Cours d’introduction au droit par le Prof. Jean-Marie TCHAKOUA Agrégé des Facultés de Droit

PROLÉGOMÈNES

Ces prolégomènes ne sont pas faits simplement pour se conformer à la tradition universitaire d’introduire les cours ; il nous a semblé important, au-delà du souci habituel de tracer le cadre du sujet par quelques définitions utiles, de donner, dès les premières lignes, quelques éléments pouvant permettre de bien comprendre le droit en général et le droit camerounais en particulier.

Table des matières

I. Définition du droit

Le mot droit a deux sens. Dans une première acception, le droit est l’ensemble des règles de conduite qui gouvernent les rapports des hommes vivant en société, et dont le respect est assuré par l’autorité publique : c’est le droit objectif.

On parle de « droit objectif », justement parce que dans cette acception on s’attache à l’objet du droit, qui est d’élaborer un corps de règles pour régir les rapports sociaux.

Le droit objectif peut être envisagé dans sa totalité, et ainsi on visera le droit camerounais, le droit tchadien, le droit français, etc.

Le droit objectif peut aussi être envisagé dans l’une seulement de ses branches, et ainsi on aura affaire au droit civil, au droit du travail, au droit pénal, au droit administratif, au droit constitutionnel, etc.

 Dans sa seconde acception, le mot droit signifie le pouvoir accordé à une personne d’user d’une chose ou d’exiger d’une autre personne l’exécution d’une prestation[1]. Autrement dit, le droit est une prérogative individuelle qui permet à son titulaire de faire, d’exiger ou d’interdire quelque chose dans son propre intérêt ou, parfois, dans l’intérêt d’autrui : c’est le « droit subjectif »[2].

Ici, on s’attache non pas à l’objet comme dans la première acception, mais au sujet du droit. Le qualificatif « subjectif » employé évoque ce sujet. Dans cette seconde acception, on n’évoque pas le droit en général, mais un droit ou des droits. Le droit de propriété sur une voiture, par exemple, est un droit subjectif : il confère à son titulaire un pouvoir sur ladite voiture ; le droit au salaire est aussi un droit subjectif : il confère au salarié le pouvoir d’exiger de l’employeur le versement d’une somme d’argent.

La reconnaissance de cette double acception du terme « droit » ne doit cependant pas masquer l’unité de la matière. Le droit ne peut être appréhendé dans son ensemble en se référant exclusivement soit à son objet soit à son sujet. Il y a en effet une relation étroite de dépendance entre le droit objectif et le droit subjectif. On sait que les prérogatives individuelles (droit subjectif) ont leur source dans la réglementation impersonnelle des rapports sociaux (droit objectif). Si le travailleur peut exiger de l’employeur le versement du salaire, c’est parce que le droit du travail prévoit que le salarié qui a travaillé doit être payé. Il est aussi certain que les modifications intervenant dans le droit objectif retentissent sur l’existence ou la consistance des droits subjectifs. Si les règles de calcul du salaire changent, le montant du salaire changera nécessairement.

II. Éléments pour la compréhension du droit en général et du droit camerounais en particulier

 Les règles de droit peuvent varier d’un système juridique à un autre ou d’un pays à un autre, en fonction des facteurs qui les ont marquées. Une chose est cependant sûre : le droit s’impose comme nécessité dans toutes les sociétés humaines. Il est aussi sûr que la règle de droit est celle reconnue comme telle dans la société, même s’il n’est pas inutile d’évoquer les discussions qui existent entre les partisans du droit naturel et ceux du positivisme juridique en ce qui concerne la reconnaissance de la règle de droit. Tout compte fait, nous devons admettre que nous sommes dans une société qui a consacré le positivisme juridique, ce qui oblige à accorder une attention particulière à l’édiction de la règle de droit.

A. La nécessité du droit dans toute société humaine

Il n’y a pas de société viable si chacun entend agir à sa guise, sans se soucier des répercussions que ses actions peuvent avoir sur les autres membres de la communauté ou sur la communauté elle-même. Il s’en déduit que toute société suppose une organisation, elle implique une discipline. Autrement dit, les membres de la société doivent obéir à certaines règles de conduite, règles qui indiquent ce qui est défendu (par exemple voler) et ce qui est permis (par exemple s’enfermer chez soi). L’observation de ces règles de conduite est nécessaire à l’existence même de la société et, par conséquent, de chacun de ses membres.

Mais si la nécessité d’observer les règles peut paraître évidente pour tous, en revanche, nous ne sommes pas tous enclins à obéir à la loi. Il faut donc, pour la société, assurer l’observation des règles prescrites, au besoin par la contrainte. La règle de conduite serait en effet illusoire si elle n’était pas accompagnée de cette idée de contrainte. C’est pourquoi celui qui enfreint la règle édictée par la société doit savoir qu’il s’expose à la sanction correspondante, elle-même prévue par la société.

Pour l’efficacité du système, il est nécessaire que la règle soit connue de tous. Plus concrètement, il doit être possible de savoir quelles sont les règles en vigueur dans la société. À cet égard, les approches diffèrent selon qu’on considère la doctrine du droit naturel ou le positivisme juridique.

  1. Les doctrines en matière de reconnaissance de la règle de droit

En matière de reconnaissance de la règle de droit, nous avons la doctrine du droit naturel et le positivisme juridique.

1. La doctrine du droit naturel

Selon la doctrine du droit naturel, il existe des règles non écrites, immanentes et immuables, qui ne demandent qu’à être découvertes par la raison, et n’ont nullement besoin d’une reconnaissance de la part des autorités, puisqu’elles s’imposent à celles-ci. Dans cette perspective, le législateur est tenu de se soumettre au droit naturel, faute de quoi les lois seront injustes et les individus pourront s’y soustraire.

La doctrine du droit naturel a eu son heure de gloire avec les philosophes grecs et romains, puis, en France, sous l’Ancien régime. Elle va par la suite s’éclipser, même si on assiste aujourd’hui à son relatif réveil.

2. Le positivisme juridique

 Le positivisme juridique consiste en l’affirmation que le droit n’existe que lorsqu’il est formellement consacré par l’autorité établie, chargée aussi d’en assurer le respect. Il est caractérisé par la nette distinction entre droit réel et droit idéal. Les positivistes refusent de se référer à un soi-disant droit naturel et ne se préoccupent que du droit existant dans la société. Le droit est ce qu’il est et non ce qu’il devrait être. Les plus célèbres positivistes sont Carré de Malberg et Hans Kelsen.

Le positivisme juridique représente aujourd’hui la pensée dominante. C’est pourquoi il faut souligner l’importance des opérations d’édiction et de publication de la règle de droit.

 

C. L’édiction de la règle de droit et le besoin de coordination ou d’unification des solutions

La règle de droit est supposée édictée par la société, puisque la loi est, en vertu de la théorie du contrat social, l’expression de la volonté générale. Mais concrètement, la règle de droit est élaborée par des personnes ou organes habilités (Parlement, Président de la République, Ministre, Maire, etc.). Le peuple ne garde la maîtrise du processus d’élaboration de la règle de droit que parce que, en amont, il intervient dans la désignation des personnes investies du pouvoir d’élaborer les normes (essentiellement les Députés, le Président de la République, les Maires).

En principe, chaque État se donne souverainement des règles de droit conformes à ses aspirations. On devrait ainsi assister à une sorte de balkanisation du droit, parce que la règle prévue dans l’État A est différente de celle prévue dans les États B, C, D, etc. La diversité des solutions qui en résulte est potentiellement dangereuse pour la vie des hommes, parce que ceux-ci se déplacent à travers le monde et entretiennent différents rapports avec les habitants de divers pays (relations de famille, relations d’affaires, etc.). Mais depuis de longue date, un effort est fait pour coordonner l’application des règles de droit à l’échelle internationale. C’est l’objet des disciplines comme le droit international privé, le droit du commerce international.

Allant plus loin que la coordination, on cherche à unifier, à l’échelle internationale, un certain nombre de règles. Plusieurs conventions internationales portant unification des règles applicables à telle ou telle matière ont ainsi été conclues (ex. La Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur les contrats de vente internationale de marchandises).

Ce mouvement d’uniformisation des solutions s’est construit à l’origine sur des raisons utilitaires. Par la suite, sont venues s’ajouter des raisons philosophiques : on avance que l’Homme est le même où qu’il se trouve, et son statut doit être garanti partout par un minimum de règles que personne ne peut remettre en cause. C’est le discours sur l’universalité des droits de l’Homme, dont on voit la traduction aujourd’hui en termes de limitation de la souveraineté des États dans l’élaboration des normes[3].

Est aussi remarquable le mouvement de construction d’espaces juridiques ou communautaires. Citons, entre autres, l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA), l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI), la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC).

D. Les systèmes de droit

La diversité des règles ci-dessus évoquée est préoccupante ; mais on sait qu’il existe des constantes d’un droit national à un autre, grâce auxquelles des regroupements sont possibles. On a en effet mis en lumière l’existence de grands systèmes de droit, qui ont en commun l’originalité de leur philosophie, de leurs sources et de leur teneur substantielle. Les systèmes de droit ne présentent cependant pas tous la même stabilité. On pourrait aujourd’hui mettre d’un côté les systèmes juridiques ayant une grande stabilité et de l’autre les systèmes peu stables.

1. Les systèmes juridiques présentant une grande stabilité

Trois systèmes juridiques peuvent être considérés aujourd’hui comme présentant une grande vitalité, en dépit des évolutions internes qu’ils connaissent : le système anglo-saxon, le système romano-germanique et le système de droit religieux.

a). Le système anglo-saxon

Le système juridique anglo-saxon regroupe l’Angleterre, les États-

Unis, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Canada (à l’exclusion du Québec) et tous les pays de l’empire colonial anglais, Dans ce système, le droit n’a pas, en principe, à être recherché dans un corps de règles préétablies d’expression législative : le droit est plutôt jurisprudentiel. Il s’est construit au fil des décisions rendues par les juridictions (en langue anglaise on parle de « Judge-made-law »).  

Les décisions de justice sur lesquelles le droit est construit sont prises pour résoudre des cas particuliers soumis au juge ; ces décisions n’affichent aucune prétention à l’abstraction et à la généralisation.   On pourrait craindre que, construit sur des décisions de justice, ce système crée de l’insécurité juridique, parce que la solution à un problème peut changer d’un juge à un autre. Pour éviter cette issue, le système anglosaxon est fondé sur la règle dite du précédent. Il y a nécessité, pour le juge, de s’en tenir aux règles posées par ses prédécesseurs, à propos de cas analogues (stare decisis). Cela dit, le précédent qui lie ne peut provenir que d’une cour d’un niveau élevé dans la hiérarchie judiciaire.

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Dans ces conditions, il est tentant de conclure à la rigidité du système anglo-saxon. Mais ce n’est pas le cas, parce que l’obligation de suivre le précédent n’exclut pas la prise en considération de circonstances particulières des diverses espèces, ce qui permet, par la mise en lumière de ces particularités, d’infléchir la solution précédemment adoptée. Concrètement, le juge ne remet pas en cause le précédent, il le contourne.

Le système ne peut bien fonctionner que si les décisions de justice sont publiées et accessibles. Aussi d’importants efforts sont-ils faits pour mettre les décisions de justice à la disposition du public, notamment dans le cadre de recueils de décisions.  

L’importance du droit jurisprudentiel (respect du précédent) ne doit pas faire oublier la seconde source du droit dans les pays du système anglosaxon : la loi proprement dite qu’on appelle ici statute[4]. Certains auteurs[5] pensent même qu’elle est en passe de devenir la source principale du droit dans les pays de common law, et notamment en Angleterre. Ce jugement est d’autant plus pertinent que l’Angleterre a signé des conventions internationales ayant pour objet de régir un certain nombre de matières.

La grande division dans la famille de droit anglo-saxonne se fait entre la Common law et l’Equity[6]. Ce dernier est un corps de règles, comme la Common law, et ne doit donc pas être confondu avec l’équité qui est une valeur. On pourrait simplement souligner que l’Equity est innervé par l’équité.

Le dernier trait caractéristique des droits anglo-saxons est l’importance accordée aux règles d’administration de la justice. Plus précisément, les règles de preuve et de procédure ont autant sinon plus d’importance que les règles substantielles.

b). Le système romano-germanique

Le système romano-germanique est issu du droit romain auquel s’est superposé l’apport des coutumes germaniques. Il est très éparpillé à travers le monde : pays d’Europe, d’Afrique, du Proche-Orient et d’Amérique latine. Dans ce système, et contrairement au système anglo-saxon, la loi est la source principale du droit. Les textes applicables à telle ou telle matière font très souvent l’objet de codes accessibles aux citoyens : code civil, code pénal, code du travail, code général des impôts, code de la route, etc.

À côté des codes sont édictées d’autres lois dont le très grand nombre a parfois été dénoncé. On assiste en effet à une sorte d’inflation législative, qui complexifie le droit et le rend parfois indigeste ou, à tout le moins, difficile à connaître.

Dans le système romano-germanique, la grande division est faite entre le droit privé et le droit public, chacun de ces domaines étant divisé en plusieurs branches. Pour le droit privé, on a le droit civil, le droit pénal, le droit du travail, etc. ; pour le droit public, on a le droit administratif, le droit constitutionnel, etc. Mais loin d’être étanches, ces divisions sont, au contraire, circonstancielles et parfois arbitraires.

c). Le système de droit religieux

 À tout considérer, on admettra que tous les droits sont influencés par la religion. Celle-ci prend cependant une place très importante dans les droits dits religieux, lesquels prennent leur source dans une religion. Le droit est donc ici indissociable de la religion.

Dans le groupe des droits religieux, on peut citer le droit musulman applicable dans la plupart des États islamiques et le droit israélien. Mais dans ces pays, certaines matières du droit peuvent ne pas être basées sur la religion. Ainsi, dans les États islamiques, la Chari’a, loi canonique de l’Islam, n’occupe pas forcément tout le droit positif[7] ; la part qu’elle occupe varie d’un pays à un autre. De même, en Israël, la Thora, loi mosaïque juive, ne s’applique pas à toutes les matières du droit.

2. Les systèmes juridiques peu stables

Deux systèmes de droit peuvent être rangés dans la rubrique des systèmes peu stables : le système socialiste pratiquement en décadence et le système de droit des pays africains anciennement colonisés, en constante mutation.

a). Le système socialiste de droit

Le système socialiste de droit a pour fondement la doctrine marxisteléniniste dont on connaît l’hostilité à l’égard de la propriété privée et même de l’État. C’est un système de droit profondément marqué par l’idéologie communiste. Il a eu pour cœur l’ancienne Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) et s’est répandu dans les pays satellites de l’URSS (la Bulgarie, la Roumanie, la Tchécoslovaquie, etc.). Il s’est ainsi établi dans ce qu’on a appelé le bloc de l’Est.

Le communisme s’est effondré et l’URSS s’est disloquée en 1991. La Fédération de Russie s’est mise en place et se montre favorable à la propriété privée. Elle a aujourd’hui adopté plusieurs textes importants inspirés des droits romano-germaniques, notamment du droit allemand. Dans le même temps, quelques pays appartenant à l’ancien bloc de l’Est ont intégré l’Union européenne, organisation internationale marquée par le système romano-germanique. C’est pour toutes ces raisons que le système socialiste du droit a progressivement perdu du terrain au profit du système romano-germanique.

b). Le système de droit des pays africains anciennement colonisés

Les pays africains qui ont subi la colonisation, en particulier au cours du siècle dernier, ont enregistré un phénomène qui a durablement marqué leur droit : la forte pénétration du droit du colonisateur dans des sociétés qui n’étaient régies jusque là que par les règles coutumières[8] locales. Le projet du colonisateur, plus ou moins marqué selon les pays, était la substitution de son droit[9] aux coutumes locales. Mais bien souvent, les coutumes locales ont résisté, ce qui a conduit à une coexistence, plus ou moins harmonieuse, de deux corps de règles : les règles d’origine étrangère et les coutumes locales.

L’accession à l’indépendance des pays colonisés n’a pas fait cesser ce pluralisme juridique. Au contraire, celui-ci s’est enrichi d’une troisième composante, les règles adoptées par les autorités des États indépendants. Cette nouvelle composante prend de plus en plus de l’importance au détriment de la coutume et du droit issu de la colonisation. Suivant divers mécanismes d’influence, elle accentue la prégnance tantôt du système romano-germanique, tantôt du système anglo-saxon et a inscrit dans son projet la disparition de la coutume comme source directe du droit.

E. Les particularités du droit camerounais

L’histoire des institutions[10] et des faits sociaux au Cameroun explique mieux les particularités du droit camerounais. Ce dernier est écartelé entre les systèmes de droit anglo-saxon et romano-germanique et a construit une règle originale d’articulation entre les coutumes, les textes nationaux et ceux des ex-puissances colonisatrices.

1. L’écartèlement du droit camerounais entre les systèmes juridiques anglo-saxon et romano-germanique

Lorsqu’il se construit comme entité territoriale, le Cameroun est sous protectorat allemand : le traité de protectorat est signé le 12 juillet 1884. Le pays est dans cette situation jusqu’à la fin de la Première guerre mondiale. L’Allemagne ayant perdu la guerre, ses possessions en Afrique passent aux mains des vainqueurs ; le Cameroun est ainsi partagé entre l’Angleterre et la France le 6 mars 1916.

Les nouveaux maîtres du Cameroun vont s’employer à effacer toutes les traces de la présence allemande. La présence anglo-française, relativement plus longue que celle allemande, va durablement marquer le Cameroun et son droit.

Parce qu’il a subi une double influence anglaise et française, le Cameroun est écartelé entre les systèmes juridiques anglo-saxon et romano-germanique. Le premier système s’applique à l’ex-Cameroun occidental anciennement administré par la Grande-Bretagne, tandis que le second s’applique à l’ex-Cameroun oriental anciennement administré par la France.

On peut cependant remarquer, dès les indépendances et surtout depuis l’unification de l’État en 1972, un vaste mouvement d’unification législative qui doit normalement faire perdre du terrain à la règle du précédent en usage dans l’ex-Cameroun occidental. Il serait en effet impertinent de recourir à la règle du précédent dans les matières comme le doit du travail, le droit foncier, le droit de l’environnement, etc., qui font l’objet de textes applicables à l’ensemble du territoire national.

De même, le vaste mouvement d’intégration juridique dans lequel notre pays est impliqué perturbe le mode anglo-saxon de découverte de la règle de droit. Le droit commercial, le droit des sociétés, le droit des assurances et bien d’autres branches du droit font aujourd’hui l’objet de textes à l’échelle régionale, et il n’est plus pertinent, pour le juriste de culture anglo-saxonne, de rechercher les solutions applicables dans les précédents judiciaires.

2. La place des coutumes, des textes nationaux et étrangers

Les droits étrangers et la coutume sont maintenus à titre provisoire et doivent s’effacer devant les textes pris par le législateur camerounais.

a. Le maintien à titre provisoire des droits étrangers

Les puissances coloniales voulaient abolir complètement les coutumes, même s’il faut relativiser cette affirmation en ce qui concerne l’Angleterre. Mais celles-ci ont résisté, obligeant les colonisateurs à louvoyer. Lorsque le Cameroun est devenu indépendant, on pouvait espérer que les autorités du jeune État abrogent toutes les dispositions des droits étrangers introduits pendant la colonisation. Cela n’était possible que si étaient prêts des corps de règles pouvant être adoptées en remplacement du droit colonial. Ces corps de règles n’existaient pas, les coutumes qu’on trouvait çà et là étant liées à des tribus et non applicables à l’échelle nationale (coutume bamiléké, coutume bassa, coutume béti, coutume duala, etc.). Par réalisme, la Constitution du 4 mars 1960[11] a posé que le droit antérieur (le droit colonial) restera en vigueur jusqu’à son abrogation et son remplacement par de nouvelles dispositions. Cette solution a été reprise par l’article 68 de la Constitution actuellement en vigueur, et la Cour suprême veille à son respect[12]. C’est pour cette raison que dans l’ex-Cameroun oriental, les textes comme le Code civil français de 1804 restent en vigueur. La solution doit être bien comprise : la version du Code civil qui intéresse notre propos est celle en vigueur au Cameroun au 1er janvier 1960. Depuis lors, en France, plusieurs modifications ont été apportées au Code civil, mais ne nous concernent pas.  

De même, dans l’ex-Cameroun occidental, la Common law et certains statutes anglais sont toujours en vigueur[13]. Certes, dans cette partie du territoire, la situation est relativement plus complexe. Au départ, il y a un texte de l’époque coloniale, le Southern Cameroons High Court Laws de

  1. En son article 11, il prévoit l’application, à la partie du territoire camerounais administrée par la Grande-Bretagne de :
  • la common law
  • l’Equity
  • les textes d’application générale (statutes of general application) en vigueur en Angleterre au 1er janvier 1900.

b). Le maintien à titre provisoire de la coutume ( ce qui créé la concurrence entre le droit écrit et la coutume)

Comme en ce qui concerne les textes coloniaux, c’est par réalisme que fut maintenue la solution de la concurrence entre le droit écrit, dit moderne, et les droits coutumiers. Et pour donner un sens à cette concurrence, la Cour suprême a affirmé que l’option de juridiction emporte l’option de législation[14]. Mais ici aussi, les autorités ont fait savoir que le maintien des droits coutumiers est provisoire. La solution résultait implicitement du maintien à titre provisoire des juridictions chargées d’appliquer le droit coutumier[15] et d’une importante décision de la Cour suprême, rendue en 1962, qui a affirmé que dans toutes les matières où il a été légiféré, cette législation doit l’emporter sur la coutume[16]. La Haute juridiction a ainsi posé la règle de l’effacement de la coutume devant les textes pris pour régir une situation. Dans le contexte actuel, il s’agit des textes pris par les autorités du Cameroun indépendant, ce qu’on peut appeler, avec une certaine approximation, « loi nationale ».

La solution est justifiée par le fait qu’une législation nationale est forcément l’expression du génie législatif national et donc la résultante de toutes les coutumes camerounaises[17]. Dans l’optique de l’unité nationale, une telle législation doit s’imposer face aux coutumes particulières à telle ou telle tribu.

Logiquement, il faudrait aussi penser qu’une règle d’origine internationale s’applique devant toutes les juridictions et sur toute l’étendue du territoire national et évince donc toute coutume qui prétendrait s’appliquer.

C’est pour toutes ces raisons que le droit coutumier ne s’exprime plus abondamment qu’en droit de la famille[18], où n’existe pas encore une législation uniforme et où les conventions internationales ne sont pas souvent d’application directe en droit interne.

Il faudrait aussi dire, à la vérité, que la concurrence entre le droit écrit et le droit coutumier a toujours été une lutte entre inégaux, les autorités ayant pris le parti du droit écrit[19]. Des dispositifs subtils sont mis en place pour réduire l’influence du droit coutumier au profit du droit écrit.  Comme on peut s’y attendre, toutes ces subtilités ou complexités dans le droit objectif influencent le contenu des droits subjectifs.

Ce cours de développera suivant une présentation classique que donne la définition du droit : le droit objectif (première partie) et les droits subjectifs (seconde partie).

PREMIÈRE PARTIE : LE DROIT OBJECTIF

Rappelons que le droit objectif est l’ensemble des règles qui gouvernent les rapports entre les hommes vivant en société et donc le non- respect est sanctionné par l’autorité. Trois sujets vont nous intéresser en ce qui concerne le droit objectif : le droit dans son environnement (chapitre 1), les sources du droit  (chapitre 2) et l’existence du droit (chapitre 3)

CHAPITRE I : LE DROIT DANS SON ENVIRONNEMENT

Il est important de situer le droit dans son environnement, parce que les règles de droit ne sont pas les seules qui gouvernent les rapports entre les hommes dans une société. Elles se distinguent cependant des autres règles par des caractères spécifiques qu’il faudrait souligner. À l’examen, on va se rendre compte que le trait le plus marquant de la règle de droit tient à la place qu’elle accorde à la contrainte étatique. Cela justifie qu’on en traite dans une section à part. Suivra un dernier point sur les finalités du droit.

SECTION I : LES SPÉCIFICITÉS DE LA RÈGLE DE DROIT

Pour faire apparaître les spécificités de la règle de droit, il convient de la rapprocher des règles non juridiques, mais ayant elles aussi pour but d’assurer le fonctionnement harmonieux des relations humaines. Dans cet ensemble à utiliser pour la comparaison, il faudrait faire une place à part à la morale, parce que celle-ci entretient avec le droit des rapports que ne partagent pas forcément les autres règles de conduite sociale.

Ces rapprochements doivent être complétés par ceux entre le droit et deux valeurs : la justice et l’équité.

§ 1 : Le droit et la morale

On retrouve, sur le plan juridique, des règles de conduite dictées par la conscience : ne pas nuire au prochain, ne pas s’enrichir injustement aux dépens d’autrui, agir de bonne foi. Mais le droit demeure séparé de la morale, car plusieurs règles de droit sont en effet sans signification particulière d’un point de vue moral. Ainsi en est-il des règles de la circulation routière, de la fixation des délais pour l’exercice de certains droits. Ici, il s’agit simplement de règles destinées à organiser la vie en société, sans aucune idée de valeur. Parfois d’ailleurs, la règle de droit légitime une situation immorale : ainsi en est-il de la possibilité, pour le géniteur d’un enfant adultérin, de le reconnaître[20], du droit pour la concubine de demander réparation à celui qui a tué son concubin[21]. Dans le premier cas, la règle est posée malgré le caractère immoral de l’adultère, dont l’auteur récolte le fruit. Dans le second cas, la loi protège la concubine que la morale religieuse condamne pour fornication.

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En réalité, plusieurs niveaux de distinction sont à relever. Le premier est celui des sources : le droit prend sa source dans le commandement de l’autorité publique régulièrement habilitée ; la morale prend la sienne dans l’éthique sociale, les prescriptions religieuses, la conscience individuelle.

Le deuxième niveau est celui des finalités : le droit vise le bien de la société et l’épanouissement des relations interindividuelles ; la morale vise le perfectionnement de l’individu.

Le troisième niveau de distinction est celui du contenu : le droit contient des droits et des devoirs pour les sujets ; la morale ne connaît que des devoirs.

Le quatrième niveau de distinction est celui de la sanction : le nonrespect de la règle de droit appelle une contrainte organisée par le corps social ; le non-respect de la règle morale n’appelle qu’une sanction intérieure au sujet.

§ 2 : Le droit et les autres règles de conduite 

Le droit doit être distingué d’autres règles sociales plus ou moins contraignantes, celles que l’on est tenu d’observer en société, sans pour autant qu’elles présentent un caractère juridique. Ainsi en est-il des rapports d’amitié, des convenances, des règles de politesse, des règles religieuses. Ces règles auraient pu être juridiques, mais elles ne le sont pas parce qu’elles ne font appel à aucune autorité officielle, elles ne font pas recours à la contrainte de l’État.

Certes, la violation de ces règles peut être sanctionnée ; mais cette sanction se trouve ailleurs que dans l’appareil étatique. On imagine bien qu’un jeune homme puisse être réprimandé par son père, parce que dans un bus de transport public il n’a pas cédé sa place à une personne âgée ou à une femme enceinte ; mais personne ne peut sérieusement penser qu’il faut traîner le jeune homme devant le juge. On conçoit aussi aisément qu’une association sanctionne un de ses membres qui s’est présenté à un enterrement sans tenue appropriée (le noir, le blanc, le violet ou une autre couleur prévue par le règlement de l’association) ; mais on voit mal que le juge soit sollicité pour une telle sanction.

La séparation entre le droit et la religion est cependant en peine dans les contextes où le droit affiche clairement son attachement à la religion. C’est le cas avec le droit canonique et les droits musulmans. Les prescriptions juridiques sont ici édictées par l’autorité religieuse qui peut être différente de l’autorité étatique. Il reste que même dans ces conditions, la confusion n’est pas toujours totale. Ainsi, les membres de l’Église catholique soumis au droit canonique contenu dans le Codex juris canonici promulgué par le pape Jean-Paul II en 1983 sont tenus au respect du droit étatique dans les pays où ils se trouvent. Par ailleurs, l’autorité compétente assure effectivement le respect des règles de droit en cas de violation. Il ne s’agit donc pas de s’en remettre à Dieu.

§ 3 : Le droit et la justice

Il faudrait distinguer clairement la justice en tant qu’institution de la justice en tant que valeur. C’est dans cette seconde acception qu’on peut comprendre son rapprochement avec le droit. La justice est certainement un idéal que le droit veut atteindre. La difficulté, dans la poursuite de cet idéal, provient de la variété des conceptions de la justice : celle-ci peut être commutative ou distributive.

La justice commutative est celle qui préside aux échanges dans les relations d’individu à individu ; elle est fondée sur la réciprocité et l’égalité arithmétique. Dans les échanges, il faut établir une égalité de proportion entre ce que l’on reçoit et ce que l’on donne (celui qui a vendu un bien doit recevoir l’exacte valeur de son bien). La monnaie a été inventée à cette fin. En matière de responsabilité civile, la justice commutative conduit à la conclusion que celui qui a souffert d’un préjudice doit recevoir l’exacte réparation de son préjudice. En matière pénale, le coupable d’une infraction doit subir une peine proportionnelle à la gravité de l’infraction, sans aucun égard pour sa personnalité.

À l’opposé, la justice distributive a pour objet la meilleure répartition des richesses et des charges de la cité entre ses différents membres. Elle met en présence non plus des personnes privées dans leurs rapports interindividuels, mais la collectivité et les citoyens. Elle est une justice hiérarchique, non plus horizontale.

Le critère de répartition des richesses et charges varie selon qu’on adopte une conception libérale ou une conception sociale. Dans le premier cas, la proportion à attribuer à chacun repose sur le mérite, ce qui veut dire que des personnes ayant des mérites différents n’auront pas la même chose : il faut traiter inégalement ce qui est inégal. Dans le second cas, la répartition doit être rigoureusement égalitaire, peu importent les mérites des uns et des autres.

Les conceptions de la justice étant opposées, le droit ne peut poursuivre l’une sans délaisser l’autre ou, à tout le moins, s’en éloigner. Il est dans tous les cas toujours à mi-chemin de la justice, dans ce sens qu’il n’y aura jamais de coïncidence parfaite entre droit et justice. Le droit s’efforce toujours d’atteindre la justice.

La question a cependant été posée de savoir si on peut résister au droit sous prétexte qu’il ne poursuit pas l’idéal de justice. Une réponse affirmative à cette question a été avancée dans quelques pays, dont la France où la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 cite parmi les droits naturels et imprescriptibles de l’homme, la résistance à l’oppression. Notre droit n’a pas consacré une telle solution. Au contraire, le code pénal, en son article 157, réprime la rébellion, qui est le fait d’inciter à résister à l’application des lois, règlements ou ordres légitimes de l’autorité publique. En son article 114, le même code réprime la révolution, qui est le fait de tenter, par la violence, soit de modifier les lois constitutionnelles, soit de renverser les autorités politiques instituées par lesdites lois ou de les mettre dans l’impossibilité d’exercer leurs pouvoirs. Les auteurs de ces infractions seront punis, même si le mobile de leur comportement est le caractère injuste des lois en cause.

§ 4 : Le droit et l’équité

Pour bien comprendre les rapports entre le droit et l’équité, il faudrait partir de l’adage Dura lex sed lex[22] (La loi est dure, mais c’est la loi). La loi peut en effet être trop dure pour une espèce, parce que conçue de façon trop générale, elle ne convient pas à ladite espèce. Dans ce cas, on peut avoir deux attitudes : appliquer la loi telle quelle, au risque de mal servir l’idéal de justice, ou corriger le droit en faisant recours à l’équité, plus souple et plus douce.

Dans tous les systèmes reposant sur les prescriptions légales, la conscience individuelle attend du droit la consécration des solutions les plus équitables ; et c’est au juge qu’il revient d’utiliser à cet effet la marge de manœuvre que lui laisse la loi. Dans notre système en particulier, et malgré l’importance reconnue à la loi, le juge est souvent explicitement ou implicitement autorisé à recourir à l’équité.

SECTION II : LA CONTRAINTE ÉTATIQUE COMME CRITÈRE DÉTERMINANT DE LA RÈGLE DE DROIT

Les développements qui précèdent concourent à désigner la contrainte étatique comme le critère déterminant de la règle de droit. Plus concrètement, il n’y a règle de droit qu’autant que sa violation soit passible d’une sanction émanant de l’autorité étatique. Cette sanction est appliquée suivant une procédure sur laquelle il importe de s’arrêter.

§ 1 : Le principe de la sanction étatique

La sanction étatique est celle organisée par la société, et mise en œuvre par des agents habilités : police, huissiers, juges, etc.

Pour l’essentiel, les sanctions sont répressives, réparatrices ou alors consistent en une mesure d’exécution. Dans le premier cas, la sanction est recherchée par  la société et se traduit par l’application d’une peine en rétribution des infractions commises par des délinquants (la peine est, par exemple, l’emprisonnement ou une amende)

La sanction réparatrice est recherchée par celui qui est lésé dans ses droits, et se traduit par une indemnisation ou une restitution.

§ 2 : La procédure de la sanction étatique

Il faut placer au centre de la procédure de sanction la maxime « Nul ne se fait justice à soi-même ». Elle signifie que la mise à exécution d’un droit implique l’intervention de la justice de l’État. Le recours à l’appareil étatique est nécessaire non seulement lorsqu’il faut faire constater que ses droits sont violés, mais aussi, ceux-ci ayant été reconnus, lorsqu’il faut exécuter la décision de condamnation de celui qui avait méconnu ces droits.

SECTION III : LES FINALITÉS DE LA RÈGLE DE DROIT

Le droit vise essentiellement l’objectif d’organisation et de bon fonctionnement de la société. Il régit les services publics, répartit les charges entre citoyens, fixe les règles de circulation routière, d’urbanisme, de maintien de l’ordre, etc. Mais ces buts d’utilité sociale ne doivent pas faire oublier que le droit a aussi une finalité morale et spirituelle. C’est pourquoi lorsqu’une règle morale est particulièrement impérieuse, il est rare qu’elle ne soit pas consacrée en droit. Par exemple, le commandement « Tu ne tueras point » est repris en droit avec l’infraction d’homicide ; le Code pénal punit en effet celui qui tue.

Pour aller plus loin dans la présentation des finalités du droit, on peut distinguer celles qui ont une dominante individuelle de celles qui ont une dominante collective.

§ 1 : Les finalités à dominante individuelle

Deux objectifs majeurs sont concernés par cette rubrique : la sécurité et la stabilité.

A. La sécurité

La sécurité que vise la règle de droit s’applique tant aux personnes qu’aux biens.

1. La sécurité des personnes

Appliquée à la personne, la sécurité est recherchée sous deux angles. Sous un premier angle, les personnes sont protégées en tant qu’êtres humains : on recourt ici à la notion d’inviolabilité de la personne. Le droit pénal protège l’intégrité physique à travers diverses infractions : assassinat, coups mortels, coups et blessures, etc. ; le droit civil la protège par l’obligation de réparer toute atteinte qui lui est portée.

Le droit protège également l’intégrité morale des personnes à travers des infractions comme la diffamation, la violation de domicile, la violation de correspondance, etc. Les atteintes à l’intégrité morale peuvent aussi donner lieu à condamnation à des dommages-intérêts au profit des victimes.

Sous le second angle, les personnes peuvent être protégées en tant que catégories ou groupes : travailleurs, femmes, jeunes, etc. Alors, ces catégories ou groupes bénéficient d’une protection particulière en raison de leur situation.

2. La sécurité des biens

Le droit civil et le droit pénal veillent à la protection tant des biens privés que des biens communs. L’atteinte aux biens d’autrui peut être d’ordre juridique ; alors ce qui est violé, c’est le droit de propriété.

Au plan pénal, les atteintes à la propriété renvoient au vol, à l’escroquerie, à l’abus de confiance, etc.

L’atteinte aux biens privés peut aussi être d’ordre matériel : sans remettre en cause la propriété, on l’altère, on la détruit. Diverses actions en justice peuvent permettre de défendre le bien dans ces cas.

Contre les atteintes matérielles, le droit protège même les personnes qui ne sont pas propriétaires des biens en cause. On peut ainsi se plaindre d’un trouble de jouissance alors même qu’on n’est pas propriétaire (article 239 du Code pénal).

B. La stabilité 

La stabilité ici poursuivie comme objectif est, non pas celle des personnes, mais celle des situations juridiques. Il ne fait pas de doute que rien de sérieux ne peut se construire si les situations juridiques sont instables. Aussi le droit s’efforce-t-il de promouvoir la stabilité.

Le premier moyen pour y parvenir est le principe de la non-rétroactivité des lois, qui garantit que si le droit actuel met une personne dans une situation, le droit postérieur ne remettra pas en cause cette situation en rétroagissant. Cela signifie aussi que le droit actuel ne peut pas remettre en cause ce que j’ai fait conformément au droit antérieur.

Le second moyen de promotion de la stabilité est le principe de l’autorité de la chose jugée exprimé dans l’adage Res judicata pro veritate accipitur (la chose jugée est tenue pour la vérité). La solution arrêtée par le juge est considérée comme la vérité définitive si la décision ne peut plus être attaquée par une voie de recours.

Le droit promeut aussi la stabilité à travers les règles de publicité ; celles-ci permettent que ce qui aurait pu rester dans les rapports de quelques personnes soit porté à l’attention de tous, afin que plus tard personne ne s’y méprenne. Lorsque je deviens propriétaire d’une parcelle de terre, les règles de la publicité foncière obligent à en porter mention au Livre foncier, que chacun peut consulter.

Le droit est tellement attaché à l’objectif de stabilité des situations juridiques qu’il lui arrive de consolider des droits acquis sur l’apparence. Je vends un bien dont je suis de toute apparence propriétaire ; l’acheteur de bonne foi ne peut se voir arracher ce bien par son véritable propriétaire. C’est que dans bien des situations, il est difficile d’accéder à la vérité ; on fait alors confiance à l’apparence (un enfant de 16 ans qui est barbu peut facilement être pris pour un homme majeur par tous ceux qui ne connaissent pas son vrai âge).

§ 2 : Les finalités à dominante collective

Le droit a pour fonction de traduire les choix de la société. Une société libérale a nécessairement un droit qui exprime ce libéralisme : elle encourage par exemple la propriété individuelle au détriment de la propriété collective ; elle encourage la liberté contractuelle au détriment du grand interventionnisme des pouvoirs publics. Une société non libérale ferait exactement le contraire.

Sur le plan politique, les rapports entre gouvernants et gouvernés ont leur traduction dans le droit. Cela est vrai si l’on considère la Constitution qui a justement pour objet de tels rapports ; cela l’est aussi s’agissant d’autres textes qui, a priori, n’ont rien à voir avec ce sujet. Un texte sur la vie privée ou sur la procédure pénale, par exemple, peut bien traduire la nature des rapports entre gouvernants et gouvernés.

Il revient aussi au droit de traduire en normes la politique de la famille, de la population, de la santé, la politique sociale, économique … de l’État.

En montrant les spécificités de la règle de droit, ce premier chapitre n’a pas manqué d’effleurer ses sources. Il souligne notamment que la règle de droit émane de l’autorité étatique, ce que va conforter le chapitre suivant consacré aux sources du droit. Son intitulé insiste à dessein sur le Cameroun, parce qu’il met en lumière quelques données propres à notre contexte.

CHAPITRE II :

 LES SOURCES DU DROIT CAMEROUNAIS

L’étude des sources du droit peut être abordée de deux façons différentes. Tout d’abord, on peut réfléchir sur ce qui est à l’origine de telle solution du droit, ce qui l’a inspirée ; alors, la source n’est pas immédiate puisqu’elle se situe à l’arrière-plan et inspire la solution consacrée.

Ensuite, on peut s’intéresser au support immédiat de la solution du droit ; alors il faut parler de source immédiate. Ces deux approches doivent se compléter si l’on veut bien comprendre les solutions du droit, particulièrement dans un contexte comme celui du Cameroun, marqué par une pluralité d’influences. C’est au demeurant parce que les solutions positives ne peuvent se comprendre sans les données qui les ont inspirées qu’il paraît judicieux de présenter les sources d’inspiration avant les sources immédiates du droit camerounais.

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SECTION I : LES SOURCES D’INSPIRATION DU DROIT CAMEROUNAIS 

Dans cette rubrique, la réflexion porte sur les influences subies par notre droit. C’est pourquoi un bref détour dans l’histoire s’impose. Ici, on distinguera l’histoire du droit français ayant influencé le droit de l’exCameroun oriental de celle du droit anglais ayant influencé le droit de l’exCameroun occidental. Suivra l’évocation des influences plus récentes sur notre droit.

§ 1 : Le fonds historique français

La France, qui nous a légué un grand héritage juridique, a, elle aussi, été influencée par le droit romain[23]. Au plan interne sont venues la Révolution française, la période du droit intermédiaire et les codifications napoléoniennes.

A. L’influence du droit romain

Il est important de souligner qu’avant la constitution de l’Empire romain, le droit est constitué de coutumes locales. La constitution de l’Empire ne fait pas disparaître ces coutumes, qui restent l’une des sources du droit. Mais les coutumes locales ne peuvent s’appliquer qu’autant qu’elles ne sont pas incompatibles avec l’ordre juridique romain.

L’Edit de Caracalla de 212 concède la citoyenneté romaine à tous les habitants libres de l’Empire romain. Tous peuvent désormais se prévaloir du droit romain, droit dont la supériorité technique ne fait pas de doute. Les coutumes locales vont perdre du terrain au profit du droit romain, mais ne disparaîtront pas.

Entre-temps, le droit romain qui, lui-même, était constitué de coutumes s’est formellement transformé avec l’avènement de la République. La technique de la loi est apparue ; la loi est initiée par ceux qu’on appelait alors des « magistrats supérieurs » (Consul, Préteur, Tribun) et adoptée par l’assemblée du peuple. Plus tard, les assemblées du peuple, appelées Comices, se réunissent plus rarement ; le pouvoir de légiférer passe pour un temps au Sénat, puis à l’Empereur.

Les « magistrats » ont cependant gardé une certaine influence sur le droit. Le « Préteur », en particulier, avait le pouvoir d’organiser les procès. Il le faisait en application des lois ou des coutumes. Par la suite sont apparus des cas de silence de ces sources. Dans ce cas, le « Préteur » élaborait lui-même une règle pour résoudre la difficulté qui se présentait.

D’où viendra l’expression « solution prétorienne » (ou « règle prétorienne ») en usage aujourd’hui. On l’utilise en effet pour dire que la solution n’a pas son assise dans un texte.

Les jurisconsultes, personnages savants et connaissant le droit, avaient également une influence sur le droit. En effet, en cas de doute, Rome sollicitait leur avis qui, sous certaines conditions, s’imposait au juge.

B. L’Ancien droit

L’Ancien droit est le droit français antérieur à la Révolution. Il est caractérisé par une forte hétérogénéité. La France a subi l’influence romaine comme ci-dessus décrite. Mais cette influence est inégalement répartie sur les deux parties du territoire dessinées à partir d’une ligne qui part de Genève à l’embouchure de la Charente.

La partie nord est dite pays de coutumes, parce que l’influence de celles-ci y est grande. Ces coutumes, d’origine germanique, n’ont pas un même ressort territorial. Dans tous les cas, on applique le droit romain lorsque la coutume n’offre aucune solution.

La partie sud, le Midi, est sous forte influence romaine, même si formellement le droit romain n’est pas accepté par les seigneurs et le Roi de la France.

Parallèlement aux coutumes locales et au droit romain, le droit canonique s’applique, notamment dans les matières comme le mariage, les contrats avec serment.

Devenu plus fort, le pouvoir royal entreprend de remplacer les coutumes locales par des règles uniformes à l’échelle du Royaume. Cela s’opère par le truchement des Ordonnances et des Edits que rend le Roi.

C. Le droit intermédiaire

Le droit intermédiaire va de la Révolution à la codification, et est construit suivant un idéal : bâtir un État fort. On a pensé qu’il était important de faire disparaître la diversité qui résultait de la multiplicité des coutumes et des pouvoirs des Parlements. Pour cela, il fallait donner à la loi une place éminente en tant que source du droit. Dans la philosophie politique, la loi est l’expression de la volonté générale et ne peut qu’avoir un grand prestige auprès du peuple. On refuse même aux juges le pouvoir d’interpréter la loi : ils doivent se contenter de l’appliquer.

D. La codification

Napoléon a entrepris d’insérer dans des codes le droit applicable à presque toutes les matières. Le chef d’œuvre de cette vaste construction est sans doute le Code civil promulgué en 1804 ; vinrent ensuite le Code de procédure civile en 1806, le Code de commerce en 1807, le Code pénal en 1810, et le Code d’instruction criminelle en 1812.

Les Codes entendaient consigner les conquêtes révolutionnaires, marquant ainsi la rupture avec l’ordre ancien. Ce ne fut fait qu’en partie, car sur le plan technique beaucoup de solutions retenues sont inspirées de l’Ancien droit.

La plupart des codes promulgués alors ont résisté au temps ; tous ont traversé les mers pour se diffuser dans l’empire colonial français où certains sont encore en vigueur aujourd’hui. C’est le cas du Code civil au Cameroun.

§ 2 : Le fonds historique anglais

Contrairement au droit français, le droit anglais n’a pas subi l’influence du droit romain, malgré la longue domination romaine sur l’Angleterre. Ici, le point de départ doit être situé dans l’existence des coutumes locales, forcément diverses puisqu’elles varient d’une localité à une autre. Vint, en 1066, la conquête normande conduite par William 1er qui va partir de la Normandie et se faire couronner Roi d’Angleterre. Les Normands montrent deux grands traits : un réel mépris des coutumes et habitudes locales et une grande organisation territoriale qui centralise tout, entre les mains de la Couronne. Les seigneurs qui ont accompagné William 1er dans sa conquête sont certes récompensés par ce dernier, mais les pouvoirs qu’il leur concède sont suffisamment réduits, de sorte qu’aucune velléité de contestation du pouvoir central n’est envisageable. Ces seigneurs, euxmêmes, ressentent la nécessité de se regrouper autour de la Couronne pour mieux asseoir leur domination sur les autochtones. William 1er met aussi en place une organisation judiciaire uniforme. Toute cette organisation administrative et judiciaire, jointe au mépris des coutumes locales, prépare le terrain à des solutions uniformes que vont se charger d’imposer les cours royales de Westminster, du nom du lieu où elles siègent alors. Ce droit uniforme à toute l’Angleterre est appelé Common Law. Certes, à côté de ces cours royales on a d’autres juridictions, en particulier les « Communal Courts » appliquant les coutumes locales, les « Seignorial Courts » tenues par les seigneurs de la terre sur des parcelles qui leur sont concédées par la Couronne, les cours ecclésiastiques qui s’occupent de la discipline du clergé, des questions matrimoniales et testamentaires, les juridictions commerciales formellement créées à la place des tribunaux nés de la pratique commerciale dans la communauté des marchands.

Les juridictions les plus importantes restent cependant celles de la

Common law. Le principe fondamental ici est que le droit n’est reconnu que s’il existe un mécanisme juridique pour le défendre (ubi remedium ibi ius). En conséquence, le droit substantiel dépend étroitement de sa procédure de mise en œuvre. La procédure civile passe globalement par trois étapes : la délivrance d’un « Writ », sorte de titre pour agir, l’argumentation et le jugement.

À partir du 14e siècle, l’Equity naît des insuffisances de la Common Law. Le système de la Common law s’est sclérosé et ne répond plus efficacement aux préoccupations de la société. En particulier, la condition d’existence préalable d’un Writ pour la reconnaissance d’un droit est très mal acceptée. De plus en plus les parties insatisfaites vont s’adresser au Roi pour qu’il agisse en leur faveur. Depuis le 13e siècle déjà, tous les appels contre les décisions des cours royales sont adressés directement au Roi, considéré comme « la fontaine de la justice ». Dans un premier temps, il traite lui-même ces requêtes ; mais leur nombre sans cesse croissant va l’obliger à déléguer ce pouvoir à l’un de ses ministres, le Lord Chancellor. Celui-ci tranche les litiges sur la base de la morale et du droit naturel.

Le principal attrait de l’Equity tient au fait d’être moins formel et plus souple que la Common law. Par exemple, Il donne suite aux demandes que la Common law aurait pu rejeter pour inexistence d’un Writ. Le grand inconvénient de l’Equity est son extrême variabilité : à partir du moment où on ne se fonde pas sur une règle rigide, les solutions peuvent changer très sensiblement d’un Chancellor à un autre, ce qui accroît le sentiment d’arbitraire.

Mais dans l’ensemble l’Equity gagne en popularité et les juridictions d’Equity vont entrer dans une rude concurrence avec celles de la Common law. Sur les mêmes problèmes, ces juridictions rendent de plus en plus des décisions contradictoires. Cela va amener la Couronne à décider qu’en cas de divergence entre les deux ordres de juridictions, la prévalence doit être reconnue à l’Equity. Les juridictions de Common law ont cependant continué la résistance jusqu’à ce que les administrations des deux ordres de juridictions soient fusionnées par le Judicature Acts de 1873-75. Désormais, l’organisation judiciaire est unifiée, et toutes les juridictions anglaises sont compétentes pour appliquer les règles de la Common law ou de l’Equity. La solution de la prévalence des règles de l’Equity en cas de conflit est encore rappelée.

Pour assurer complètement l’uniformité, et répondre au passage à la critique de l’extrême variabilité, Lord Nottingham entreprend de lutter contre le caractère vague de l’Equity. Ce travail va être poursuivi par ses successeurs au point que depuis le 19e siècle l’Equity est devenu aussi rigide et formel que la Common law. Les principales règles de l’Equity sont actuellement condensées dans des maximes. On notera, à titre purement indicatif, les maximes suivantes : l’Equity ne peut tolérer un tort sans solution, l’Equity suit le droit, celui qui recherche l’Equity doit avoir les mains propres, l’Equity n’aide que les vigilants.

Les deux principales sources du droit anglais que sont la Common law et l’Equity ont longtemps régi à elles seules le droit anglais. Mais aujourd’hui on assiste de plus en plus à l’émergence de la loi proprement dite (statute), d’origine parlementaire. Depuis 1965, une commission a même été nommée pour réfléchir sur la codification de certaines matières. On[24] s’accorde cependant à dire que la loi reste une source secondaire, parce qu’elle ne peut apporter que des correctifs au corps principal du droit anglais qui reste jurisprudentiel.

Les coutumes, quant à elles, tiennent une place très résiduelle en droit anglais.

§ 3 : Les influences plus récentes

Notre droit subit aujourd’hui l’influence d’un mouvement international d’une ampleur sans précédent : les préoccupations du monde entier pour le respect des droits de l’homme. Ces préoccupations se sont manifestées au lendemain de la Seconde guerre mondiale, et se sont traduites dans plusieurs instruments internationaux tels la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, la Convention internationale sur l’élimination de toutes formes de discrimination raciale, la Convention sur l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard des femmes, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels et inhumains, la Convention relative aux droits de l’enfant, etc. Depuis lors, la pression des organisations internationales et autres acteurs n’a fait qu’augmenter, amenant beaucoup d’États, dont le Cameroun, à ratifier les instruments pertinents en matière de droits de l’homme, et à y donner suite.

Au plan culturel, et notamment par l’intermédiaire des médias, le Cameroun est sous très forte influence du monde extérieur[25], notamment occidental, ce qui déteint sur le contenu de son droit.

De même, la mondialisation de l’économie s’est accompagnée d’une sorte de mondialisation des normes, qui prend des figures plus ou moins voilées[26]. Sur bien des pans, notre droit reprend purement et simplement des solutions élaborées ailleurs, notamment en France ou dans le cadre de conventions internationales multilatérales (notre droit commercial général est fixé par un Acte uniforme Ohada, mais est dans une large mesure tiré de la convention de Vienne de 1980 sur la vente internationale des marchandises).

SECTION II : LES SOURCES IMMÉDIATES DU DROIT CAMEROUNAIS

Les sources immédiates sont, à vrai dire, celles dont on parle le plus dans la vie du droit ; on les invoque quotidiennement au soutien d’une solution ou d’une argumentation. Elles seront présentées dans l’ordre décroissant de leur importance : la loi, la jurisprudence, la coutume.

§ 1. La loi

Le mot loi peut être compris dans deux sens distincts. Au sens restreint, la loi est un texte adopté par le parlement et promulgué par le Président de la République. Au sens large, la loi est une déclaration de volonté émanant d’un organe de l’Etat, et formulée de façon générale et impersonnelle. Dans ce second sens, qui est le nôtre ici, la loi englobe, outre la Constitution et la loi au sens strict, les actes du pouvoir exécutif.

Il faudrait faire ressortir les caractères de la loi puis la hiérarchie formelle existant entre les différents textes.

A. Les caractères de la loi

On définit la loi comme une règle générale, impersonnelle et obligatoire.

1. Le caractère général et impersonnel

La loi a un caractère général parce qu’elle est destinée à régir non un cas particulier, mais une série de cas semblables susceptibles de se présenter. Elle s’applique à tous ceux qui, au moment de son entrée en vigueur, se trouvent dans la situation qu’elle régit ou s’y trouveront à l’avenir.

La loi demeure générale et impersonnelle même si elle ne vise qu’un petit nombre de personnes, voire qu’une seule personne. Le texte qui définit les pouvoirs du Président de la République est général et impersonnel parce qu’il est applicable à quiconque est Président de la République aujourd’hui, et à quiconque le sera demain.

2. Le caractère obligatoire

Le caractère obligatoire de la loi implique que celle-ci peut être imposée, au besoin, par la contrainte. Ce caractère a été examiné au détour de la question de la sanction du droit[27]. Nous n’y revenons que pour apporter une importante précision, qui résulte de la différence entre les lois impératives et les lois dites supplétives.

La loi impérative est celle dont on ne peut en aucun cas écarter l’application. La loi dite supplétive, en revanche, ne s’impose aux individus que si ceux-ci n’ont pas écarté son application dans leurs rapports juridiques réciproques.

Un même texte peut cependant comporter des dispositions impératives et des dispositions supplétives. Par exemple, le Code civil prévoit que le mariage doit obligatoirement être célébré par l’officier d’état civil : c’est une disposition impérative. En matière de régimes matrimoniaux, il prévoit le régime de communauté de meubles et acquêts, qui ne s’applique qu’aux époux qui n’ont pas, au moment du mariage, choisi un régime différent : les dispositions sur le régime de la communauté des meubles et acquêts sont supplétives.

B. La hiérarchie formelle entre les textes

En dépit des discussions nées de l’apparition des textes internationaux qu’on voudrait placer au-dessus de la Constitution, la pensée dominante situe encore celle-ci au sommet de la hiérarchie des normes. La

Constitution est souvent appelée loi fondamentale en ce sens que c’est d’elle que dérivent toutes les autres normes.

Directement en dessous de la Constitution, on retrouve les traités et accords internationaux (on les appelle aussi conventions internationales) régulièrement ratifiés. Ceux-ci ont, d’après l’article 45 de la Constitution, un rang supérieur à celui de la loi au sens strict.

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Après les conventions internationales vient, dans l’ordre décroissant, la loi au sens strict.

Au plus bas niveau de l’échelle, on retrouve les règlements, c’est-à-dire les textes émanant du pouvoir réglementaire (Décrets et arrêtés). La plupart de ces textes sont pris pour appliquer la loi au sens strict ; mais certains interviennent directement dans le cadre de ce qu’on appelle le pouvoir réglementaire autonome (art.27 de la Constitution).

Il faudrait intégrer dans cette hiérarchie les ordonnances, textes pris par le Président de la République dans le domaine de compétence du Parlement, sur autorisation de ce dernier. L’ordonnance doit être ratifiée par le Parlement. Avant cette ratification, elle a un caractère réglementaire (article 28 de la Constitution).

Au sein des actes du pouvoir réglementaire, il y a nécessairement une hiérarchie entre les textes. Chaque autorité administrative se doit, dans l’exercice de son pouvoir réglementaire, de respecter les règlements pris par son supérieur : le Préfet du département, par exemple, ne peut violer un texte pris par le Gouverneur de région.

La cohérence de l’ordre juridique est assurée par l’idée que le texte supérieur s’impose aux textes inférieurs, et des mécanismes juridictionnels et non juridictionnels existent pour garantir cette cohérence. C’est le contrôle de juridicité, qui englobe notamment le contrôle de la constitutionnalité des lois et celui de la légalité des actes administratifs.

Les textes n’en parlent pas, mais il faudrait songer à organiser formellement un contrôle de la conventionalité, sans quoi la supériorité des conventions internationales sur la loi serait un leurre.

§ 2 : La jurisprudence

Le mot jurisprudence peut être compris dans des sens complètement différents selon qu’on se rattache à la famille anglo-saxonne ou à la famille romano-germanique de droit. Dans la première famille, ce mot désigne une discipline, la philosophie du droit, ou la doctrine ; ce sens est plus proche de l’étymologie du mot (jurisprudentia), qui renvoie à la science du droit, à l’activité des jurisconsultes.

Dans la famille romano-germanique, le mot a deux sens . Au sens large, la jurisprudence est l’ensemble des décisions des tribunaux appelés à statuer sur des litiges soulevés par l’application de la loi. En ce sens, on parle de recueil de jurisprudence.

Au sens restreint, la jurisprudence est l’ensemble des décisions rendues par telle juridiction, sur telle question d’ordre juridique. En ce sens, on parlera par exemple de la jurisprudence de la Cour suprême sur la faute lourde. Cette dernière acception doit être adoptée pour la compréhension de ce paragraphe.

Il faudrait montrer le rôle de la jurisprudence et discuter de sa place dans le système des sources du droit.

A. Le rôle de la jurisprudence

Si les lois pouvaient être parfaites, se comprendre aisément et s’appliquer sans difficulté à tous les cas soumis aux juges, la jurisprudence n’aurait aucun rôle à jouer. Or, les lois sont loin d’être parfaites, et il revient à la jurisprudence d’interpréter les dispositions obscures ou ambiguës.

Par ailleurs, il arrive que la loi ne prévoie pas toutes les hypothèses ; dans ce cas, il appartient à la jurisprudence de la compléter.

Dans bien des cas aussi, la loi est dépassée par le contexte social ou économique, et ne permet pas de faire face aux besoins nouveaux ; alors, il revient aux juges de l’adapter

Dans le cas particulier du Cameroun, il est revenu aux cours et tribunaux d’adapter les règles du Code civil, qui ne connaît que la monogamie, à notre contexte où le législateur reconnaît aussi la polygamie, sans en fixer complètement le régime juridique[28].

La jurisprudence a aussi eu, parfois, à atténuer la rigueur de la loi lorsque celle-ci est manifestement incompatible avec le contexte social.

C’est dans ce sens qu’en dépit de la règle de l’égalité successorale qui n’est pas sérieusement contestable[29], elle a parfois admis l’idée d’un héritier principal[30] pour tenir compte du fait que certaines sociétés camerounaises organisent la continuation de la personne du de cujus dans des cercles mystiques par une personne considérée comme seule héritière.  La jurisprudence a parfois contribué à rendre intelligible l’ordre juridique. On se souvient que dans un souci de cohérence, la Cour suprême a posé la règle selon laquelle l’option de juridiction emporte l’option de législation. Dans le même souci, elle a jugé que la polygamie est le système matrimonial de droit commun des Camerounais[31]. Cela signifie que les futurs époux qui optent pour la monogamie doivent le spécifier clairement au moment de la célébration du mariage[32], le silence de ceux-ci devant conduire à dire que le mariage est polygamique.

B. La place de la jurisprudence dans le système des sources du droit

Dans le système des sources du droit, et précisément dans la famille romano-germanique de droit, on discute beaucoup en doctrine33 de la place de la jurisprudence. La question est de savoir si le juge peut créer le droit ou s’il doit se contenter de l’appliquer.

Plusieurs arguments permettent de dénier à la jurisprudence le pouvoir de créer le droit. Mais La majorité des auteurs[33]reconnaissent à la jurisprudence la faculté de créer le droit, tout au moins sur les points où la loi est obscure ou silencieuse. On pourrait dire que de jure ce pouvoir de création contredit l’article 5 du Code civil ; mais de facto il est inévitable et a jusqu’ici rendu beaucoup de services à la construction de l’ordre juridique. En fait, sur les points où la jurisprudence est établie, elle est invoquée au même titre que la loi. Notre droit administratif et notre droit international privé, par exemple, sont dans une large mesure jurisprudentiels.

§ 3 : La coutume

La notion de coutume ne doit pas être confondue avec celle d’usage. La première est une règle qui n’est pas édictée en forme de commandement par les pouvoirs publics, mais qui est issue d’un usage général et prolongé et de la croyance en l’existence d’une sanction à son inobservation.

L’usage, quant à lui, nécessite certes une répétition de la pratique ; mais la durée d’application n’a pas à être aussi longue que celle qui justifierait le passage à la qualification (appellation) de coutume.

Il nous faut faire ressortir les éléments qui permettent d’identifier la coutume, puis la situer en tant que source du droit.

A. Les éléments d’identification de la coutume

La coutume se reconnaît à deux éléments : un élément matériel et un élément psychologique

1. L’élément matériel

L’élément matériel de la coutume se résume à ce que le Doyen Carbonnier a appelé « une certaine épaisseur dans l’espace et dans le temps »[34]. Dans notre contexte, on parle prosaïquement de coutume ancestrale, pour signifier que les choses se passent ainsi depuis l’époque des ancêtres. Plus précisément, l’élément matériel de la coutume consiste en un usage général et prolongé. L’usage doit être général et non circonscrit à quelques personnes ; mais il n’est pas nécessaire que toute la population d’un pays le suive. Il pourra même être limité à un espace territorial ou à une profession. Il y a ainsi, dans notre pays, la coutume bamiléké, bassa, béti, etc., chacune étant limitée à l’aire géographique de la tribu qui la pratique[35].

L’usage doit se prolonger dans le temps, car la coutume renvoie aux pratiques anciennes. Certes, on ne peut dire exactement quelle en est la durée minimale ; mais à défaut d’accéder au rang de coutume, une pratique constante doit être appelée usage.

2. L’élément psychologique

Cet élément est la croyance au caractère obligatoire de la pratique qu’on suit. On s’est traditionnellement fondé sur lui pour distinguer la coutume de l’usage. La coutume serait obligatoire et l’usage facultatif[36]. Encore faut-il souligner que dans les rapports contractuels, lorsque les parties se sont soumises à des usages, expressément ou implicitement, elles sont tenues par ceux-ci.

B. La place de la coutume comme source de droit

Pour comprendre la place de la coutume comme source de droit au Cameroun, il faudrait rappeler que des contingences historiques ont fait du Cameroun un pays de dualisme juridique. Le dualisme auquel il est fait allusion ici n’est pas un dualisme système romano-germanique/système anglo-saxon, mais un dualisme droit dit moderne basé sur l’écrit/droit dit traditionnel basé sur la coutume. Le législateur l’a consacré, donnant à chaque droit vocation à s’exprimer dans l’ordre juridique.

Il en résulte que théoriquement, la coutume ne peut pas être reléguée au rang de source secondaire de droit comme dans d’autres pays, notamment la France. Elle a vocation principale à s’appliquer dans l’espace qui lui est concédé par le législateur, c’est-à-dire devant les juridictions de droit traditionnel.

Certes, on n’oubliera pas la solution de l’arrêt Bessala citée à l’introduction, dans lequel la Cour suprême pose que dans toutes les matières où il est intervenu le législateur national, la loi l’emporte sur la coutume. Une telle législation est considérée comme la résultante de toutes nos coutumes, ce qui lui permet de s’imposer devant toutes les coutumes particulières.

Par ailleurs, par divers mécanismes formels ou informels, l’espace d’expression de la coutume est envahi par le droit dit moderne. On peut pronostiquer qu’à terme la coutume sera formellement reléguée au rang de source secondaire comme en France. Dans ce cas, elle ne tiendra plus que la place qu’elle tient actuellement devant les juridictions dites de droit moderne. Ici, elle ne s’exprime en principe qu’autant que la loi le permet, notamment à travers des expressions comme « bonnes mœurs », « bon père de famille », qui renvoient à des attitudes éprouvées et généralement admises.

CHAPITRE III : 

L’EXISTENCE DU DROIT

Les questions relatives à l’existence du droit sont diverses : la l’entrée en vigueur et l’abrogation de la loi, le champ d’application et l’interprétation de la loi. Ce chapitre se développera en conséquence sur deux sections consacrées respectivement à la question de la naissance et de la disparition de la loi, et à celle de son application et de son interprétation.

SECTION I : LA NAISSANCE ET LA DISPARITION  DE LA LOI

Cette section traitera  de l’entrée en vigueur et d’abrogation de la loi.

§ 1 : L’entrée en vigueur de la loi

L’entrée en vigueur de la loi est subordonnée à deux exigences : que celui qui en a compétence déclare officiellement l’existence de la loi et que son destinataire, le sujet de droit, la connaisse. Mais pour des raisons pratiques, on présume la connaissance de la loi à partir de l’opération de publication[37]. Les normes internationales ont un régime particulier sur lequel on dira quelques mots pour compléter les deux premiers points.

A. La déclaration officielle d’existence de la loi

Lorsqu’on a affaire à la loi au sens strict, la déclaration officielle d’existence est ce qu’on appelle promulgation. À cet égard, l’article premier du Code civil dispose que les lois sont exécutoires dans tout le territoire camerounais en vertu de la promulgation qui en est faite par le Président de la République.

La promulgation intervient dans un délai de quinze jours à compter de la transmission au Président de la République du texte adopté par le Parlement[38]. Le Président de la République peut, avant l’expiration de ce délai, demander au Parlement une seconde lecture du texte, ou saisir le Conseil constitutionnel pour un contrôle de constitutionnalité[39]. À l’expiration de ce délai, le Président de l’Assemblée nationale peut, après avoir constaté la carence du Président de la République, promulguer la loi.

Les textes réglementaires n’ont pas besoin de promulgation[40]. Ils existent officiellement à partir du moment où ils sont signés par leur auteur.

B. La publication

Selon le niveau du texte dans la hiérarchie des normes, la publication est assurée par le Président de la République ou par les autorités subordonnées. Il est important de préciser les modalités de cette publication, avant de dire quelques mots sur la fonction de l’opération.

1. Les modalités de publication

La publication des textes obéit à une solution de principe à laquelle on a apporté quelques aménagements.

  1. La solution de principe

La publication des lois promulguées ainsi que des décrets et arrêtés réglementaires émanant des autorités centrales est assurée, à la diligence du Président de la République, par leur insertion matérielle au Journal officiel. Le texte est publié en anglais et en français, et peut indiquer quelle est la version qui fait foi[41].

  1. Les aménagements de la solution

Pour plusieurs raisons, dont l’impossibilité d’assurer la parution quotidienne et régulière du Journal officiel, la solution ci-dessus décrite ne peut pas toujours être suivie ; le texte est alors, sur décision du Président de la République, publié suivant la procédure d’urgence. Concrètement, il est porté à la connaissance de la population par tous moyens, notamment par radio. Il est néanmoins publié par la suite au Journal officiel[42].  Dans les faits, c’est la publication par procédure d’urgence qui est devenue la pratique habituelle. Il est en effet devenu récurrent que les textes se terminent par la formule suivante : « La présente loi…sera enregistrée et publiée suivant la procédure d’urgence, puis insérée au Journal officiel ».

Il faudrait aussi signaler que pour des raisons de difficulté de centralisation, la publication des actes réglementaires des autorités subordonnées est effectuée à la diligence de celles-ci par tous moyens de publicité appropriés tels qu’affichage, annonce publique, notification, insertion dans la presse, lecture à la radio, etc.

2. La fonction de la publication

La publication vise à porter le texte à la connaissance de ses destinataires, les sujets de droit. Il est important que le mode de publication soit approprié à cet objectif. Le Journal officiel ou d’autres journaux de secours doivent être largement diffusés ; la lecture à la radio doit se faire aux heures de grande écoute ou dans des émissions spécialisées. La publication étant faite, par n’importe quel procédé, on présume que tout le monde a pris connaissance du texte. Par suite, il n’est pas besoin de vérifier que telle personne en a effectivement pris connaissance ; le citoyen ne peut pas plaider le fait qu’il n’a pas eu le temps de lire, que dans sa localité n’arrivent ni les ondes de la radio ni les journaux. C’est le sens de l’adage « Nul n’est censé ignorer la loi ».

C. Le cas particulier des normes internationales

En attendant qu’il soit unanimement admis que certaines normes s’imposent en raison de leur objet (normes sur les droits de l’homme), les normes internationales doivent être ratifiées ou approuvées[43] par les organes compétents de l’État pour entrer dans notre ordre juridique. Le texte de ratification ou d’approbation obéit au régime ci-dessus indiqué (déclaration d’existence, publication).

§ 2 : L’abrogation de la loi

Il est important d’indiquer que l’abrogation est le mode habituel d’extinction de la loi. À côté d’elle, on ne peut retenir que l’hypothèse de l’expiration du délai d’application d’un texte qui en aurait prévu un. L’idée d’une extinction par désuétude, c’est-à-dire par non-application prolongée, n’a en revanche pas été retenue[44].

L’acte d’abrogation de la loi est celui qui met fin à son existence. Il est souhaitable que l’abrogation soit explicite ; mais elle est parfois implicite.

A. L’abrogation explicite

L’abrogation explicite résulte de l’indication, par un texte, que tel autre texte ne peut plus s’appliquer (qu’il est abrogé). Lorsqu’une telle déclaration respecte la hiérarchie des normes, le texte abrogé sort indiscutablement de l’ordre juridique.

L’ennui, c’est que de plus en plus se développent, dans la pratique législative et réglementaire, des formules d’abrogation qui posent des difficultés, parce qu’elles sont à mi-distance entre l’abrogation explicite et l’abrogation implicite. En effet, beaucoup de textes se contentent d’indiquer qu’ils abrogent « toutes les dispositions antérieures contraires ». Devant une telle formule, l’idée peut être avancée que l’abrogation est explicite, mais on ne peut facilement désigner les textes abrogés. C’est pourquoi il est permis de dire qu’ici on n’est pas loin de l’abrogation implicite.

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B. L’abrogation implicite

Il y a abrogation implicite chaque fois que les dispositions de la loi ancienne sont incompatibles avec celles de la loi nouvelle : lex posterior derogat priori.

L’explication de cette solution est simple : si le législateur vient d’adopter une solution nouvelle différente de l’ancienne, c’est qu’il ne veut plus de celle-ci.

La solution n’est cependant facilement utilisable que lorsque les deux textes ont rigoureusement le même champ d’application. Lorsqu’au contraire ils n’ont pas le même champ d’application, il faut faire appel à une autre règle : specialia generalibus derogant (le spécial déroge au général).

Plus concrètement, lorsqu’une loi est générale, une loi spéciale peut y déroger dans son domaine particulier, la loi générale restant applicable hors de ce domaine particulier. Par exemple, lorsqu’on n’a prévu que les candidats à un examen n’entrent en salle qu’avec le stylo, on peut plus tard prévoir que les candidats non-voyants peuvent entrer dans la salle d’examen avec le dispositif leur permettant d’écrire (braille).

La règle specialia generalibus derogant ne pose aucune difficulté lorsque le texte particulier est plus récent : la solution qu’elle met en œuvre se confond même avec celle de l’application de la loi postérieure.

Certains ont hésité à accepter l’application de la règle specialia generalibus derogant dans l’hypothèse où la loi générale est postérieure à la loi spéciale. Mais il est clair que même dans ces conditions, la loi spéciale est applicable. Cela signifie qu’une loi générale ne peut abroger une loi spéciale qu’en le disant expressément.

La règle specialia generalibus derogant est tellement forte qu’elle permet à un texte de rang inférieur de déroger à un texte de rang supérieur.

SECTION II : LE CHAMP D’APPLICATION DE LA LOI

Une loi est faite pour déployer ses effets sur un territoire donné et pendant un temps en principe indéterminé puisque la loi a vocation à être permanente. N’empêche que le temps est une donnée importante pour le droit. C’est pourquoi il faut s’intéresser non seulement au champ d’application spatial, mais aussi au champ d’application temporel de la loi. § 1 : Le champ d’application spatial

Chaque texte définit normalement son champ d’application dans l’espace. En l’absence d’une telle détermination, le champ spatial est connu en partant de la nature du texte. Dans un État unitaire comme le nôtre, une loi ou un décret s’applique en principe sur toute l’étendue du territoire. En revanche, un arrêté préfectoral s’applique dans les limites du département où il est pris ; un arrêté municipal s’applique dans les limites territoriales de la commune.

§ 2 : Le champ d’application temporel 

Le principe de base, en matière de champ d’application temporel de la loi, est celui que pose le préambule de la Constitution : la loi ne peut avoir d’effet rétroactif. Cette solution est aussi affirmée, et explicitée, par le Code civil[45] et le Code pénal[46].

Le principe de la non-rétroactivité des lois n’est cependant pas de compréhension facile. Il faudrait indiquer, en la matière, les points de certitude et les points de discussion.

A. Les points de certitude 

Le principe de non-rétroactivité des lois concerne à la fois le domaine répressif et le domaine non répressif[47]. En matière répressive, il prend référence sur la date de commission des faits constitutifs des infractions. Ne sont pas soumis à la loi pénale les faits commis antérieurement à son entrée en vigueur. Par exemple, si le 10 mars 2007 le législateur décide de punir de la peine de mort celui qui pratique l’avortement, cette sanction ne sera pas appliquée à celui qui l’a pratiqué le 09 mars 2007.

Le législateur pénal réserve cependant le cas des lois pénales plus douces : celles-ci s’appliquent aux infractions non définitivement jugées au jour de leur entrée en vigueur[48]. Par exemple, on sait que de nos jours, la pratique de l’homosexualité constitue une infraction pénale. Si demain il est décidé que l’homosexualité n’est plus pénalement punissable, échapperont à la condamnation tous ceux qui se sont livrés à cette pratique avant le texte de dépénalisation, à condition de ne pas être encore définitivement jugés au jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle. Dans le même sens, le législateur permet que les mesures de sûreté s’appliquent à des faits commis avant leur entrée en vigueur si ceux-ci ne sont pas définitivement jugés. Les mesures de sûreté sont des sanctions à caractère préventif, dépourvues de but rétributif et de caractère afflictif et infamant, fondées sur la constatation d’un état dangereux (exemple, l’internement dans une maison de santé, l’interdiction de profession, la confiscation, la surveillance post-pénale, etc.).

En matière non répressive également, on a des points de certitude : un contrat de vente est conclu le 10 janvier 2000 ; une loi régissant la vente qui intervient le 11 janvier de la même année est sans conséquence sur le contrat conclu la veille. Autrement dit, ce texte ne peut rétroagir et donc s’appliquer à cette vente qui a déjà déployé ses effets : la propriété du bien vendu a déjà été transférée, contre argent.

On devrait avoir la même analyse d’un texte qui modifie les conditions d’inscription à l’Université : les étudiants inscrits sous l’empire d’un texte conservent le bénéfice de leur inscription, si un texte postérieur durcit les conditions d’inscription. Plus concrètement, si demain un texte limite à 22 ans l’âge d’inscription en première année d’université (Licence 1), les étudiants âgés de plus de 22 ans, mais inscrits avant le nouveau texte conserveront le bénéfice de leur inscription, même s’ils reprennent leur classe.

Des difficultés surgissent cependant lorsque la loi entend régir des situations qui se prolongent dans le temps.

B. Les points de discussion

Un texte intervient le 10 février 2007 et fixe à 50.000 F (cinquante mille francs) le montant du loyer dans les logements de la Société immobilière du Cameroun. On peut se demander si ce texte ne doit s’appliquer qu’aux baux conclus depuis son édiction ou s’il va s’appliquer aux baux conclus avant, mais qui sont en cours.

On pourrait également se demander si les époux ne peuvent divorcer que suivant le texte en vigueur au moment de leur mariage.

Il faudrait exposer les théories en conflit avant de voir la solution du droit positif.

1. Les théories en conflit

Deux théories s’affrontent en matière de conflit de lois dans le temps :

la théorie des droits acquis et celle de l’effet immédiat.

  1. La théorie des droits acquis

La théorie des droits acquis s’attache au respect du passé et ne permet à la loi nouvelle de régir que les situations qui ne heurtent pas le passé. Dans l’exemple des baux ci-dessus exposé, il faudrait laisser que les baux en cours se poursuivent sous l’empire du texte ancien. L’explication en est que les parties à un bail s’engagent en sachant ce qu’elles doivent en attendre ; il ne faudrait donc pas déjouer leurs prévisions sous prétexte que la loi a changé.

Dans ces conditions, la loi nouvelle ne régit que les situations qui prennent corps à partir de son entrée en vigueur. La seule nuance à apporter est qu’elle peut régir les situations en suspens au moment de son adoption, ce qu’on appelle les « expectatives ». Ces situations en suspens ne sont pas acquises au moment de l’entrée en vigueur, mais sont éventuelles ou dans l’espérance. Par exemple, une loi qui modifie le contenu des droits successoraux s’applique aux héritiers présomptifs, aux simples successibles qui ne peuvent devenir successeurs que lorsque la succession sera ouverte, c’est-à-dire à la mort du de cujus (celui dont la succession est ouverte).

D’un point de vue pratique, la théorie des droits acquis retarde les changements. Elle est particulièrement inadaptée aux situations qui ne sont pas contractuelles. Par exemple, si un jour, le législateur camerounais prévoit le divorce par consentement mutuel des époux, il ne sera pas juste de soustraire à l’application de ce texte les époux mariés avant cette date, sous le prétexte qu’au moment de la célébration de leur mariage on ne pouvait divorcer que pour faute.

  1. La théorie de l’effet immédiat
  2. Comme son nom l’indique, la théorie de l’effet immédiat[49] part de l’idée que la loi nouvelle a vocation de principe à saisir, du jour où elle entre en vigueur, toutes les situations juridiques déjà établies. Elle ne remet donc pas en question les conséquences juridiques que les situations considérées avaient valablement produites avant son entrée en vigueur. Dans le régime de la tutelle, par exemple, la loi nouvelle peut restreindre pour l’avenir les pouvoirs du tuteur ; mais les actes juridiques accomplis sous l’empire de l’ancienne loi qui les permettait demeurent valables.

2. La solution du droit positif

L’existence, dans la plupart des textes, des dispositions spéciales de droit transitoire[50], restreint l’intérêt pratique de la question du conflit de lois dans le temps. Ainsi, une loi qui modifie les conditions d’exercice d’une activité peut accorder un délai à ceux qui l’exercent déjà, pour se conformer à la nouvelle situation. À défaut de dispositions spéciales de la loi, il appartient au juge de trancher suivant la compréhension qu’il a des règles de droit en matière de conflit de lois dans le temps.

Dans l’ensemble, on distingue suivant les matières. En matière contractuelle, le principe est de s’en tenir à la loi en vigueur au jour de la conclusion du contrat, aussi bien pour sa validité que pour ses effets[51]. Mais l’ordre public commande de faire exception à cette règle. Une loi d’ordre public s’applique même aux contrats en cours au jour de son entrée en vigueur[52].

En matière non contractuelle, le principe est que la loi s’applique immédiatement aux situations juridiques établies lors de son entrée en vigueur. Mais elle ne remet pas en cause les effets juridiques passés de ces situations établies lorsque ceux-ci procèdent régulièrement de la loi antérieure[53].

SECTION III : L’INTERPRÉTATION DE LA LOI

Il s’agit, ici, de s’interroger sur les méthodes et techniques d’interprétation de la loi. Un premier point sur le cadre pourrait cependant éclairer les analyses sur les méthodes et techniques d’interprétation.

§ 1 : Le cadre de l’interprétation

Ce paragraphe entend répondre à deux interrogations majeures : quel est le domaine de l’interprétation ? Qui interprète la loi ?

A. Le domaine de l’interprétation

Il est tentant d’affirmer qu’un texte ne peut être appliqué que s’il est lu et compris, donc interprété par celui qui l’applique. Mais en général, on n’a pas une compréhension aussi large de la notion d’interprétation. On retient plutôt qu’on ne recourt à l’interprétation que si celle-ci est nécessaire, parce que le texte en cause n’est pas clair. D’où la maxime interpretatio cessat in claris (l’interprétation cesse lorsqu’un texte est clair)[54].

L’énoncé de la règle montre en même temps ses limites ; il est en effet difficile de dire quand un texte est clair. Le langage juridique n’est pas le langage commun, et certains mots ou formules clairs en eux-mêmes cessent de l’être dans un texte de droit. Pour ne prendre que quelques exemples, les termes « objet » et « cause » sont très simples dans le langage courant ; mais en droit, ils suscitent beaucoup de controverses. Un premier point ne fait pas de doute : le texte n’est pas clair lorsqu’il est susceptible de plus d’un sens. Il est aussi sûr que le texte n’est pas clair lorsqu’il est vague. C’est malheureusement le cas de beaucoup de textes aujourd’hui : résultant parfois d’un consensus obtenu difficilement, ils contiennent des formules souples qui laissent à l’interprète une bonne marge de manœuvre. On pense en particulier à la disposition du préambule de la Constitution selon laquelle « L’État assure la protection des minorités… ». Pour appliquer ce texte, il faudrait savoir ce qu’est une minorité. Est-elle quantitative ? Qualitative ? Ethnique ?, Religieuse ?, etc.

Les autorités chargées de l’application des textes sont parfois confrontées à des situations où l’application d’un texte très clair ne peut conduire qu’à l’absurdité. On leur reconnaît alors le pouvoir, sous le couvert de l’interprétation, de rechercher une solution convenable. Il arrive aussi que celui qui est chargé d’appliquer un texte s’en écarte parce que celui-ci est dépassé par l’évolution des choses.

B. L’auteur de l’interprétation

Il paraît logique de penser qu’il faut réserver à l’auteur d’un texte le pouvoir de l’interpréter. Cette solution est cependant très peu pratique, parce qu’elle est susceptible d’encourager l’encombrement des instances d’élaboration des normes, qui seraient appelées constamment à les interpréter. Elle a certes été appliquée dans l’histoire du droit, mais elle ne survivrait aujourd’hui qu’à travers la technique des lois interprétatives que le Parlement peut bien adopter, et sans doute encore à travers les circulaires explicatives qui émanent des autorités ayant pris le texte expliqué.

Plus certainement, notre droit donne au juge le pouvoir d’interpréter les textes. Ce pouvoir est d’autant plus certain que l’article 4 du Code civil menace le juge de poursuite pour déni de justice s’il refuse de juger, sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi.

Le juge chargé d’interpréter la loi est tout juge, c’est-à-dire, le juge judiciaire, le juge administratif et le juge constitutionnel si est en cause la Constitution.

Si l’interprétation par le juge est aujourd’hui la situation dominante, on ne négligera cependant pas le pouvoir de ceux qui interprètent les textes parce qu’ils sont chargés de les appliquer, et notamment ceux qui animent les administrations. Les chefs des administrations recourent aussi, et très souvent, à des circulaires interprétant des textes émanant d’autres autorités. Même si ces circulaires n’ont pas une grande portée juridique, elles exercent une grande influence sur les comportements des sujets de droit.

§ 2 : La méthode d’interprétation

Des débats nourris se sont élevés au sujet de la méthode d’interprétation de la loi. En passant sous silence les nuances, on peut regrouper les conceptions autour de deux courants : le courant qui estime que l’interprète ne dispose que du texte pour rechercher la bonne solution et celui qui soutient que la solution peut être recherchée par-delà le texte. Le premier courant est celui de la méthode exégétique[55] ; le second est celui de la méthode sociologique.

A. La méthode exégétique

La méthode exégétique se caractérise par une grande foi à la loi. L’idée générale est que la loi contient toutes les réponses à nos interrogations ; et même si elle ne donne pas expressément une réponse, on peut découvrir cette réponse en raisonnant. Dès lors, devant un texte obscur, la question qui se pose est celle de savoir par quel procédé il faut trouver la volonté du législateur.

Une première piste de solution est celle des travaux préparatoires du texte à interpréter. Mais cette piste n’est pas toujours disponible, parce qu’il y a des textes qui n’ont pas de travaux préparatoires. Et quand bien même on disposerait des travaux préparatoires, par exemple les discussions parlementaires, ils sont parfois confus et vont dans tous les sens.

La deuxième piste est celle de l’histoire : ici, on s’attache aux précédents historiques lorsque la loi à interpréter apparaît comme ayant été inspirée par des textes anciens.

La troisième piste est celle des procédés logiques de raisonnement (argument a pari, argument a contrario, argument a fortiori, etc.). On se sert surtout de l’induction et de la déduction : des solutions particulières données dans un certain nombre de cas, l’on déduira le principe général et du principe ainsi dégagé, on déduira de nouvelles applications particulières qui n’ont pas été formellement prévues par le législateur.

Dans tous les cas, on s’attache à l’esprit général de la législation qu’il est possible de découvrir dans l’exposé des motifs du texte ou d’extraire des rapprochements entre ses articles. On accède également à l’esprit général des textes en observant les conséquences produites par chacune des interprétations techniques possibles ; il faudrait alors retenir celle qui débouche sur le résultat le plus satisfaisant.

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Il est reproché à la méthode exégétique de faire une confiance aveugle au législateur, qui a pu parfois oublier une question.

B. La méthode sociologique

Cette méthode fut développée par François Gény dans un célèbre ouvrage intitulé : Méthodes d’interprétation et sources du droit positif57. Mais la méthode de la libre recherche scientifique prônée par cet auteur a eu moins de retentissement que celle de l’interprétation métatextuelle proposée par Saleilles.

                                               

57 1ère édition en 1899 et 2ème édition en 1919. Lire aussi L. Husson, « Examen critique des assises doctrinales de la méthode de l’exégèse », RTD civ., 1976, 431 ; C. Perelman, Logique juridique, Nouvelle rhétorique, 1976, p. 19 et s.

1. La libre recherche scientifique

Cette méthode part de l’observation que, quelle que soit la perfection de la loi, on n’y trouvera jamais toutes les réponses aux problèmes de la société. C’est pourquoi lorsqu’il ne trouve pas la solution clairement formulée dans la loi, l’interprète doit s’en remettre à lui-même, et créer directement la règle de droit en dehors des textes. Mais la règle qui est ici créée n’est destinée qu’à résoudre le cas qui lui est soumis ; il ne s’agit donc pas de se substituer au législateur.

Cette méthode a au moins le mérite de permettre de sortir des pratiques qui consistent à tirer des textes ce qu’ils ne contiennent manifestement pas. Elle expose cependant au risque d’arbitraire.

2. L’interprétation métatextuelle

Cette méthode se présente comme la voie médiane entre la méthode de la recherche libre et l’exégèse. Elle reconnaît le rôle éminent des juges dans l’adoption des solutions propres à satisfaire les besoins sociaux, mais en même temps, exige d’eux de se fonder sur la loi. C’est que toutes les solutions proposées par la méthode exégétiques sont vaines lorsqu’on doit appliquer un texte à une situation que le législateur n’aurait pu objectivement envisager. Alors, il faut faire confiance au juge pour donner à la loi le sens le plus raisonnable.

§ 3 : Les techniques d’interprétation

On ne peut comprendre les techniques d’interprétation que si l’on admet que la loi est cohérente et raisonnable. Concrètement, on opère en recourant à des arguments d’interprétation ou à des maximes éprouvées.

A. Les arguments d’interprétation

Les arguments les plus utilisés sont l’argument a pari, l’argument a contrario, l’argument a fortiori et l’argument ab eodem.

1. L’argument a pari ou argument par analogie

Cet argument repose sur l’idée d’égalité juridique en vertu de laquelle les mêmes situations de fait doivent conduire au même traitement en droit.

C’est pourquoi une règle applicable à un cas pourrait être étendue aux cas analogues. À titre d’exemple, l’article 313 du Code civil permet au mari de désavouer un enfant de sa femme lorsque la naissance de l’enfant lui a été cachée. Par analogie, on applique ce texte au cas de dissimulation de la grossesse. Les raisons qui fondent les deux solutions sont en effet les mêmes. Dissimuler la grossesse est, comme dissimuler la naissance, un aveu d’adultère.

Mais l’argument par analogie a des limites pratiques, parce qu’il est parfois difficile de s’entendre sur l’existence de l’analogie dans deux situations. Pour se situer dans l’exemple cité ci-dessus, certains pourraient bien douter du fait que dissimuler la grossesse procède de la même raison que dissimuler la naissance. Il se peut en effet qu’une femme fidèle dissimule une grossesse, au moins pour un temps, simplement parce qu’elle redoute la réaction de son mari. Même pour le mari qui ne veut pas ou plus d’enfant, la décision de recourir à l’avortement peut ne plus être réaliste si la grossesse est avancée…

L’argument a pari est refusé dans certaines matières comme le droit pénal, en raison du principe de la légalité criminelle qui commande une interprétation stricte des textes.

L’argument a pari, enfin, expose à un risque de contresens qu’on verra dans ses rapports avec l’argument a contrario.

2. L’argument a contrario ou argument par le contraire

Dans ce raisonnement, on part d’une affirmation relative à une espèce pour arriver à l’idée que le contraire doit être vrai dans une espèce différente. À titre d’exemple, l’article 6 du Code civil, qui dispose qu’on ne peut déroger par des conventions particulières aux lois qui intéressent l’ordre public ou les bonnes mœurs, est interprété, a contrario, comme autorisant les contractants à déroger aux lois qui n’intéressent pas l’ordre public ou les bonnes mœurs.

L’argument par le contraire est cependant une marche sur une piste escarpée, car dans certains cas, on peut ne pas savoir si l’énonciation de la loi est donnée à titre d’exemple ou pas ; dans la première hypothèse, l’énonciation mérite d’être généralisée et non interprétée a contrario. Or, lorsque le cas prévu par le législateur est généralisé, on entre plutôt dans le cadre de l’interprétation a pari. On comprend que devant une disposition, on peut hésiter entre l’interprétation a contrario et l’interprétation a pari. Et lorsqu’on interprète a contrario alors qu’il fallait le faire a pari, ou vice-versa, on fait un contresens.

3. L’argument a fortiori ou argument à plus forte raison

Cet argument consiste à étendre une loi à une hypothèse qu’elle ne prévoit pas, parce que l’on y rencontre, à un degré plus grand, le motif de la loi. Celui qui a le droit de vendre un bien (ce qui constitue un acte d’aliénation) a, a fortiori, le droit de le donner en location (ce qui est un acte d’administration), parce qu’un acte d’administration est moins grave de conséquences qu’un acte d’aliénation. Une maison mise en location reste en effet dans le patrimoine du propriétaire ; or, si on la vend, elle change de patrimoine.

4. L’argument ab eodem ou argument par équipollent

L’argument ab oedem est utilisé pour sauver de la nullité un acte juridique qui n’a pas respecté les formes prescrites par le législateur. Lorsque la forme prescrite n’est pas respectée, la violation est couverte si une formalité équivalente a été adoptée. Le droit tiendra les formalités pour équivalentes si elles permettent d’atteindre le même but.

Cet argument est davantage utilisé dans le domaine des libéralités, où on pense notamment que la formalité de passage par-devant notaire, prescrite par le code civil, peut être remplacée par le geste de main à main. Le passage par-devant notaire vise à attirer l’attention du donateur sur la gravité de l’acte afin qu’il ne le regrette pas plus tard ; on pense que s’il donne de sa propre main, c’est qu’il veut vraiment le faire : il n’a pu donner de sa propre main sans y réfléchir. On pense également que l’attention du donateur est attirée sur la gravité de l’acte lorsque la donation est dissimulée dans une fausse vente : l’effort qu’il fournit pour dissimuler la donation est une preuve qu’il a réfléchi à l’acte qu’il pose.

B. Les maximes d’interprétation

Les maximes d’interprétation sont des règles d’interprétation formulées en raccourci. Certaines visent à enfermer le texte dans les limites prévues par le législateur ; d’autres visent, sinon à étendre le champ du texte, du moins à épuiser toute sa substance.

1. Les maximes d’interprétation restrictive

Dans cette rubrique, il faut citer la maxime exceptio est strictissimae interpretationis (l’exception est d’interprétation stricte). La maxime signifie que tout texte écartant le droit commun ou la solution générale doit être interprété strictement. Concrètement, il faudrait, lorsqu’on interprète un texte qui prévoit une exception, exclure le recours à l’argument par analogie.

Dans un enchaînement cohérent au sein d’un même texte, l’exception est souvent introduite par l’adverbe « toutefois » ou « cependant » utilisé immédiatement après l’énonciation de la règle générale.

Mais très souvent, la règle générale et l’exception ne sont pas voisines. Il faudrait alors, pour bien interpréter, considérer tout le texte et même tout l’ordre juridique. Par exemple, où qu’elle se trouve, une disposition qui dispense de réparation l’auteur d’un dommage serait une exception au principe général de la responsabilité civile posé par l’article 1382 du Code civil[56].

On citera aussi, dans cette rubrique des maximes d’interprétation restrictive, la maxime selon laquelle les « peines sont d’interprétation stricte » (poenalia sunt restringenda), celle selon laquelle il « n’y a pas de privilège sans texte », et celle selon laquelle « la raison d’être de la loi cessant, cesse la loi elle-même » (Cessante ratione legis, cessat ipsa dispositio).

La première maxime gouverne la répression et apparaît comme une conséquence inéluctable du principe de la légalité des délits et des peines.

Le juge ne peut, sous prétexte d’interpréter, rien ajouter à la loi, incriminer et frapper d’une peine des actes que le législateur n’a pas pris en considération. La plus certaine des conséquences qu’on peut tirer de cette maxime est l’exclusion de la méthode d’interprétation par analogie en matière de répression. De façon générale, lorsque la loi n’est pas claire et évidente pour le cas soumis au juge, l’interprétation doit se faire d’une manière favorable à la personne pénalement poursuivie.

La seconde maxime doit être comprise en prenant le mot privilège dans un sens large où il renvoie à toute faveur, toute prérogative ignorée du droit commun. Le sentiment de justice ne peut être partagé que lorsque les sujets de droit sont traités à égalité. C’est pourquoi il faudrait admettre que les traitements de faveur ne peuvent être qu’exceptionnels. Ils doivent, pour cela, être contenus dans les strictes limites des textes qui les prévoient (ex. le privilège de juridiction, les immunités[57])

La dernière maxime signifie que lorsqu’on est en présence d’une disposition très large, il faut rechercher ce qui la justifie pour exclure son application là où cette justification n’existe plus. La sagesse populaire enseigne qu’il n’y a point d’effet sans cause. À partir de là, il faut penser que si la cause disparaît, l’effet doit aussi cesser. On a l’illustration de la règle en droit judiciaire : si la situation donnant lieu à une fin de nonrecevoir est susceptible d’être régularisée, l’irrecevabilité (sanction de la fin de non-recevoir) sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue. En droit des personnes, on sait que l’aliéné privé, à cause de son état mental, de la faculté de consentir aux actes juridiques recouvre le libre exercice de ses droits chaque fois qu’il se trouve dans un intervalle lucide.  2. Les maximes d’interprétation donnant toute sa consistance au texte

Dans cette rubrique, on doit citer la maxime qui interdit de distinguer là où la loi ne fait pas de distinction (ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debenus). Cela signifie qu’en présence d’une loi conçue en termes généraux, disposant sans restriction ni condition, l’interprète ne doit ni réduire la substance de la loi en introduisant des exigences qui ne sont pas prévues, ni éluder son application sous prétexte qu’un cas est exceptionnel ou qu’il y aurait inopportunité à l’appliquer à l’espèce. À titre d’exemple, l’article 502 du Code civil qui dispose, s’agissant du majeur incapable, que tous les actes passés postérieurement au jugement d’ouverture de la tutelle sont nuls de droit, ne distingue pas en fonction de l’importance économique de ces actes. Il doit donc être appliqué à tous les actes, même les plus insignifiants sur le plan de leur incidence financière. Violerait la volonté du législateur celui qui refuse de juger nul un acte sous le prétexte que cet acte est d’un intérêt économique négligeable. Le même texte ne distingue pas en fonction de la nature de l’acte. Violerait donc la volonté du législateur celui qui fait échapper à la nullité un acte sous prétexte qu’il s’agit d’un acte de caractère conservatoire absolument indispensable.

La seconde maxime à considérer, dans cette rubrique, est celle selon laquelle « il ne convient pas de juger sans considérer la loi dans son entier » (incivile est nisi tota lege perspecta judicare). Cette maxime est un avertissement à celui qui serait tenté de donner un sens à un bout de texte, en le détachant de l’ensemble dans lequel il est contenu. Les textes de loi sont, en effet, des ensembles cohérents : les dispositions se tiennent les unes les autres et ne peuvent se comprendre que les unes par rapport aux autres.

Comme d’autres maximes, celle-ci vaut pour l’interprétation des lois, mais aussi des autres textes juridiques, à l’instar des conventions. À ce sujet, l’article 1161 du Code civil indique au juge que « Toutes les clauses des conventions s’interprètent les unes par rapport aux autres en donnant à chacune le sens qui résulte de l’entier acte ».

La dernière maxime, sous cette rubrique, est celle selon laquelle « ce qui est surabondant ne nuit pas » (quod abundat non vitiat). Elle peut paraître curieuse pour le droit, parce qu’on sait qu’il aime la concision. Mais c’est parfois le contexte social qui justifie la surabondance qu’on accepte. On sait, par exemple, que malgré la règle de droit qui permet aux futurs époux majeurs de se marier sans le consentement de leur père et mère, beaucoup de personnes majeures tiennent à faire signer leur père ou mère sur leur acte de mariage. Ces signatures sont des mentions surabondantes, puisqu’elles n’ont aucune incidence sur la validité du mariage.

On pourrait également considérer comme surabondante cette formule reprise presque systématiquement dans des actes, et notamment les procurations : « En foi de quoi le présent (…) lui est délivré pour servir et valoir ce que de droit ».

Cette première partie du cours a montré le droit dans ce qu’il a de plus abstrait. Pris dans ses sources, son existence ou ses rapports avec son environnement, le droit donne l’image d’un corps de règles abstraites et sans vie. Or, il n’est, à vrai dire, ni désincarné ni réifié ; on verra dans la partie qui va suivre qu’il est fait de rapports interpersonnels et de rapports de personnes aux choses.

SECONDE PARTIE :

 LES DROITS SUBJECTIFS

Rappelons que le droit subjectif est une prérogative reconnue à une personne par le droit objectif.

Les droits subjectifs frappent l’attention par leur très grande diversité ; c’est pourquoi il est important de les classer. Mais le régime de ces droits n’apparaît complètement que si l’on indique leurs sources.

CHAPITRE I : 

LA CLASSIFICATION DES DROITS SUBJECTIFS

Plusieurs classifications peuvent être faites en ce qui concerne les droits subjectifs. Le plus simple semble cependant de les classer à partir de la notion de patrimoine[58]. Alors, la summa divisio, en ce qui les concerne, est la distinction entre les droits patrimoniaux et les droits extrapatrimoniaux. Cette distinction s’est faite en creux. Plus précisément, il s’est agi de construire le domaine des droits dits patrimoniaux, le reste étant rangé dans le groupe des droits extrapatrimoniaux. Et, comme à l’analyse les droits extrapatrimoniaux ne sont pas les plus nombreux, on peut penser qu’ils constituent une catégorie résiduelle, un appendice qu’on n’a pas pu mieux nommer.

SECTION I : LES DROITS PATRIMONIAUX 

Les droits patrimoniaux attirent l’attention par leur grande diversité. Une telle diversité impose un effort de classification. Mais avant cet effort de classification, il faudrait sans doute préciser la notion de droits patrimoniaux et dire quelques mots sur leurs caractéristiques.

§ 1. La notion et les caractères des droits patrimoniaux

La notion de droits patrimoniaux ne peut se comprendre qu’au détour d’une précision sur la notion de patrimoine. Le patrimoine est l’ensemble des droits et obligations d’une personne, appréciables en argent, c’est-àdire ayant une valeur économique. On a dit que le patrimoine est « en quelque sorte, la traduction juridique de la dimension économique du sujet de droit : elle appréhende ainsi l’ensemble des éléments -actifs et passifs, biens et dettes- qui définissent l’état de la fortune de la personne »[59]. Il faudrait cependant éviter de tomber dans le piège du langage courant qui comprend le patrimoine comme la fortune d’une personne, le réduisant ainsi à son aspect actif. D’un point de vue juridique, le patrimoine n’est que le contenant qui recueille tous les éléments actifs et passifs, de sorte qu’il est possible que le rapprochement entre les deux composantes puisse montrer plutôt un déficit.

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Les droits patrimoniaux sont ainsi des droits subjectifs qui ont une valeur pécuniaire, et ont vocation à être réunis dans le patrimoine. On les appelle aussi des biens ; c’est dans ce sens que le Code civil utilise le mot bien dans son Livre II.

Ce qui caractérise les droits patrimoniaux, c’est leur aptitude à circuler, à changer de titulaire ; ils peuvent ainsi passer d’un titulaire à un autre : on dit qu’ils sont dans le commerce juridique. À titre d’exemple, vous pouvez vendre une voiture qui vous appartient, céder une créancede somme d’argent dont vous êtes titulaire.

Les exemples choisis sont ceux dans lesquels celui qui dispose d’un droit le fait moyennant une contrepartie. Cela ne doit pas faire penser que la notion de commerce juridique doit être confondue avec le commerce au sens commun. Il y a aussi commerce juridique dans un mouvement de valeur sans contrepartie ; c’est le cas lorsque je donne gratuitement un livre à un étudiant.

§ 2 : La classification des droits patrimoniaux

Les droits patrimoniaux peuvent être classés à partir de deux angles au moins : on peut les classer d’après leur contenu ; on peut aussi les classer d’après leur objet.

A. La classification des droits patrimoniaux d’après leur contenu

Par contenu des droits, il faut entendre les prérogatives auxquelles ceuxci donnent droit. En fonction de ces prérogatives, les droits patrimoniaux peuvent être classés en droits réels, droits de créance et droits intellectuels. 1. Les droits réels

Les droits réels sont des droits patrimoniaux qui confèrent à leur titulaire un pouvoir direct sur une chose. La formule latine pour les désigner est « jus in re », ce qui signifie « droit sur une chose ». L’exemple type est le droit de propriété. Je suis propriétaire d’une maison : j’ai sur cette maison un pouvoir direct, un droit réel. Ce pouvoir me permet de tirer tout ou partie de l’utilité économique de la maison : je peux l’habiter, la louer, la vendre …

Le droit réel confère un pouvoir sur les choses, non sur les personnes :

le droit de propriété, par exemple, n’a pas de débiteur. Tout le monde est cependant obligé de le respecter : on dit qu’il est opposable à tous ou qu’il est absolu (il faut préférer dire que le droit réel est opposable à tous, car le terme absolu peut tromper en faisant croire que le droit réel est sans limites). C’est pourquoi le titulaire d’un droit réel a une action contre quiconque méconnaît son droit.

2. Les droits de créance

Le droit de créance est celui qui confère à son titulaire (le créancier) le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur) une prestation positive ou une abstention ; il met ainsi en rapport deux personnes : le créancier et le débiteur. Dans le patrimoine du premier, il est un élément de l’actif ; dans celui du second, il est un élément du passif.

Le droit de créance est aussi appelé droit personnel, par opposition au droit réel. L’appellation « droit personnel » vise à souligner la relation interpersonnelle qui caractérise le droit de créance.

La créance sur laquelle porte le droit peut avoir des objets les plus variés, à l’image de la variété de choses ou de prestations que nous pouvons devoir les uns aux autres. Tout d’abord, le débiteur peut devoir une somme d’argent au créancier. Il peut aussi lui devoir un livre, un ordinateur ou toute autre chose matérielle ou immatérielle. Ensuite, le débiteur peut devoir une prestation de service, par exemple deux heures de travail ; l’employeur a une créance de travail sur le salarié. Enfin, ce qui est attendu du débiteur peut être une abstention ; celui qui est lié par une clause de non-concurrence doit s’abstenir de mener une activité de nature à faire concurrence au créancier de l’obligation.

3. Les droits intellectuels

Les droits intellectuels, appelés aussi droits de propriété incorporelle, sont d’apparition récente, comparés aux droits réels ou aux droits de créance. Ils sont des monopoles d’exploitation d’un produit ou d’un moyen d’une activité intellectuelle. C’est par exemple le droit d’un auteur sur son livre, le droit de l’inventeur sur son invention, le droit du commerçant sur sa clientèle.

L’auteur est seul à pouvoir jouir du droit de reproduction et de représentation : éditer le livre, en permettre la vente. L’inventeur peut exploiter son invention à l’exclusion de tout autre. Il prendra alors un brevet d’invention qui le met à l’abri de la concurrence de toute autre personne. Le commerçant a le droit d’exploiter son entreprise et, à cette fin, le droit de protéger sa clientèle.

Les droits intellectuels ne sont pas des droits réels, car ils ne portent pas sur des choses matérielles. Ils ne sont pas des droits personnels, car ils ne comportent pas de débiteur. Ils sont au contraire opposables à tous.

L’appellation « droits intellectuels » ne doit pas faire penser que ces droits ne peuvent pas avoir des applications monétaires. Au contraire, ils donnent souvent lieu à des mouvements de fonds d’un patrimoine à un autre. L’auteur peut ainsi, contre argent, concéder le droit de reproduction de son livre ; l’inventeur peut, dans les mêmes conditions, céder son brevet d’invention.

  1. La classification des droits patrimoniaux d’après leur objet (Voir cours de Droit des biens).

SECTION II : LES DROITS EXTRAPATRIMONIAUX

L’homme n’a pas besoin que de biens matériels ou immatériels ; sa personnalité se nourrit aussi d’éléments d’ordre spirituel, de choix de façon d’être et d’agir. Ces éléments d’ordre spirituel forment les droits extrapatrimoniaux. Il faudrait rapidement les présenter et faire ressortir leurs caractères.

§ 1 : Les différents droits extrapatrimoniaux

On pourrait faire deux groupes dans les droits extrapatrimoniaux : certains sont directement rattachables à la personnalité du sujet de droit :

ce sont les droits de la personnalité ; d’autres sont rattachables à la vie au sein de sa famille : ce sont les droits familiaux.

A. Les droits de la personnalité

On dit souvent que chacun a sa personnalité. Cela renvoie à un certain nombre d’éléments physiques ou moraux qui nous caractérisent et nous distinguent les uns des autres : le nom, le ou les prénoms, les titres nobiliaires, la voix, l’image, etc. Chacun est jaloux de sa personnalité et peut la défendre par des moyens de droit. Les droits de la personnalité apparaissent ainsi comme des prérogatives reconnues à la personne pour la défense de sa personnalité. Comme la personnalité juridique, ces droits sont acquis par le seul fait de la naissance.

Ces droits protègent la personnalité dans tous ses aspects :

1° La personnalité est protégée sur le plan physique. Chacun a en effet le droit à la vie, à l’intégrité physique, à la santé. Le droit pénal, particulièrement, protège la personnalité sur le plan physique, à travers des infractions comme l’homicide, les coups et blessures, etc.

2° La personnalité est protégée sur le plan moral (il ne faut pas dire personnalité morale, car, alors, on renvoie à autre chose). Chacun a le droit à l’honneur, à la considération.

Le droit à l’honneur et à la considération est méconnu en cas de diffamation, de dénonciation calomnieuse, d’injure ; aussi le législateur at-il érigé ces faits en infractions[60].

Chacun a droit au nom, et peut protéger son nom contre les usurpateurs[61] ; il a un droit à son image[62]. Le Tribunal de grande instance de Yaoundé[63] a ainsi condamné les Brasseries du Cameroun et l’agence de photographie Rapho à verser des dommages-intérêts à une dame, pour l’utilisation de la photographie de celle-ci à des fins de publicité.

Il faudrait situer sur ce même plan la protection de l’intimité et des choix de mode de vie. Chacun a en effet le droit au respect de sa vie privée.

3° La personnalité intellectuelle est protégée par la reconnaissance du droit moral de l’auteur sur son œuvre ; en vertu de ce droit, l’auteur est le seul à pouvoir décider de la divulgation de son œuvre. Il a aussi le droit de revendiquer la paternité de celle-ci en exigeant que son nom ou sa qualité soit indiqué chaque fois que l’œuvre est rendue accessible au public, de défendre l’intégrité de son œuvre en s’opposant notamment à sa déformation ou mutilation, de mettre fin à la diffusion de son œuvre et d’y apporter des retouches[64].

4° La personnalité est protégée dans ses aspects en relation avec la vie publique. Chacun a le droit d’aller et venir, d’avoir une conviction religieuse, philosophique ou politique, de s’exprimer, de voter, d’exercer une activité, etc.

B. Les droits familiaux

La loi confère aux parents des prérogatives à l’égard de leurs enfants mineurs pour assurer leur éducation, leur instruction, et même leur établissement dans la vie : c’est la puissance paternelle[65]. Ces pouvoirs portent aussi bien sur la personne que sur les biens des enfants mineurs. Sur la personne, il y a notamment le droit de choisir le type d’éducation à donner à l’enfant, le droit, pour le parent, de donner son consentement au mariage de son enfant mineur. Sur les biens, il s’agit d’un droit d’administration.

Il faut également ranger dans les droits familiaux ceux que le tuteur exerce à l’égard de son pupille, et qu’on peut rapprocher de ceux des père et mère sur leur enfant mineur.

§ 2 : Les caractères des droits extrapatrimoniaux

Le premier caractère des droits extrapatrimoniaux est de n’être pas estimable en argent. L’affirmation mérite d’être bien comprise : si ces droits ne sont pas estimables en argent, ils peuvent cependant avoir des aspects patrimoniaux et donc appréciables en argent. Ainsi en est-il du nom lorsqu’il est commercial (ex. Coca Cola, Adidas, Puma). Le nom commercial est en effet un élément du fonds de commerce ; c’est une solution qu’admet le droit, mais qu’on comprend bien dans la vie des affaires. Celui qui est intéressé par un fonds de commerce attache sûrement de l’importance à la notoriété du nom sous lequel l’exploitation est faite.

De même, une atteinte à un droit extrapatrimonial peut être réparée par l’allocation des dommages et intérêts et donc de l’argent. On comprend que l’affirmation courante selon laquelle l’honneur n’a pas de prix n’empêche pas de demander réparation lorsqu’on estime que son honneur est bafoué.

Les droits extrapatrimoniaux sont en principe hors du commerce juridique : on dit qu’ils sont indisponibles, en ce sens que leur titulaire ne peut en disposer : il ne peut les céder, les aliéner, y renoncer. Cette règle n’est cependant pas d’application rigide. En effet, il est admis que le droit au nom commercial soit cédé en même temps que le fonds de commerce. Par ailleurs, sont valables les conventions relatives à certains droits de la personnalité : une personne peut donner à un écrivain le droit d’utiliser son patronyme moyennant argent. De même, je peux concéder à un commerçant, contre argent, le droit d’utiliser mon image pour sa publicité commerciale.

À cette indisponibilité de principe des droits extra-patrimonieux, on a parfois ajouté l’imprescriptibilité et l’intransmissibilité à cause de mort. L’imprescriptibilité signifie que ces droits ne s’éteignent pas par nonusage ; ils ne s’éteindront qu’avec la mort de leur titulaire.

L’intransmissibilité pour cause de mort signifie que les héritiers ne recueillent pas les droits extrapatrimoniaux. On admet, cependant, que les héritiers sont en droit de défendre la mémoire du défunt ; le droit au respect d’une œuvre de l’esprit est héréditaire[66].

Il était important de saisir la classification des droits subjectifs pour s’en faire une idée. On a pu se rendre compte qu’au détour de la distinction fondamentale entre les droits patrimoniaux et les droits extrapatrimoniaux, les droits subjectifs peuvent être relativement connus. Il faudrait cependant compléter le tableau en considérant leur source.

CHAPITRE II : 

LES SOURCES DES DROITS SUBJECTIFS

Par source des droits subjectifs, il s’agit de voir de quoi ceux-ci procèdent. En la matière, on s’attache à l’examen de la volonté des sujets de droit. Le droit (ou l’obligation qui en est le corollaire chez le débiteur) peut procéder d’un acte voulu par son auteur, accompli par lui en vue de produire des effets de droit ; alors, il s’agit d’un acte juridique. En revanche, le droit peut procéder d’un fait, volontaire ou non, ou d’une circonstance, à laquelle la loi attache des effets de droit indépendamment de la volonté de l’homme ; alors, il s’agit d’un fait juridique. On voit bien que l’élément essentiel de distinction, c’est le fait, ou non, pour celui qui agit, de vouloir les effets juridiques de la conduite qu’il a.

SECTION I : LES ACTES JURIDIQUES

La notion d’acte juridique a deux sens dans le langage des juristes. Il peut s’agir de l’opération accomplie en vue de produire des effets de droit, par exemple une vente. Dans ce sens, on s’intéresse au fond de l’acte, à ce pour quoi il y a manifestation de volonté : c’est le negotium. Dans un second sens, la notion d’acte juridique renvoie à l’écrit destiné à constater l’opération juridique, à ce par quoi il y a manifestation de volonté : c’est l’instrumentum. Seul le premier sens de l’acte juridique nous intéresse dans cette section.

Tous les actes juridiques n’ont pas le même régime ; c’est pourquoi il importe de faire, entre eux, une classification. Mais, à quelque catégorie qu’ils appartiennent, les actes juridiques reposent sur la volonté de leurs auteurs. Régulièrement accomplis, ils dégagent des effets généraux.

§ 1 : Les classifications des actes juridiques

Il n’y a pas une, mais plusieurs classifications des actes juridiques, en fonction du critère qu’on retient. À partir du critère du nombre de personnes impliquées, les actes juridiques sont classés en actes unilatéraux, conventions et acte collectifs ; à partir de la gravité de leurs effets, on les classe en actes conservatoires, actes d’administration et actes de disposition ; en fonction de ce que l’acte coûte aux parties, on les classe en actes à titre onéreux et actes à titre gratuit ; à partir du statut de celui qui les prend, on les classe en actes administratifs et actes de droit privé.

A. Actes unilatéraux, conventions et actes collectifs

Il convient de présenter séparément chacun de ces actes, dans l’ordre croissant du nombre des parties.

1. L’acte juridique unilatéral

L’acte juridique unilatéral est celui qui résulte d’une seule volonté[67]. C’est le cas de la reconnaissance d’enfant naturel, du testament, de la renonciation à une succession ou, de façon générale, de la renonciation à un droit : ces actes procèdent, en effet, de la seule volonté de leur auteur.

Les exemples ci-dessus cités relèvent du droit privé ; le droit public également a des exemples d’actes juridiques unilatéraux. Les actes administratifs, qui sont le moyen d’expression privilégié des pouvoirs publics, sont des actes unilatéraux puisqu’ils procèdent de la seule volonté de l’État (Administration).

2. La convention

La convention est un accord entre deux ou plusieurs volontés, en vue de produire des effets de droit. Le langage juridique ne fait pas une distinction rigoureuse entre la notion de convention et celle de contrat.

Dans la plupart de cas, les conventions créent des droits et obligations réciproques à l’égard des parties : ce sont les contrats synallagmatiques, dont la vente est l’exemple parfait : le vendeur transfère la propriété du bien contre argent ; l’acheteur verse de l’argent contre l’acquisition de la propriété de la chose.

Mais parfois la convention ne crée des obligations qu’à la charge d’une seule des parties, au profit de l’autre ; il s’agit alors d’un contrat unilatéral. C’est le cas, par exemple, de la donation, puisque celui qui reçoit ne donne rien en contrepartie. L’hypothèse ne doit pas être confondue avec l’acte juridique unilatéral, car dans le cas de la donation, il y a acceptation par le donataire de ce qui est donné, donc rencontre de deux volontés.

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3. L’acte collectif

L’acte collectif est l’acte juridique par lequel se manifestent les volontés d’un ensemble de personnes unies par une communauté d’intérêts ou impliquées dans une action commune[68]. Dans cette catégorie, on peut citer les délibérations des assemblées : les membres des assemblées sont unis par une communauté d’intérêts, au moins parce qu’il faut penser que tous tiennent au bon fonctionnement et au développement de l’organisme qu’ils animent.

B. Actes conservatoires, actes d’administration, actes de disposition

Entre ces différents actes, il y a une gradation dans les effets, et on partira du moins grave ou plus grave.

1. L’acte conservatoire

Le langage juridique rencontre très exactement le langage courant en ce qui concerne l’acte conservatoire. Comme le mot « conservatoire » l’indique, l’acte conservatoire est celui qui veut maintenir en l’état le patrimoine. Autrement dit, il a pour effet de maintenir les droits dans leur état actuel, afin qu’ils ne soient pas perdus.

Il ne faudrait cependant pas avoir une compréhension physique de la notion de conservation. Celle-ci est avant tout juridique, même si elle peut déboucher sur des actes matériels. Le terrain privilégié des actes conservatoires c’est celui de la protection des incapables. Celui qui assure la protection de l’incapable doit accomplir des actes destinés à conserver les droits dans le patrimoine de l’incapable.

Les actes conservatoires se retrouvent aussi dans beaucoup d’autres aspects de la vie juridique. Celui qui interrompt une prescription, par exemple, accomplit un acte conservatoire, car sans son acte, le droit qu’il veut protéger va être perdu par l’écoulement du temps.

2. L’acte d’administration

L’acte d’administration (il ne faut pas dire acte administratif) est celui qui est nécessaire à la gestion courante d’un bien, qui sert à le faire fructifier, sans en compromettre la valeur en capital71. On cite très souvent le fait de mettre un bien en location comme l’exemple type d’acte d’administration.

3. L’acte de disposition

Les actes de disposition sont ceux qui intéressent les biens considérés dans leur valeur de capital ou qui engagent l’avenir du patrimoine[69]. Cette définition montre que la notion d’acte de disposition ne coïncide pas forcément avec celle d’acte d’aliénation. On peut poser un acte de disposition sans aliéner le bien en cause ; c’est le cas lorsqu’on constitue une hypothèque sur un immeuble. La constitution de l’hypothèque ne transfère pas la propriété de l’immeuble, mais le patrimoine est fortement engagé par l’hypothèque, puisque celle-ci est une charge qui grève le bien. On sait qu’en cas de non-paiement de la dette, l’immeuble peut être saisi et vendu ; la propriété de l’immeuble est donc compromise.

En sens inverse, un acte peut emporter transfert de propriété sans être un acte de disposition. Il suffit que l’acte ait été rendu nécessaire dans la bonne administration du patrimoine. Ainsi, celui qui vend un bien qui occasionne trop de dépenses n’accomplit pas un acte de disposition. L’exemple achevé de l’acte de disposition est la donation.

C. Actes à titre onéreux et actes à titre gratuit

Ce qui caractérise l’acte à titre onéreux, c’est la réciprocité dans les gains : chacun reçoit de l’autre partie quelque chose en contrepartie de ce qu’il donne à cette autre partie. L’exemple le plus net est l’échange ; mais sont tout aussi nets l’exemple de la vente, celui du contrat de travail, celui du bail.

À l’opposé, l’acte à titre gratuit se caractérise par le fait qu’une des parties concède un avantage à l’autre sans rien recevoir (ni attendre) en retour. L’exemple type est la donation.

Il est important, dans un acte à titre gratuit, qu’il y ait une intention libérale (animus donandi ou animus testandi). Celui qui escompte une contrepartie qui n’arrive pas ne peut être considéré comme ayant eu cette intention. Par exemple, je souscris une assurance vol et verse régulièrement des primes d’assurance. Si le vol ne se réalise jamais, l’assureur ne me donne rien : ce contrat d’assurance n’est pas un acte à titre gratuit ; il s’agit d’un acte à titre onéreux, mais aléatoire.

Les actes à titre gratuit n’obéissent pas au même régime que les actes à titre onéreux. Celui qui agit à titre gratuit manifeste une intention libérale, et il faut penser qu’il ne le fait qu’à destination de telle personne. On comprend que s’il commet une erreur sur cette personne, l’acte doit être annulé. À l’opposé, ce serait exceptionnel que la considération de la personne soit importante dans un acte à titre onéreux : je veux vendre ma voiture, peu m’importe la personnalité de l’acheteur.

Celui qui reçoit quelque chose en contrepartie de ce qu’il donne doit garantir l’autre partie qu’« il ne lui donne pas que du vent ». Plus concrètement, il ne peut être laissé tranquille lorsqu’un tiers revendique, comme lui appartenant, ce qu’il a donné. C’est pourquoi il doit garantir l’autre partie contre l’éviction. La solution est différente en matière d’acte à titre gratuit.

Sous l’angle fiscal, on pourrait dire que le législateur n’est pas très favorable aux libéralités : pour les actes à titre gratuit on paie plus d’impôts que pour les actes à titre onéreux. Il faudrait aller plus loin pour dire que de façon générale, le droit positif voit avec défaveur l’acte à titre gratuit. Cet acte est dangereux non seulement pour son auteur, mais aussi pour les tiers (héritiers, créanciers, etc.) qui pourraient souffrir de la générosité de celui qui agit.

D. Acte administratif et acte de droit privé 

L’acte administratif est celui qui émane d’un organe administratif de l’État, ce qui permet de le distinguer des actes émanant des personnes privées.

L’acte administratif, d’un point de vue de son régime, relève du contentieux administratif, alors que l’acte de droit privé relève du contentieux judiciaire.

§ 2 : La base des actes juridiques : la volonté

Les actes juridiques reposent sur la volonté des parties. En principe, toute personne peut manifester sa volonté pour produire tels effets juridiques elle désire. C’est le principe de l’autonomie de la volonté que souligne, en matière contractuelle, l’article 1134 du Code civil : « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites… ». On peut ainsi passer tous les actes prévus par la loi, modifier ces actes par des clauses particulières, inventer de nouveaux types d’actes.

La seule limitation tient au nécessaire respect de l’ordre public et des bonnes mœurs, ainsi qu’il est prévu à l’article 6 du Code civil[70].

C’est parce que la volonté est la base de l’acte juridique qu’il importe qu’elle se soit correctement manifestée dans l’accomplissement des actes. Sur le plan technique, on parle de l’intégrité du consentement. Dans le cas contraire, l’acte est exposé à la nullité. On peut aussi avoir affaire à quelqu’un qui a manifesté une volonté non sérieuse ; il n’est pas sûr que dans ce cas la nullité soit toujours la sanction appropriée.

§ 3 : Les effets de l’acte juridique

Les actes juridiques ont, chacun, leurs effets spécifiques ; tous ont cependant des effets généraux qui nous intéressent dans ce paragraphe.

L’idée centrale à retenir est que les actes juridiques obligent les parties. Mais ils n’obligent que celles-ci : c’est le principe de la relativité des actes juridiques. C’est pourquoi après un premier point sur leur force obligatoire, il faudrait s’arrêter sur la relativité des actes juridiques et dire qui est partie à ces actes

A. La force obligatoire des actes juridiques

L’acte juridique a une force obligatoire en ce sens que chaque partie doit exécuter la prestation mise à sa charge. Avant l’acte, on est bien libre de s’engager, mais lorsqu’on s’est engagé, on est obligé d’agir dans le sens de l’engagement, c’est-à-dire de la parole donnée[71].

La force obligatoire de l’acte juridique a pour conséquence l’existence de moyens de pression contre le débiteur qui ne veut pas s’exécuter spontanément (par exemple une action en justice).

Il est souvent arrivé que les circonstances ayant entouré la conclusion d’un acte juridique comme le contrat changent, au point que l’exécution de l’acte devienne très onéreuse pour l’une des parties. Par exemple, le contrat que j’ai conclu prévoit que contre une somme de 10.000.0000 F, je dois, pendant 3 ans, livrer du ciment pour la construction d’un ensemble immobilier. Deux mois après, le pont qui reliait le lieu de livraison à mon lieu d’approvisionnement est rompu, m’obligeant à faire désormais un détour de 1000 Km sur une route non bitumée. Il va de soi que dans ces conditions, l’équilibre des prestations est rompu. J’aurais alors intérêt à faire réviser le prix de mes prestations (10.000.000 F)

Si nous avons prévu une telle révision ou une autre solution dans le contrat, il n’y a aucun problème, on y recourt : c’est même le respect de la force obligatoire des contrats.

Si rien n’est prévu au contrat, la jurisprudence judiciaire, depuis la célèbre affaire du Canal de Craponne[72], décide de s’en tenir aux termes du contrat : je m’étais engagé à livrer du ciment à tel prix, on s’en tiendra à ce prix-là.

La jurisprudence administrative[73], en revanche, admet la révision des contrats en cas de changement de circonstances.

Le droit administratif admet également la possibilité pour l’une des parties, en l’occurrence l’Administration, de rompre unilatéralement le contrat, moyennant une indemnisation de l’autre partie. Le droit privé, en revanche, s’en tient à l’idée qu’on ne peut rompre unilatéralement le contrat. Ce principe, certes, connaît quelques aménagements.

L’idée que le contrat ne peut être unilatéralement rompu est tellement forte que même en cas de faute de l’une des parties l’autre ne peut y mettre fin sans passer par le juge[74]. Elle ne peut, au mieux, que suspendre l’exécution de ses propres prestations et, au besoin, invoquer devant le juge le manquement de l’autre partie qui tenterait de l’obliger à s’exécuter : on parle d’exception d’inexécution.

B. La relativité des actes juridiques 

Le principe de la relativité des actes juridiques est posé par deux célèbres articles du Code civil. Il s’agit d’abord de l’article 1134 qui affirme que « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites… ». Il s’agit ensuite, et surtout, de l’article 1165 qui affirme que « Les conventions n’ont d’effets qu’entre les parties contractantes[75] ; elles ne nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l’article 1121 ». C’est cette idée qu’exprime l’adage « Res inter alios acta aliis neque nocvere neque prodesse potest ».

Le principe de la relativité des actes juridiques se comprend bien : si c’est la volonté des parties qui est au fondement de l’acte juridique, c’est qu’on n’est lié que parce qu’on l’a voulu. Cette idée est exprimée par un autre adage latin : « Pacta sunt servenda ». Et comme personne ne peut vouloir pour autrui, notre volonté ne peut lier que nous même, non autrui[76].

Les effets de l’acte se déploient donc exclusivement sur les parties, et sont ceux que celles-ci ont prévus. Certes, la loi peut déterminer impérativement les effets ou certains effets des actes ; mais c’est en concluant ces actes que les parties s’y soumettent. Dans bien des cas, elles pourront réaménager les effets prévus par la loi.

Dire que les effets des actes juridiques se déploient sur les parties ne signifie pas que les tiers peuvent ignorer ces actes. Il faudrait en effet distinguer entre l’effet de l’acte et son opposabilité. L’effet, qui résulte du rapport d’obligation entre créancier et débiteur, est circonscrit aux parties à l’acte, mais l’acte juridique crée une situation qui s’impose au respect de tous. Le bail, par exemple, ne lie que le bailleur et le preneur ; mais si un immeuble est déjà donné à bail, les droits du preneur sont une situation objective qui s’impose à tous.

C. La détermination des parties

La partie à un acte est le sujet actif ou passif de l’acte. Le sujet actif de l’acte est celui à qui l’acte attribue une créance ; le sujet passif de l’acte est celui sur la tête de qui l’acte met une dette. On n’est donc pas partie à un acte, si on n’y figure pas dans l’une ou l’autre de ces qualités. Cette précision permet d’éviter les méprises qu’on pourrait avoir en cas de représentation. En effet, pour être sujet actif ou passif dans un acte, il n’est pas nécessaire d’être physiquement présent à la conclusion de l’acte ; on peut en effet être représenté. Les incapables, par exemple, sont souvent représentés à la conclusion des actes ; on peut aussi, par la technique du mandat, être représenté à la conclusion d’un acte. C’est par ce procédé que toutes les personnes morales s’expriment sur la scène juridique.

On peut donc être physiquement présent et signer sous un acte sans y être partie. C’est le cas lorsqu’on signe comme représentant légal ou conventionnel. Monsieur Tchakam qui signe un acte de vente en tant que Président de l’association « Fraternité » n’est pas partie au contrat ; c’est « Fraternité », personne morale, qui est partie au contrat.

On n’est pas non plus partie à un acte lorsqu’on signe comme témoin ou comme officier public désigné par la loi pour recevoir l’acte. Le notaire, par exemple, n’est pas partie au contrat de vente d’immeuble qu’il reçoit.  Ceux dont la situation doit être rapprochée de celle des parties sont les ayants cause. On appelle ainsi les personnes qui tiennent leurs droits d’une autre personne, que l’on appelle leur auteur : j’ai acquis un terrain que j’ai ensuite vendu à Monsieur Bilong. Ce dernier est un ayant cause, car c’est de moi qu’il tient son droit ; je suis son auteur.

Les ayants cause sont dits à titre universel lorsqu’ils ont acquis la totalité du patrimoine de leur auteur ou une fraction de celui-ci. C’est le cas des héritiers légaux et des légataires universels ou à titre universel. Les ayants cause à titre universel sont assimilés à la partie à l’acte à laquelle ils succèdent. Par conséquent, l’acte juridique posé par leur auteur les engage de la même manière qu’il a engagé l’auteur. Si, par exemple, le vendeur est décédé sans avoir livré la chose vendue, l’obligation de livraison née sur sa tête va peser désormais sur son héritier. Il continue, en quelque sorte, la personne de son auteur (le défunt).

SECTION II : LES FAITS JURIDIQUES

Rappelons qu’un fait juridique est un fait quelconque (agissement intentionnel ou non intentionnel de l’homme, événement social, phénomène de la nature) auquel la loi attache une conséquence juridique qui n’a pas été nécessairement recherchée par l’éventuel auteur du fait. Ce qui caractérise donc les faits juridiques, c’est que la loi leur attache des conséquences juridiques indépendamment de la volonté de l’homme (souvent leur auteur). Autrement dit, les conséquences juridiques des faits juridiques trouvent leur siège non pas dans la volonté des protagonistes, mais dans la loi. Cela étant, ces faits peuvent être volontaires ou non.

Les faits juridiques sont d’une extrême variété, et la loi elle-même leur attache des conséquences diverses. C’est au demeurant celle-ci qui décide de faire d’un événement un fait juridique, en lui attachant des conséquences de droit.

L’extrême variété des faits juridiques rend pratiquement impossible une présentation d’ensemble. On se résignera donc à les présenter à travers la classification classiquement retenue par la doctrine et consistant à mettre d’un côté les faits de la nature et de l’autre les faits de l’homme.

§ 1 : Les faits de la nature

Les faits juridiques de la nature sont ceux que, plus facilement, on sent éloignés des actes juridiques. En effet, à aucun niveau, ils n’intègrent la volonté de l’homme. La loi s’est simplement chargée de transformer une réalité biologique ou physique en situation juridique.

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A. Les faits juridiques résultant de la prise en compte de la réalité biologique

La réalité biologique peut être prise en compte dans son existence même ou dans son état.

1. L’existence biologique

Lorsqu’un enfant naît, il y a là un fait biologique ; la loi y attache des conséquences qui ne dépendent de personne : ni de l’enfant ni de ses auteurs. Parmi ces conséquences, on peut citer la personnalité juridique que l’enfant acquiert par le seul fait de cette naissance. Il y a aussi la puissance paternelle, la vocation successorale, conséquences qui ne dépendent de personne, mais de la loi. Certes, s’agissant de l’enfant né hors mariage, le contenu des droits peut varier en fonction du comportement de son géniteur (l’a-t-il reconnu ou pas ?) ; mais cette circonstance est de loin insignifiante à côté des conséquences inéluctables que la loi attache au fait de la naissance.

Comme la naissance, le décès est un fait dont le droit règle les conséquences : fin de la personnalité juridique, dissolution du mariage de celui qui décède, cessation du contrat de travail, ouverture de la succession, etc.

2. L’état biologique

Les personnes humaines peuvent être dans divers états biologiques :

elles sont soit de sexe masculin, soit de sexe féminin, elles ont un … quinze … ou vingt et un ans, elles sont aptes ou présentent une déficience physique ; elles ont un lien de parenté avec tel, etc. À chaque fois, la loi attache des conséquences à chacun de ces états.

Si l’on prend le sexe, on doit se rendre compte que des conséquences juridiques y sont attachées : on sait, par exemple, que la possibilité de se marier n’est ouverte qu’aux futurs époux de sexes différents.

Lorsqu’on considère l’âge, on est encore mieux édifié : les personnes mineures de vingt et un ans ne sont pas civilement capables[77].

En matière répressive[78], la pleine responsabilité pénale n’est atteinte qu’à 18 ans.

Sur le plan de l’exercice des droits civiques, la majorité électorale est acquise à vingt ans, tout au moins pour ce qui est des élections majeures comme l’élection des députés, maires, sénateurs, Président de la République ; et on peut subordonner l’accès à une fonction ou à un statut à un âge plus avancé.

Signalons, sans vraiment chercher à être exhaustif, que l’âge est également pris en compte pour la présentation des concours administratifs, l’admission à la retraite.

Les personnes qui présentent une déficience physique ou mentale se voient appliquer un traitement qui, à chaque fois, correspond à la nature et au niveau de la déficience. Selon les cas, elles peuvent relever des dispositions sur les incapacités ou sur le handicap ou des deux, les solutions applicables étant par ailleurs variables en fonction de la gravité du mal.

Le lien de parenté est pris en compte dans divers aspects du droit : le mariage, la succession, les obligations alimentaires, etc.

B. Les faits juridiques résultant de la prise en compte de la réalité physique

La réalité physique à laquelle on se réfère ici doit être comprise de façon assez restrictive, pour ne pas englober des éléments comme le sexe et l’état de déficience physique ci-dessus examinés. Il s’agit, plus précisément, des considérations détachées des corps vivants : la disposition des lieux, la force majeure.

1. La disposition des lieux

Je suis propriétaire d’un terrain situé en contrebas d’un autre terrain : la disposition des deux terrains est prise en compte par la loi pour régler plusieurs problèmes, dont celui de l’écoulement des eaux naturelles. Tout propriétaire dont le fonds est situé en contrebas est obligé de recevoir les eaux qui viennent naturellement du fonds supérieur en suivant la pente du sol, sans que la main de l’homme y ait contribué[79].

Je suis propriétaire d’un terrain enclavé, c’est-à-dire qui n’a aucune issue sur la voie publique pour les commodités (passage de canalisation d’eau ou de câble électrique par exemple), je suis fondé à obtenir sur le fonds (terrain) voisin un passage suffisant pour la desserte. Certes, cela se fera contre indemnisation.

2. La force majeure

La force majeure est tout événement présentant le triple caractère d’imprévisibilité, d’extériorité et d’irrésistibilité, qui empêche le débiteur de fournir sa prestation.

Les effets que le droit attache à la force majeure sont de deux ordres. Principalement, la force majeure libère le débiteur. Je devais vous remettre un colis ; empêché par la force majeure je n’ai pas pu ; je suis libéré de l’obligation. Mais il faut savoir que si j’attendais quelque chose en contrepartie, je ne peux l’avoir (c’est la théorie des risques : si la force majeure m’empêche d’exécuter ma prestation, je ne peux pas prétendre à la prestation de l’autre partie).

En matière délictuelle, la force majeure dispense l’auteur du préjudice (plus justement, celui qui était matériellement impliqué dans la réalisation du préjudice) de le réparer : un vent d’une extrême violence m’a projeté sur un passant qui s’est blessé ; ce dernier ne peut m’obliger à réparer son préjudice.

De façon moins fréquente, l’invocation de la force majeure peut permettre à celui qui veut défendre un droit de le faire encore alors que tout semblait perdu. C’est le cas lorsqu’un plaideur démontre que tel document qu’il avait chez lui a péri dans un incendie tout à fait fortuit.

C’est aussi le cas lorsqu’un plaideur qui avait laissé passer le temps utile pour saisir le juge, est admis à le faire après l’expiration du délai d’exercice ; c’est que la force majeure a suspendu le délai : on dit que la prescription ne court pas contre celui qui est empêché d’agir.

§ 2 : Les faits de l’homme

Les faits de l’homme peuvent être involontaires, mais aussi volontaires, sans que, dans le second cas, on soit en présence d’un acte juridique. Comme on l’a souligné plus haut, il n’y aurait d’acte juridique que si on a voulu, non pas seulement l’acte, mais aussi ses conséquences juridiques. En revanche, je peux vouloir un geste, mais non ses conséquences juridiques : j’ai volontairement poché l’œil de mon voisin ; j’ai l’obligation de réparer le préjudice ainsi causé. On ne peut pas penser que je désirais les conséquences juridiques de ce geste, c’est-à-dire réparer le préjudice ainsi causé ; tout ce que je voulais, c’est le blesser.

Les faits de l’homme peuvent être classés dans deux groupes, si l’on considère la situation de l’homme qui agit : ils sont tantôt générateurs de droits, tantôt générateurs d’obligations.

A. Les faits générateurs de droits

Au moins deux faits de l’homme peuvent lui faire bénéficier de droits :

la possession et l’apparence.

1. La possession (de bonne foi)

La possession est la maîtrise de fait exercée sur une chose corporelle et correspondant, dans l’intention du possesseur, à l’exercice d’un droit réel. Elle s’oppose à la détention, laquelle implique la reconnaissance du droit d’autrui, bien qu’étant identique à la possession dans sa manifestation extérieure. Ce qui caractérise donc la possession c’est le fait, pour le possesseur, de se comporter comme propriétaire. Si celui qui a la possession est réellement propriétaire, la propriété absorbe la possession ; s’il n’est pas réellement propriétaire, mais se comporte comme tel, on est dans le régime de la seule possession.

Parfois le possesseur ignore le vice de l’acte qui l’empêche de devenir propriétaire : il a, par exemple, acheté un bien à quelqu’un qui l’avait reçu simplement pour le garder. Alors, l’acheteur qui se comporte comme si la chose achetée lui appartient est un possesseur de bonne foi. Dans certains cas, le possesseur sait que son titre est vicié : il y a possession de mauvaise foi.

Qu’elle soit de bonne foi ou de mauvaise foi, la possession produit des effets de droit. Le possesseur de bonne foi est traité avec beaucoup de faveurs par le droit. En matière mobilière, la possession de bonne foi confère la propriété : en fait de meuble, possession vaut titre. L’acquéreur d’un meuble en devient ainsi propriétaire dès lors qu’il a, de bonne foi, pris possession du meuble, alors même que celui qui lui a vendu le meuble n’en était pas le propriétaire (et ne pouvait donc normalement vendre, car on ne peut transférer plus de droits qu’on en a). Bien entendu, il faudrait que la possession soit de bonne foi ; elle ne l’est plus si l’acheteur s’est abstenu de consulter, par exemple, une structure de publicité légale où il aurait eu l’information sur l’identité du véritable propriétaire.

2. L’apparence

L’apparence est l’état d’une situation qui se présente sur la scène juridique de façon déformée ; c’est une situation vraisemblable en fait, mais inexacte en droit. On doit comprendre les effets juridiques de l’apparence à partir de l’idée que foi est due à l’apparence. Parce qu’il est très souvent difficile, et parfois impossible, d’accéder à la vérité juridique, on s’en tient à ce qui paraît vrai.

L’apparence est souvent invoquée dans des situations où quelqu’un agit à la place d’une autre personne. Il se peut alors que celui qui agit est, de toute apparence, le représentant de l’autre. L’apparence est aussi souvent invoquée dans des situations où quelqu’un a agi sans avoir la capacité d’exercice, la compétence nécessaire ; un enfant de dix-sept ans peut être apparemment majeur.

On devine néanmoins la difficulté de faire triompher en toutes circonstances l’idée que foi est due à l’apparence, même si elle est doublée de la bonne foi des personnes en cause. Aussi, l’apparence ne devrait jouer son rôle créateur de droit que dans les cas prévus par la loi ou reconnus par la jurisprudence.

B. Les faits générateurs d’obligations

Par son fait, l’homme peut être obligé de deux façons : il est obligé de réparer un préjudice causé ou de restituer quelque chose.

1. L’obligation de réparer un préjudice

Deux articles du Code civil posent les bases de l’obligation de réparer le préjudice causé à autrui. Dans un ordre purement arithmétique, il y a d’abord l’article 1382, qui dispose que « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ». Ce texte est écrit dans une syntaxe relativement compliquée et, dans l’ensemble, un langage peu digeste. On sait néanmoins qu’il s’agit de dire que si par un fait quelconque83, vous causez

                                               

83 Pour quelques illustrations de l’obligation de réparer le dommage causé à autrui, on peut lire CA du Centre, arrêt n° 10/C du 1er octobre 2005, affaire Motsiing Isidore c/ AES Sonel (responsabilité pour coupure intempestive de courant), Juridis-Périodique n° 66, p. 5

un dommage à autrui, vous êtes obligé de réparer le préjudice ainsi causé. Il importe peu que le dommage ait été causé parce que vous le vouliez, ou qu’il résulte de votre négligence ou de votre imprudence.

Il y a, ensuite, l’article 1384, alinéa 1, qui prévoit qu’« On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde ».

Causer un dommage à autrui est un fait juridique, parce qu’il génère des conséquences prévues par le législateur indépendamment de la volonté de celui qui a causé le dommage. Ces conséquences juridiques sont définies par le législateur, en fonction de l’idée que celui-ci se fait du problème.

2. L’obligation de restituer

Dans le langage courant, restituer, c’est rendre ce qu’on possède indûment. C’est ainsi que le droit comprend lui aussi la restitution. L’obligation de restituer existera dans le cadre des quasi-contrats. Le quasi-contrat est un fait volontaire et licite de l’homme d’où découlent des obligations. Ces obligations sont soumises à un régime s’apparentant à

                                               

0 ; n° 221/CC du 02 mars 2005, affaire Camrail c/ Tchoumba Jean et Mbozo’o Faustin (responsabilité pour étouffement d’animaux pendant le transport par rail) ; CA du Littoral, arrêt n° 65 /C du 17 janvier 2003, affaire Sonel c/ METALCO (responsabilité pour coupure de courant), Juridis-Périodique n° 65, p. 52, note Njeufack Temgwa ; CS, arrêt n° 114/CC du 20 juin 1991, affaire BIAOC C/ Nkouendjin Yotnda et Kack Kack Gérard (responsabilité pour perte de titre foncier par la banque) ; TGI d’Ebolowa, jugement n° 1/Civ/TGI du 21 décembre 1995 (en l’espèce, un homme a fait condamner une femme qu’il avait épousée en ignorant qu’elle était mariée à un autre homme) ; TPD d’Ebolowa, exerçant les compétences du Tribunal coutumier, jugement n° 11/TC du 17 mai 2000, affaire Ngan Obam Solomon c/Mballa Germaine (rupture abusive de fiançailles ayant duré 9 ans), inédits.

celui des contrats, et pèsent sur l’auteur du fait et une autre personne, les deux n’étant pas liés par un contrat.

Il ne faut pas confondre le quasi-contrat avec le quasi-délit. Tous sont des faits juridiques ; mais le quasi-contrat est un fait volontaire et licite. Le quasi-délit est un fait illicite (c’est-à-dire qu’il y a violation d’une prescription de la loi), mais commis sans intention de nuire, qui cause un dommage à autrui et oblige son auteur à le réparer : exemple, par imprudence, un automobiliste écrase un passant.

Il y a quasi-contrat lorsque je gère les affaires d’autrui, sans avoir été chargé de le faire ; c’est la gestion d’affaires : mon voisin est parti depuis longtemps et ne donne aucune nouvelle, je répare son toit qui suinte, pour éviter que le voisin ne finisse par perdre sa maison.

 Le droit organise le régime de la gestion d’affaires dans l’esprit que celui qui a ainsi agi dans l’intérêt d’autrui rentre dans ses droits. Mon voisin devra, en effet, me rembourser ce que j’ai dépensé. Mais on ne peut pas penser que c’est pour ce remboursement que j’ai agi. C’est pourquoi il faut ranger la gestion d’affaires dans la catégorie des faits juridiques.

Il y a aussi obligation de restituer lorsque, sans justification juridique, quelqu’un s’enrichit au détriment d’un autre : c’est l’enrichissement sans cause. Celui qui s’est enrichi aux dépens d’autrui doit restituer ce qu’il a injustement perçu. On ne peut penser que celui qui s’enrichissait voulait restituer, ni que celui qui a subi l’enrichissement a laissé faire pour ensuite être rétabli dans ses droits. C’est pourquoi on se situe dans la catégorie des faits juridiques.

Il y a obligation de restituer, enfin, lorsque j’ai payé alors que je ne dois rien. Cela peut arriver soit parce que je ne dois rien du tout, soit parce que je dois quelque chose, mais pas à celui que j’ai payé. Dans l’un et l’autre cas, le bénéficiaire du paiement doit remettre ce qu’il a perçu. Ici également, on peut être sûr que les protagonistes ne recherchaient pas les conséquences juridiques attachées à leur comportement. C’est pourquoi il s’agit d’un fait juridique.

BIBLIOGRAPHIE

[1] On pourrait aussi dire que le droit est le pouvoir accordé à une personne sur une autre personne ou sur une chose. La formule est un formidable raccourci qui peut permettre de vite expliquer. Elle présente cependant l’inconvénient de ne pas faire apparaître très nettement l’évolution ayant conduit à tenir le débiteur plus par un pouvoir sur son patrimoine que par un pouvoir sur sa personne même.

[2] Très souvent, le mot droit s’écrit avec le « d » minuscule lorsqu’il est question de droit subjectif et avec le « D » majuscule lorsqu’il s’agit du droit objectif. Ces emplois ne sont cependant pas rigoureusement suivis.

[3] Cette limitation emprunte plusieurs voies, dont celle de la conditionnalité de l’aide au développement (Lire les actes du colloque de Yaoundé (20-22 juillet 2004) sur la conditionnalité dans la coopération, CEDIC, 2004). Une voie plus subtile est empruntée par les conventions fondamentales de l’OIT, dont on contrôle le respect même en cas de non ratification par les Etats membres de l’Organisation (voir La Déclaration de l’OIT du 18 juin 1998 sur les principes et droits fondamentaux au travail).

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[4] Il s’agit de lois adoptées par le parlement ou d’autres textes pris par des personnes compétentes.

[5] C. Anyangwe, Introduction to law and legal systems, cours polycopié, op. cit, p. 90.

[6] On y reviendra infra.

[7] Voir P. Gannagé, « Observations sur la laïcisation partielle d’un système juridique. L’exemple des droits proche-orientaux », Mélanges Malinvaud, Litec 2007, p.227.

[8] Il nous a été difficile de faire un choix entre le mot « coutume » et l’expression « droit traditionnel ». Dans le langage juridique, les deux s’utilisent souvent indifféremment, même si l’on perçoit une certaine condescendance chez certains auteurs lorsqu’ils utilisent l’expression « droit traditionnel ». On pense naturellement à son pendant, le « droit moderne ».

[9] Selon les pays, le droit qu’on veut imposer relève du système anglo-saxon ou du système romano-germanique, ou des deux (cas du Cameroun).

[10] L.P. Ngongo, Histoire des institutions et des faits sociaux du Cameroun, Tome 1 (18841945), Mondes en devenir-XVI ; E. Mveng, Histoire du Cameroun, tomes 1 et 2, CEPER Yaoundé, 1984 ; E. Mbarga, Cours d’histoire des institutions du Cameroun, Presses du Centre d’Edition et de Production des Manuels et d’Auxiliaires de l’Enseignement, Yaoundé, 1976 ; F. Mbomé, Histoire des institutions et des faits sociaux, Yaoundé, Fasst Editions, 2000.

[11] Voir article 51 de la Constitution du 4 mars 1960.

[12] CS, arrêt n° 58 du 12 avril 1978, affaire A. Georges C/ K… Ernest, RCD. n° 9, 1976, p. 63.

[13] Pour ces textes anglais entrés par l’intermédiaire du Nigeria, voir C. Anyangwe, Cours polycopié op. cit., p. 315 et E.N. Ngwafor, Family law in Anglophone Cameroon, University Regina Computer services, Regina-Saskatchewan, Canada, 1993,

Introduction.

[14] CS, arrêt n°28/CC du 10 décembre 1981, affaire Angoa Parfait c/ Dame Angoa née Biyidi Pauline, RCD, n° 21/22, p. 301 ; n° 120/CC du 15 septembre 1982, affaire Asso’o Benoît c/ Moutikoue Jacqueline ; n° 35/CC du 25 mai 1982, affaire Bihina Gabriel c/ Ngamba Jacqueline ; n° 144/CC du 17 mai 1983, affaire Nguele Nsia F. Biloa et autres, RCD, n° 29, p. 196. Mais la règle va connaître une grave mésaventure dans plusieurs arrêts de la Cour suprême, n°86/CC du 18 juillet 1985, affaire Kemajou née Makugam Jeanne c/ Kemajou François et n° 64/CC du 16 avril 1987, in Tendances jurisprudentielles et doctrinales du droit des personnes et de la famille de l’ex-Cameroun oriental, par F. Anoukaha, L. Elomo-Ntonga, S. Ombiono, Polycopié, Université de Yaoundé, p. 97, commentaire F. Anoukaha ; voir aussi CS, n° 24/CC du 14 octobre 1992, Juridis-Info, n° 20 (1994) page 72, note Tchakoua.

[15] L’Ordonnance n° 72/04 du 26 août 1972, en son article premier, ne citait pas les juridictions de droit traditionnel parmi les juridictions chargées de rendre la justice, mais indiquait, dans les dispositions transitoires, que l’organisation et la procédure des juridictions traditionnelles sont maintenues provisoirement. Ces juridictions ont connu un léger retour en grâce avec la loi n°2006/015 du 29 décembre 2006 portant organisation judiciaire. Celle-ci cite les juridictions traditionnelles parmi les juridictions chargées de rendre la justice (article 3), même si elle souligne aussi que leur maintien est provisoire (article 31).

[16] CS cor, arrêt n° 445 du 3 avril 1962, affaire Bessala Awona c/ Bidzogo Geneviève, Penant 1963, p. 230, note Lampué. Voir aussi CS cor, 5 mars 1963, Bull. n° 8, p. 541.

[17] Dans ce sens S. Ombiono, « Etude générale des sources du droit des personnes et de la famille », in Tendances jurisprudentielles et doctrinales du droit des personnes et de la famille de l’ex-Cameroun oriental, op. cit, p. 7.

[18] Le contentieux devant les juridictions de droit traditionnel tourne autour de deux sujets majeurs : le divorce et la succession.

[19] Sur la question, lire B. Banamba, « Regard nouveau sur un texte déjà trentenaire : le cas du décret du 19 décembre 1969 portant organisation et fonctionnement des juridictions traditionnelles de l’ex-Cameroun oriental », RASJ, 2000, vol.1, n° 2, p. 102.

[20] S’agissant de l’enfant adultérin a matre, la reconnaissance ne peut avoir lieu qu’après le désaveu du mari de la mère. Voir article 43, alinéa 2 de l’ordonnance n° 81/02 du 29 juin 1981 portant organisation de l’état civil et diverses dispositions relatives à l’état des personnes.

[21] La jurisprudence française a clairement reconnu ce droit (Ch mixte, 27 février 1970, D. 1970, p. 201). Dans notre contexte, la question est encore discutée, en particulier dans le droit des accidents de la circulation. Pour l’affirmation que le droit à réparation de la concubine a été reconnu, F. Teppi Kolloko, « La concubine peut-elle prétendre à la réparation des préjudices subis du fait du décès accidentel de son concubin ? », Lex Lata n° 27/28, 1996, p.12. Pour la position contraire, F. Anoukaha, -« Commentaire du Code des assurances des Etats membres de la Cima : Livre II : Les assurances obligatoires» Juridis-Périodique n°30 (1997), p. 67.

La Cour suprême a cassé un arrêt de la Cour d’appel de Garoua qui avait réparé le préjudice d’une concubine en se fondant sur l’arrêt français ci-dessus évoqué. Mais l’arrêt est cassé pour défaut de motifs, le juge ayant eu recours à une jurisprudence étrangère dont il n’a pas précisé si elle est en vigueur au Cameroun (Cs, arrêt n° 198/ P du 21 mars 2002, in F. Anoukaha, Les grandes décisions de la jurisprudence civile camerounaise, Dschang, 2008, p. 316). Avant l’adoption du Code CIMA actuellement en vigueur, un jugement du Tribunal correctionnel d’Edéa, rendu le 2 février 1971 (affaire MP et Ngo Yas Elise contre Owoundi Jean-Louis, inédit), avait répondu favorablement à la demande en réparation du préjudice d’une concubine résultant du décès de son concubin par accident de la circulation. Lire aussi, suite à ce jugement, CS-CA, n° 28 septembre 1978, Owoundi Jean-Louis C/ Etat du Cameroun, inédit.

[22] H Roland et L. Boyer, Adages du droit français op. cit., p. 186

[23] Gérard, Manuel de droit romain, 1929 ; R. Monnier, Manuel élémentaire de droit romain, 2 vol. 1947 ; J. Gaudemet, Institutions de l’Antiquité, 1ère édition, 1967.

[24] R. David, Le droit anglais, Que sais-je ?, 4ème édition, 1982, p. 20 ; M. Parquet, Introduction générale au droit, édit. Bréal, 2001, p. 43.

[25] Lire, La mondialisation : quel humanisme, Cahier de l’UCAC n°6, 2001.

[26] J. M. Tchakoua, « Pouvoir normatif, régionalisation et mondialisation en Afrique », L’Afrique politique, Karthala, 2002

[27] Voir supra, n° 47 et s.

[28] J. Nguebou Toukam, « Notion et originalité du partage rémunération dans la construction du droit camerounais des régimes matrimoniaux », Juridis-Périodique, 1997, p. 37 ; E. Ngaleu, La problématique des rapports juridiques entre époux dans un mariage monogamique : analyse des tendances jurisprudentielles, Mémoire ENAM, 1994 ; P. Nkou Mvondo et E. Ngaleu, « Les rapports juridiques entre époux dans un mariage monogamique », Revue de droit africain n° 13, 2000, p. 3.

[29] La règle est prévue par l’article 745 du Code civil et sans doute admise par de nombreuses coutumes.

[30] Voir CS, arrêt n° 24/L du 25 janvier 1973, RCD, n° 9, p. 82 ; n° 42 du 18 janvier 1979

Bull. n° 6069 ; CA de l’Ouest, n° 29/Cout, du 22 juillet 1993, inédit ; TGI du Haut-Nkam, jugement n° 06/Civ/TGI/2000-2001 du 18 avril 2001, inédit.

[31] CS, arrêt n° 47/L du 16 mars 1971, RCD n° 1, p. 62.

[32] La formule très évocatrice utilisée à ce sujet est celle d’ « engagement de monogamie ». 33 V. O. Dupeyroux, « La doctrine française et le problème de la jurisprudence source du droit », Mélanges Marty, 1978, p. 464 ; F. Zenati, La jurisprudence, 1991 ; Nature et rôle de la jurisprudence dans les systèmes juridiques, RRJ, 1993-4, p. 1053 ; J.L. Aubert, M. Bandrac, A. Breton, J. Carbonnier, G. Cornu, M. Gobert, F. Terre, A. Tunc, F. Zenati, La jurisprudence aujourd’hui, libres propos sur une institution controversée, RTD civ., 1992, 337.

[33] Parmi ces auteurs on peut citer G. Marty et P. Raynaud, Introduction générale au droit, n° 119 ; Mazeaud et F. Chabas, t. 1, vol.1, n° 105 ; J. Boulanger, « Notions sur le pouvoir créateur de la jurisprudence », RTDciv. 1961, 417.

[34] J. Carbonnier, op. cit., p. 25.

[35] Cela n’empêche pas que ceux qui sont partis d’une aire géographique pour une autre revendiquent leur appartenance à la coutume de leur tribu d’origine. L’origine est ici, en vérité, celle des parents, puisque parfois les personnes concernées n’ont jamais été dans l’aire géographique de rattachement de la coutume.

[36] M. Pédamon, « Y a-t-il lieu de distinguer les usages et les coutumes en doit commercial ? », RTD. com. 1959, p. 335 et ; F. Leymarie, Les usages en droit commercial, Thèse Bordeaux, 1970.

[37] Pour une application implicite, voir CS/CA, arrêt du 28 avril 1983, RCD n° 25, 1983, p. 108.

[38] V. article 31 de la Constitution.

[39] V. articles 24, 31 et 47 de la Constitution.

[40] Il faut noter que dans le passé, ils en avaient aussi besoin (Lire à cet égard les décrets du 16 avril 1924 fixant le mode de promulgation et de publication des textes réglementaires au Togo et au Cameroun, et du 22 mai 1924 rendant exécutoires dans les territoires du Cameroun placés sous le mandat de la France les lois et décrets promulgués en Afrique équatoriale française antérieurement au 1er janvier 1924, modifié par le décret du 5 mai 1926).

[41] Voir Ordonnance n°72/11 du 26 août 1972 relative à la publication des lois, ordonnances, décrets et actes réglementaires, article 2.

[42] V. article 4 de l’ordonnance du 26 août 1972 supra.

[43] La notion d’ « approbation » ici utilisée est tirée de la Constitution et est un peu troublante. Normalement les traités sont ratifiés par le Président de la République. Si les traités interviennent dans le domaine de la loi, la ratification doit être autorisée en la forme législative par le Parlement (article 43 de la Constitution).

[44] Crim, 4 février 1898, D. 98, 1, 369 ; Ch. Réunies, 31 janvier 1901, D. 1901, 1, 169 ; Montpellier, 23 février 1949, som. 41.

[45] Article 2 du Code civil : « La loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ».

[46] V. article 3, 4 et 5 du Code pénal.

[47] Il faudrait comprendre dans ce domaine la matière administrative. Pour la non rétroactivité des actes administratifs, voir CS/CA, arrêt du 28 avril 1983, RCD n° 25, 1983, p. 108.

[48] CS, 6 janvier 1970, RCD, n° 9, p. 54.

[49] Roubier, Les conflits de lois dans le temps, 1ère édition 1929-1933.

[50] Roubier, Le droit transitoire, 2ème édition, 1960 ; F. Dekeuwer-Défossez, Les dispositions transitoires dans la législation civile contemporaine, LGDJ, Bibl. dr. Privé, T. 151.

[51] Civ. 7 juin 1901, D. P. 1902, I, 105.

[52] Civ. 22 avril 1929, S. 1932, I, 129 ; D.H. 1929, 281.

[53] Civ. 20 févier 1917, D.P. 1917, I, 81. Pour des applications du principe de la non rétroactivité des lois voir CS, arrêt n° 87/CC du 23 juillet 1998, affaire El hadj Yaroro Mohaman c/ SR,C Juridis-Périodique, n° 47, p. 36 ; CS, arrêt n° 133/S du 25 mai 2000, affaire Hotel Ibis c/ Pinyom Jean Séraphin, Juridis-Périodique n° 48, p. 50

[54] Riom, 21 octobre 1946, D. 1947, 90, note Carbonnier ; Req, 21 novembre 1898, S. 1899, 1, 193, note A. Wahl.

[55] Bonnecase, L’Ecole de l’exégèse en droit civil, 2ème édition, 1924 ; E. Gaudemet, L’interprétation du Code civil en France depuis 1804, 1935 ; P. Remy, « Le rôle de l’exégèse dans l’enseignement du droit au XIX è siècle », Ann. d’hist. Des Fac de droit, 1985, p. 91.

[56] Très souvent le texte dérogatoire ne sera pas aussi radical, et se contentera d’aménager la réparation. C’est le cas avec le Code du travail de 1992 qui fixe un plancher et un plafond de dommages et intérêts en cas de licenciement abusif (article 39 al.4)

[57] S. Bilong, « Le déclin de l’état de droit au Cameroun : à propos du développement des immunités juridictionnelles, Juridis-périodique n° 62 (2005), p. 52 ; M. Soh,

« Insaisissabilité et immunité d’exécution dans la législation Ohada ou le passe-droit de ne pas payer ses dettes », Juridis-Périodique n° 51 (2002), p. 89.

[58] Sur le patrimoine, lire, Aubry et Rau, Droit civil français, t. IX, par Esmein, § 573 et s, ; H. Mazeaud et H. Chabas, Leçons de droit civil, t. 1, vol. 1, Introduction à l’étude du droit, 11ème édition, LGDJ, n° 183 : A. Seriaux, « La notion juridique de patrimoine, brèves notations civilistes sur le verbe avoir », RTD civ, 1994, 801.

[59] J. L. Aubert, Introduction au droit, Paris, Armand Colin, 8ème édition, n° 202.

[60] Voir notamment les articles 304 et 305 du Code pénal.

[61] V. Kayser, « La défense du nom d’après la jurisprudence civile et d’après la jurisprudence administrative », RTDciv. 1959 ; E Agostini, « La protection du nom patronymique et la nature du droit au nom », D. 1973, chr. 313.

[62] M.L Abomo, « Le droit à l’image de la personne : quelle protection au Cameroun ? », Juridis-Périodique n° 64 (2005), p. 80.

[63] TGI de Yaoundé, affaire Yomba C/ Brasseries du Cameroun, jugement reproduit dans

Tendances jurisprudentielles et doctrinales du droit des personnes et de la famille de l’exCameroun oriental op. cit., p. 21 et 22.

[64] Voir Loi n°2000/11 du 19 décembre 2000 relative au droit d’auteur et doits voisins du droit d’auteur, notamment l’article 14.

[65] Voir les articles 371 et suivants du Code civil.

[66] G. Cornu, Droit civil, Introduction, Les personnes, Les biens, Montchrestien, 11ème édition, n°66.

[67] V. J. Martin de la Moutte, L’acte juridique unilatéral, Essai sur sa notion et sa technique en droit civil, thèse Toulouse, 1951 ; M-L. Izorche, L’avènement de l’engagement unilatéral en droit privé contemporain, thèse Aix-Marseille III, 1989 ; F. Batailler, « Les « beati possedentes » du droit administratif (Les actes unilatéraux créateurs de privilèges) » RD pub. 1965, 1051 et s.

[68] G. Roujou de Boubée, Essai sur l’acte juridique collectif, Thèse Toulouse, éd. 1961. 71 B. Starck par H Roland et L. Boyer op. cit., n° 1347.

[69] B. Starck par H. Roland et L. Boyer, op. cit, n° 1349.

[70] Article 6 du Code civil : « On ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs ».

[71] La jurisprudence est abondante en la matière : CS-Cor, arrêt n°86 du 25 mai 1971, affaire Bollo, in Tendances

Jurisprudentielles et doctrinales op. cit, p. 87. Voir aussi, CS, n° 31 du 10 février 1977, RCJCS, tome IV, p. 68 ; n° 225 du 30 mai 9961, RCJCS, tome IV, p. 152.

[72] Civ. 6 mars 1876, DP, 1876, 1, 193, note Giboulot ; S. 1876, 1, 161. Voir aussi, Civ. 6 juin 1921, DP, 1921, 1, 73.

[73] CE, 30 mars 1916, Compagnie Générale d’éclairage de Bordeaux, GAJA, 10é éd., n° 49 ; D. 1916, 3, 25.

[74] Pour un cas de résolution judiciaire, voir Cour d’appel du Centre (bail d’une durée de 20 ans), arrêt n° 276/Civ du 21 juin 1995, affaire Société Shell Cameroun c/ M. Houpa Philippe, Juridis-Périodique n° 38 (1999), p. 46, note J. Nguebou.

[75] CS, arrêt n° 405 du 6 mars 1962, RCJCS tome IV, p. 57.

[76] Il faut cependant noter une exception : la stipulation pour autrui, qui se manifeste, par exemple, dans le contrat d’assurance.

[77] V. Article 388 du Code civil.

[78] Voir A. Simo, La justice pénale du mineur au Cameroun, thèse de doctorat de 3ème cycle, Université de Yaoundé, 1998 ; Eyiké-Vieux, « La loi pénale des mineurs au Cameroun », RASJ, 2000, vol. 1, n° 2, p. 210 ; M. Ebele Dikor, « Contribution à la protection du mineur délinquant dans la législation pénale camerounaise », JuridisPériodique n°60, 67.

[79] V. Article 640 du Code civil.