergents et qui se traduisent notamment par la lutte pour le pouvoir, l’influence ou l’autorité », et d’autre part, il renvoie à « un programme d’actes et d’actions poursuivis par un individu ou une organisation ». Cela étant, les choses sont plus simples pour les auteurs de langue anglaise, étant donné qu’ils disposent de trois angles différents, pour désigner ce que la langue française résume dans la notion de politique.

Du côté des chercheurs francophones à l’instar de Bruno Palier et Yves Surel dans «Le politique dans les politiques », en effet, ces termes recouvrent à la fois la sphère politique «polity », l’activité politique « politics » et l’action politique « policies ».

La première expression fait la distinction entre le monde de la politique et la société civile. La frontière entre les deux, toujours floue, pouvant d’ailleurs varier selon les lieux et les époques. Elle renvoie à l’idée de communauté politique. La deuxième désigne l’activité politique en générale c’est-à-dire la compétition pour l’obtention des postes politiques, les mobilisations collectives, les débats partisans ou encore les évolutions de l’opinion publique. La dernière notion désigne le processus par lequel sont élaborés et mis en place les programmes d’action publique. Plus précisément, il s’agit des dispositions politico-administratives et les modes d’élaboration coordonnées en principe autour d’objectifs explicites.

Étudier donc les politiques publiques, c’est se situer principalement dans le cadre de la troisième acception, celle des « policies ».  Cette attitude ne veut pas dire évidemment que les autres dimensions doivent être méconnues, et en particulier, la dimension de la compétition politique, car Pierre Muller dans L’État en action revisité souligne que, « faire de la politique, c’est toujours, et de plus en plus faire des politiques publiques ». De façon plus nette, il est question de mettre l’accent sur l’État (institution qui d’une façon ou d’une autre, domine la société, la façonne et la transcende) se déployant à travers des actions publiques plutôt que sur la compétition politique. Ce choix constitue un angle d’attaque différent de l’approche classique parce que l’activité politique y est d’abord analysée du point de vue de ses outputs (c’est-à-dire élaboration des politiques publiques, espace de mobilisations et de représentation politiques), plutôt que de privilégier ses inputs. On assiste selon Lascoumes et Le Galèss à un dépassement du modèle classique où un gouvernement plus ou moins centralisé menait l’essentiel des actions sur des secteurs bien délimités. Tout d’abord, les échelles d’action spatiale ont été multipliées vers le haut (international), vers le bas (régions, départements, villes, territoires) et de façon transversale (alliances transfrontalières, réseaux d’acteurs transnationaux, intégration régionale). Ensuite, à tous ces niveaux, les acteurs mobilisés ont proliféré multipliant les sources d’expertise, les lieux de débats et de décision et le rôle des organisations non gouvernementales en particulier. Enfin, les processus de mondialisation ont renforcé l’autonomie des institutions financières tout en accélérant la circulation des modèles et instruments d’action via les consultants et les juristes qui promeuvent les mécanismes de marché, les partenariats public-privé etc. Le terme « politique publique » est donc aujourd’hui délaissé au profit de la notion d’ « action publique » pour prendre en compte l’ensemble des interactions qui agissent à des niveaux multiples.

Il convient dans cette perspective de s’appesantir tour à tour sur les considérations générales des politiques publiques, sur les acteurs et les réseaux dans les politiques publiques et enfin sur la rationalité de l’action publique.

CHAPITRE 1 : GÉNÉRALITÉS SUR LES POLITIQUES PUBLIQUES

De prime abord, il s’agit de comprendre ce que le concept de politique publique veut dire. Ensuite, d’examiner le passage des politiques publiques à l’action publique.

SECTION 1 : CE QUE POLITIQUE PUBLIQUE VEUT DIRE ? 

L’analyse des politiques publiques reste encore selon Dyson (2010), celle des sociétés nationales et industrielles qui ont suivi les trajectoires de la modernité occidentale et ont été pilotées par une forme politique particulière, l’État. Jean Claude Thoenig dans le classique «L’analyse des politiques publiques » paru dans le Traité de Science politique de Madeleine Grawitz et Jean Leca, appréhendent les politiques publiques comme des « phénomènes sociaux empiriquement fondés et analytiquement construit ». En ce sens, elles constituent des faits observables et faisant l’objet de recherche.

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Paragraphe 1 : Une politique publique est un construit social et de recherche

Contrairement aux apparences, l’opération qui consiste à délimiter les frontières d’une politique publique, est toujours périlleuse, les contours d’une politique ne devant pas être considérés comme définitivement délimitées. Par contre, ils (contours) sont toujours susceptibles d’être remis en question à travers un processus constant de redéfinition de sa structure et donc des limites des champs politiques.

Pour autant, il est impératif d’être conscient du caractère construit et évolutif des politiques publiques, il ne faut pas faire de cette question, du repérage des politiques publiques, l’enjeu unique de la recherche comme l’on a trop souvent tendance à le faire lorsqu’on aborde l’étude d’un domaine d’action publique. Ainsi, il est probablement inutile de se demander indéfiniment si la politique de la culture ou la politique de l’art par exemple existe et quelles en sont les frontières ? Mieux vaut se donner un objet de recherche plus modeste qui permette de s’interroger sur les mécanismes de construction de l’action publique dans ces secteurs. C’est ce que Jones  souligne lorsqu’il affirme : « qu’une politique publique est simplement une catégorie analytique. Elle est autant le produit du travail de construction de son objet par le chercheur que le produit de l’action des acteurs politiques ».

Cela signifie que l’analyse devra prendre en compte le fait que l’existence ou la non existence de la politique publique constitue le plus souvent un enjeu des acteurs politiques qui, selon leur position sur le champ socio politique auront tendance à surévaluer l’importance de leur action ou au contraire à remettre en cause la cohérence, voire l’existence même de l’action gouvernementale. A partir de là, il ne faut pas s’étonner de la difficulté que l’on rencontre pour définir ce qu’est une politique publique.

Dans la littérature spécialisée, les définitions sont légions et varient. Elles vont des plus simplistes aux plus complètes. Initialement, les définitions partent des actions de gouvernants : une politique publique est un programme d’action gouvernemental ou selon Thomas Dye (1976), «tout ce que le gouvernement choisit de faire ou de ne faire » ou de résoudre ou de ne pas résoudre. L’accent est mis sur l’ensemble des décisions prises par les acteurs politiques pour choisir leurs objectifs et les moyens de les atteindre (Jenkins, 1978). Il ressort de tout ceci qu’une politique publique au-delà d’être un «problème » comme le remarque Jean Claude Thoenig se situant dans un contexte social spécifique, par rapport à des enjeux, à des populations, à des structures, constitue une réalité objective. En ce sens, elle affecte les individus, les groupes, des organisations ou des classes dans leurs attitudes, dans leurs intérêts ou dans leurs situations. Les politiques publiques font parties de notre vie quotidienne. La plupart de nos comportements individuels sont influencés, si ce n’est déterminé, par des politiques publiques (exemple : notre alimentation dépend des politiques agricoles, environnementales…).

Cette approche ayant évoluée, d’autres appréhendent une politique publique au sens d’Elisabeth Sheppard en tant qu’« un problème public», c’est à dire un problème qui structure des publics et qui produit des effets pratiques. D’autres encore mettent l’accent sur des dimensions spécifiques : l’hétérogénéité des séquences d’action, leur combinaison aléatoire et leur rationalisation (March, 1991) ; un espace de négociation des intérêts sociaux (Commailles, Jobert, 1999) ; les interactions entre acteurs et institutions (Considine, 2005) etc.

De J. Dewey (1915) nous retiendrons l’idée selon laquelle une politique publique n’est en général qu’une hypothèse de travail. Il ne s’agit pas d’un programme strict et rationnel mais d’une expérimentation à observer lors de la mise en œuvre. Les politiques publiques sont des puzzles à résoudre compte tenu de la fragilité des moyens, des l’incertitude des fins et de l’importance des jeux d’acteurs dans la mise en œuvre.

Sur ces entrefaites, une politique publique met en lumière la qualification d’une manière particulière d’une situation « anormale » pouvant conduire à l’(in) action des autorités publiques. Elle est donc silence et parole, action et réserve. Ensuite, pour Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès dans Sociologie de l’action publique, une politique publique s’articule en substance autour d’un programme d’action gouvernemental exercé dans un secteur de la société, ou dans un espace géographique. A ce titre, elle combine les lois, les affectations de crédits, les administrations et les personnels en vue de la réalisation d’un ensemble d’objectifs plus clairement définis.

De manière générique, à travers cette notion, il est question de prises de positions ou des interventions d’une autorité investie de la puissance publique et de la légitimité gouvernementale dans un domaine spécifique de la société ou du territoire, qui affectent les comportements des individus. Cette autorité met en branle des principes, des normes, prend des mesures concrètes en vue de l’atteinte d’objectifs et la réalisation d’actions pratiques.

En un mot, une politique publique est un ensemble de mesures, un contenu duquel découle une substance propre permettant de mettre en exergue des éléments de décision venant de la part des acteurs gouvernementaux et imposée au sein d’un environnement en vue du déploiement d’un cadre général d’action ayant un impact significatif dans un sens comme dans l’autre sur le comportement d’un certain nombre d’individus, de groupes ou d’organisations dans l’optique d’atteindre des objectifs, de mettre en valeurs, de satisfaire des intérêts.

Paragraphe 2 : L’identification d’une politique publique

A partir de quel moment est-on véritablement en présence d’une politique publique ? Une politique publique est entendue ici comme ayant un caractère explicite ou implicite et peut renvoyer à une décision ou à une non décision.

  • Le sens d’une politique publique peut être implicite ou explicite

La question posée ici est celle de savoir si le sens d’une politique publique est nécessairement affiché par les décideurs gouvernementaux ou si d’autres acteurs interviennent dans sa détermination.

Une telle question se pose en raison de l’écart inévitable entre les objectifs d’une politique tels qu’ils sont définis et affichés par les décideurs, et les résultats constatés lors de la mise en œuvre. Ce sont les sociologues des organisations qui voulant comprendre les écarts entre les programmes publics et leur mise en œuvre, montrent les manques de cohérence et de rationalité des décideurs. C’est pour cela qu’il est sans doute utile de distinguer pour l’analyse, le sens explicite d’une politique qui est défini à travers les objectifs affichés par les décideurs du sens implicite qui se révèlent progressivement au cours de la mise en œuvre. Dans un programme, l’intention politique initiale est distincte des dynamiques de son application. Les logiques des concepteurs décideurs sont parfois opposées à celles des interprètes en charge de l’application. Pour cela, un certains nombres d’éléments peuvent fonder l’existence d’une politique publique :

  • Une politique publique est constituée d’un ensemble de mesures concrètes qui forment sa « substance » ;
  • Elle comprend des décisions de nature plus ou moins autoritaire, cette dimension pouvant être explicite ou latente ;
  • Une politique s’inscrit dans un « cadre général d’action », ce qui permet de distinguer une politique publique de simples mesures isolées.
  • Une politique publique a un public (ou plutôt des publics), c’est-à-dire des individus, groupes ou organisations, des classes sociales dont la situation est affectée par la politique publique concernée ;
  • Une politique publique définit obligatoirement des buts ou des objectifs à atteindre, par exemple réduire le nombre des accidents de la route, améliorer les conditions de scolarisation des jeunes, développer la distribution énergétique d’une localité etc….

Au total, le sens d’une politique publique n’est pas toujours celui affiché par le décideur, certaines politiques pouvant avoir un sens explicite (refaire des routes) et un sens latent (réduire le train de vie des responsables administratifs etc..).

B- Une politique publique peut reposer sur une décision ou sur une non décision.

L’étude des politiques publiques apporte une contribution remarquable à la place de la décision dans le contexte gouvernemental. Des auteurs comme Charles Jones (1970), ont fait des efforts pour décomposer le processus de politique publique en différentes étapes afin de faire apparaître les logiques d’action spécifiques à chaque séquence. Si ces travaux ont souvent conduit à faire de la décision un moment privilégié, il faut entendre la décision comme un processus de choix qui s’effectue à chaque séquence : pour sélectionner des problèmes, pour définir les moyens de la mise en œuvre, pour étiqueter une question. La décision est toujours présente et prend des formes diverses. Toutefois, même si la décision est présente à toutes les étapes de la politique publique, l’on pourrait se demander avec Robert Dahl: Qui décide d’une politique publique ? Mais aussi, une politique publique renvoie-t-elle toujours forcément à une décision ? Autrement dit, une politique publique peut-elle consister à ne rien faire ? 

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La décision est essentiellement le produit de l’activité d’un acteur, d’un décideur individuel ou collectif.  C’est aussi, l’aboutissement de facteurs relativement indépendants du décideur formel. La décision dans les politiques publiques est surtout l’aboutissement d’un processus qui fait intervenir un grand nombre d’acteurs, et dont les procédures ne sont pas toujours établies à l’avance. Dans son rapport à ce processus, l’individu, et a fortiori l’acteur collectif est susceptible de rencontrer des problèmes typiques de l’acteur face à une structure donnée. Dans une optique de déconstruction de la décision dans les politiques publiques, March et Olsen (1972) ont popularisé le terme d’ « anarchie organisée » et le « modèle de la poubelle » pour rendre compte des décisions qui sont prises sans que l’on s’en aperçoive, sans lien avec une volonté politique ou un projet cohérent. Dans ce modèle, les problèmes sont créés par des acteurs et les solutions existent indépendamment des problèmes.

Par ailleurs, comme le relèvent Crozier et Friedberg, on peut dire que l’individu n’a que rarement des objectifs clairs. Ces objectifs sont multiples, ambigües et parfois contradictoires. Sa démarche prendra toujours sens pour lui, par rapport à ses objectifs, et en fonction des opportunités qu’il peut et choisit de saisir. Il est enfin susceptible d’équilibrer, de saisir des opportunités et de maintenir sa capacité d’agir. Cette démarche est donc toujours rationnelle, même si cette rationalité n’est que relative.

  • La décision résulte d’un calcul visant à choisir, compte tenu de l’objectif à attendre la meilleure solution, celle qui est la plus adaptée, la plus rationnelle ;
  • La décision traduit des critères de choix du décideur qui soient convenables à ses yeux, compte tenu des contraintes de temps, de manque d’informations que rencontre le décideur ;
  • La décision reflète essentiellement la capacité du décideur à démêler des situations complexes et à traiter des informations en temps réel.

De la même manière que la décision, « ne pas agir » entraîne souvent des effets politiques et/ou sociaux aussi visibles qu’une action en bonne et due forme. Dans cette lancée, on ne peut évidemment pas considérer pour autant que l’on ne soit en présence d’une politique publique, chaque fois qu’un gouvernement ne fait rien. Cette réalité est un classique de l’analyse des politiques publiques depuis les travaux de Bachrach  et Baratz dans les années 1960.  En effet, par non décision, il faut entendre d’après Jean Claude Thoenig, « des actes qui servent à soutenir la mobilisation de valeurs, de procédures, de rites, de façon à légitimer la non-action d’une autorité publique, cette mobilisation étant utilisée pour le bénéfice de certains intérêts au détriment d’autres ». En d’autres termes, le pouvoir politique ne se manifeste pas seulement par le fait de résoudre à tout prix des problèmes, des conflits, par la prise de décision, il s’exprime aussi par le fait d’esquiver des demandes de changement. Par conséquent, ne pas prendre une décision est une forme de décision.

Dans cette logique, on distingue 03 (trois) cas de figures où la notion de non décision peut se révéler utile pour la compréhension de l’action publique :

  • La non décision intentionnelle s’apparente à une situation où il est possible de montrer qu’il y a bien eu une volonté de ne pas décider de la part des autorités gouvernantes. En d’autres termes, les autorités publiques disent de manière claire qu’elles ne feront rien par rapport à telle ou telle question. A titre illustratif, nous avons la déclaration des autorités camerounaises dans les années 80 qui malgré la crise économique internationale, avaient clairement dit que la Cameroun n’ira pas au FMI (Fond Monétaire Internationale). Il faut préciser que cette initiative camerounaise était conjoncturelle.
  • La non décision controversée correspond à une situation où le problème en cause suscitant un débat, des discussions publiques trop vives, ne permet la production des conditions appropriées et/ou de légitimité d’une action publique. Cette catégorie de non décision renvoie au fait que dans le champ social, il y a une demande forte par rapport à une réalité précise et l’État ne fait rien. Comme exemple, nous avons la controverse autour de l’organisation d’une conférence nationale souveraine en 1990 dont le Chef de l’Etat déclarait qu’elle était sans objet. Comme autre exemple, nous avons la non-mise en place d’un système d’assurance-maladie aux États-Unis. L’échec de la mise en place d’un système de prise en charge collective et solidaire du risque maladie, au moment du New Deal (dans le cadre du Social Security Act), s’explique non seulement par l’opposition de la profession médicale, fortement organisée et influente au Congrès, mais aussi par la priorité donnée par l’administration Roosevelt aux enjeux liés au chômage et à la prise en charge des personnes âgées. Cette non-décision a largement contribué au développement d’un système de prise en charge privé (au niveau des entreprises en particulier) qui a accru le nombre d’acteurs opposés à la mise en place d’un système d’assurance-maladie obligatoire (non seulement les producteurs de soins et les assureurs privés mais aussi les syndicats privilégiant la négociation de plan d’entreprise) et fortement contribué à la fragmentation du système de santé. Ces deux effets de cette non-décision expliquent les non-décisions ultérieures, notamment l’échec du « plan Truman » au lendemain de la guerre, et dans les années 1990, la non-adoption du « plan Clinton » d’extension de la couverture de santé publique. Ce sont donc autant les non-décisions que les décisions qui permettent de comprendre le système de santé états-unien caractérisé par la prise en charge privée (Hacker, 2002).
  • La non mise en œuvre consiste au fait qu’une politique décidée à un certain niveau, doit faire l’objet de décisions spécifiques prises par un ou plusieurs niveaux politico administratifs différents. L’exemple de la loi instaurant les fonds de pension en France (1997) est assez illustratif de l’absence de mise en œuvre d’une politique publique. En effet, au début de l’année 1997 a été votée, par la majorité de droite, une loi (dite loi Thomas, du nom du député qui l’a portée) permettant la mise en place de fonds d’épargne retraite d’entreprise, basés sur une logique de capitalisation et gérés par des compagnies d’assurance et les mutuelles. La création de ces fonds de pension a été fortement contestée par les partis de gauche (socialiste, communiste, vert) qui ont été amenés à former le gouvernement peu après, du fait de leur succès aux élections législatives provoquées par la dissolution de l’Assemblée en mai 1997. Le nouveau gouvernement, dit de « gauche plurielle », a empêché l’adoption des décrets d’application de la loi, qui est par là devenue virtuelle, avant d’être abrogée à l’automne 1998. Par l’absence de mise en œuvre, cette loi était devenue une simple loi de « papier », ne conférant qu’une réalité verbale aux fonds de pension « à la française ».

De ce qui précède, il ressort que si la décision est un indicateur apparent de pouvoir au sein d’une collectivité politique, il n’en demeure pas moins que la non décision est également un fait révélateur de bouger les lignes. Ainsi, la prise de décision ou la non décision (le silence gardé) participent de la mise en œuvre d’une politique publique.

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Paragraphe 3 : Le séquençage des politiques publiques.

Une fois que l’on a mis en exergue la complexité et le bricolage d’une politique publique, il reste à présent à définir un cadre d’analyse susceptible de répondre aux exigences de la recherche. La plupart des études ont longtemps été structurées par l’approche séquentielle qui de manière heuristique reste encore un ensemble d’outils pertinents. Pour l’essentiel, elle consiste à découper les politiques publiques en une série des séquences d’actions qui correspondent à la fois à une description de la réalité et à la fabrication d’un type idéal de l’action publique. A chacune de ces phases correspond une activité spécifique. William Festiner, Richard Abel et Austin Sarat ont parlé d’un triptyque : « naming, blaming et claming ». Cette considération a été élargie à 5 ou 6 étapes qui permettent de suivre le développement d’une politique, à travers un certain nombre d’étapes. Au cours de chacune de ces phases, tout se passe comme si les acteurs participant au processus politique, devaient résoudre les énigmes successives, sachant que leurs réponses sont définies peu à peu par les contours de la politique publique. Ces différentes étapes sont :

  • La mise sur agenda (agenda setting).

Dans le travail de problématisation –des politiques publiques-, c’est-à-dire celui de la transformation d’une situation en problème public, les acteurs commencent généralement par identifier, par définir, par construire ou par fabriquer le problème. Pour Philippe Zittoun, il s’agit ici d’attribuer un nom mieux « d’accoler une étiquette » à la situation observée ou au problème soulevé. Padioleau remarque dans L’État au concret publié en 1982, qu’il s’agit de «l’ensemble des problèmes perçus comme appelant un débat public, voire l’intervention (active) des autorités politiques légitimes ». Cette étape est fondamentale, car elle permet aux individus de prendre conscience de l’existence d’un problème. Ce moment d’étiquetage doit alors se comprendre comme une pratique à la fois discursive, normative et taxinomique qui permet aux acteurs de rendre compte de la réalité du désordre social. Dans cette lancée, il est question d’apporter un traitement en inscrivant le problème dans l’agenda de l’autorité publique. Pour y parvenir, un certains nombres de conditions doivent être respectées.  D’abord, le problème doit être du ressort de l’autorité publique considérée. Ensuite, le problème doit être traduisible et traduit dans le langage de l’action politique. Enfin, il faut que la définition d’une situation se perçoive comme problématique.

  • La production ou la formulation des solutions ou alternatives (Policy formulation).

Elle consiste en l’étude, l’élaboration, la discussion et la négociation de réponse visant à établir une action par l’autorité publique. Il s’agit d’expliquer comment une décision est prise. La décision est essentiellement d’une part le produit de l’activité d’un décideur, individuel ou collectif, et d’autre part l’aboutissement de facteurs relativement indépendants du décideur formel. Dans cette perspective, les autorités procèdent à la traduction ou transcodage du problème posé, qui recouvre la recherche des objectifs désirables ou adaptés aux problèmes. Il s’agit de trouver des solutions ou des alternatives d’action.

  • La décision proprement dite (Decision-Making)

Décider, c’est agir. Ainsi, la décision s’entend comme un processus de choix qui s’effectue à chaque séquence : pour sélectionner des problèmes, pour définir les moyens de la mise en œuvre, pour étiqueter une question. La décision, séquence la plus visible présente des formes diverses : l’autorité signe, vote, promulgue, etc.

  • La mise en œuvre (Policy implementation)

Mettre en œuvre, c’est appliquer un programme d’action à un problème. La mise en œuvre est le processus par lequel des décisions s’accommodent à la réalité, s’ajustent au terrain auquel elles s’appliquent, se moulent dans les routines et situations propres aux metteurs en scène. La mise en œuvre est le fait de traduire une politique en effets. En dehors des approches classiques « top down » et « bottom up », plusieurs formes de mise en œuvre sont élaborées.  Il s’agit des méthodologies alternatives. Daniel Kübler et Jacques de Maillard en 2010 dans Analyser les politiques publiques remarquent que le processus de mise en œuvre diffère selon le type de politique considérée. A ce titre, ils soulignent au regard de travaux de Maltand (1995) que la matrice « conflit-ambiguïté » influence significativement le type de mise en œuvre.

  • L’évaluation (policy evaluation)

L’évaluation d’après Luc Albarello, David Aubin, Cathérine Fallon et Béatrice Van Haeperen dans Penser l’évaluation des politiques publiques publié en 2016, est une fonction consistant à apprécier les effets attribués à une action gouvernementale. Elle consiste par différentes modalités, à s’interroger sur l’impact des programmes ou alors sur les réalisations immédiates « concrètes » générées. Quels ont été les effets de la politique mise en œuvre ? Ces effets correspondent-ils aux attentes ? Faut-il modifier la politique dans sa conception et/ou dans sa mise en œuvre ? Voilà autant de questions qui balisent cette phase particulière qui peut se faire avant l’adoption du programme (ex ante), plusieurs années de mise en œuvre après (ex post), ou tout simplement tout au long du processus de mise en œuvre (In itinere).

Seuls ou collectivement, les évaluateurs agissent en fonction de leurs cadres de référence, de leurs valeurs, de leurs normes, de leurs perceptions.  Il s’agit d’abord d’apprécier les effets d’une politique en termes d’atteinte de ses objectifs propres, ensuite, sur la base des résultats des mesures effectuées, à porter un jugement sur la qualité de ces résultats.

  • La terminaison (programme termination)

C’est la phase de clôture de l’action ou de la mise en place d’une nouvelle action. Elle suppose la résolution du problème et la terminaison de l’action. En un mot, c’est un acte volontaire, délibéré et explicite.

C’est une séquence très controversée pour les tenants de l’approche séquentielle eux-mêmes, recouvrant de manière ambigüe la question de l’extinction d’une politique et/ou de la réalisation complète des objectifs fixés. Elle reste la plus difficile à identifier car l’achèvement d’une politique publique pouvant revêtir plusieurs sens. Dans un premier sens et de façon simple, une politique publique se termine lorsque le problème dont les autorités publiques se sont saisies est résolu. Cette conception, sous-jacente à la plupart des versions du modèle séquentiel, se heurte à une série de difficultés liées à ses postulats implicites. Elle suppose que le problème soit clairement défini, que les objectifs soient énoncés de façon univoque, que les résultats de la politique soient mesurables (voire quantifiables), et enfin que le problème traité soit soluble. L’ensemble de ces conditions est rarement réuni dans le cadre d’une politique publique qui, le plus souvent, traite plusieurs problèmes aux contours flous, répond à des objectifs multiples parfois contradictoires, est difficile à évaluer de façon nette et tranchée, enfin porte sur des problèmes récurrents qu’il est illusoire de prétendre résoudre définitivement : la pauvreté, le chômage, la criminalité, la protection de l’environnement… Dans un second sens, encore plus restrictif, on pourrait selon Hassenteufel, dire qu’une politique publique s’achève lorsque la ou les unités administratives chargées de sa mise en œuvre disparaissent. Mais d’une part, d’autres structures peuvent poursuivre la mise en œuvre de la même politique publique ; d’autre part, il est très rare que des unités administratives disparaissent. La tendance la plus couramment observée est plutôt la multiplication et l’empilement des structures administratives. Leur résistance, ainsi que celles des publics cibles, est souvent forte ; il s’agit là d’une des explications du faible taux de mortalité des programmes d’action publique.

Au-delà de tous ces dilemmes, il faut reconnaître avec Claude Thoenig qui apportant des éclaircis sur ces dilemmes, que « l’analyse d’une politique publique exige parfois que d’autres politiques publiques soient simultanément prises en compte pour comprendre ce qui se passe à propos de la première ».

De manière générale, les différentes étapes de l’approche séquentielle, au-delà d’être chronologiquement énumérées, se chevauchent et peuvent ne jamais apparaître. Bien plus, le séquençage des politiques publiques présente à la fois des avantages incontestables et des inconvénients considérables.

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Son premier atout est sans doute, de proposer un cadre d’analyse simple de l’action publique, qui introduit un minimum d’ordre dans la complexité des actions et des décisions constituant une politique publique. Complexité qui peut apparaître au premier abord comme un enchevêtrement illisible pour l’observateur. Tel qu’il est proposé, ce cadre est à la fois, suffisamment général pour rendre compte de toute politique publique, et formuler des questions pertinentes qui conduisent à mieux comprendre, ce qui fait qu’une politique publique existe comme programme, c’est-à-dire comme un objet politique ayant une logique propre, identifiable et susceptible d’être analysé.

Son second avantage, particulièrement en France, est de rompre avec les représentations de l’action publique construites par des élites dirigeantes dans la mesure où elle permet de substituer une approche sociologique aux représentations juridiques qui restent dominantes dans l’univers de la pensée des hauts responsables administratifs. Cette sociologisation des regards sur l’action de l’Etat se retrouve à plusieurs niveaux :

D’abord, parce que la décision n’existe pas selon des règles et des procédures toujours établies. Dans cette perspective, et loin d’être présentée comme un acte individuel, s’expliquant seulement par l’existence des compétences en droit, elle (la décision) s’appréhende comme un processus dont les déterminations sont à rechercher, au moins en partie, au-delà de la sphère des compétences des décideurs publics. A ce titre, et faisant intervenir un grand nombre d’acteurs, la décision est l’émanation d’un cheminement complexe et concurrentiel.

Ensuite, parce que le jeu des acteurs dans les différentes phases ne recoupe pas les clivages qui structurent la représentation des élites administratives, et notamment le clivage décision-exécution. C’est dire en définition que même si elle conduit à une représentation simplifiée du réel, l’approche séquentielle rend justice à la diversité et à la complexité qui constituent une politique publique et par là même à la diversité des acteurs qui participent à l’action publique.

Cependant, malgré ces réels apports, la séquentialisation des politiques publiques, présente des limites importantes qui méritent d’être soulignées.

Les inconvénients les plus perceptibles de cette approche, concerne la vision trop linéaire qu’elle propose de l’action publique. Elle peut conduire à perdre de vue le caractère chaotique des politiques publiques. En fait, la dimension aléatoires, bricolée et incontrôlée des politiques publiques est mal mis en lumière par l’approche séquentielle. Il n’est pas en effet rare que l’on ait à étudier un processus de décision, alors même que la phase d’identification du problème n’a pas eu lieu. L’État peut par exemple prendre une décision sans attendre la construction d’un problème par la société.

Plus, si certaines étapes peuvent être inexistantes ou leurs rôles inversés, leur enchainement peut être également problématique. En effet, le processus de fabrication de problème et de choix des solutions ne s’arrête pas avec la prise de décision et la mise en œuvre. Au contraire chaque décision, chaque prise de position, chaque élément d’interprétation de la phase de la mise en œuvre, provoque une modification du regard des acteurs sur le problème en cause.

Enfin, le modèle séquentiel conduit à occulter la dimension symbolique des politiques publiques. Cette dimension est reléguée aux oubliettes alors qu’une politique publique n’est pas seulement composée d’actions effectives. L’action publique comprend une importante  dimension symbolique à travers les discours et actions de communication qui l’accompagnent ; ils ne renvoient pas forcément à des mesures concrètes, mais ils peuvent modifier les perceptions, les attentes, voire les comportements du public. Plus précisément, la dimension symbolique d’une politique publique réside dans le fait que le signifiant (le sens donné à une action) dépasse le signifié (l’action en tant que telle). C’est ce que Murray Edelman  (1977) appelle « la construction des gestes comme solution », c’est-à-dire le fait d’accomplir des actes qui promettent plus qu’ils ne font.

SECTION 2 : DES POLITIQUES PUBLIQUES A LA SOCIOLOGIE DE L’ACTION PUBLIQUE 

L’évolution de l’analyse des politiques publiques vers une sociologie de l’action publique correspond au passage d’une conception en termes de production étatique de politiques publiques à une conception en termes de construction collective de l’action publique. L’emploi du terme « action publique » marque un changement de perspective par rapport au domaine de savoir des sciences sociales consacré, dit des « politiques publiques ». Face à une vision inspirée par la primauté accordée à l’impulsion gouvernementale, à l’action de l’État, et aux interventions des autorités publiques, on indique par ce renversement, le choix d’une approche où sont prises en compte à la fois les actions des institutions publiques et celles d’une pluralité d’acteurs, publics et privés, issus de la société civile comme de la sphère étatique, agissant conjointement, dans des interdépendances multiples, au niveau national mais aussi local et éventuellement supranational, pour produire des formes de régulation des activités collectives (exemple dans les domaines du développement économiques…), mais également dans ceux qui relèvent de l’exercice des fonctions régaliennes (justice, police, etc.). ainsi donc, l’enchevêtrement des niveaux, des formes de régulation et des réseaux d’acteurs ont conduit à réviser les conceptions étatistes de l’intervention publique au profit d’analyses beaucoup plus ouvertes.

Paragraphe 1 : Les politiques publiques comme action publique produisant des effets concrets

Une politique publique est un problème en tant qu’elle se situe dans un contexte social spécifique, par rapport à des enjeux, à des populations, à des structures. Elle constitue une réalité objective car, elle affecte des individus, des groupes, des organisations ou des classes sociales dans leurs attitudes, dans leurs intérêts, ou dans leurs situations. L’action gouvernementale produite engendre donc des effets pratiques. Ceux-ci peuvent se traduire par leur impact sur les valeurs matérielles mais aussi sur les symboles ou sur les représentations.

Il est rare que les utilités, les perceptions ou les situations affectées par les politiques publiques, soient homogènes ; au contraire, les rôles et les valeurs ne sont pas partagés de manière identique dans une société. Les groupes et les organisations vivent de façon permanente à la fois des rapports de divergences et de convergences. D’autre part l’échelle de perception ou des utilités d’un public donné n’est pas unidimensionnel. Une même personne peut être affectée ou concernée de façon contradictoire par une même politique publique. Un indicateur de cette réalité est fourni par le degré de controverse, bruyante ou silencieuse qui accompagne généralement une politique publique.

Paragraphe 2 : La remise en cause du modèle centralisé de la décision publique

La sociologie de l’action publique s’est progressivement affirmée en Europe dans les années 1990 comme une sorte de réaction aux raisonnements menés de façon « top down », se focalisant sur les décisions centrales et leurs effets. L’analyse de l’action publique s’attache à répondre à quelques interrogations : comment est gouvernée une société ? Comment s’effectue la division du travail entre des acteurs politiques, sociaux, économiques ?  Le contexte ambiant est en effet marqué par la remise en question du rôle prééminent à l’État, du rôle des élites dans l’organisation et le pilotage de la société.  Bien plus, il s’est agit d’une part de comprendre les écarts entre les programmes publics et leur mise en œuvre, et d’autre part, de surmonter les manques de cohérence et de rationalité des décideurs.

Parler de l’action publique, revient à s’attacher aux acteurs en situation, à leurs échanges et aux mécanismes de coordination. Cette approche met en lumière l’inertie des organisations, en même tant que les facteurs de changement tels que les groupes d’intérêts et les mobilisations sociales. Elle privilégie les raisonnements « bottom up » partant des modes d’échange et d’agrégation entre acteurs individuels et collectifs. Ainsi, compte tenu de la restructuration de l’Etat contemporain, la perspective la plus stato centrée des politiques publiques s’efface désormais au profit de la prise en compte d’une grande diversité d’acteurs et des formes de mobilisation. Par conséquent, on assiste, suggère Patrick Le Galès, à une «recomposition de l’Etat ».

L’action publique dans cette perspective peut être analysée à partir de cinq variables :

  • Les acteurs qui, en fonction de leurs intérêts développent des stratégies en vue de la mobilisation de ressources. Disposant d’une certaine autonomie, les acteurs se subdivisent en deux catégories : individuels et collectifs.
  • Les Institutions constituées de normes, de règles de routines, de procédures orientent leurs interactions. Elles sont les instances de mise en œuvre de l’action.
  • Les représentations sont les cadres cognitifs et normatifs qui donnent un sens aux actions, les conditionnent mais aussi les reflètent.
  • Les processus sont une conséquence des trois premières variables, c’est-à-dire les mobilisations des acteurs et leurs dynamiques d’échange et d’évolution dans le temps.
  • Enfin, les résultats sont d’une part les effets produits sur les organisations et les comportements, d’autre part, les conséquences de l’action publique, les impacts sur le problème que l’on voulait traiter.
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Dès lors, l’action publique est une pratique de pouvoir, elle est indissociable des questions de domination et de résistance, des enjeux de légitimité des détenteurs de l’autorité. Elle s’articule autour de la mobilisation des acteurs impliqués dans la mise en œuvre locale en vue de saisir les acteurs politiques nationaux. Ainsi, face à une vision monocentrée, hiérarchisée et descendante de la décision publique comme instrument d’un État qui planifie, qui incite et qui détermine les objectifs et conçoit les règles, s’impose progressivement l’idée d’une action publique à multi-niveau, impliquant une multiplicité d’acteurs, et au sein de laquelle, l’État n’est plus qu’un des partenaires participant à sa construction, une des composantes parmi d’autres, de ces actions publiques, dont le rôle spécifique est d’autant plus difficile à analyser qu’il est lui-même marqué par la complexité et la différenciation de ses organisations, la diversité de ses dispositifs et de ses institutions susceptibles de produire des contradictions internes au champ politique.

En définitive, l’action publique révèle la pluralité d’acteurs et de système d’action suivant un schéma décisionnel qui relève d’une accumulation de régulation et de négociation, et s’inscrit plus dans l’horizontalité qui n’obéit plus à une conception linéaire et hiérarchique. Dans cette perspective, elle apparaît de nos jours surtout comme la résultante des « boucles d’échanges, des hiérarchies stratégiques enchevêtrées », c’est-à-dire une combinaison complexe de compétences entre les niveaux (national, régional, local, souvent international), croisée avec l’empilement des rôles.

CHAPITRE 2 : ACTEURS ET RÉSEAUX DANS LES POLITIQUES PUBLIQUES

Parler des acteurs et des réseaux dans les politiques publiques, c’est analyser les différents entrepreneurs sociopolitiques et des groupes plus ou moins structurés qui participent d’une manière ou d’une autre à leur réalisation.

SECTION 1 : LES ACTEURS DANS LES POLITIQUES PUBLIQUES

Le terme « acteur » désigne celui qui agit en tant qu’acteur individuel ou en tant qu’acteur collectif. Dans le processus de prise de décision, il renvoie à la participation à la décision. Dans l’analyse des politiques publiques, il soulève une série de question concernant la définition et la délimitation de l’acteur. L’acteur doit en effet être capable d’action stratégique, capacité propre à un individu seul. Pour être considéré comme acteur dans une politique publique, il faut que l’action engagée ait de répercussions tangibles sur un processus de politique publique donné. Autrement dit, la notion d’acteur en politique publique recouvre deux dimensions. L’une concernant la contribution de l’acteur au processus politique et l’autre, l’impact ou l’influence de cette contribution sur le résultat. Il convient dans cette perspective de catégoriser, de classifier, de cerner le sens de leur action dans la production des politiques publiques, ainsi que sur ses répertoires d’action et ses ressources.

Paragraphe 1 : L’évolution du concept d’acteur /Les catégories d’acteurs

Qui agit comme acteur dans les politiques publiques ? Cette question n’a bien sûre pas de réponse univoque. Si l’on accepte que la politique publique détermine la politique, se sera en grande partie la structuration historique d’un secteur politique donné qui débouchera sur des enjeux, des conflits et des clivages donnés. Dès lors, les acteurs dans les politiques publiques varient d’un secteur à l’autre et dans le temps. Cette variation à la fois contribue et résulte de la transformation du système politique, des caractéristiques des acteurs, des rapports publics, privés ou encore, des répertoires d’action. Plus concrètement, les acteurs sont considérés comme des entrepreneurs politiques en ce sens qu’ils mobilisent les ressources et mettent en œuvre des stratégies à propos d’un enjeu pour lequel ils cherchent à obtenir une prise en considération par l’autorité publique légitime. Aussi, peuvent prendre le statut d’entrepreneurs politiques : les élites ou des ensembles plus collectifs.

Dans l’analyse classique des politiques publiques, le nombre d’acteur semble limité. Ainsi, dans une vision purement « étatiste », le processus de mise en place d’une politique devrait concerner surtout les élus et l’administration, agissant pour l’intérêt général. Or, ce processus comprend une variété d’acteurs et, au vu des transformations des formes de gouvernement, nous assistons à une remarquable démultiplication du nombre d’acteurs. Tout individu ou toute organisation aspire en effet à être acteur, parfois sans objectifs précis. Dans la mesure où les systèmes de gouvernement actuel permettent un grand nombre de formes de participation à la décision, la définition de l’acteur perd en précision, et le processus des politiques publiques devient à son tour plus flou.

De manière générale, ces acteurs se résument en plusieurs catégories : les institutions officielles, les groupes, les individus, les groupements de diverse nature ou ceux ayant un statut politique informel ou faisant irruption sur la scène, ou dans le système. Pierre Muller analyse de manière hiérarchique les principaux acteurs des politiques publiques. En effet, en dehors de la stratification opérée, il procède à une désignation des différents acteurs. Dans cette logique, la première strate est composée du Président de la République et de son entourage, du Premier Ministre et du Ministre des Finances, c’est ici qu’ont lieu les arbitrages entre la compétition partisane et les exigences de la régulation politique. Ensuite, les acteurs internes constitués des administrations sectorielles, qui remplissent un rôle d’ajustement des intérêts sectoriel aux exigences politiques plus larges, après les acteurs extérieurs à l’Etat comme les organisations professionnelles, les syndicats, qui relaient à travers les « instrumentalités des collectivités politiques induisant, accélérant ou freinant le changement social ».  Enfin, les organes politiques tels que le parlement et les organes juridictionnels. Cependant, opérer de la sorte une telle classification fixiste, d’une part, c’est omettre non seulement les fluctuations, les interactions pouvant naitre de la part des acteurs, mais également le fait que ces derniers ne peuvent apparaitre de façon ponctuelle ; Et d’autre part, ce n’est ne pas reconnaitre le caractère élastique des acteurs : ceux-ci émergeant aussi bien de l’ordre formel qu’informel orientent toujours son action vers un sens rationnel. Dans cette optique, on observe :

  • les acteurs à travers lesquelles transitent toutes les décisions (PR, PM, PCES, Etc) Ici les logiques partisanes se heurtent aux exigences de la régulation et ces dernières sont passées aux cribles des finalités politiques.
  • Les administrations qui interviennent lorsque leur domaine est concerné. On observe une promotion des intérêts sectorielles en les ajustant le mieux possible aux exigences globales, notamment grâce à la mise en en place de services d’étude et de prospective afin d’accroitre leur capacité d’expertise.
  • les acteurs extérieurs à l’Etat (Syndicats, organisations professionnelles ou patronales, associations, entreprises publiques et privées etc….). Les liens entre acteurs et services administratifs sont soient stables soient obéissent à des logiques de lobbying.
  • les organes politiques (parlement, Congrès, Chambre des communes) et juridictionnels (Conseil Constitutionnel, Cour Suprême, etc…)
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Au final, la multiplication du nombre d’acteurs liée à l’action publique rend complexe l’analyse. Il devient en effet difficile, voire impossible, de mesurer ou d’isoler l’impact de certains acteurs pris individuellement. Si l’impact sur l’action publique demeure, en général, substantiel et mesurable pour les administrations publiques, comment établir l’influence des acteurs de la société civile alors qu’il est probable que la société civile ait contribué à la décision ?

Paragraphe 2 : Le rôle des mobilisations d’acteurs dans la production des politiques publiques

Les premières analyses générales des processus d’émergence des politiques publiques, ont été fortement influencées par l’étude de la place des groupes et/ou des individus dans la formalisation des revendications soumises à l’attention des pouvoirs publics. La première interrogation qui se pose est celle du rôle des acteurs sociaux, extérieurs à l’État, qui se mobilisant afin de publiciser un problème. On peut distinguer deux cas de figures, celui de la mobilisation des acteurs directement concernés et celui de la mobilisation d’acteurs spécialisés dans la prise en charge de revendications collectives (Syndicats, associations, groupes de pression, groupements religieux, partis politiques médias etc…). De manière concrète, les deux types d’acteurs se mêlent puisqu’on trouve dans le cadre de la mobilisation autour d’un problème, qui permet sa construction en problème public, à la fois des personnes directement concernées et des acteurs revendicatifs spécialisés qui relaient les demandes.

Au sein de cette perspective générale, la plupart des travaux ce sont dès lors penchées sur les modalités de participation de l’acteur concerné, à l’émergence d’un problème et à la structuration des modes de traitement possible de ce même problème par les acteurs politico-administratifs. Cobb et Elder ont ainsi par exemple mis en évidence deux processus essentiels:

  • D’abord la saisie d’un phénomène précis par un ou plusieurs individus et ou groupes qui confère au problème une première qualification (problématisation initiale) et une première visibilité ;
  • Ensuite, le travail de mobilisation. Ce dernier point repose sur la structuration des acteurs concernés, sur la recherche d’alliance par le ou les initiateurs auprès des publics plus étendu, et sur la volonté de susciter une réaction de l’État, autant de facteurs qui transforment peu à peu la problématisation initiale en un problème précis, acceptable et justiciable d’un traitement par les acteurs politico-administratifs.

Paragraphe 3 : Les répertoires d’action et les ressources mobilisables des acteurs

Il est possible de distinguer plusieurs éléments dans les caractéristiques des acteurs qui sont susceptibles d’influencer la production des politiques publiques. A ce titre, on peut distinguer deux types de facteurs essentiels : les ressources et les répertoires d’action.

  • Les ressources d’une politique publique

Elles peuvent être définies comme les caractéristiques qui confèrent aux acteurs une capacité d’agir ou qui leur assure un accès au pouvoir pour autant que cette dernière notion soit entendue comme la capacité de « A » à contraindre « B» à faire une action que B n’aurait pas faite sans l’intervention de A. La nature de ces ressources varie d’un pays à l’autre, d’une époque à une autre, voire même d’une sphère sociopolitique à une autre. Les ressources des acteurs ne pouvant en effet s’apprécier que dans les relations qui les engage et dans les contextes dans lesquels ils opèrent.

Il n’en reste pas moins que certains éléments se trouvent souvent dans la qualification des ressources de la plupart des groupes, notamment, le degré et le mode d’organisation du groupe concerné. Les ressources peuvent revêtir des formes diverses allant de la nature des élites, le degré d’institutionnalisation du groupe au sein de l’appareil politico-administratif, la capacité à définir de manière plus ou moins autonome son propre intérêt caractéristique elle-même dépendante d’une variété d’élément historique, positionnel, individuel, conjoncturel etc… propre au groupe d’intérêt lui-même. Quel qu’elles soient, les ressources sont à la fois mobilisées en interne et en externe, les deux logiques pouvant se combiner, se cumuler ou s’opposer avec notamment pour objectif de faire reconnaitre et avaliser l’existence continue du groupe, sa bonne présentation et sa bonne représentation, par ses portes paroles.

Le premier élément à prendre en compte pour comprendre les stratégies d’acteurs est la variété des ressources d’action publique sur lesquels ils (les acteurs) peuvent s’appuyer pour agir. Leur nature et leur importance déterminent la capacité d’intervention d’un acteur sur des processus d’action publique (ainsi que la représentation qu’il a de sa capacité d’action et donc de son pouvoir). Six catégories principales de ressources d’action publique peuvent être distinguées selon Hassenteufel :

  • Les ressources positionnelles ;
  • Les ressources matérielles ;
  • Les ressources de savoirs ;
  • Les ressources politiques ;
  • Les ressources sociales ;
  • Les ressources temporelles.

Ces différentes ressources sont partiellement interdépendantes. L’analyse des ressources sur lesquelles peut s’appuyer un acteur individuel nécessite d’effectuer un travail sociographique se fondant sur des données permettant de retracer sa trajectoire sociale et professionnelle. Ce travail permet de retracer l’acquisition et l’accumulation des ressources d’expertise, des savoirs et d’expériences par l’acteur. Les ressources accumulées par un acteur déterminent sa capacité d’action publique et la représentation qu’il s’en fait ; elles conditionnent donc fortement les stratégies qu’il envisage et qu’il estime possibles.

  • Les répertoires d’action

La mobilisation des différentes ressources que l’on vient de présenter, quel que soit le groupe considéré alimentera le plus souvent les actions des groupes dans leurs relations aux autres acteurs sociopolitiques, et notamment dans leur relation à l’État. De tels modes d’action ont pu être rassemblés sous le terme générique de « répertoires d’action » , autrement dit, l’ensemble des moyens mis en œuvre pour exercer un pouvoir, généralement sous la forme d’une influence, auprès des décideurs publics, lors de la phase de mise sur agenda des problèmes sociopolitiques, comme lors de la mise en œuvre des politiques publiques selon Charles Tilly. Ce dernier est celui qui introduit le concept de « répertoires d’action » en Science Politique pour rendre compte de la rigidité relative des formes d’action populaire. En effet, Charles Tilly (1978) constate qu’alors qu’en théorie un groupe protestataire pourrait recourir à un nombre presque infini de moyens d’action, il tend à en privilégier systématiquement certains, perçus comme particulièrement légitimes, adéquats et/ou efficaces dans la société et dans le groupe mobilisé pour défendre ses intérêts. Ces moyens d’actions considérés comme « plus pratiques et plus attractifs que beaucoup d’autres moyens qui pourraient, en principe, servir les mêmes intérêts », constituerait donc le « répertoire d’action collective » dudit groupe dans lequel, comme un musicien, les acteurs viennent puiser des modes d’action pour jouer leur partition (Tilly C., 1984).

Il s’agit sans doute là, d’une métaphore plus que d’un concept, mais le terme de répertoire n’en permet pas moins de construire avec prudence « un modèle où l’expérience accumulée d’acteurs s’entrecroise avec les stratégies d’autorités en rendant un ensemble de moyens d’action limité plus pratique, plus attractif et plus fréquent que beaucoup d’autres qui pourrait en principe, servir les même intérêts ». L’un des exemples les plus étudiés de ces répertoires dominant d’action collective, reste les différentes formes de manifestation, ces défilés collectifs, pacifiques et organisés, qui confèrent à un ou à des groupes, et ou à un ou à des problèmes une réalité et une visibilité qui nourrissent l’interpellation des pouvoirs publiques.

La mobilisation des ressources et des répertoires d’action, a le plus souvent pour objectif d’élargir le public intéressé à un problème et/ou une revendication. A cet effet Cobb et Elder ont pu distinguer plusieurs types de public possible au-delà des participants directs, public parmi lesquels ces participants vont pouvoir mobiliser leurs soutiens. Certains auteurs appellent ce phénomène, « l’expansion du problème liée à l’élargissement du public mobilisé». C’est dans ce contexte que sont mobilisés les concepts de réseaux qui permettent d’analyser un grand nombre d’acteurs en interaction. Pour cela, on doit pouvoir étudier les relations entre ces acteurs et établir l’existence d’une forte interdépendance entre ces derniers sur les ressources mobilisables (ressource dependency).

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SECTION 2 : RÉSEAUX D’ACTION PUBLIQUE (POLICY NETWORK)

Les travaux sur les réseaux des politiques publiques s’intéressent principalement aux relations entre groupe d’intérêts compris au sens large du terme et l’État. L’apport fondamental des travaux réalisés ici est de montrer que le processus de policy making est fragmenté et que les groupes d’intérêts participent de façon active à la prise de décision et à sa mise en œuvre en nouant des relations très proches avec les élites politico-administratives. Il convient dans cette perspective de s’appesantir tour à tour sur la notion des réseaux de politique publique.

Paragraphe 1- La notion de réseaux des politiques publiques 

L’émergence du concept de réseau en politique publique tient au fait que les outils traditionnels d’analyses semblaient rendre compte d’un certain nombre de transformation qui ont récemment marquées les relations État et société. Selon Kenis et Schneider, plusieurs éléments conjugués ont agi dans ce sens, notamment, l’accroissement du nombre et de l’importance des collectivités organisées, l’intensification de la sectorisation et de la différenciation des politiques et des administrations, l’intervention d’un nombre toujours plus croissant d’acteurs politiques et sociaux dans le processus des politiques publiques,  l’extension de l’emprise et de l’étendu du champ des politiques publiques, la décentralisation et la fragmentation de l’État, l’effacement des frontières entre le public et le privé, la transnationalisation de la politique nationale et enfin, l’interdépendance et la complexité croissante des questions politiques et sociales qui posent de manière cruciale la question de l’accès à l’information et de la production d’expertise. Selon Kenis et Schneider la notion de réseau constitue dès lors, une réponse impartiale à la question parce qu’elle propose un schéma d’interprétation des relations État-Société, qui met l’accent sur le caractère horizontal et non hiérarchique de ces relations, le caractère relativement informel des échanges entre les acteurs du réseau, l’absence de fermeture qui autorise la multiplication des échanges périphériques et la combinaison des ressources techniques (liée à l’expertise des acteurs) et de ressources politiques (liée à la position des acteurs dans le système politique).

A coté, la notion de réseau que Rhodes et Marsh définissent comme « un groupement ou un complexe d’organisation lié les unes aux autres par des dépendances en terme de ressources et qui se distingue des autres groupements et complexes par des différences dans la structure de cette dépendance », suggère ainsi une image des relations entre les groupes sociaux et l’État qui prend ses distances par rapport aux approches hiérarchiques. Contrairement à la vision étatiste, la notion de policy network conduit à la frontière État et société civile. Elle met l’accent sur la diversité des acteurs participant à la construction de l’action publique et sur le caractère relativement fluide des groupements ainsi constitués symétriquement, par rapport à l’approche pluraliste, la notion de réseau introduit une certaine stabilité dans ces relations, et offre différents outils analytiques pour comprendre comment sont construits ces espaces de rencontre entre acteurs publics et privés.

En bref, l’approche des politiques publiques en termes de réseaux met en avant l’importance, dans la production d’action publique, d’individus interdépendants, qui concourent à stabiliser des « ordres locaux » et à expliquer les politiques publiques par l’identification d’un champ relativement autonome par rapport aux autres systèmes d’action qui existent au même moment. Les politiques publiques découlent essentiellement dans cette perspective des relations sociales entre acteurs publics qui sont des « relations de marchandages », constitutif d’un système d’alliance qui structure le champ de l’action. A ce titre, des travaux comme ceux de Lowi, Peters, ont souligné les « triangles de fer » composés par les représentants de groupes d’intérêts, des agences de l’Etat et du Congrès, qui construisent une conception commune de leurs intérêts débouchant sur des décisions et des politiques qui s’y conforment. Le terme de « réseau » est utilisé pour intégrer à ce raisonnement tous les acteurs, écartés de ce « triangle », qui concourent, de manière fragmentée, à la définition d’une politique publique. Heclo H. parle à cet égard de « réseau thématique » (issue network), pour souligner, dans une logique pluraliste, la coexistence de différents réseaux en concurrence pour imposer leur conception de « l’ordre social », élément déterminant pour produire de l’action publique.

Paragraphe 2- Typologies de réseau et ambigüités des approches en termes de réseaux d’action publique

A l’origine des travaux sur la notion de réseau publique dans les années 60 et 70, la littérature propose deux visions distinctes des relations entre les groupes d’intérêts d’un côté, les politiques et l’administration de l’autre. Un 1er type d’approche développe l’idée, que les politiques publiques sont instruites dans les secteurs bien déterminés tels que l’agriculture et la défense, et fabriqués au sein d’ensemble ou de système qualifiés de « sous-gouvernement » et constitués d’acteurs identifiés dont la participation est stable. Aux Etats-Unis, on parle par exemple des « triangles de fer » composés de groupes d’intérêts, des membres du congrès et de responsables politiques ou administratifs d’un secteur particulier. Pour la Grande Bretagne, certains travaux ont cherché à montrer que ce sont les communautés de politique (policy communities) composés de fonctionnaires de ministères et de groupe d’intérêts qui font des politiques, nouant des relations d’échange et construisant une identité commune. Selon cette vision classique, les communautés de politique publique se limitent à des secteurs de l’action publique clairement définies et assurant généralement des fonctions d’intérêt commun, comme à titre d’illustration : la santé.

Un second type d’approche voit le processus de policy making comme fragmenté et divisé en différents « réseaux sur enjeu » (issue network) composés d’un grand nombre d’activités. Spécialistes et compétents sur un enjeu de politique publique particulier et issus de groupes d’intérêt de l’appareil gouvernemental du milieu académique ou d’experts indépendants, ces réseaux sur enjeu peuvent se constituer autour de question qui concernent et impliquent des acteurs provenant des organisations très diverses et reliés entre eux par leurs intérêts et par leurs connaissances spécifiques de l’enjeu en question. Dans ce cas, les réseaux ne sont pas considérés comme stables : les acteurs changent constamment, personne n’a de prise ni de contrôle sur le réseau et il reste très difficile d’identifier les acteurs dominants. Ni l’approche en terme de communauté de politique publique, ni celle en terme de réseau sur enjeu n’offre véritablement un modèle cohérent et développé pour analyser le processus de policy making. Elle contribue plutôt à développer des métaphores et des concepts directement mobilisables pour l’analyse empirique. Ces approches ont eu le mérite d’inciter à mener des analyses plus approfondies et à focaliser l’attention sur la fragmentation du gouvernement en sous-système et ses effets, l’interdépendance entre les groupes d’intérêt et le gouvernement et sur la spécialisation croissante des activités dans le processus de policy making. Cependant ces analyses présentent aussi plusieurs limites : elles ne recouvrent en effet que des catégories particulières de relations entre groupes d’intérêt, monde politique et administration. Elles laissent de côté certains aspects essentiels des politiques publiques tels que les idées, la distribution du pouvoir entre les acteurs, le changement de l’action publique. Enfin, les facteurs permettant d’expliquer l’émergence de différents types de réseaux sur enjeu (issue network) ou de communauté de politique publique (policy communities) restent très généraux.

Les travaux sur les réseaux ont proposé des typologies pour essayer de mieux faire comprendre le phénomène. Les concepts de réseau de politique publique ou de communautés de politique publique deviennent de plus en plus génériques et recouvrent alors des formes de relation entre groupes d’intérêts et élite politico-administrative qui varient selon les caractéristiques du réseau considéré. Partant du degré d’intégration, d’adhésion et de distribution des ressources entre les membres comme caractéristique du réseau, certains ont ainsi développé en 1992 une typologie distinguant 5 catégories à l’intérieur d’un continuum allant des réseaux les plus lâches, des réseaux sur enjeu aux réseaux les plus intégrés, les communautés de politique publique entre lesquels s’articulent les réseaux de professionnels, les réseaux intergouvernementaux et les réseaux de producteurs. Grant Jurian et Klaus Schubert ont quant à eux défendu l’idée que des termes différents pour qualifier les relations entre l’Etat et groupes d’intérêt se réfèrent en fait à des variétés de réseaux différents. Ils situent ainsi des termes tels que : « Triangles de fer », « clientèle », « sous gouvernement », «communautés de politique » en fonction de leur relation entre eux autour de trois dimensions : le nombre des membres, la nature sectorielle ou trans-sectorielle du réseau et son degré de stabilité.

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CHAPITRE 3 : LES RATIONALITÉS DES POLITIQUES PUBLIQUES

Les politiques publiques constituent un niveau d’interprétation spécifique de l’activité politique. Ce faisant, l’analyse des politiques publiques a contribué à rompre avec une conception considérant l’État, sous des formes diverses, comme une « entreprise de domination » caractérisée d’abord par sa capacité à imposer un ordre politique global, en lui substituant une conception centrée sur l’aptitude de l’État à résoudre les problèmes. On retrouve ici la distinction désormais classique de Fritz Scharpf entre la légitimation par les inputs (qui suppose la construction d’une identité collective légitime) et la légitimation par les outputs, c’est-à-dire par les résultats. Sur cette lancée, la conception wébérienne de l’État apparaît rétrospectivement comme une première étape dans la désacralisation de l’État en décomposant les ressorts de sa domination. L’étude des politiques publiques a instillé le doute quant à la rationalité de l’action publique par l’observation des résultats de l’action de l’État mais aussi des péripéties de la décision. Devant ce doute, on est en droit de se demander quelle rationalité est-elle en œuvre quand on fait une politique publique ? L’approche par la rationalité, quoiqu’apparemment plus délicate à utiliser, est utile pour comprendre les logiques qui sous-tendent le comportement des acteurs et leurs interactions. Il est possible de classer les rationalités des politiques publiques en deux catégories : la rationalité de l’État et la rationalité multiple ou enchevêtrée.

SECTION 1 : LA RATIONALITÉ DE L’ÉTAT

Les politiques publiques sont appréhendées par Yves Meny et Jean Claude Thoenig comme « l’action des autorités publiques ». Cette rationalité voit dans l’État un organe extérieur à la société qui pense pour elle, au nom d’un intérêt général supérieur déterminé isolement de la société.  Un schéma systémique circulaire adhère à cette vision : les politiques publiques apparaissent comme des réponses apportées par les autorités publiques, à des demandes sociales. Elles sont ainsi, non seulement adossées à la puissance publique, mais également envisagées dans une perspective purement systémique.

Paragraphe 1 : Les politiques publiques comme réalité adossée à la puissance publique

Les définitions classiques des politiques publiques s’appuient sur les ingrédients traditionnels de la puissance publique, et mobilisent les disciplines qui ordonnent techniquement cette dernière.

A- Les politiques publiques comme actions des autorités publiques

Les politiques publiques sont classiquement définies comme l’action des autorités publiques s’appuyant sur un programme d’action gouvernementale dans un secteur de la société ou dans un espace géographique ou encore, comme tout ce que le gouvernement décide de faire ou de ne pas faire. Deux conclusions s’imposent :

D’une part, les politiques publiques entrent définitivement dans ce que les Anglosaxons appellent « policy » c’est-à-dire l’action des gouvernants élus et de l’administration par contraste avec ce que ces mêmes anglo-saxons appellent polities à savoir la phase de la compétition  politique, de  la conquête des positions de pouvoir.

D’autre part, selon cette définition, les politiques publiques sont assimilées aux seules actions des autorités publiques. Ces actions sont classiquement répertoriées en plusieurs catégories, s’articulant autour des ingrédients classiques de la puissance publique.

  • La typologie classique des actions de l’État

Il s’agit des types classiques de politiques publiques. La vision stato centrée a construit des typologies des politiques publiques, dont la plus connue est celle de l’auteur Américain Théodore Lowi qui, en 1972 a évoqué quatre types de politiques :

  • Les politiques constitutives (contrainte collective indirecte) : elles mettent en exergue la capacité des autorités publiques à édicter des règles sur les règles ou sur le pouvoir. Dans cette logique, elles fixent en quelque sorte des procédures à suivre que doivent respecter l’ensemble des acteurs concernés par une politique publique. Quermonne pense que par politiques constitutives, il faut entendre « celles qui ont pour objet principal, la transformation ou à la désagrégation d’institut étatique ou sociale » car dans le plus souvent, ces politiques se traduisent par la création de nouveaux cadres institutionnels. On parle aujourd’hui plutôt de politiques procédurales pour désigner ce type de politique publique.
  • Les politiques réglementaires (contrainte individuelle et directe) : l’action publique consiste ici à édicter des règles obligatoires qui s’appliquent à tout individu dans une situation donnée. Autrement dit, l’État oblige ou interdit dans des circonstances spécifiées. A titre d’illustration, le Code de la route avec les limitations de vitesse pour les automobilistes qui reposent sur la définition de règles que tous les automobilistes sont contraints de respecter, sous peine de sanction.
  • Les politiques distributives (contrainte individuelle indirecte) : Elles renvoient aux politiques qui reposent sur l’attribution d’autorisation ou de prestations particulières. A titre d’illustration, l’attribution d’un permis de construire ou de prestations sociales soumises à des conditions spécifiques. Ces politiques publiques ont une dimension facultative dans la mesure où elles correspondent à un droit dont peuvent se prévaloir les personnes répondant aux critères définis par les autorités publiques. Pour ce type, on parle aujourd’hui plutôt de politiques allocatives.
  • Les politiques redistributives (contrainte collective directe). Ici, la puissance publique fixe des règles concernant un groupe, défini par des critères qu’elle édicte. Comme exemple, nous pouvons citer les assurances sociales (les groupes socioprofessionnels ont pour obligation de cotiser pour la sécurité sociale, en même temps qu’elles en retirent des avantages). Ces politiques opèrent des transferts entre groupes, entre les acteurs.

Cette typologie a le mérite de combiner des paramètres le plus souvent dissociés et de montrer la diversité des politiques publiques, sans, cependant, en rendre compte de façon exhaustive. En effet, cette typologie de Lowi assimile implicitement une politique publique à un type de politique publique. Or, le plus souvent, pour un même enjeu, plusieurs types de politiques publiques coexistent. Ainsi, par exemple, la politique de lutte contre le tabagisme en France est à la fois réglementaire (comme le traduit l’interdiction de fumer dans les lieux publics), redistributive (par l’existence de taxe sur le tabac). Une politique publique doit être appréhendée comme un enchainement de décisions et d’effets en interaction ; elle correspond à un processus dynamique dont l’étude doit intégrer la durée à laquelle renvoie l’expression programme d’action.

2- Les ingrédients classiques de la puissance publique

Une autre entrée possible pour définir les politiques publiques consiste dans une acception matérialiste à une vision stato-centrée et à la capacité supposée de l’État à introduire du changement dans la société, par son intervention directe. Ces moyens recouvrent les ressources classiques suivantes de la puissance publique : une administration qui met en œuvre et un personnel évalué, un budget, un cadre normatif d’action et de plus en plus une expertise adéquate.

Certains auteurs ajoutent à ces éléments matériels l’aspect programmatique qui permet d’insister sur la détermination à priori de l’action à mener. Matérialiser par les programmes gouvernementaux, cet aspect demande l’engagement de moyens d’action qui seront mis en œuvre pour atteindre les objectifs initiaux des projets. On rejoint le schéma naturel des politiques publiques défini par l’action des gouvernants et légitimé par le suffrage.  Au service de cette action publique, orientée et planifiée, se trouvent des techniciens de l’État et de ses organisations internes.

  1. Les disciplines scientifiques identifiées aux institutions publiques

Ces disciplines ont l’avantage de circonscrire les politiques publiques dans leurs aspects les plus physiques ou palpables. Elles se focalisent sur les ressources matérielles et juridiques dont disposent les autorités publiques pour agir.  Elles sont donc stato centrées dans la mesure où elles vénèrent les ingrédients de la puissance publique et ses techniques : le droit publique, les finances publiques, la science administrative, le management publique. Bien entendu, il ne s’agit pas ici de les énumérer, mais plutôt de prendre le tableau des représentations sous jacentes des politiques des politiques publiques qu’elles impliquent.

  • Le droit public, un regard stato centré sur les politiques publiques
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Avec le droit public, les politiques publiques se définissent comme un système de normes formelles qu’encadre l’action des acteurs publics ou non des politiques publiques. Le statut des fonctionnaires, les contrats administratifs, la comptabilité publique par exemple, sont autant de règles censées formater, donner un cadre de référence et des critères pour guider l’action des fonctionnaires ou des usagers des services publiques. Expression d’une vision aussi transcendante qu’imminente, le droit moderne est doté d’une puissance normative intrinsèque. Il bénéficie d’un capital d’autorité qui lui permet d’obtenir l’obéissance, d’emporter l’adhésion des assujettis.

  • La science administrative : une science de l’organisation formelle de l’administration

C’est une science extrêmement éclatée. La science l’administrative cumule une tradition juridique européenne de l’étude logique des organisations. Elle peut être définie selon Debbasch et Doubet comme « l’étude du fait administratif tendant à connaître les réalités du système de l’administration publiques, où dégager les préceptes d’un bon développement et à en définir les lois d’évolution ». De manière générale, elle analyse les rapports centre-périphérique avec d’un côté l’organisation de l’administration centrale et d’un autre l’administration locale.

  • Le management public : un ensemble des techniques normatives pour maximiser les ressources de l’État

Discipline normative, l’approche managériale dans l’administration publiques s’est développée dans les années 1980 autour de l’idée d’efficience, en important les techniques, les savoirs du management des entreprises. Un débat fut en effet engagé dans les années 1970 à propos  des défaillances de l’État.  Le dilemme était le suivant : l’espace de l’action publique a pris une importance considérable dans le cadre de l’État providence, mais il lui est régulièrement fait reproche d’échecs, voire de gaspillage.

Cette question est abordée au-delà des productions idéologiques littérales comme le montre le cas Français, où l’association « service publique » composée de hauts fonctionnaires de tendance de la gauche qui ont intégrés les cabinets ministériels, ont pu formater les premières reformes de modernisation des services publiques à la fin des années 80. La responsabilisation des fonctionnaires apparaît comme élément essentiel qui se dégage de cette réforme qui s’articule autour de 3 principaux ponts.

  • D’abord l’objectif de déterminer les critères de maximisation des ressources financières, face à la crise des finances publiques.
  • Ensuite, ces reformes recherchent l’efficience de l’action administrative c’est-à-dire, l’organisation rationnelle des moyens humains et matériels des services publics, en vue d’atteindre les conditions finales. L’objectif principal est la satisfaction au moindre coup des besoins de plus en plus nombreux, précis et exigent de l’usager consommateur de biens publiques.
  • Enfin les réformes de l’État s’attachent à rationaliser le processus décisionnel, en programmant les décisions rationnellement et à priori, afin d’éviter les plus possible, les décisions non programmées.

Paragraphe 2 : Les  politiques publiques comme réalité faisant un système

Il est question ici d’adopter une approche systémique d’analyse des politiques publiques. En effet le schéma d’analyse des politiques publiques est plus souvent de type systémique calqué sur le modèle Estonien. David Easton a en effet élaboré dans les années 50 les théories générales des systèmes. Dans cette théorie, il envisageait les systèmes politiques comme une sorte de boucle continue, composée de deux types de flux et du système gestionnaire de ces flux.

Le 1er  type de flux est l’arrivée des demandes sociales ou des exigences et soutiens (output)  jusqu’aux frontières  du système politique.

Le second type de flux est les réponses aux doléances (output) qui ressortent du système politique. Ce dernier réside pour sa part dans « une boite noire décisionnelle » par laquelle transitent exigences et soutiens qui resurgissent des réponses appropriées aux exigences, afin d’assurer la suivie du système : la fonction assignée à l’État est donc de répondre aux demande sociales.

  • La première critique que l’on peut faire à cette théorie du politique est la trop grande coupure instaurée entre un système politique (la fameuse boite noire) et son environnement ; cela laisse la place à des fâcheuses interprétations du politique.

Premièrement, il est entouré de frontières qui ne sont franchissables que par les seuls intermédiaires qui se tiennent aux frontières du système politique.

Deuxièmement, le processus de formulation des réponses et de mise en œuvre des décisions est autonome par rapport au reste de la société. Cette dichotomie politique-société laisse alors place à une architecture hiérarchisée de rapport entre les deux.

  • La seconde critique porte sur fausse évidence : le schéma systémique présente les politiques publiques comme des réponses à des problèmes. Cependant, au risque de choquer le sens commun, il faut partir de l’idée selon laquelle les politiques publiques ne servent pas à résoudre les problèmes, ceci pour quelques raisons principales.
  • Il s’avère premièrement, que tout problème, même le plus évident ne se voit pas attribuer une solution en terme de politique publique, cela supposerait que, tout problème soit considéré  comme traitable publiquement.
  • Il peut se faire qu’une politique ne résolve pas le problème pourtant ciblé et n’atteigne pas ses objectifs.
  • Une politique peut résoudre un problème non ciblé pas ses objectifs initiaux, ou ne pas résoudre le problème
  • La définition du problème qui appelle réponse est-elle même un enjeu sociopolitique fortement controversé.
  • Si l’on considère que les politiques publiques se définissent par une action, un processus non linéaire, incrémenter et complexe où rivalisent et se coordonnent des acteurs associés rivaux, alors la notion de problème n’est qu’heuristique. Les problèmes se concurrencent, changent selon les conjonctures, les alliances d’intérêt. La définition d’un problème est donc toujours temporelle, plurielle et contingente.

En définitive, quoique l’action publique s’inscrive dans le cadre d’un système composé d’acteurs, il serait hasardeux de mettre en berne l’origine diverse des acteurs sociaux autre que public, issus généralement d’autres sphères sociales. Ces origines diverses et multiples font apparaître peu probable la figure de l’État rationnel dans la mesure où l’usage de la rationalité exige évidemment que les acteurs aient une opinion sur l’état du monde, qu’ils soient capables d’anticiper et de hiérarchiser les conséquences de leurs actes. Dans ce contexte, la politique publique produite est le fruit de plusieurs rationalités (celles des divers acteurs ayant participés à sa production).

SECTION 2 : DES RATIONALITÉS MULTIPLES ET ENCHEVÊTRÉES

Contrairement aux approches précédentes, il sera surtout question ici, de démontrer qu’on  a longtemps confondu la distribution de l’autorité avec l’exode  du pouvoir. Certes le gouvernement gouverne mais l’action publique ne se réduit pas à l’action des seuls gouvernants, dont l’étude ne permet pas d’embrasser toute la complexité  d’une activité, qui   compte à fabriquer des  dispositifs communs  et tangibles de gestion du collectif. C’est pour cela que de nos jours, les analyses sont surtout  axées, tour à tour, sur le remise  en cause de la rationalité instrumentale des acteurs, sur les espaces publiques comme nouveaux espaces du débat sur les politiques publiques et enfin sur l’action publique contemporaine.

Paragraphe 1 : La remise en cause de la rationalité  instrumentale absolue et à priori

  • La certitude comme illusion, le schéma « top down » comme chimère et la rationalité absolue comme fantasme

Herbert Simon a clairement critiqué les théories classiques des organisations qui se fondaient sur la rationalité absolue des décideurs. En effet pour lui, il ne peut y avoir  dans une organisation une application descendante des ordres. Autrement dit, une organisation moderne sous incertitude entre l’ordre donné par le haut de la hiérarchie et son application par le bas, est une illusion. La rationalité des individus est limitée, parce que le décideur ne peut être capable de connaître et encore moins, ne peut prévoir toutes les alternatives (et être au courant de toutes les données du problème). Il n’a pas en effet de choix stable et il ne fait que choisir les solutions temporairement les plus satisfaisantes

  • La rationalité limitée et contingente comme réalité
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Michel Crozier et Erhard Friedberg ont dans leurs différents travaux, dégagés trois principes de la rationalité de l’acteur à la fois limitée et contingente :

  • La rationalité d’un acteur rencontre en terme conflictuel ou coopératif la rationalité des autres acteurs à tel point que leur rationalité première sera le décodage de celle des autres acteurs.
  • Les objectifs d’un acteur sont rarement clairs et stables, ce qui, néanmoins, ne l’empêche pas de faire des choix.
  • L’acteur se saisit des opportunités soit pour élargir, soit pour conserver sa marge d’action dans l’organisation.

Paragraphe 2 : Les espaces publics : nouveaux espaces de débat pour les politiques publiques

L’espace public est un lieu de controverse où se discutent les définitions du possible des politiques publiques. Dans ledit espace, non seulement il y’a concurrence entre gouvernement et opinion, mais aussi, ces espaces sont tantôt ouverts, tantôt fermés et se présentent même le plus souvent sous forme mosaïques.

  • Concurrence entre gouvernement et opinions pour la définition de la chose publique

Au renforcement de la pertinence des acteurs politiques, convient d’ajouter le rôle grandissant des espaces publics comme lieu d’un échange et de controverse sur la définition des problèmes publiques, et de leur mode de résolution. La notion d’espace public vient des travaux de Jürgen Habermas. L’auteur analyse la naissance de l’espace public, au 17e et 18e siècle, dans les salons où se discute l’art. Il faut retenir ici, la proposition selon laquelle, il y a concomitance entre l’apparition de cet espace d’expression et la perte du monopole de l’État dans la définition de l’art. Élargi  à la problématique des politiques publiques, la concurrence entre les espaces de définition des biens publiques et la pensée de l’État, devient un  champ de réflexion tout à fait élevé à l’analyse de l’action publique

  • Espace de débat fermé/ouvert et impératif de publicité

Comme le souligne B. François, Jürgen Habermas invite à penser dans les catégories de la communication et de la prise de parole publique, un modèle jusque-là essentiellement saisi dans les catégories juridiques de l’État de droit. De fait, on peut entendre, le terme «public » de l’expression « politiques publiques » selon deux acceptations l’une classique, plutôt conforme aux attributs de la puissance publique, l’autre plus récente qui prend en compte les espaces publics de controverses sur les problèmes publics et leurs modes de résolution. Ces formes d’espaces de débats se sont plus au moins ouvertes ou fermées, selon les supports de communication utilisés.

  • L’espace public mosaïque et différenciation fonctionnelle

L’espace public ne saurait se résumer à sa structuration par les médias. Il est en effet mosaïque, fortement cloisonné en ce que la division sociale du travail autorise une fragmentation structurelle de l’espace public : secteurs, niveaux de gouvernance, territoires sociaux autant de formes où s’organisent des débats sur les problèmes de la société et les manières de les régler. C’est la naissance d’autant d’arène où se décide de façon impérative le sort de pan entier de la société. Si d’un côté l’espace public publicise le privé, d’un autre les divers arènes privatisent le public, dans la mesure où des problèmes publics y sont débattues, voire traités.

Paragraphe 3 : L’action publique contemporaine : gouverner c’est gérer l’action collective

A- Une action publique polycentrique

Des deux conceptions traditionnelles de l’État, à savoir : la société produite par l’État et l’approche pluraliste où l’État produit par la société. C’est la seconde qui l’emporte ici. En effet, deux principaux éléments caractérisent dans cette perspective, l’action publique aujourd’hui :

  • Pluralisme : l’action de l’État n’est plus le résultat aléatoire du libre affrontement des intérêts particuliers, affrontement dans lequel, les autorités publiques peine à faire valoir certaines de leurs ressources traditionnelles (droit, légitimité etc..) et à s’imposer comme le centre d’impulsion unique comme elle en avait la prétention.
  • Sa déhiérarchisation : les analyses récentes notamment celles conduites par Calebatch et Lamour sortent du schéma jusque la classique, qui consistait à voir dans l’État une alternative face aux effets externes du marché et à ses échecs. L’action publique dans cette perspective, s’inscrit dorénavant non plus dans la verticalité mais de plus en plus dans l’horizontalité.

B- Une action publique négociée

Une question principale se pose à ce niveau : Quel est le mode de régulation entre les différents acteurs, intérêts et volontés qui sont en concurrence dans le processus de fabrication d’une politique publiques ?  Les travaux de science politique, issus d’observation empiriques des politiques publiques contemporaines penchent pour des analyses et terme de contractualisation ou de gouvernance, où d’acteurs variés, publics et privés, et tentent de trouver des accords pour établir des projets de dispositifs concrets de politique publique qui garantissent leurs intérêts parfois divergents. La notion de contrat ici se réfère plus à un partage remoulé de décision qu’à une définition juridique classique du contrat formel. En d’autres termes, il s’agit de prendre en compte des partenariats multiples, les négociations explicites, les négociations multiples liant les pouvoirs publics, le secteur privé et même parfois ce que l’on a appelé, les associations de la société civile. De même, certains auteurs parlent d’activités publiques conventionnelles pour qualifier ces accords des plus formels et stables au moins formels. Cette approche met l’accent sur le volontarisme et la liberté d’action de tous les acteurs.

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Articles

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